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Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent

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Moi, je ne vous demande rien. J'établis tout bonnement ce qu'on appelle un état de situation. Je me trouve en face de personnes qui se plaignent et qui accusent la société de tous les maux dont elles souffrent. Je cherche si, en effet, collectivement, les hommes sont aussi coupables que certaines personnes le disent de leurs malheurs particuliers. Je trouve et je prouve que l'initiative personnelle y entre pour beaucoup, je démontre mathématiquement qu'il n'y a vraiment que deux malheurs involontaires et immérités, et, ce point établi que nous ne saurions poursuivre la réalisation du bonheur humain à travers tous les alea de ce monde, sans avoir la chance de nous égarer et de nous perdre, j'indique le moyen certain, bien connu, qui est et restera peu usité de n'avoir rien à redouter des douleurs communes, et, après ce préliminaire indispensable à mes conclusions, j'en reviens à l'Appel aux femmes, et je m'occupe de discerner en toute conscience, avec ceux qui ne se croient pas le droit de tout railler à première vue, ce qu'il faut prendre, ce qu'il faut laisser des revendications féminines qui, par des actes violents ou des manifestes libellés, se proposent et vont bientôt s'imposer à la discussion politique.

Établissons avant tout ceci:

Quand la femme demande à ne pas être esclave de l'homme, et quand, en même temps, elle croit pouvoir être indépendante de l'homme, elle a tort.

D'abord la femme n'est esclave de l'homme que quand elle le veut bien, quand elle l'épouse, et rien, légalement, ne la force de l'épouser. Ensuite elle ne peut pas avoir une vie à part, indépendante de l'homme, puisque l'homme remplit certaines fonctions matérielles qu'elle ne peut remplir, et sans lesquelles sa vie à elle, sa vie à part, sa vie indépendante comme elle la voudrait, n'aurait aucune sécurité, aucune possibilité d'être; ainsi l'homme est soldat et la femme ne l'est pas. Elle dépend donc de l'homme, même si elle reste célibataire, pour la défense de son foyer. Quant à son esclavage, il est, nous le répétons, volontaire; elle est légalement libre, aussi libre, plus libre que l'homme, à partir de vingt et un ans, et pas un pouvoir au monde ne saurait lui prendre la moindre parcelle de cette liberté légale, si elle veut la garder, liberté bien autrement étendue, bien autrement avantageuse, toujours légalement, que la nôtre.

En effet, à vingt et un ans, la femme peut se marier sans le consentement de ses parents ou plutôt en passant outre; à vingt-cinq ans seulement, l'homme peut se marier dans les mêmes conditions; autrement dit, il est, pendant quatre ans de plus qu'elle, esclave de la loi, et, sur ce point, dans l'état social, inférieur à la femme. Ce n'est pas tout. L'homme est astreint, non de son plein gré, mais par un de ces règlements que la femme l'accuse d'avoir dirigés contre elle seule, l'homme est astreint au service militaire et, s'il déserte, s'il se révolte, les galères ou la mort. De cet esclavage qui pèse sur l'homme et dont elle est dispensée, la femme ne parle pas. Cette dispense, vaut cependant bien quelque chose. La femme est donc mal venue à demander son admission aux fonctions de juge civil et de juré; il n'y a pas plus lieu de lui accorder le droit de diriger l'État qu'il n'y a eu lieu de lui imposer le devoir de le défendre. Qu'elle soit soldat d'abord, elle sera juge, consul ou juré ensuite.

Voilà donc de grands avantages sur les hommes concédés par les lois à la femme. En les lui attribuant, les lois se sont conformées aux indications de la nature. La femme leur a paru être organiquement plus précoce, musculairement plus faible que l'homme; elle a tenu compte de sa précocité, quant au mariage; de sa faiblesse, quant aux fonctions. La femme lui paraissant plus faible que l'homme, la loi, dans le mariage, a voulu la mettre non pas sous le pouvoir, mais sous la protection de l'homme. Là encore, elle a suivi les indications de la nature. L'enfantement, l'allaitement, les soins assidus à donner à l'enfant pendant son enfance, c'est-à-dire pendant dix ou douze ans, tout cela, joint à la faiblesse naturelle de la femme, exigeait la tutelle du mari. Cette tutelle devient facilement de la surveillance, de la tyrannie, parce que la loi a dû compenser pour l'homme les trop grands privilèges que, dans l'union conjugale, la nature accordait à la femme et qui étaient un danger incessant pour le mari. En effet, avec un peu d'habileté, qui n'est pas rare, la femme peut introduire dans le foyer commun, donner le nom et appeler à des biens patrimoniaux ou acquis, à la succession de son époux, l'enfant d'un autre homme, tandis que l'homme ne peut jamais, quoi qu'il fasse, imposer à sa femme l'enfant d'une autre femme. L'homme s'est donc attribué certains droits ou plutôt certaines garanties qui ne le garantissent pas toujours, bien qu'il en abuse souvent à l'égard de ces femmes irréprochables et sacrifiées, en faveur desquelles nous demandons le divorce. La femme peut donc avoir à se plaindre de l'homme dans le mariage; mais alors elle rentre dans les alea de la recherche du bonheur commune aux deux sexes. Elle a espéré être heureuse par le mariage, elle ne l'est pas; elle s'est trompée, et elle paye son erreur. L'homme est soumis comme elle à la même déception, s'il a commis la même faute; ce n'est pas là une loi spéciale prise en défaut, c'est une loi générale, pour les uns et les autres. La femme pouvait éviter les chagrins du mariage. Elle n'avait qu'à ne pas se marier. Rien ne l'y forçait. Elle a cédé à l'espérance d'être plus heureuse par le mariage que par le célibat, soit; la loi humaine, jusque-là, n'a rien à se reprocher.

Savez-vous ce qui fait le malentendu dans cette interminable discussion de la revendication des droits des femmes? C'est que les femmes se trompent de mot, involontairement bien entendu, dans l'exposé de cette revendication et qu'elles s'en prennent aux lois de ce qui est, encore une fois, l'œuvre des mœurs. Voilà la vérité. Les droits accordés par les lois sont identiques pour elles comme pour l'homme, et, même, nous l'avons dit, s'il y a un avantage, il est pour la femme. La loi lui laisse faire tout ce qu'elle permet à l'homme. Elle lui donne toute la liberté compatible avec la sécurité publique, et l'homme n'en a pas plus qu'elle. C'est seulement quand la femme a fait une chose, non pas commandée, mais recommandée par les mœurs, lesquelles n'ont pas de règlement fixe, ni de moyens matériels de contrainte, c'est seulement enfin lorsque la femme a cédé aux conseils et à l'influence des mœurs, toujours avec l'espérance de les utiliser à son profit, c'est alors seulement qu'il lui vient l'idée d'accuser les lois de son insuccès ou de son erreur. La loi n'impose à la femme aucun mode particulier d'existence; elle se borne à les prévoir tous, autant que possible, pour le cas où, une difficulté survenant par suite de la mauvaise exécution d'un contrat particulier volontaire, signé par les deux parties, on vient réclamer son intervention et son arbitrage. La femme n'a donc pas à réclamer les mêmes droits légaux que les hommes; elle les a. La femme majeure, comme l'homme majeur, est complètement libre: elle peut quitter sa famille, aller, venir, voyager, s'expatrier, acheter, vendre, négocier, entrer dans toutes les carrières en accord avec son intelligence, son instruction, ses aptitudes, ses forces, son sexe. Elle peut vivre à sa fantaisie et avoir autant d'enfants qu'il lui plaît, si la nature s'y prête, avec qui bon lui semble.

«Mais cette femme qui vit selon sa fantaisie, qui a des enfants avec qui bon lui semble, elle est compromise, déshonorée, honnie.»

Par qui? pas par les lois, par les mœurs.

«Mais il est dans la destinée de la femme de se marier, d'avoir un époux légal, des enfants légitimes.»

Où avez-vous vu cela? Dans les mœurs. Il n'en est pas question dans les lois.

Les lois réglementent le mariage, mais elles ne l'ordonnent pas, elles ne le conseillent même pas.

Je comprendrais les réclamations des femmes, si ces réclamations se produisaient contre les mœurs. Je comprendrais les femmes disant: «Nous avons un idéal: l'amour; nous avons une mission: la maternité. Nous demandons à réaliser notre idéal, à accomplir notre mission.

»C'est non seulement notre idéal, c'est non seulement notre mission, c'est encore, au nom de la nature qui prime toutes les institutions humaines et morales, toutes les lois et toutes les mœurs, c'est notre droit et c'est notre devoir. Nous demandons les moyens d'exercer notre droit et de faire notre devoir.»

A quoi la société répondrait:

«Le mariage a été justement institué pour la satisfaction de cet idéal, de cette mission, de ce droit et de ce devoir.

– Mais les hommes veulent seulement épouser celles qui leur apportent une dot, et un très grand nombre parmi nous, n'ayant pas cette dot, ne peuvent pas se marier. Pouvez-vous forcer les hommes à nous épouser?

– Non.

– Soit; nous comprenons l'homme ne voulant pas perdre définitivement et irréparablement sa liberté; il a une action à faire comme nous avons une mission à accomplir; il ne recule pas devant l'amour, il recule devant un contrat par lequel il se trouve trop engagé. Il y a un moyen de tout concilier, c'est l'union libre, nous demandons le droit de la contracter, au risque d'être abandonnées par l'homme demeuré libre.

– Vous avez ce droit, personne ne s'y oppose; mais la morale le réprouve.

– Qui a édicté cette morale?

– Des législateurs religieux et politiques.

– Des hommes alors?

– Oui.

– Ont-ils appelé des femmes dans leurs conseils avant de prendre ces arrêtés?

– Non.

– Cependant les femmes composent la moitié du genre humain, et elles étaient fort intéressées dans la question.

– Ils ont pris cette décision tout seuls.

– Et qu'ont-ils établi pour les filles que les hommes n'épousaient pas?

 

– Qu'elles se résigneraient au célibat et à la stérilité; elles peuvent aussi se faire religieuses et servir le Dieu au nom duquel cette morale a été proclamée.

– Et si elles ne se résignent pas?

– Elles seront ce qu'on appelle des femmes de mauvaise vie, elles seront méprisées et exclues de la société des honnêtes gens.

– Alors les hommes qui ne se marient pas et qui se donnent avec ces femmes les plaisirs de l'amour sans en assumer les charges, qu'ils leur laissent, sont encore plus méprisés qu'elles et plus ignominieusement chassés de la société des honnêtes gens?

– Non.

– Pourquoi? – Parce que ce sont les hommes qui ont établi ces lois morales et qu'ils les ont établies naturellement à leur avantage.

– Alors, moi qui enfante dans la douleur et dans les cris, les entrailles ouvertes, en face de la mort, je suis, même si j'ai succombé par ignorance, sans savoir ce que je faisais, je suis plus coupable et plus méprisée que l'homme qui de la génération ne connaît que le plaisir?

– Oui.

– C'est souverainement injuste!

– Ça dure ainsi depuis très longtemps; maintenant, c'est consacré.

– Très bien; mais, dans cette société des honnêtes gens, dont nous serions exclues en cas d'unions libres publiquement contractées, nous voyons beaucoup d'unions libres malgré les mariages légaux contractés antérieurement. Nous voyons des hommes mariés qui ont d'autres femmes que les leurs, des femmes mariées qui ont d'autres hommes que leurs maris; tout le monde le sait, personne ne leur dit rien; comment cela se fait-il?

– Ces gens-là ont eu la bonne chance et la précaution de se mettre en règle avec la société par leur mariage.

– Mais la morale?

– Elle n'a rien à voir là dedans; c'est affaire de mœurs.

– Nous demandons des lois qui changent ces mœurs.

– Impossible. Les mœurs modifient quelquefois les lois; les lois ne modifient pas les mœurs.

– Soit; je cours la chance de la honte pour avoir l'enfant; car, mon enfant, je pourrai au moins le garder?

– Peut-être!

– Comment, peut-être? qui me le prendrait?

– Son père.

– Mais puisqu'il ne sera pas mon mari.

– Il pourra le reconnaître, et, si tu as approuvé la reconnaissance et que ce soit un garçon, c'est-à-dire ton soutien et ton défenseur dans l'avenir, son père pourra te le prendre quand il aura sept ans, en prouvant qu'il a, lui, le père, plus de moyens d'existence que toi, ce qui arrive presque toujours; mais ne crains rien: le père tient bien rarement à élever son enfant, à moins que ce ne soit pour se venger de la mère.

– Se venger, et de quoi? – Nous ne savons pas; cela rentre dans la conscience.

– Mais je puis nier, m'a-t-on dit, que cet homme soit le père de mon enfant.

– Parfaitement.

– Alors on me laissera mon fils.

– Oui.

– Et je pourrai lui donner mon nom?

– Si tu le veux.

– Et, si j'acquiers du bien en travaillant pour lui, je pourrai lui laisser mon bien pour qu'il ait au moins l'indépendance?

– Non. Si tu lui donnes ton nom, et que tu aies un père, une mère, des frères, des sœurs, tu ne pourras lui donner qu'une partie de ton bien.

– Même si mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs m'ont chassée pour l'avoir mis au monde.

– Oui; mais tu n'as qu'à ne pas lui donner ton nom, qu'à ne pas l'appeler ton fils, qu'à le traiter comme un étranger, tu pourras lui donner tout ton bien.

– Qui a décidé cela?

– Les lois.

– Qui a fait les lois?

– Les hommes.

– Ceux qui avaient déjà fait la morale et les mœurs?

– Les mêmes.

– Merci.»

Là évidemment et non dans l'occupation des carrières et des fonctions publiques, est le vrai, l'unique, l'éternel sujet, l'éternel droit des revendications de la femme. Sur ce terrain, elle a pour elle la nature, la justice, la vérité et tous ceux qui ont un cœur et une conscience. Voilà pourquoi, quand, poussée à bout par la lâcheté de l'homme et la sauvagerie de la loi, et se faisant lâche comme l'un et sauvage comme l'autre, elle tue et mutile, voilà pourquoi la justice en est réduite à l'absoudre et l'opinion à l'acclamer.

Mais toutes les femmes abandonnées par leur amant, trahies par leur mari, victimes de l'ingratitude ou de l'égoïsme de l'homme ne peuvent pas jouer du revolver ou du vitriol et elles n'en souffrent pas moins, pour avoir une douleur moins retentissante et moins meurtrière; c'est alors que certaines femmes, à qui ces moyens répugnent, posent dans des manifestes exagérés, maladroits, ridicules, des conclusions irréalisables. Elles veulent déclarer à l'homme, dans les lois, la guerre que l'homme leur fait dans les mœurs; elles veulent lui prouver qu'elles peuvent être moralement et intellectuellement leurs égales; qu'elles peuvent même leur être supérieures. Lasses de voir l'homme leur prendre impunément l'honneur, la liberté, l'amour, elles veulent lui prendre ses travaux et ses places, et elles s'étonnent du silence ou du rire qui leur répondent. C'est que, tout le monde le sait, et elles le savent tout aussi bien, les femmes ne tiennent en aucune façon à faire le métier des hommes, leur métier de femmes leur suffit bien. Seulement, celui-là, elles veulent le faire et le faire complètement, en quoi elles ont raison. Alors, elles disent aux hommes: «Ou donnez-nous ce que la nature vous a dit de nous donner, l'amour, le respect, la protection, la famille régulière, ou donnez-nous ce que vous avez gardé pour vous seuls, la liberté.» Ce dilemme a du bon. Voyons comment cette liberté réclamée par la femme lui arrivera, en dehors des lois qu'elle sollicite.

Évidemment, au train que suivent les choses, l'homme va de moins en moins donner l'amour, le respect, la protection, la famille régulière à la femme. Entraîné par la liberté qu'il s'adjuge de plus en plus, il va tendre à supprimer de plus en plus toutes les entraves et toutes les attaches; il va vouloir de plus en plus être maître de lui. Je ne l'en blâme pas. Croire, espérer qu'au milieu de l'ébranlement, de la décomposition et de l'éparpillement de toutes les choses du passé, l'homme va faire un retour sur lui-même à l'endroit de la femme, et se mettre à reconstituer la famille sur les bases de l'idéal, de l'amour et de l'unité, c'est une erreur nouvelle à joindre à toutes les erreurs connues. La femme va donc être de plus en plus dans son droit de se plaindre et de réclamer. Les revendications personnelles deviendront plus nombreuses et plus inquiétantes; la justice légale ayant déjà désarmé plusieurs fois, les justices individuelles et arbitraires se feront jour et place de plus en plus; l'opinion sera constamment appelée en témoignage, l'émotion sera sollicitée par des avocats habiles, désireux de s'illustrer et de s'enrichir; la question posée dans les faits et souvent, toujours résolue en faveur des accusées, commencera à s'imposer aux lois. Les scandales seront si grands, si contagieux, si applaudis, qu'il faudra se décider à prendre un parti. Quand, en dehors du mariage, les femmes auront égorgé un plus grand nombre d'hommes et tordu le cou à un plus grand nombre d'enfants; quand, dans le ménage, les hommes et les femmes qui auront été assez bêtes pour contracter des unions indissolubles, auront enrichi les armuriers et les épiciers à force de se tirer des coups de fusil ou de revolver et de se jeter du vitriol au visage, il faudra bien s'apercevoir qu'il y a un vice fondamental de construction dans ce beau monument du Code civil, y faire quelques réparations, y changer quelques pierres de place et aérer davantage les articles trop étroits et devenus inhabitables. De temps en temps, la justice officielle essayera de ressaisir son autorité et de rendre quelques jugements destinés à inspirer une salutaire terreur et à arrêter le mouvement; elle verra alors ce qui se passera: les jurés et les magistrats seront sifflés, hués, maltraités peut-être. Notre magistrature, que l'étranger nous envie, sera compromise; notre belle institution du jury, soit qu'elle reste dans la sentimentalité, soit qu'elle tourne à la résistance, sera traitée d'institution caduque et grotesque; personne ne voudra plus être juré, pas même l'auteur du manifeste qui nous occupe, et la réforme depuis longtemps nécessaire, obstinément refusée, se fera, comme, hélas! se font chez nous toutes les réformes, par la violence et les excès.

Dans le mariage, le divorce sera rétabli, fatalement, inévitablement.

Le divorce étant rétabli, la femme étant par conséquent moins opprimée, elle n'aura plus d'excuses de recourir à l'adultère et elle aura moins besoin d'être consolée. L'amant se trouvera éliminé, le prêtre sera remis à son plan respectif, et la femme, ayant conquis plus de droits, aura ainsi acquis plus de valeur.

Voilà pour le mariage, qui, ainsi équilibré par des devoirs et des droits équipollents, comme eût dit Montaigne, deviendra pour les contractants à la fois plus attrayant, plus moral et plus sûr.

Quant aux amours libres, ils ne vont faire que croître et embellir, pour une foule de raisons que j'ai développées autre part1 et qu'il n'y a pas lieu de rappeler ici. La prostitution de la femme va perdre peu à peu son caractère d'autrefois. Sauve qui peut, après tout, dans une société où personne ne s'occupe de son voisin que pour l'entraver, le mépriser ou le détruire! Ce qui fut jadis une honte pour quelques-unes, un danger pour quelques autres, va devenir une carrière, un fait, un monde, avec lesquels la civilisation devra compter, et qui amèneront d'abord des modifications imprévues dans les mœurs, encore plus imprévues dans les lois. Cette carrière, toujours disponible pour les filles pauvres douées de jeunesse, de beauté, d'esprit; ce monde de la sensation et du plaisir toujours ouvert aux hommes jeunes ou vieux, dotés d'appétits et d'argent; ce monde étrange, sans droits et sans devoirs, à mesure qu'il se développera, se prendra au sérieux comme tous les autres mondes coïncidant avec un état nouveau des sociétés, comme l'aristocratie, comme la bourgeoisie, comme la démocratie actuelle, dont il a émergé. Semblable à ces îles jaillissant tout à coup d'une mer tourmentée par quelques mouvements géologiques et devenant un jour des forêts, puis des cités, ce monde aura bientôt son autonomie, ses institutions, ses intérêts communs, ses sentiments de progrès et de solidarité, son idéal, sa morale même. C'est certain. Ce sera une colonie comme beaucoup d'autres, fondées par des exilés, des criminels et des parias. Au bout d'un certain temps elles ont oublié leur origine dans la fortune acquise, et elles réclament et elles obtiennent le droit de s'appeler État ou Nation. Il vient même un moment où elles traitent avec les grandes puissances. Il en sera de même de la prostitution féminine, dont le luxe, la notoriété, l'accroissement déjà considérables, depuis un quart de siècle, permettent de prévoir ce que j'annonce aujourd'hui.

Des hommes du monde, des millionnaires, des princes, ont déjà épousé quelques-unes des indigènes; et nombre des filles de ces dernières, sans rougir encore de la profession maternelle, n'ont plus besoin de l'exercer et viennent, par des unions régulières dès le commencement, féconder de leurs dots l'industrie, le commerce, les affaires et quelquefois redorer et même nettoyer des blasons historiques. Ce n'est pas tout; et la nature humaine a des enchaînements inconscients, mystérieux, bien intéressants à étudier. Ces femmes n'ont pas de remords, elles n'ont même pas de regrets; elles sont maintenant trop nombreuses, trop groupées, trop riches, trop célèbres pour cela. Le monde qui les exclut et qui souvent les envie, ne leur manque pas du tout. Non seulement elles y exercent des représailles sur les hommes, mais quelquefois elles font de bonnes recrues parmi les femmes; tout irait donc pour le mieux, si elles ne vieillissaient pas. Malheureusement, dans ce monde, on vieillit encore plus vite que dans l'autre. Il s'agit donc d'occuper les années du crépuscule et du soir. Arrive alors le désir d'imiter les femmes comme il faut, le besoin de faire parler de soi autrement que par le passé et de franchir les limites de leur activité connue, une sorte de préoccupation du mystère de la mort, peut-être un vague et secret espoir d'un rachat par la charité, espoir déposé à temps et utilement entretenu dans leur âme par un bon prêtre subitement intervenu, indulgent et attentif.

Dieu lui-même ordonne qu'on aime,

 

Sauvez-vous par la charité.

L'Évangile finit par demander le concours de Béranger!

Tout cela joint à la sensibilité naturelle à leur sexe, développée par le bien-être, tout cela fait que ces femmes appliquent, à l'étonnement de tous, une part de leur fortune à des œuvres pies. Voilà tout à coup ces filles du mal qui se passionnent pour le bien, plein d'attraits souvent pour les consciences attardées. Cela les amuse, d'être utiles, et la nouveauté de cet amusement leur tient lieu de traditions et d'habitude. Elles donnent aux églises de leurs villages, elles couronnent des rosières dans leurs communes natales ou dans le village voisin de leurs domaines, et elles finissent par fonder des établissements de secours, de refuge, d'éducation pour les leurs et les enfants des leurs qui ont eu moins de chance ou de prévoyance qu'elles.

Les voilà donc déjà en rapport avec l'administration, non pour en subir comme autrefois les règlements particuliers, mais pour lui communiquer ceux qu'elles font. Voilà cette administration garante, auxiliaire, respectueuse. Voilà ces femmes patronnesses, quêteuses, utiles, mêlées à la civilisation, à la religion ou du moins à l'Église, à la morale publique, sans rien changer à leur genre de vie. Elles n'ont imposé à leurs vieillards ou à leurs enfants recueillis aucune formule religieuse particulière. Enfants et vieillards catholiques, protestants, israélites, musulmans, libres penseurs, athées, tous bien venus, surtout s'ils viennent on ne sait d'où. Elles gardent pour elles leur foi particulière, elles ne l'exigent pas de leurs obligés. Qui fait la charité sans préférence et sans exclusion, a toutes les Églises et toutes les philosophies pour soi. Ne sommes-nous pas dans l'ère de l'indulgence et de la conciliation?

Leurs pauvres augmentent de plus en plus; elles ne peuvent plus ou elles ne veulent plus suffire, elles seules, aux besoins croissants des œuvres. Parmi les orphelins, les abandonnés dont on s'occupe là, beaucoup d'enfants naturels, adultérins de gens de théâtre, de petits artistes misérables ou morts. Cela donne le droit d'invoquer l'assistance et de demander le patronage de quelques grandes et honorables célébrités féminines. On organise des concerts, des représentations, des fêtes, des tombolas. Le secours de la presse est sollicité et obtenu. Quelques articles bien faits, les larmes coulent; le public est convoqué, au nom du plaisir et de la charité réunis. Les amants… – pardon! ne parlons plus des amants, ce serait de mauvais goût en un pareil sujet! – les amis de ces dames, enchantés d'avoir une nouvelle occasion de parler d'elles et de les vanter, après avoir pris part à leur première organisation, après les avoir aidées de leur bourse, et après avoir bien ri ensemble de les voir dans ce rôle nouveau et tout à fait imprévu, leurs amis leur apportent l'offrande, les encouragements, les conseils de leurs autres amies du monde, de leurs parents, de leurs sœurs, de leurs mères, de leurs femmes, en attendant que ces dames, charitables aussi, et curieuses, autorisent, provoquent des rencontres, dont elles reviennent en disant: «Il y a vraiment, parmi ces créatures, des femmes très intelligentes, très bonnes, très distinguées.» Voyez-vous les contacts, les infiltrations, les enchevêtrements, les concessions, les indulgences, les sympathies, les intérêts, les mélanges, l'égalité.

Mais ce n'est pas là, heureusement, pour le féminin opprimé par les mœurs et les coutumes, le seul débouché ouvert à son évolution instinctive et providentielle. Il prend maintenant d'autres routes, plus dures, dans le commencement, que celle-là, plus solitaires, plus tristes, mais sûres pour toute énergie et toute persévérance, et où l'homme qui la rencontre devient un auxiliaire et non un ennemi.

Je ne parle même pas du théâtre, où la femme trône et passionne à ce point, qu'il faut révoquer des diplomates qui abandonnent le char de l'État pour s'atteler au sien, où elle s'enrichit si vite et par le théâtre seul, qu'elle peut donner un million pour racheter sa liberté conjugale, acheter des résidences royales, fonder des hôpitaux et des écoles dans les pays qu'elle traverse. Je ne parle pas non plus des autres arts, comme la peinture et la sculpture, où elle forme un groupe qu'on pourrait appeler l'école des femmes et dont Rosa Bonheur est le chef illustre et respecté. Elle est déjà dans le théâtre, dans l'atelier; la voilà comédienne, peintre, statuaire. Nous allons la voir bachelier, étudiant en droit, élève en médecine, clerc et carabin. En effet, elle tente aujourd'hui l'étude des sciences réservées jadis à l'autre sexe. J'en suis désolé pour Molière, mais Chrysale a tort: la femme trouve décidément que son esprit a mieux à faire que de se hausser à connaître un pourpoint d'avec un haut de chausses; elle ne borne plus son étude et sa philosophie à faire aller son ménage, à avoir l'œil sur ses gens, à former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants, à savoir comment va le pot dont son mari a besoin par la raison bien simple qu'elle perdait sa jeunesse à attendre le ménage qui ne venait pas, et qu'elle ne pouvait ni surveiller les gens qu'elle n'avait pas le moyen d'avoir, ni former aux bonnes mœurs l'esprit des enfants qu'aucun mari ne songeait à lui donner. Entre Chrysale, qui ne voulait pas d'elle, et don Juan, dont elle ne voulait pas, elle a pris le parti d'essayer de se suffire à elle-même et d'escalader toute seule les hautes régions de la science et de la philosophie. Voyant son âme mal comprise et son corps mal convoité, elle a immolé son sexe et elle en a appelé à son esprit; elle prend ses inscriptions; elle subit des examens dans les sciences et dans les lettres, dans la médecine et dans le droit; elle troque la robe de la faiseuse en renom contre la robe noire de Pancrace et de Marphurius.

Le bourgeois dont riait Molière a beaucoup ri en voyant cela, comme il fait toujours quand il voit quelque chose de nouveau; mais, lorsque ce n'est pas Molière qui rit des choses, les choses ne courent aucun danger. S'il vivait de nos jours, il n'en rirait pas. Molière avait le grand bonheur de vivre dans une époque où l'on pouvait rire de la sottise humaine sans être forcé d'y chercher remède. Le poète riait, le roi riait, la cour riait, la chose dont on riait était tenue pour risible. Aujourd'hui, il n'en va plus tout à fait de même. Non seulement le roi ne rit plus, mais il a disparu, la cour a disparu, et Molière a fait comme eux, malheureusement, car cet esprit profond et sagace verrait certainement, le mieux du monde, ce qu'alors il ne pouvait même pas prévoir.

1Préface de Monsieur Alphonse
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