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Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent

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«Eh bien, ce que j'ai fait, je l'ai fait au nom de mon enfant qui est innocent, quelle que soit sa mère, que vous auriez dû protéger et que vous ne protégez pas. Vous avez permis à l'homme de me prendre vierge, de me rendre mère, de me rejeter ensuite déshonorée et sans ressources, et de me laisser à la fois la honte et la charge de son enfant; vous lui avez permis aussi, quand il m'avait épousée, de me trahir, d'avoir d'autres femmes, contre lesquelles vous ne pouvez pas ou ne voulez pas me défendre, de me prendre ma fortune, celle de mes enfants pour la porter à l'autre, et vous m'avez condamnée à être éternellement la femme de cet homme, tant qu'il vivrait, si misérable qu'il fût. Vous me ridiculisez si je reste fille, vous me déshonorez et me conspuez si, en restant fille, je deviens mère; vous m'emprisonnez et m'annihilez si je me constitue épouse pour devenir mère; soit, j'en ai assez, et je tue. Vous avez permis que mon enfant, illégitime ou légitime, puisse ne pas avoir de père; emprisonnez-lui ou tuez-lui maintenant sa mère: il ne nous manque plus que ça; allez!»

Qu'est-ce que vous pouvez répondre? qu'on n'a pas le droit de se faire justice soi-même? que l'homicide volontaire est prévu par tel article du Code pénal et doit être puni de telle et telle peine par tel autre? Essayez.

Les criminelles sont-elles donc véritablement dans leur droit? Non; mais elles montrent l'homme dans son tort, la loi dans son tort, et alors c'est la foule, c'est-à-dire l'instinct naturel qui devient l'arbitre et qui vous force à rendre votre verdict au nom de l'innocent qui est l'enfant. Et ce sentiment naturel et cette émotion sont montés à un tel degré, que, si celui que vous appelez le ministère public, le défenseur de vos lois, le protecteur de la morale, l'organe de la justice (un incident nouveau se produisant qui peut donner aux débats un cours moins favorable à l'accusée), si ce magistrat inquiet, responsable, demande un surcroît d'enquête pour mieux connaître de la vérité, le public présent proteste comme dans une salle de spectacle, l'opinion s'irrite, la presse s'indigne. On ne rend pas assez tôt à la liberté cette femme qui a tué, cette meurtrière qui ne nie pas son crime, qui ne le regrette pas, qui le recommencerait si elle l'avait manqué. Et c'est le magistrat, c'est l'accusateur qui devient pour ainsi dire l'accusé.

Qu'est-ce que cela signifie vraiment? où en est la majesté de la justice? que devient le respect dû à la loi? Celui-ci a reçu deux balles dans les reins; il peut en mourir d'un moment à l'autre, on vous l'a dit. Celui-là est mort assassiné; c'est encore plus net et plus sûr; ces hommes aussi avaient une mère, une famille, le dernier avait une profession, il servait à quelque chose; il n'avait ni volé ni tué, il n'avait commis aucun des délits que les législateurs, dans leurs longues et minutieuses méditations, ont prévus, numérotés, flétris, frappés d'une peine infamante ou taxés d'une réparation matérielle. Cette autre est défigurée, estropiée, condamnée à la honte, au célibat, à la misère et à la maladie. Ces trois personnes n'ont cependant agi comme elles l'ont fait qu'avec l'autorisation et la garantie de vos lois; elles n'ont commis ni un des crimes, ni un des délits, ni une des contraventions que vous avez incriminés ou même signalés comme immoraux et justiciables d'une forte ou d'une petite peine; elles seraient en droit de vous dire: «Vous ne nous avez pas renseignés; vous ne nous avez pas indiqué nos devoirs; vous nous avez même dévolu des droits; nous ne pensions pas mal agir, puisque votre Code, si clair et si détaillé à la fois, n'indique nulle part que notre conduite soit répréhensible. La religion à laquelle nous avons été voués par nos parents en venant au monde et la morale qu'on nous a inculquée depuis nous apprenaient bien que notre conduite n'était pas très régulière, puisque nous pratiquions l'amour autrement que dans le mariage; mais les habitudes et les mœurs autorisent de tous côtés autour de nous ce que vos lois ne punissent ni ne défendent, et, d'ailleurs la religion et la morale défendent tout aussi bien la séduction, l'abandon des enfants, les vengeances et les meurtres dont nous sommes victimes. Puis cette religion et cette morale n'ont aucun moyen coercitif à leur disposition, et, n'ayant plus à discuter qu'avec notre conscience, nous étions toujours sûrs, tant que nos forces physiques resteraient à la disposition de nos fantaisies, de trouver cette conscience aussi élastique et accommodante que la société au milieu de laquelle nous vivons; en outre, cette religion et cette morale tenant le repentir à notre service sans lui fixer d'époque, nous avions cru devoir remettre cette formalité aux derniers moments de cette vie terrestre et réjouir ainsi le ciel plus que ne le feraient les justes qui n'ont jamais péché.»

Voilà ce que ces trois personnes seraient en droit de vous dire si vous les écoutiez; mais vous en êtes réduits à ne plus les écouter, et, après leur avoir donné tant de droits de faire le mal, à ne pouvoir les défendre contre celui qu'on leur fait. La loi de Lynch tout bonnement. Les représailles personnelles, la justice par soi-même, œil pour œil, dent pour dent, voilà où vous en êtes, avec votre Code, objet d'admiration pour tous les peuples!

Et tous ces désordres, tous ces crimes, tous ces scandales, toutes ces illégalités parce que vous n'avez pas le courage, car ce n'est pas le temps qui vous manque, de faire des lois qui assurent à l'honneur des filles les mêmes garanties qu'à la plus grossière marchandise, qui rendent la même justice à tous les enfants de la même espèce, de la même patrie, de la même destinée, et qui autorisent celui des deux époux que l'autre déshonore, abandonne, ruine ou trahit, à reprendre sa dignité, sa liberté, son utilité, sans avoir recours à l'adultère, à la stérilité, au suicide ou au meurtre. Alors, faute d'équité prévoyante et de justice préventive, maris qui égorgent leurs femmes, filles qui tuent leurs amants, épouses qui mutilent leurs rivales, applaudissements de la foule, prédominance des sentiments, défaite de la loi – et triomphe de l'idée.

Car tout se tient. Cette incarnation nouvelle de l'idée dans les femmes qui tuent n'est pas la seule à laquelle vous allez avoir à répondre, et nous en voyons déjà une autre, sœur de la première, poindre dans les brumes de l'horizon, du côté où le soleil se lève.

Dieu sait si, dans notre beau pays de France, raisonnable, prévoyant, logique comme nous venons essayer de le démontrer une fois de plus, Dieu sait s'il y a des gens qui se tordent de rire chaque fois qu'on avance cette proposition: que les femmes, ces éternelles mineures des religions et des codes, ces êtres tellement faibles, tellement incapables de se diriger, ayant tellement besoin d'être guidés, protégés et défendus que la loi a mieux aimé y renoncer, voyant qu'elle aurait trop à faire, Dieu sait, disons-nous, s'il y a des gens qui se tordent de rire à cette seule proposition que les femmes pourraient bien, un jour, revendiquer les mêmes droits politiques que les hommes et prétendre à exercer le vote tout comme eux. Jusqu'à présent, cette proposition n'avait été énoncée et soutenue que dans des journaux rédigés par des femmes et le seul retentissement qu'elle avait en était dans le rire presque universel dont elle avait été accueillie; ceux qui ne riaient pas, les personnages sérieux haussaient les épaules; quelques-uns, dont je suis, se demandaient tout bas si les réclamantes n'avaient pas raison. A vrai dire, la réclamation était faite le plus souvent dans des termes tellement exaltés, proclamant si haut la supériorité intellectuelle, morale, civile de la femme sur l'homme, qu'en effet elle disposait au rire. Mais, de ce qu'un droit est maladroitement revendiqué, il ne s'ensuit pas qu'il ne soit point un droit. Tous les jours, un créancier sans instruction, dans une lettre dont l'orthographe aussi fait pouffer de rire, réclame ce qui lui est dû pour son travail, et, si comique que soit la forme de la réclamation, il n'en faut pas moins y faire droit et payer la créance.

En janvier 1879, je trouvais et relevais, dans un journal, une proclamation des femmes, et, comme en ce moment-là même, avec cette manie de prévoir qu'on a pu facilement constater dans mes habitudes, je touchais à la question dans la préface de Monsieur Alphonse, j'imprimai en note cette proclamation que je vais reproduire ici pour en arriver où je veux.

APPEL AUX FEMMES

«Après ce dernier appel au triomphe de la République, voici venir l'heure de conquérir notre liberté. La question politique tranchée, on va s'occuper de la question sociale. Si nous ne sortons pas de notre indifférence, si nous ne réclamons pas contre notre situation de mortes civiles, la liberté, l'égalité viendront pour l'homme; pour nous femmes, ce sera toujours de vains mots.

»Les ministères se succéderont, la République de nom deviendra République de fait; si la femme se contente d'être résignée, elle continuera sa vie d'esclave sans pouvoir se rendre indépendante de l'homme, dont le droit seul est reconnu, le travail seul rétribué.

»Femmes de France,

»Trois projets de loi qui nous concernent sont en ce moment soumis aux Chambres. Eh bien, pas une de nous ne pourra les soutenir ou les amender. Une assemblée d'hommes va faire des lois pour les femmes comme on fait des règlements pour les fous. Les femmes sont-elles donc des folles auxquelles on puisse appliquer un règlement?

»L'homme fait les lois à son avantage, et nous sommes forcées de courber le front. Parias de la société, debout! Ne souffrons plus que l'homme commette ce crime de lèse-créature de donner à la mère moins de droits qu'à son fils. Entendons-nous pour revendiquer la liberté et la faculté de nous instruire, la possibilité de vivre indépendantes en travaillant, la libre accession à toutes les carrières pour lesquelles elles justifieront des capacités nécessaires;

 

»L'association, et non la subordination dans le mariage;

»L'admission des femmes aux fonctions de juges consulaires, de juges civils, de jurés;

»Le droit d'être électeurs et éligibles dans la commune et dans l'État.

»Femmes de Paris, il ne tient qu'à nous de changer notre sort. Affirmons nos droits, réclamons-les avec persévérance et insistance. Nos sœurs de la province nous suivront, et les républicains sincères nous donneront leur concours à la tribune et au scrutin, parce que tous savent qu'émanciper la femme, c'est affranchir la génération naissante, c'est républicaniser le foyer.»

Tel est cet appel, resté et devant rester sans écho. En le transcrivant dans ma préface, je le faisais suivre de cette seule réflexion:

Le rédacteur du journal qui a cité cette proclamation trouve cela drôle. S'il est encore de ce monde dans vingt ans, il reconnaîtra que cela n'était pas aussi drôle qu'il le croyait le 23 janvier 1879.

Reprenons aujourd'hui cette proclamation, tenons-la pour une expression sincère, et jugeons-la avec l'impartialité à laquelle tout ce qui est sincère a droit, quelle que soit la forme; tâchons d'établir le vrai, le faux, les contradictions, les résultats d'un pareil manifeste et mettons toute la méthode, toute la justice, toute la clarté, toute la logique possibles dans cette discussion. Ce n'est pas très facile quand on discute de la femme telle qu'elle doit être avec la femme telle qu'elle est, telle que nous l'avons faite, avouons-le, nous les hommes; car nous l'autorisons tantôt par notre despotisme, tantôt par notre admiration, tantôt par notre mépris, à dire que tout ce qu'elle a de bon vient d'elle et que tout ce qu'elle a de mauvais vient de nous. Prenons le fond même des choses et traitons-les avec le même sérieux que l'auteur du manifeste.

La question n'est pas nouvelle. Cette revendication politique des femmes, ce désir de vouloir être associées à l'homme et même substituées à lui dans le gouvernement de l'État, date de loin; il y a deux mille trois cents ans, Aristophane écrivait sur ce sujet une de ses meilleures comédies et la tentative féminine a maintes et maintes fois été répétée depuis lors. Prenons la dernière, elle est restée et restera longtemps peut-être sans acquiescement, du moins parmi les femmes. Les raisons de l'insuccès sont bien simples et bien faciles à donner.

D'abord, nombre de femmes n'ont pas lu ce manifeste; mais toutes les femmes de l'univers l'eussent-elles lu, le résultat obtenu eût été absolument le même. Dans quel groupe féminin eût-il pu trouver de l'approbation et de l'appui. Voyons comment se répartit l'espèce féminine dans notre pays et dans tous les pays civilisés.

Il y a d'abord (à tout bonheur tout honneur), il y a d'abord les femmes heureuses dans l'état actuel des choses. Celles-là non seulement ne demandent pas la moindre réforme, mais elles la redoutent et elles traitent de folles ou de déclassées celles qui en demandent une. Il est vrai de dire que le bonheur personnel n'est pas un argument dans une discussion générale, ce n'est qu'un privilège et il devient aisément de l'égoïsme. Nombre d'hommes aussi avaient trouvé le bonheur dans l'état social au milieu duquel ils vivaient; cela n'a pas empêché d'autres hommes, ayant à souffrir de cet état social, de faire des révolutions nécessaires, et ce n'est pas fini, quels que soient la satisfaction et le profit que des hommes nouveaux tirent des réformes nouvelles. Il n'y a donc pas à compter sur l'adhésion des femmes heureuses du moins tant qu'elles seront heureuses, et, en attendant, si elles se comptent, elles verront qu'elles seront loin d'être la majorité.

Il y a les femmes habiles, intelligentes, si vous aimez mieux, qui, munies de certaines qualités physiques et morales, ont tourné l'obstacle, comme on dit, et faisant ce qu'elles veulent du milieu qu'elles occupent, tiennent les hommes pour des êtres inférieurs et déclarent que celles qui ne se tirent pas d'affaire, comme elles, sont des niaises et des maladroites. Il n'y a pas non plus à compter sur celles-là, encore moins que sur les premières. Non seulement elles ne se plaindront jamais de l'état des choses, mais elles le trouvent parfait et comptent bien qu'il n'y sera rien changé. En tout cas, si le changement arrivait, elles seraient toutes prêtes à en tirer parti comme de ce qui est. Mais, dans cette discussion, la ruse n'est pas plus un argument irréfutable que le bonheur.

Il y a, et c'est la masse, les femmes du peuple et de la campagne, suant du matin au soir pour gagner le pain quotidien, faisant ainsi ce que faisaient leurs mères, et mettant au monde, sans savoir pourquoi ni comment, des filles qui, à leur tour, feront comme elles, à moins que, plus jolies, et par conséquent plus insoumises, elles ne sortent du groupe par le chemin tentant et facile de la prostitution, mais où le labeur est encore plus rude. Le dos courbé sous le travail du jour, regardant la terre quand elles marchent, domptées par la misère, vaincues par l'habitude, asservies aux besoins des autres, ces créatures à forme de femme ne supposent pas que leur condition puisse être modifiée jamais. Elles n'ont pas le temps, elles n'ont jamais eu la faculté de penser et de réfléchir; à peine un souhait vague et bientôt refoulé de quelque chose de mieux! Quand la charge est trop lourde elles tombent, elles geignent comme des animaux terrassés, elles versent de grosses larmes à l'idée de laisser leurs petits sans ressources, ou elles remercient instinctivement la mort, c'est-à-dire le repos dont elles ont tant besoin. Il n'y a donc pas à compter sur l'adhésion de ces malheureuses. Si le journal où se trouve l'Appel aux femmes leur tombe entre les mains, elles en enveloppent le morceau de hareng salé ou de fromage mangé à la hâte sur un morceau de pain dur, et elles ne le liront pas même après, par la meilleure de toutes les raisons: elles ne savent pas lire. Vienne l'émeute, quelques-unes, dans les grandes villes, assassineront, incendieront et se feront fusiller dans le vin, le pétrole et le sang; voilà tout; mais l'ignorance, la misère et la servitude ne sont pas plus que le bonheur et la ruse des arguments en faveur du maintien des choses.

Il y a les femmes honnêtes, esclaves du devoir, pieuses. Leur religion leur a enseigné le sacrifice. Non seulement elles ne se plaignent pas des épreuves à traverser, mais elles les appellent pour mériter encore plus la récompense promise, et elles les bénissent quand elles viennent. Tout arrive, pour elles, par la volonté de Dieu, et tout est comme il doit être dans cette vallée de larmes, chemin de l'éternité bienheureuse. Non seulement celles-là ne réclameraient, dans aucun cas, ce que l'Appel aux femmes demande, mais elles ne l'accepteraient pas si on le leur offrait. D'ailleurs, elles ne lisent ni les journaux, ni les livres où il est question de ces choses-là; cette lecture leur est interdite. Si, par hasard, elles avaient connaissance de pareilles idées, suggérées certainement par l'esprit du mal, elles en rougiraient, elles en souffriraient pour leur sexe, et elles prieraient pour celles qui se laissent aller à propager de si dangereuses erreurs et à donner de si déplorables exemples. Il ne faut donc pas non plus compter sur celles-là, quoi qu'elles aient à souffrir de notre état social, puisque la soumission est leur règle, le sacrifice leur joie et le martyre leur espérance. Mais, pas plus que le bonheur, la ruse, l'ignorance, la misère et la servitude, – la foi aveugle, l'extase et l'immobilité volontaire de l'esprit ne sont des arguments sans réplique.

Il y a celles qui ne sont ni heureuses, ni adroites, ni abruties, ni pieuses, qui ont assez de dignité pour vouloir rester dans le bien, assez d'intelligence pour pouvoir être associées à n'importe quel homme, ou pour entrer seules dans n'importe quelle carrière, où il n'est besoin que de volonté, de patience, d'énergie, de probité; assez d'idéal, de tendresse, et de dévouement pour être épouses et mères; assez de réserve et de respect d'elles-mêmes pour ne jamais récriminer, et qui, parce qu'elles sont femmes, et femmes ou moins belles, ou moins hardies ou moins riches surtout que d'autres, se voient refuser, non seulement les sentiments et les joies, mais les positions, les moyens d'existence auxquels elles pourraient prétendre. Trop affinées par l'éducation pour le travail des manœuvres, trop fières pour la domesticité ou la galanterie, trop timides pour la révolte ou l'aventure, trop femmes pour les vœux monastiques, sous la pression régulièrement pesante, circulaire et infranchissable de l'égoïsme collectif, celles-là voient, de jour en jour, en sondant l'horizon toujours le même, s'effeuiller dans l'isolement, dans l'inaction, dans l'impuissance, les facultés divines qui leur avaient d'abord fait faire de si beaux rêves et dont il leur semble que l'expansion eût pu être matériellement et moralement si profitable aux autres et à elles-mêmes. Elles sentent qu'elles auraient pu donner au moins autant de bonheur qu'elles en auraient reçu, et elles meurent sans avoir été ni amantes, ni épouses, ni mères. De temps en temps, elles font une tentative individuelle, isolée, avec leurs seules ressources et leurs seules forces dans quelqu'une de ces carrières ou de ces entreprises des mâles, où l'appui si nécessaire de l'homme et de l'argent leur manque presque toujours et qui avorte, ajoutant des soucis pour l'avenir aux tristesses du présent et du passé; quelquefois une espérance secrète de revanche par le cœur, par l'amour, amène un écart mystérieux, une faute désintéressée et touchante cruellement et silencieusement expiée sans recours à l'assassinat. S'il est un groupe de femmes auquel l'Appel aux femmes devrait s'adresser, où il devrait trouver des alliées, c'est celui-là. Mais il ne faut pas compter non plus sur ces femmes. Leur intelligence, leur instruction, leurs chagrins, leurs déceptions sans cesse renouvelées, tout leur dit qu'il y aurait autre chose à faire d'elles et pour elles que ce qu'on fait; mais, leur modestie, l'habitude de l'effort inutile, la peur du bruit et du scandale ne leur permettent que des adhésions secrètes et des complicités tout intérieures. Elles souffrent, elles doutent, elles se taisent, et, passé un certain âge, elles n'espèrent même plus.

Enfin, il y a les femmes intelligentes, dont l'intelligence, grâce à la fortune ou à l'indépendance matérielle, n'a pas besoin d'aller jusqu'à l'habileté; ces femmes, ne se considèrent pas seulement comme des êtres de sentiment, de fonction et de plaisir: elles s'intéressent aux grandes questions humaines et sociales; elles lisent, s'éclairent, vivent, sans le pédantisme fustigé par Molière, dans le commerce des esprits supérieurs, et, se faisant accessibles aux idées de progrès et de civilisation en dehors des formules traditionnelles et consacrées, dites «bonnes pour les femmes», elles se tiennent pour aussi capables que les hommes de comprendre, de réfléchir, de savoir et de juger. Ces femmes-là ne doutent pas que la femme, en qualité de personne humaine, douée d'un cœur et d'un cerveau, tout comme l'autre personne humaine, ne doive avoir un jour les mêmes droits, noms, raisons et actions que celle-ci. Seulement, elles savent que ce progrès, elles ne sauraient le conquérir de prime abord par elles seules, que c'est là, au commencement, œuvre d'homme, et que ce progrès ne peut être que retardé à être violemment et publiquement revendiqué par elles. Dans le groupe des hommes où ces questions de l'avenir s'agitent et qui sont appelés à les traiter un jour dans la politique, groupe qu'elles traversent constamment, elles sont par leur éducation, par leurs aptitudes, par leur droiture, par leur morale élevée, large, conciliante, par leurs qualités intellectuelles et morales, par leurs perceptions fines et leur interprétation ingénieuse des choses, elles sont le meilleur exemple et le plus puissant témoignage en faveur de l'égalité sociale, morale, légale de l'homme et de la femme. Mais ces femmes ne sont pas nombreuses, et l'appel public qui leur est fait ne doit pas compter sur leur adhésion publique. La question, pour elles, est à la fois trop sérieuse, trop complexe et trop délicate pour être livrée aux hasards des discussions en plein air, et compromise par les utopies des impatientes et des excessives, sur lesquelles seulement un tel manifeste pouvait compter, de sorte que les auxiliaires qu'il recrute et qui adhèrent à lui publiquement sont justement celles qui le compromettent et qui éloignent les autres.

D'où viennent l'impatience, l'exagération, l'agitation extérieure de ces adhérentes dangereuses? De convictions sincères, nous n'en doutons pas, mais plus souvent nées de souffrances, de déceptions, d'erreurs individuelles que d'observations désintéressées. «Ce sont ceux qui souffrent qui crient!» diront ces femmes; ce n'est pas douteux; et, si ceux qui souffrent ne criaient pas, on ne saurait pas qu'ils souffrent et personne ne songerait à soulager les maux ou à réparer les injustices dont ils ont à se plaindre, c'est tout aussi évident. Mais la souffrance par elle seule n'est pas plus un argument irréfutable que le bonheur. Toute souffrance a droit à la pitié et à l'assistance; mais elle est quelquefois la conséquence logique et le châtiment fatal d'une imagination exaltée, d'une insoumission irréfléchie, d'un rêve déçu, d'un orgueil trop grand, d'un manque d'énergie et de volonté.

 

On n'arrive, très souvent, homme ou femme, à craindre et à tenter de détruire un état social, qu'après l'avoir longtemps exploité tel qu'il était. On n'a donc à lui reprocher que de ne s'être pas prêté à certaines combinaisons peut-être trop exigeantes. Ce n'est pas là une raison suffisante pour ceux que l'on veut troubler dans leur repos et leurs habitudes. De là cette résistance instinctive et naturelle à des réformes radicales dont la cause peut être attribuée aux intérêts purement personnels et même mal définis de ceux qui les réclament. «Il faut voir», disent les gens sans parti pris; mais, pour bien voir, il faut du temps, et les impatients déclarent qu'ils ont vu et bien vu pour tout le monde. Cela n'est pas toujours convaincant.

La personne humaine, homme ou femme, est continuellement à la recherche du bonheur; mais le bonheur est relatif et dépend des tempéraments, des caractères, des milieux. Chacun se rêve un bonheur particulier, et celui-là serait le fou des fous qui croirait qu'en donnant à chacun le bonheur particulier qu'il désire, on constituerait le bonheur universel. D'un autre côté, disons-le, au risque de passer une fois de plus pour un esprit paradoxal, si nous ne pouvons pas toujours nous procurer le bonheur que nous souhaitons, nous pouvons toujours nous soustraire aux malheurs qui nous frappent, lesquels ne sont jamais, passez-moi le mot, que des bonheurs qui n'ont pas voulu se laisser faire.

Il n'y a pour l'homme que deux malheurs involontaires, qu'il puisse qualifier d'immérités, dont il ait vraiment le droit de se plaindre et auxquels la société doive vraiment assistance et pitié; ce sont ceux qu'il peut trouver à sa naissance: la misère et la maladie. En dehors de ces fatalités congénitales, ce qu'il appelle son malheur est toujours son œuvre. La vie ne réalise pas toutes ses espérances, et alors il se déclare malheureux. Il veut le plaisir, il veut la fortune, il veut l'amour, il veut la gloire, il veut la famille! Un jour, le plaisir se dérobe, la fortune échappe, l'amour trompe, la gloire trahit, la famille se dissout par l'ingratitude ou la mort; alors l'homme maudit la destinée, il crie à l'injustice.

En réalité le malheur de l'homme se réduit à ceci: à ce qu'il n'a pas été aussi heureux qu'il comptait l'être, qu'il s'attribuait le droit de l'être. Si cet homme qui se plaint tant, avait su pour lui-même ce qu'il savait si bien pour les autres, et ce qu'il leur disait si bien, quand il les entendait gémir en lui demandant de les consoler: que le plaisir est éphémère, que la fortune est changeante, que l'amour est volage, que la gloire est trompeuse, que l'enfant est mortel et souvent ingrat, il n'aurait pas connu les malheurs qu'au lieu et place du bonheur espéré, lui ont causés la famille, la gloire, l'amour, la fortune et le plaisir. Il a joué, avec l'espoir de gagner, il a perdu, il paye. Qu'y faire? Il n'avait qu'à ne pas jouer.

Un homme qui ne se marie pas est sûr de ne pas avoir les ennuis, les dangers, les chagrins du mariage; un homme qui n'a pas d'enfants est sûr de ne pas en perdre et de ne pas les voir ingrats; un homme qui a de quoi vivre, qui s'en contente et qui ne cherche pas à devenir millionnaire est sûr de ne pas perdre ce qu'il possède; un homme qui n'a pas de maîtresse est sûr de ne pas être trahi par elle; un homme qui n'a pas l'ambition des hautes destinées est sûr de ne pas être précipité des sommets, et il se soucie fort peu que la roche tarpéienne soit près du Capitole. Ce n'est pour lui que de la géographie et de l'architecture. Ce qui fait le malheur de l'être humain, toujours en dehors de la misère et de la maladie natives, c'est qu'il met son bonheur dans les choses périssables, lesquelles, en se désagrégeant par la loi des épuisements et des métamorphoses, laissent dans le vide, dans la stupeur et dans le désespoir ceux qui se sont fiés à elles. Tout être qui ne s'attachera qu'aux choses éternelles ne connaîtra pas ces malheurs-là. De là cette sérénité des grands religieux et des grands philosophes; de là leur mépris bienveillant, charitable et doux pour les infortunes humaines dont ils ont trouvé la cause dans les erreurs et les faiblesses du petit désir humain. Pas de déceptions, pas de fatalités, pas de récriminations pour ceux qui se vouent à l'amour exclusif, sans calculs et sans ambitions terrestres, de la nature, de Dieu, de l'art, de la science, de l'humanité.

Alors plus d'action, plus de mouvement, plus d'idéal, plus d'espérances; plus de but, plus de liens, plus de familles, plus de sociétés par conséquent! La vie, non pas même des animaux, lesquels obéissent encore à des instincts, à des besoins, à des émotions, à des sentiments, mais des automates et des machines, ou alors un monde de raisonneurs, de saints, de contemplatifs, s'extasiant devant la création sans rien demander, sans rien comprendre à la créature, et, en définitive, la stérilité et la mort pour éviter l'illusion, la faute et la douleur. Voilà ce que vous nous demandez?

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