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Le Capitaine Aréna — Tome 2

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La ville d'Oppido, qui, s'il faut en croire le géographe Cluverius, serait l'ancienne Mamertium, cette ville, dis-je, eut le sort de toutes les jolies femmes: objet d'envie dans leur jeunesse, de dégoût dans leur décrépitude, d'horreur après leur mort.

Je n'entreprendrai point de peindre ici les ruines et les pertes de tout genre dont ce triste lieu fut la scène; je me borne à remarquer que tel fut l'état de confusion où ce terrible fléau jeta ici les monuments et les hommes, que le spectacle seul de tant de ruines et de maux serait lui-même un mal terrible; et qu'enfin tel fut l'état déplorable de cette malheureuse ville, que parmi le très-petit nombre de victimes échappées à la mort commune, il ne s'en trouva pas une qui pût parvenir, par la suite, à reconnaître les ruines de sa propre maison dans les ruines de la maison d'un autre. J'en prends au hasard un exemple.

Deux frères, don Marcel et don Dominique Quillo, riches habitants de cette ville, avaient une fort belle propriété, située à l'un des bouts de la rue Canna-Maria, c'est-à-dire hors de la ville. Cette propriété comprenait plusieurs bâtiments, tels entre autres qu'une maison composée de sept pièces, d'une chapelle et d'une cuisine, le tout au premier étage. Le rez-de-chaussée formait trois grandes caves; au-dessous, un vaste magasin contenait alors quatre-vingts tonnes d'huile: attenantes à cette même maison étaient quatre autres petites maisons de campagne appartenant à d'autres habitants; un peu plus loin une espèce de pavillon destiné à servir de refuge aux maîtres et aux domestiques pendant les tremblements de terre; ce pavillon contenait six pièces élégamment meublées. Plus loin, enfin, se trouvait une autre maisonnette avec une seule chambre à coucher, et un salon d'une longueur immense sur une largeur proportionnée.

Telle était encore, avant l'époque du 5 février, la situation des lieux en question. Au moment même de la secousse, toute espèce de vestiges de tant de différentes maisons, de tant de matériaux, de meubles d'utilité, de luxe et d'élégance, tout avait disparu; tout jusqu'au sol même avait tellement changé d'aspect et de place, tout s'était effacé tellement et du site et de la mémoire des hommes, qu'aucun de ces propriétaires ne put reconnaître, après la catastrophe, ni les ruines de sa maison, ni l'emplacement où elle avait existé.

L'histoire des désastres de Sitizzano et Cusoletto offre les deux faits suivants:

Un voyageur fut surpris par le tremblement de terre, qui, en changeant la situation des rochers, des montagnes, des vallons et des plaines, avait nécessairement effacé toute trace de chemin. On sait que dans la matinée du 5 il était parti à cheval pour se rendre de Cusoletto à Sitizzano. Ce fut tout ce qu'on en put savoir, l'homme ni le cheval ne reparurent plus.

Une jeune paysanne, nommée Catherine Polystène, sortait de cette première ville pour rejoindre son père qui travaillait dans les champs. Surprise par ce grand bouleversement de la nature, la jeune fille cherche un refuge sur la pente d'une colline qui vient de sortir, à ses yeux, de la terre convulsive, et qui, de tous les objets qui l'entourent, est le seul qui ne change point et ne bondisse point à ses yeux. Tout à coup, au milieu du morne silence qui succède par intervalles au bruissement sourd des éléments confondus, la voix d'un être vivant s'élève et parvient jusqu'à elle. Cette voix est celle d'une chèvre plaintive, perdue, égarée; cette voix ranime le courage de la jeune fille: le pauvre animal fuyait lui-même devant la mort parmi les terres, les rochers et les arbres soulevés, fendus ou fracassés. A peine la chèvre aperçoit-elle Catherine, qu'elle accourt vers elle en bêlant; le malheur réunit les êtres, il efface jusqu'aux signes apparents des espèces, et, rapprochant l'homme de la brute, il les arme à la fois contre lui du secours de la raison et de l'instinct. La chèvre, déjà moins craintive à la vue de la jeune villageoise, s'approche d'elle; celle-ci, de son côté, reprend, à sa vue, un peu plus de courage; l'animal reçoit avec joie les caresses, puis il flaire en bêlant la gourde que la jeune fille tient à la main: ce langage est expressif, et la jeune fille le comprend. Elle verse de l'eau dans le creux de sa main et donne à boire à la chèvre altérée, puis elle partage avec elle la moitié de son pain bis; et, le repas fini, toutes deux plus fortes, toutes deux plus confiantes, toutes deux se remettent en route, la chèvre marchant devant comme un guide protecteur; toutes deux errent long-temps parmi les ruines de la nature sans but déterminé, gravissant les rocs les plus escarpés, se frayant un passage dans les voies les plus difficiles, la chèvre s'arrêtant chaque fois que la fatigue a retenu la jeune fille loin d'elle, et lui permettant de la rejoindre, ou la guidant par ses bêlements. Enfin, toutes deux, après plusieurs heures de marche, se trouvent au milieu des ruines, ou plutôt sur le sol bouleversé et nu de la ville qui a cessé d'être.

La petite ville de Seido fut également détruite et devint aussi le théâtre des plus affreux événements.

Menacés de la chute de leur maison vacillante, don Antoine Ruffo et sa femme s'oublient eux-mêmes pour ne songer qu'à leur enfant, jeune fille en bas âge: ils se précipitent vers son berceau, la pressent contre leur poitrine, et essaient de fuir avec elle hors de la maison prête à s'écrouler sur eux. Au milieu d'une foule de décombres, ils gagnent la porte; mais au moment où ils en touchent le seuil, la maison tombe et les écrase. Quelques jours après, en fouillant dans les ruines pour en retirer les cadavres, on reconnut que l'enfant n'était pas encore morte. Ce ne fut qu'avec peine qu'on l'arracha d'entre les bras de son père et de sa mère, qui s'étaient réunis pour la protéger et qui, effectivement, en s'offrant eux-mêmes aux coups, lui avaient sauvé la vie. Cette jeune fille vit encore, et aujourd'hui elle est mariée et a des enfants.

Au centre d'un petit canton nommé la Conturella, non loin du village de Saint-Procope, s'élevait une vieille tour fermée d'un grillage en bois; toute la partie supérieure de la tour tomba d'aplomb sur le terrain. Mais quant aux fondements, d'abord soulevés, puis renversés sur eux-mêmes, ils furent jetés à plus de soixante pas de là. La porte s'en alla tomber à une grande distance; et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que les gonds sur lesquels elle tournait, les clous qui réunissaient les poutres et les planches, furent parsemés çà et là sur le terrain comme s'ils eussent été arrachés avec de fortes tenailles. Que les physiciens expliquent s'ils peuvent ce phénomène.

Une autre ville, nommée Seminara, fut un exemple bien frappant de l'insuffisance de toutes les précautions de l'homme contre la force des éléments qu'il croit dompter et qui le domptent. Toutes les maisons de cette ville, une des plus opulentes des deux Calabres, étaient construites en bois; les murailles intérieures étaient faites de joncs fortement réunis et recouvertes d'une couche de mastic ou de plâtre, qui, sans rien ôter à l'élégance, donnait juste une solidité suffisante à la sûreté des habitants. Cette espèce de construction semblait donc devoir être le moyen le plus propre à les garantir des périls du tremblement de terre, parce qu'il n'opposait aux oscillations du sol que la force strictement nécessaire pour résister en cédant. Inutile calcul de l'homme contre un pouvoir incalculable! la terre s'agita, et Seminara ne fut plus. On eût même dit que la nature se plut ici à varier ses horribles jeux: la partie montagneuse devint une vallée profonde, et le quartier le plus bas forma une haute montagne au milieu des murs de la ville.

A la porte d'une des maisons de cette ville, était placée une meule de moulin; au centre de cette meule, le hasard avait fait croître un énorme oranger. Les maîtres de la maison avaient coutume de venir s'asseoir en été dans ce lieu, et la meule en question, soutenue par un fort pilier de pierre, était entourée par un banc semblable. Au moment de la secousse du 5 février, les branches de l'oranger devinrent le refuge d'un homme qui, fuyant épouvanté, s'y blottit; le pilier, la meule, le banc, l'arbre et l'homme furent soulevés et portés ensemble à un tiers de lieue au delà.

La destruction de Bagnara présente au philosophe et au naturaliste des faits moins merveilleux peut-être, mais non moins intéressants: pendant le cours des commotions de la terre, toutes les sources et toutes les fontaines de la ville furent subitement desséchées; les animaux les plus sauvages furent frappés d'une si grande terreur, qu'un sanglier, échappé de la forêt qui dominait la ville, se précipita volontairement du haut d'un roc escarpé au milieu de la voie publique. Enfin on remarqua que, par un choix sans doute inexplicable, la nature se plut à frapper surtout les femmes, et parmi les femmes toutes les jeunes; les vieilles seules furent sauvées et survécurent à cette catastrophe.

Tels sont les traits principaux de l'événement, telle fut la situation des victimes, telle est la destruction fatale qui atteignit les Calabres; tel est enfin, au bout de trente-cinq années de calme, l'état où le pays se trouve encore aujourd'hui.»3

Sans que le village de Castiglione eût été le théâtre d'événements aussi extraordinaires que ceux que nous venons de raconter, les accidents en étaient cependant assez déplorables et assez variés pour que notre journée s'écoulât rapidement au milieu de cette malheureuse population. Après avoir vu retirer de dessous les décombres deux ou trois cadavres d'hommes et une douzaine de bœufs ou de chevaux tués ou blessés, après avoir nous-mêmes pris part aux fouilles pour relayer les bras fatigués, nous quittâmes vers les cinq heures le village de Castiglione, qui, comme Cosenza, avait sa succursale de baraques; seulement les baraques des luxueux habitants de la capitale étaient des palais près de celles de ces malheureux paysans, dont quelques-uns étaient entièrement ruinés.

 

Il avait plu toute la journée sans que nous y fissions autrement attention, tant nous étions préoccupés du spectacle que nous avions sous les yeux; mais au retour, force nous fut bien de revenir de l'impression morale aux sensations physiques: les moindres ruisseaux étaient devenus des torrents, et les torrents s'étaient changés en rivières. Au premier obstacle de ce genre que nous rencontrâmes, nous tranchâmes des sybarites, et nous acceptâmes la proposition que nous fit notre guide, moyennant rétribution, bien entendu, de nous transporter d'un bord à l'autre sur ses épaules; en conséquence, je traversai le premier et gagnai le bord sans accident. Mais comme j'étais occupé à explorer le paysage pour voir s'il nous restait beaucoup de passages pareils à franchir, j'entendis un cri, et je vis Jadin qui, au lieu d'être porté comme moi sur les épaules de notre guide, était occupé avec grande peine à le tirer de l'eau: en retournant à lui, le pied avait manqué au pauvre diable, et la violence du courant était telle qu'il s'en allait roulant Dieu sait où, lorsque Jadin s'était mis à l'eau jusqu'à la ceinture et l'avait arrêté. Je courus à lui pour lui prêter main forte, et nous parvînmes enfin à amener notre guide à moitié évanoui sur l'autre bord.

A partir de ce moment, il ne fut plus question, comme on le comprend bien, d'employer ce défectueux système de locomotion. D'ailleurs, comme nous étions mouillés par l'eau du torrent depuis les pieds jusqu'à la ceinture, et par l'eau du ciel, qui nous était tombée sur le dos toute la journée, depuis la ceinture jusqu'à la pointe de nos cheveux, il n'y avait plus de précaution à prendre que contre l'accident qui venait d'arriver à notre guide. En conséquence, quand de nouvelles rivières se présentèrent, nous nous contentâmes de les traverser fraternellement, chacun de nous prêtant et recevant appui au moyen de nos mouchoirs liés à notre poignet et dont nous fîmes une chaîne. Moyennant cette ingénieuse invention, nous arrivâmes à notre voiture sans accident grave, mais trempés comme des caniches.

On comprend qu'en arrivant à l'hôtel nous éprouvâmes plus que jamais le besoin de nos lits: aussi refusâmes-nous l'offre réitérée de notre hôte de nous en aller coucher aux baraques, et bravâmes-nous encore le futur tremblement de terre qui nous menaçait de minuit à une heure du matin.

Notre courage fut récompensé: nous ne sentîmes aucune secousse, nous n'entendîmes même pas les cris de Terre moto, et nous nous réveillâmes seulement le lendemain matin, tirés de notre sommeil par le son des cloches.

Nos lits avaient fait leurs évolutions ordinaires et se trouvaient au milieu de la chambre. Comme je l'ai dit, il devait y avoir à Cosenza, deux jours après le prêche si pittoresque et si animé du capucin, une procession expiatoire dans le cas où les tremblements de terre n'auraient pas cessé: les tremblements de terre allaient diminuant, il est vrai, mais ils ne s'arrêtaient pas encore; et les capucins qui s'étaient faits les boucs émissaires de la ville pécheresse s'apprêtaient à tenir leur parole.

Aussi, dès sept heures du matin, les cloches sonnaient-elles à grande volée et les rues de la ville étaient-elles peuplées non-seulement de Cosentins, mais encore des malheureux paysans des provinces environnantes, qui avaient encore plus souffert que la capitale: chacun accourait pour prendre part à cette espèce de jubilé, et de tous les villages on avait eu le temps d'arriver; la promesse faite par les capucins avait attiré des fidèles.

Comme le garçon, préoccupé de ces grands préparatifs, ne venait pas prendre nos ordres, nous sonnâmes: il monta, et nous lui demandâmes s'il avait oublié que nous avions pris l'invariable habitude de déjeuner à neuf heures sonnantes. Il nous répondit que comme il y avait jeûne général dans la capitale des Calabres, il n'avait pas cru que les ordres donnés pour les autres jours dussent subsister pour celui-ci. La raison ne nous parut pas extrêmement logique, et nous lui signifiâmes que, n'étant pas de la paroisse et ayant assez de nos propres péchés, notre intention n'était nullement de prendre notre part de ceux des Cosentins; qu'en conséquence nous l'invitions à ne faire aucune différence pour nous de ce jour aux autres jours, et à nous servir un déjeuner, non pas exorbitant, mais convenable.

Ce fut une grande affaire à débattre que ce déjeuner: le cuisinier était allé faire ses dévotions, et il fallait attendre qu'il fût revenu; à son retour il prétendit que, momentanément détaché des choses de la terre par la contrition parfaite qu'il venait d'éprouver, il aurait grand'peine à redescendre jusqu'à ses fourneaux. Quelques carlins levèrent ses scrupules, et à dix heures, au lieu de neuf heures, la table enfin fut servie. Nous mangeâmes en toute hâte, car nous ne voulions rien perdre du spectacle curieux et caractéristique qui nous attendait. Un redoublement de sonnerie nous annonça qu'il allait commencer. Nous mîmes les morceaux doubles et, le dernier à la main, nous courûmes vers l'église des Capucins. Toutes les rues étaient encombrées d'hommes et de femmes en habits de fête, au milieu desquels un simple passage était ménagé pour la confrérie; ne pouvant et ne voulant pas nous mettre au premier rang, nous montâmes sur des bornes et nous attendîmes.

A onze heures précises l'église s'ouvrit: elle était illuminée comme pour les grandes solennités. Le prieur de la communauté parut le premier: il était nu jusqu'à la ceinture, ainsi que tous les frères; ils marchaient un à un, chacun tenant de la main droite une corde garnie de nœuds; tous chantant le Miserere.

A leur aspect une grande rumeur s'éleva parmi la foule: elle se composait d'exclamations de douleur, d'élans de contrition et de murmures de reconnaissance; d'ailleurs il y avait des pères, des mères, des frères et des sœurs, qui reconnaissaient leurs parents au milieu de ces trente ou quarante moines, et qui les saluaient d'un cri de famille, si cela se peut dire ainsi.

Mais ce fut bien pis lorsqu'à peine descendus des degrés de l'église, on les vit tous lever la corde noueuse qu'ils tenaient à la main droite et frapper, sans interrompre leurs chants, chacun sur les épaules de celui qui le précédait, et cela non point avec un simulacre de flagellation, mais à tour de bras et autant que chacun avait de force. Alors les cris, les clameurs et les gémissements redoublèrent; les assistants tombèrent à genoux, frappant la terre du front, et se meurtrissant la poitrine à coups de poing; les hommes hurlaient, les femmes poussaient des sanglots, et, non contentes de s'imposer pénitence à elles-mêmes, fouettaient à tour de bras les malheureux enfants qui étaient accourus comme on va à une fête, et qui de cette façon payaient leur contingent d'expiation pour les péchés que leurs parents avaient commis. C'était une flagellation universelle qui s'étendait de proche en proche, qui se communiquait d'une façon presque électrique, et dans laquelle nous eûmes toutes les peines du monde à empêcher nos voisins de nous faire jouer à la fois un rôle passif et actif. La procession passa ainsi devant nous en marchant au pas, chantant toujours et fouettant sans relâche: nous reconnûmes le prédicateur du dimanche précédent qui remplissait, les yeux levés au ciel, son office de battant et de battu; seulement, à sa recommandation sans doute, celui qui le suivait et qui par conséquent frappait sur lui, avait, outre les nœuds généralement adoptés, armé sa corde de gros clous, lesquels, à chaque coup que recevait le malheureux moine, laissaient sur ses épaules une trace sanglante; mais tout cela semblait n'avoir sur lui d'autre influence que de le plonger dans une extase plus profonde: quelle que fût la douleur qu'il dût ressentir, son front ne sourcillait pas et l'on entendait sa voix au-dessus de toutes les autres voix. Trois fois, en prenant, aussitôt que la procession était passée, notre course par des rues adjacentes, nous nous retrouvâmes sur son nouveau passage; trois fois, par conséquent, nous assistâmes à ce spectacle; et chaque fois la foi et la ferveur des flagellants semblaient s'être augmentées; la plupart d'entre eux avaient le dos et les épaules dans un état déplorable; quant à notre prédicateur, tout le haut de son corps ne faisait qu'une plaie. Aussi chacun criait-il que c'était un saint homme, et qu'il n'y avait pas de justice s'il n'était canonisé du coup.

La procession ou plutôt le martyre de ces pauvres gens dura trois heures. Sortis à onze heures juste de l'église, ils y rentraient à deux heures sonnantes. Quant à nous, nous étions stupéfaits de voir une foi si ardente dans une époque comme la nôtre. Il est vrai que la chose se passait dans la capitale de la Calabre; mais la Calabre était demeurée huit ans sous la domination française, et j'aurais cru que huit ans de notre domination, surtout de 1807 à 1815, eussent été plus que suffisants pour sécher la croyance dans ses plus profondes racines.

L'église resta ouverte, chacun put y prier toute la journée, et de toute la journée elle ne désemplit pas. J'avoue que, pour mon compte, j'aurais voulu voir de près ce moine, l'interroger sur sa vie antérieure, le sonder sur ses espérances à venir. Je demandai au Père gardien si je pouvais lui parler, mais on me répondit qu'en rentrant il s'était trouvé mal, et qu'en revenant à lui il s'était enfermé dans sa cellule, et avait prévenu qu'il ne descendrait pas au réfectoire, voulant passer le reste de sa journée en prières.

Nous rentrâmes à l'hôtel vers les quatre heures; nous y retrouvâmes le capitaine, à qui nous demandâmes s'il avait pris part aux dévotions générales; mais le capitaine était trop bon Sicilien pour prier pour des Calabrais. D'ailleurs il prétendit que la masse des péchés qui se commettaient de Pestum à Reggio était si grande, que toutes les communautés religieuses de la terre, se fouettassent-elles pendant un an, n'enlèveraient pas à chaque sujet continental de S. M. le roi de Naples la centième partie du temps qu'il avait à rester en purgatoire.

Comme en restant plus long-temps au milieu de pareils pécheurs nous ne pouvions faire autrement que de finir par nous perdre nous mêmes, nous fixâmes au lendemain matin le moment de notre départ: en conséquence le capitaine partit à l'instant même, afin qu'en arrivant à San-Lucido nous trouvassions notre patente prête et que rien ne retardât notre départ.

Nous employâmes notre soirée à faire une visite au baron Mollo et une promenade aux baraques. Telle est, au reste, en Italie, la puissance de cette loi qu'on appelle l'hospitalité, qu'au milieu des malheurs de la ville qu'il habitait, malheurs dont il avait eu sa bonne part, le baron Mollo ne nous avait pas négligés un seul instant, et s'était montré pour nous le même qu'il eût été dans les temps calmes et heureux.

Je voulus m'assurer par moi-même de l'influence qu'avait eue sur le futur tremblement de terre de la nuit la procession expiatoire de la journée. Jadin désira faire la même expérience. J'avais mes notes à mettre en ordre, et lui ses dessins à achever, car, depuis une quinzaine de jours, nous étions si malheureux dans nos haltes que nous n'avions eu ni l'un ni l'autre le courage de travailler. A minuit, nous prîmes congé du baron Mollo; nous rentrâmes à l'hôtel et, pour mettre à exécution notre projet, nous nous assîmes chacun d'un côté de la table où nous dînions d'habitude, moi avec mon album, lui avec son carton, et une montre entre nous deux pour ne point être surpris par la secousse.

La précaution fut inutile: minuit, une heure, deux heures arrivèrent sans que nous sentissions le moindre mouvement ni que nous entendissions la moindre clameur. Comme deux heures était l'heure extrême, nous présumâmes que nous attendrions vainement, et qu'il n'y aurait rien pour la nuit: en conséquence, nous nous couchâmes, et nous nous endormîmes bientôt dans notre sécurité.

Le lendemain, nous nous réveillâmes à la même place où nous nous étions couchés, ce qui ne nous était pas encore arrivé. Un instant après, notre hôte, à qui nous avions dit de venir régler son compte avec nous à huit heures, entra tout triomphant et nous annonça que, grâce aux flagellations et aux prières de la veille, les tremblements de terre avaient complètement cessé.

 

Maintenant le fait est positif: l'explique qui pourra.

33 M. de Gourbillon écrivait son voyage en Calabre vers 1818.
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