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La San-Felice, Tome 08

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LXXIV
LES ÉLUS DE LA VENGEANCE

Au milieu du choeur de joie et de tristesse qui s'élevait de cette foule d'exilés, selon qu'ils tenaient plus à la vie ou à la patrie, deux jeunes gens, silencieusement et tristement, se tenaient embrassés dans une des chambres du Château-Neuf.

Ces deux jeunes gens étaient Salvato et Luisa.

Luisa n'avait pris encore aucun parti, et c'était le lendemain, 24 juin, qu'il fallait choisir entre son mari et son amant, entre rester à Naples ou partir pour la France.

Luisa pleurait, mais, de toute la soirée, n'avait point eu la force de prononcer une parole.

Salvato était resté longtemps à genoux et, lui aussi, muet devant elle; puis enfin il l'avait prise entre ses bras, et la tenait serrée contre son coeur.

Minuit sonna.

Luisa releva ses yeux baignés de larmes et brillants de fièvre, et compta, les unes après les autres, les douze vibrations du marteau sur le timbre; puis, laissant tomber son bras autour du cou du jeune homme:

–Oh! non, dit-elle, je ne pourrai jamais!

–Que ne pourras-tu jamais, ma Luisa bien-aimée?

–Te quitter, mon Salvato. Jamais! jamais!

–Ah! fit le jeune homme respirant avec joie.

–Dieu fera de moi ce qu'il voudra, mais ou nous vivrons ou nous mourrons ensemble!

Et elle éclata en sanglots.

–Écoute, lui dit Salvato, nous ne sommes point forcés de nous arrêter en France; où tu voudras aller, j'irai.

–Mais ton grade? mais ton avenir?

–Sacrifice pour sacrifice, ma bien-aimée Luisa. Je te le répète, si tu veux fuir au bout du monde les souvenirs que tu laisses ici, j'irai au bout du monde avec toi. Te connaissant comme je te connais, ange de pureté, ce ne sera pas trop de ma présence et de mon amour éternels pour te faire oublier.

–Mais je ne partirai point ainsi, comme une ingrate, comme une fugitive, comme une adultère; je lui écrirai, je lui dirai tout. Son beau, son grand, son sublime coeur me pardonnera un jour, il me donnera l'absolution de ma faute, et, à partir de ce jour seulement, je me pardonnerai à moi-même.

Salvato détacha son bras du cou de Luisa, s'approcha d'une table, y prépara du papier, une plume et de l'encre; puis, revenant à elle et l'embrassant au front:

–Je te laisse seule, sainte pécheresse, dit-il.

Confesse-toi à Dieu et à lui. Celle sur laquelle Jésus a étendu son manteau n'était pas plus digue de pardon que toi.

–Tu me quittes! s'écria la jeune femme presque effrayée de rester seule.

–Il faut que ta parole coule dans toute sa pureté, de ton âme chaste à ton coeur dévoué: ma présence en troublerait le limpide cristal. Dans une demi-heure, nous serons de retour et nous ne nous quitterons plus.

Luisa tendit son front à son amant, qui l'embrassa et sortit.

Puis elle se leva, et, à son tour, s'approchant de la table, s'assit devant elle.

Tous ses mouvements avaient la lenteur que prend le corps dans les moments suprêmes; son oeil fixe semblait chercher à reconnaître, à travers la distance et l'obscurité, la place où le coup frapperait, et à quelle profondeur s'enfoncerait le glaive de la douleur.

Un sourire triste passa sur ses lèvres, et elle murmura en secouant la tête:

–Oh! mon pauvre ami! comme tu vas souffrir!

Puis, plus bas, et d'une voix presque inintelligible:

–Mais pas plus, ajouta-t-elle, que je n'ai souffert moi-même.

Elle prit la plume, laissa tomber son front sur sa main gauche et écrivit:

«Mon bien-aimé père! mon ami miséricordieux!

»Pourquoi m'avez-vous quittée quand je voulais vous suivre! pourquoi n'êtes-vous pas revenu quand je vous ai crié du rivage, à vous qui disparaissiez dans la tempête:

«Ne savez-vous pas que je l'aime!»

»Il était temps encore: je partais avec vous, j'étais sauvée!

»Vous m'avez abandonnée, je suis perdue!

»Il y a eu fatalité.

»Je ne veux pas m'excuser, je ne veux pas vous répéter les paroles que, la main étendue vers le crucifix, vous avez dites au lit de mort du prince de Caramanico, lorsqu'il insistait et que j'insistais moi-même pour que je devinsse votre épouse. Non: je suis sans excuse; mais je connais votre coeur. La miséricorde sera toujours plus grande que la faute.

»Compromise politiquement par cette même fatalité qui me poursuit, je quitte Naples, et, partageant le sort des malheureux qui s'exilent, et parmi lesquels, ô mon doux juge! je suis la plus malheureuse, je pars pour la France.

»Les derniers moments de mon exil sont à vous comme les dernières heures de ma vie seront à vous. En quittant la patrie, c'est à vous que je songe; en quittant l'existence, c'est à vous que je songerai.

»Expliquez cet inexplicable mystère; mon coeur a failli, mon âme est restée pure; la meilleure partie de moi-même, vous l'avez prise et gardée.

»Écoutez, mon ami! écoutez, mon père!

»Je vous fuis encore plus par honte de vous revoir, que par amour pour l'homme que je suis. Pour lui, je donnerais ma vie en ce monde; mais, pour vous, mon salut dans l'autre. Partout où je serai, vous le saurez. Si, pour un dévouement quelconque, vous aviez besoin de moi, rappelez-moi, et je reviendrai tomber à genoux devant vous.

»Maintenant, laissez-moi vous prier pour une créature innocente, qui non-seulement ne sait pas encore qu'elle devra le jour à une faute, mais qui même ne sait pas encore qu'elle vit. Elle peut se trouver seule sur la terre. Son père est soldat: il peut être tué; sa mère est désespérée: elle peut mourir. Promettez-moi que, tant que vous vivrez, mon enfant ne sera point orphelin.

»Je n'emporte point avec moi un seul ducat de l'argent déposé chez les Backer. Est-il besoin de vous dire que je suis parfaitement innocente de leur mort, et que j'eusse subi les tortures avant de dire un mot qui les compromit! Sur cet argent, vous ferez à l'enfant que je vous lègue, en cas de mort, la part que vous voudrez.

»Vous ayant dit tout cela, vous pouvez croire, mon père adoré, que je vous ai tout dit; il n'en est rien. Mon âme est pleine, ma tête déborde. Depuis que je vous écris, je vous revois, je repasse dans mon coeur les dix-huit ans de bontés que vous avez eues pour moi, je vous tends les bras comme au dieu qu'on adore, que l'on offense, et vers lequel on voudrait s'élancer. Oh! que n'êtes-vous là, au lieu d'être à deux cents lieues de moi! je sens que c'est à vous que j'irais, et qu'appuyée à votre coeur, rien ne pourrait m'en arracher.

»Mais ce que Dieu fait est bien fait. Aux yeux de tous, maintenant, je suis non-seulement épouse ingrate, mais encore sujette rebelle, et j'ai à rendre compte, tout à la fois, et de votre bonheur perdu et de votre loyauté compromise. Mon départ vous sauvegarde, ma fuite vous innocente, et vous avez à dire: «Il n'y a pas à s'étonner qu'étant femme adultère, elle soit sujette déloyale.»

»Adieu, mon ami, adieu, mon père! Quand vous voudrez vous faire une idée de ma souffrance, songez à ce que vous avez souffert vous-même. Vous n'avez que la douleur; moi, j'ai le remords.

»Adieu, si vous m'oubliez et si je vous suis inutile!

»Mais, si vous avez jamais besoin de moi, au revoir!

»Votre enfant coupable, mais qui ne cessera jamais de croire en votre miséricorde,

»LUISA.»

Comme Luisa achevait ces derniers mots, Salvato rentra. Elle l'entendit, se retourna, lui tendit la lettre; mais, en voyant le papier tout baigné de larmes et en comprenant ce qu'elle aurait à souffrir tandis qu'il lirait ce papier, il le repoussa.

Elle comprit cette délicatesse de son amant.

–Merci, mon ami, dit-elle.

Elle plia la lettre, la cacheta, mit l'adresse.

–Maintenant, dit-elle, comment faire passer cette lettre au chevalier San-Felice? Vous comprenez bien, n'est-ce pas, qu'il faut qu'il la reçoive, lui et non pas un autre?

–C'est bien simple, répondit Salvato, le commandant Massa a un sauf-conduit. Je vais le lui demander, et je porterai moi-même la lettre au cardinal, avec prière de la faire passer à Palerme, en lui disant de quelle importance il est qu'elle arrive sûrement.

Luisa avait grand besoin de la présence de Salvato. Tant qu'il était là, sa voix écartait les fantômes qui l'assaillaient dès qu'il avait disparu. Mais, comme elle l'avait dit, il était nécessaire que cette lettre parvînt au chevalier.

Salvato monta à cheval: Massa, outre son sauf-conduit, lui donna un homme pour porter devant lui le drapeau blanc; de sorte qu'il arriva sans accident au camp du cardinal.

Celui-ci n'était pas encore couché. A peine Salvato se fut-il nommé, que le cardinal ordonna de l'introduire auprès de lui.

Le cardinal le connaissait de nom. Il savait quels prodiges de valeur il avait faits pendant le siége. Brave lui-même, il appréciait les hommes braves.

Salvato lui exposa la cause de sa visite, et ajouta qu'il avait voulu venir en personne non-seulement pour veiller à la sûreté de la lettre, mais encore pour voir l'homme extraordinaire qui venait d'accomplir l'oeuvre de la restauration. Malgré le mal qu'à son avis cette restauration faisait, Salvato ne pouvait s'empêcher de reconnaître que le cardinal avait été tempérant dans la victoire, et que les conditions qu'il avait accordées étaient celles d'un vainqueur généreux.

Tout en recevant les compliments de Salvato, ce qu'il semblait faire avec toutes les apparences de l'orgueil satisfait, le cardinal jeta les yeux sur la lettre que lui recommandait Salvato, et y lut l'adresse du chevalier San-Felice.

Il tressaillit malgré lui.

–Cette lettre, demanda le cardinal, serait-elle, par hasard, de la femme du chevalier?

–D'elle-même, Votre Éminence.

Le cardinal se promena un instant soucieux.

Puis, tout à coup, s'arrêtant devant Salvato:

–Cette dame, lui dit-il en le regardant fixement, vous intéresse-t-elle?

 

Salvato ne put réprimer une expression d'étonnement.

–Oh! dit le cardinal, ce n'est point une question de curiosité que je vous fais, et vous le verrez tout à l'heure; d'ailleurs, je suis prêtre, et un secret qu'on me confie devient dès lors une confession sacrée.

–Oui, Votre Éminence, elle m'intéresse, et infiniment!

–Eh bien, alors, monsieur Salvato, comme une preuve de l'admiration que j'ai pour votre courage, laissez-moi vous dire tout bas, bien bas, que la personne à laquelle vous vous intéressez est cruellement compromise, et, si elle était dans la ville, et ne se trouvait point comprise dans la capitulation des forts, il faudrait la conduire immédiatement soit au château de l'Oeuf, soit au Château-Neuf, et trouver moyen d'y antidater son entrée de cinq ou six jours.

–Mais, dans le cas contraire, Votre Éminence, aurait-elle encore à craindre?

–Non, ma signature la couvrirait, je l'espère. Seulement, dans l'un ou l'autre cas, prenez toutes vos précautions pour qu'elle soit embarquée une des premières. Une personne très-puissante la poursuit et veut sa mort.

Salvato pâlit affreusement.

–La signora San-Felice, dit-il d'une voix étouffée, n'a pas quitté le Château-Neuf depuis le commencement du siège. Elle se trouve donc jouir du bénéfice de la capitulation que le général Massa a signée avec Votre Éminence. Je ne vous en remercie pas moins, monsieur le cardinal, de l'avis que vous m'avez donné et dont j'ai pris bonne note.

Salvato salua et s'apprêta à se retirer; mais le cardinal lui posa la main sur le bras.

–Encore un mot, lui dit-il.

–J'écoute, Éminence, répliqua le jeune homme.

Quoi qu'en eût dit le cardinal, il était évident qu'il hésitait à parler et qu'un combat se livrait en lui.

Enfin, le premier mouvement l'emporta.

–Vous avez dans vos rangs, dit-il, un homme qui n'est point mon ami, mais que j'estime à cause de son courage et de son génie. Cet homme, je voudrais le sauver.

–Cet homme est condamné? demanda Salvato.

–Comme la chevalière San-Felice, répliqua le cardinal.

Salvato sentit une sueur froide perler à la racine de ses cheveux.

–Et par la même personne? demanda Salvato.

–Par la même personne, répéta le cardinal.

–Et Votre Éminence dit que cette personne est très-puissante?

–Ai-je dit très-puissante? Je me suis trompé alors: j'aurais dû dire toute-puissante.

–J'attends que Votre Éminence me nomme celui qu'elle honore de son estime et couvre de sa protection.

–François Caracciolo.

–Et que lui dirai-je?

–Vous lui direz ce que vous voudrez; mais, à vous, je vous dis que sa vie n'est en sûreté, ou plutôt ne sera en sûreté que lorsqu'il aura les deux pieds hors du royaume.

–Je remercie pour lui Votre Éminence, dit Salvato; il sera fait selon ses désirs.

–Ou ne confie de pareils secrets qu'à un homme comme vous, monsieur Salvato, et on ne lui recommande pas le silence, tant on est certain qu'il en comprend la valeur.

Salvato s'inclina.

–Votre Éminence, demanda-t-il, a-t-elle d'autres recommandations à me faire?

–Une seule.

–Laquelle?

–De vous ménager, général. Les plus braves de mes hommes qui vous ont vu combattre vous ont accusé de témérité. Votre lettre sera remise au chevalier San-Felice, monsieur Salvato, je vous en jure ma foi.

Salvato comprit que le cardinal lui donnait congé. Il salua, et, toujours précédé de son homme portant un drapeau blanc, reprit tout rêveur le chemin du Château-Neuf.

Mais, avant d'y rentrer, Salvato s'arrêta au môle, descendit dans une barque et se fit conduire dans le port militaire, où Caracciolo s'était réfugié avec sa flottille.

Les marins s'étaient dispersés; quelques-uns de ces hommes seulement qui ne quittent le pont de leur bâtiment qu'à la dernière extrémité, étaient restés à bord.

Il parvint à la chaloupe canonnière qui avait porté Caracciolo dans le combat du 13.

Trois hommes seulement se trouvaient à bord.

L'un d'eux était le contre-maître, vieux marin qui avait fait toutes les campagnes avec l'amiral.

Salvato le fit venir et l'interrogea.

Le matin même, l'amiral, voyant que le cardinal n'avait pas traité directement avec lui, et qu'il n'était pas compris dans la capitulation des forts, s'était fait mettre à terre, déguisé en campagnard, disant qu'on ne s'inquiétât point de son sort, et qu'en attendant qu'il pût quitter le royaume, il avait un asile sûr chez un de ses serviteurs, du dévouement duquel il était certain.

Salvato rentra au Château-Neuf, monta à la chambre de Luisa et la retrouva assise devant la table, la tête appuyée dans sa main, dans l'attitude même où il l'avait laissée.

LXXV
LA FLOTTE ANGLAISE

C'était, on se le rappelle, le 24 juin au matin que les exilés napolitains, c'est-à-dire ceux qui croyaient qu'il y avait plus de sûreté pour eux à s'expatrier qu'à rester à Naples, devaient s'embarquer sur les bâtiments préparés et mettre à la voile pour Toulon.

Toute la nuit du 23 au 24 juin, en effet, on avait réuni une petite flotte de tartanes, de felouques, de balancelles que l'on avait approvisionnées de vivres. Mais le vent soufflait de l'ouest et mettait les navires dans l'impossibilité de gagner la haute mer.

Dès le point du jour, les tours du Château-Neuf étaient couvertes de fugitifs qui attendaient qu'un vent favorable fît donner le signal de l'embarquement. Les parents et les amis se tenaient sur les quais et échangeaient des signes avec leurs mouchoirs.

Au milieu de tous ces bras mouvants, de tous ces mouchoirs agités, on pouvait distinguer un groupe immobile et ne faisant de signes à personne, quoique l'un de ceux qui le composaient cherchât évidemment à reconnaître quelqu'un dans la foule stationnant au bord de la mer.

Les trois individus composant ce groupe étaient Salvato, Luisa et Michele.

Salvato et Luisa se tenaient debout appuyés l'un à l'autre: ils étaient seuls au monde, et tout l'un pour l'autre, et l'on voyait bien qu'ils n'avaient rien à faire avec cette foule qui encombrait les quais.

Michele, au contraire, cherchait deux personnes: sa mère et Assunta. Au bout de quelque temps, il reconnut sa vieille mère; mais, soit que son père et ses frères l'empêchassent de venir à ce dernier rendez-vous, soit que son chagrin fût si vif qu'elle craignait que la vue de Michele ne le rendît insupportable, Assunta resta invisible, quoique le regard perçant de Michele s'étendît des premières maisons de la strada del Piliero à l'Immacolatella.

Tout à coup son attention, comme celle des autres spectateurs, fut détournée de cet objet, si attachant qu'il fût, pour se porter vers la haute mer.

En effet, derrière Capri, au plus lointain horizon, on voyait poindre de nombreuses voiles. Ayant le vent grand largue, ces voiles grandissaient et s'avançaient rapidement.

La première idée de tous les pauvres fugitifs, fut que c'était la flotte franco-espagnole qui venait leur porter secours, et l'on commença de déplorer la hâte avec laquelle on avait signé les traités.

Et, cependant, pas une voix n'osa hasarder la proposition de les annuler, ou, si cette idée se présenta à quelques esprits, ceux à qui elle s'était présentée, – les mauvaises pensées se présentent aux meilleurs esprits, – l'étouffèrent en eux sans la communiquer à leurs voisins.

Mais un de ceux qui, la lunette à la main, du haut de la terrasse de sa maison, voyaient s'avancer ces vaisseaux avec le plus d'inquiétude, c'était, sans contredit, le cardinal.

En effet, le matin même, par la voie de terre, le cardinal avait reçu, l'une du roi, l'autre de la reine, deux lettres dont nous donnerons des fragments. En les lisant, on verra dans quel embarras elles devaient mettre le cardinal.

«Palerme, 20 juin 1799.

»Mon éminentissime,

»Répondez-moi sur un autre point, qui me pèse véritablement au coeur, mais que, je vous l'avoue franchement, je crois impossible. On croit ici que vous avez traité avec les châteaux, et que, d'après ce traité, il sera permis à tous les rebelles d'en sortir sains et saufs, même à Caracciolo, même à Manthonnet, et de se retirer en France. De ce bruit, je n'en crois rien, comme vous pouvez bien le comprendre. Du moment que Dieu nous délivre, ce serait insensé à nous de laisser en vie ces vipères enragées, et spécialement Caracciolo, qui connaît tous les coins et tous les recoins de nos côtes. Ah! si je pouvais rentrer à Naples avec les douze mille Russes qui m'avaient été promis, et que ce brigand de Thugut, notre ennemi juré, a empêché de se rendre en Italie! Alors, je ferais ce que je voudrais. Mais la gloire de tout terminer est réservée à vous et à nos braves paysans, et cela, sans autre aide que celle de Dieu et de sa miséricorde infinie.

»FERDINAND B.»

Voici maintenant la lettre de la reine. Pas plus qu'au fragment que nous venons de citer, la traduction ne changera une syllabe.

On y reconnaîtra toujours le même génie hypocrite et persévérant.

«Je n'écris pas tous les jours à Votre Éminence, comme mon coeur en a cependant l'ardent désir, respectant ses opérations pénibles et multipliées, et ressentant la plus vive reconnaissance, je le proclame, pour les promesses de clémence et les exhortations à la soumission auxquelles les obstinés patriotes n'ont point voulu se rendre, – ce qui m'attriste fort pour les maux que cette obstination va produire, – mais qui doivent vous prouver de plus en plus qu'avec de semblables gens, il n'y pas d'espérance de repentir.

»En même temps que cette lettre vous arrivera, arrivera probablement Nelson, avec son escadre. Il intimera aux républicains l'ordre de se rendre sans conditions. On dit que Caracciolo échappera. Cela me ferait grand'peine, un pareil forban pouvant être horriblement dangereux pour Sa Majesté sacrée. C'est pourquoi je voudrais que ce traître fût mis hors d'état de faire le mal.

»Je sens combien doivent affliger votre coeur toutes les horreurs que Votre Éminence raconte à Sa Majesté, dans sa lettre du 17 de ce mois; mais il me semble, quant à moi, que nous avons fait ce que nous avons pu, et que nous nous sommes mis un peu trop en frais de clémence pour de semblables rebelles, et qu'en traitant avec eux, nous ne ferons que nous avilir sans en rien tirer. On peut traiter, je vous le répète, avec Saint-Elme, qui est dans la main des Français; mais, si les deux autres châteaux ne se rendent pas immédiatement à l'intimation de Nelson, et cela sans condition aucune, ils seront pris de vive force et traités comme ils le méritent.

»Une des premières et des plus nécessaires opérations à accomplir est de renfermer le cardinal-archevêque dans le couvent de Monte-Virgine ou dans quelque autre, pourvu qu'il soit hors de son diocèse. Vous comprenez qu'il ne peut plus être pasteur d'un troupeau qu'il a cherché à égarer par des pastorales factieuses, ni dispenser des sacrements dont il a fait un usage si abusif. En somme, il est impossible que celui qui a si indignement parlé et abusé de sa charge reste archevêque exerçant à Naples.

»Il y a-Votre Éminence ne l'oubliera point-beaucoup d'autres évêques dans le même cas que notre archevêque. Il y a La Torre, il y a Natale de Vico-Equense; il y a Rossini, malgré son Te Deum; mais celui-ci, à cause de sa pastorale imprimée à Tarente, et beaucoup d'autres rebelles reconnus, ne peuvent point rester au gouvernement de leurs églises, non plus que trois autres évêques qui ont dénoncé un pauvre prêtre, lequel n'avait commis d'autre crime que d'avoir crié: «Vive le roi!» Ce sont des moines infâmes et des prêtres scélérats qui ont scandalisé jusqu'aux Français eux-mêmes, et j'insiste sur leur punition, parce que la religion, influant sur l'opinion publique, quelle confiance les peuples pourraient-ils avoir dans des prêtres prétendus pasteurs des peuples, en les voyant rebelles au roi! Et jugez quel pernicieux effet ce serait pour ces mêmes peuples que de les voir, traîtres, rebelles et renégats, continuer d'exercer leur mandat sacré!

»Je ne vous parle pas de ce qui concerne Naples, puisque Naples n'est pas encore à nous. Tous ceux qui en viennent nous en racontent des horreurs. Cela m'a fait une véritable peine; mais qu'y faire? Je vis dans l'anxiété, attendant à tout moment la nouvelle que Naples est reprise et que le bon ordre y est rétabli. Alors, je vous parlerai de mes idées, les soumettant toujours aux talents, lumières et connaissances de Votre Éminence, – connaissances, talents, lumières que j'admire chaque jour davantage et qui lui ont donné l'incroyable possibilité d'entreprendre sa glorieuse mission et de reconquérir sans argent et sans armée un royaume perdu. Il reste maintenant à Votre Éminence une gloire plus grande, celle de le réorganiser sur les bases d'une tranquillité vraie et solide; et, avec ces sentiments d'équité et de reconnaissance que je dois à mon peuple fidèle, je laisse au coeur dévoué de Votre Éminence de réfléchir à ce qui est arrivé pendant ces six mois et de décider ce qu'elle a à faire, comptant sur toute sa pénétration.

 

»Les deux Hamilton accompagnent lord Nelson dans son voyage.

»J'ai vu hier la soeur de Votre Éminence et son frère Pepe Antonio, qui se porte à merveille.

» Que Votre Éminence soit convaincue que ma reconnaissance est tellement grande, qu'elle s'étend à tous ceux qui lui appartiennent, et que je reste, en outre, avec un coeur rempli de gratitude, sa vraie et éternelle amie,

»CAROLINE.

»20 juin 1799.»

Ces deux lettres, suivies de l'arrivée de la flotte, donnaient au cardinal l'idée qu'il allait avoir, à l'endroit des traités, maille à partir avec Nelson; tandis qu'au contraire, en voyant le nouveau bâtiment monté par le vainqueur d'Aboukir arborer le pavillon de la Grande-Bretagne, les patriotes, qui croyaient plus en la foi de l'amiral anglais qu'en celle de Ruffo, se réjouissaient d'avoir affaire à une grande nation, au lieu d'avoir affaire à un ramas de bandits.

Du reste, au moment où Nelson venait d'arborer le pavillon rouge et de l'assurer par un coup de canon, du milieu de la fumée répandue aux flancs du vaisseau, on vit se détacher la yole du commandant.

Cette yole, qui portait deux officiers, un contre-maître et dix rameurs, se dirigea en droite ligne sur le port de la Madeleine, et, dès lors, le cardinal n'eut plus aucun doute que ce fût lui que cherchassent les officiers qui montaient la yole.

En effet, ils abordèrent à la Marinella.

Voyant qu'ils s'informaient auprès des lazzaroni qui se tenaient sur le quai, et présumant que ces informations avaient pour but de connaître sa demeure, il envoya au-devant d'eux son secrétaire Sacchinelli, avec invitation de les amener près de lui.

Un instant après, on annonçait au cardinal les capitaines Ball et Troubridge, et les deux officiers faisaient leur entrée dans le cabinet de Son Éminence avec cette roideur particulière aux Anglais, roideur que ne diminuait en rien le grade éminent que Ruffo tenait dans la prélature catholique, Ball et Troubridge étant protestants.

Quatre heures sonnaient.

Troubridge, étant le plus ancien en grade, s'avança vers le cardinal, qui lui-même avait fait un pas au-devant des deux officiers, et lui remit un large pli orné d'un grand cachet rouge aux armes d'Angleterre3.

Le cardinal, modelant son maintien sur celui des deux messagers, fit un léger salut, brisa le cachet rouge, et lut ce qui suit:

«A bord du Foudroyant4, à trois heures de l'après-midi, dans le golfe de Naples.

ȃminence,

»Milord Nelson me prie d'informer Votre Éminence qu'il a reçu du capitaine Foote, commandant la frégate le Sea-Horse, une copie de la capitulation que Votre Éminence a jugé à propos de faire avec les commandants de Saint-Elme, du Château-Neuf et du château de l'Oeuf; qu'il désapprouve entièrement ces capitulations, et qu'il est résolu à ne point rester neutre avec les forces imposantes qu'il a l'honneur de commander. En conséquence, il a expédié à Votre Éminence les capitaines Troubridge et Ball, commandant les vaisseaux de Sa Majesté Britannique le Culloden et l'Alexandre. Ces deux capitaines sont parfaitement informés des sentiments de milord Nelson et auront l'honneur de les faire connaître à Votre Éminence. Milord espère que Votre Éminence sera de la même opinion que lui, et que, demain, au point du jour, il pourra agir d'accord avec Votre Éminence.

»Leur but ne peut être que le même, c'est-à-dire de réduire l'ennemi commun et soumettre les sujets rebelles à la clémence de Sa Majesté Sicilienne.

»J'ai l'honneur de me dire,

»De Votre Éminence,

»Le très-humble et très-obéissant serviteur,

»W. HAMILTON.

»Envoyé extraordinaire de Sa Majesté Britannique près Sa Majesté Sicilienne.»

A quelque opposition que Ruffo s'attendît, il n'avait jamais pensé que cette opposition dût se formuler d'une manière si positive et si insolente.

Il relut une seconde fois la lettre, écrite en français, c'est-à-dire dans la langue diplomatique; la lettre était, en outre, signée, non-seulement du nom, mais encore de tous les titres de sir William, de sorte qu'il était évident que sir William parlait à la fois au nom de milord Nelson, et au nom de l'Angleterre.

Au moment où, comme nous l'avons dit, le cardinal achevait de relire cette lettre, le capitaine Troubridge, avec une légère inclination de tête, demanda:

–Votre Éminence a-t-elle lu?

–J'ai lu, oui, monsieur, répondit le cardinal; mais je vous avoue que je n'ai pas compris.

–Votre Éminence a dû voir, dans la lettre de sir William, qu'étant tout à fait au courant des intentions de milord Nelson, nous pouvions, le capitaine et moi, répondre à toutes les questions qu'elle daignerait nous faire.

–Je n'en ferai qu'une, monsieur.

Troubridge s'inclina légèrement.

–Suis-je, continua le cardinal, dépouillé de mon pouvoir de vicaire général, et milord Nelson en est-il revêtu?

–Nous ignorons si Votre Éminence est destituée de ses pouvoirs de vicaire général et si milord Nelson en est revêtu; mais nous savons que milord Nelson a pris les ordres de Leurs Majestés Siciliennes, qu'il a eu l'honneur de faire savoir ses intentions à Votre Éminence, et qu'en cas de difficultés, il a sous ses ordres douze vaisseaux de ligne pour les appuyer.

–Vous n'avez rien autre chose à me dire de la part de milord Nelson, monsieur?

–Si fait. Nous avons à demander à Votre Éminence une réponse positive à cette question: Au cas d'une reprise d'hostilités contre les rebelles, milord Nelson pourrait-il compter sur la coopération de Votre Éminence?

–D'abord, messieurs, il n'y a plus de rebelles, puisque les rebelles ont fait leur soumission entre mes mains; et, du moment qu'il n'y a plus de rebelles, il est inutile de marcher contre eux.

–Milord Nelson avait prévu cette subtilité. Je poserai donc de sa part la question ainsi: Dans le cas où milord Nelson marcherait contre ceux avec lesquels Votre Éminence a traité, Votre Éminence fera-t-elle cause commune avec lui?

–La réponse sera aussi claire que la demande, monsieur. Non-seulement ni moi ni mes hommes ne marcherons contre ceux avec lesquels j'ai traité, mais encore je m'opposerai de tout mon pouvoir à ce que la capitulation signée par moi soit violée.

Les officiers anglais échangèrent un coup d'oeil: il était évident qu'ils s'attendaient à cette réponse et que c'était surtout celle-là qu'ils étaient venus chercher.

Le cardinal sentit le frisson de la colère courir par tout son corps.

Seulement, il pensa que la chose allait prendre une tournure tellement grave, qu'il ne devait conserver aucun doute, et qu'une explication avec lord Nelson était indispensable.

–Milord Nelson, ajouta-t-il, a-t-il prévu le cas où je désirerais avoir une conférence avec lui, et, dans ce cas, êtes-vous autorisés, messieurs, à me conduire à son bord?

–Milord Nelson, monsieur le cardinal, ne nous a rien dit à ce sujet; mais nous avons tout lieu de penser qu'une visite de la part de Votre Éminence lui ferait toujours honneur et plaisir.

–Messieurs, dit le cardinal, je n'attendais pas moins de votre courtoisie. Quand vous voudrez partir, je suis prêt.

Et il indiqua aux deux officiers la sortie de sa maison.

–C'est nous, répondit Troubridge, qui sommes prêts à suivre Votre Éminence. Si elle est prête, à elle-même de nous montrer le chemin.

Le cardinal descendit d'un pas rapide l'escalier qui conduisait à la cour, et, marchant droit au rivage, fit signe à la barque d'arriver.

La barque obéit; le cardinal, dès qu'elle fut à sa portée, y sauta avec la légèreté d'un jeune homme et s'assit à la place d'honneur entre les deux officiers.

A l'ordre «Nagez!» les dix avirons retombèrent à la mer, et la barque rasa le sommet des vagues avec la rapidité d'un oiseau.

3Comme tout ce qui va suivre est une grave accusation contre la mémoire de Nelson, inutile de dire que tous les lettres, et jusqu'aux moindres billets cités, sont historiques. Au besoin, nous pourrions même donner ces lettres autographiées, les autographes étant à notre disposition.
4C'était le nom du nouveau bâtiment de Nelson, fatalement illustré le 29 juin suivant.
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