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La San-Felice, Tome 08

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LXXII
LE REPAS LIBRE

Cette sortie, qui éclairait le cardinal sur ce que peuvent faire des hommes poussés au désespoir, l'épouvanta. Il avait entendu pendant toute la nuit l'écho de cette fusillade, mais sans savoir ce dont il était question; au point du jour, il apprit avec terreur le massacre de la nuit.

Il monta aussitôt à cheval, et voulut se rendre compte par ses propres yeux des événements de la nuit. En conséquence, accompagné de De Cesari, de Malaspina, de La Marra et de deux cents de ses meilleurs cavaliers, il gagna, par la porte Saint-Janvier, la strada Foria, traversa, au milieu des sanfédistes, le largo delle Pigne, et aborda la rue de Tolède par la strada dei Studi.

Au largo San Spirito, il fut reçu par fra Diavolo et Mammone, et vit immédiatement, au visage sombre des deux chefs, que le rapport des pertes faites par les sanfédistes n'était point exagéré.

On n'avait pas eu le temps d'enlever les morts et de laver le sang. Arrivé au largo della Carita, son cheval refusa d'aller en avant; il n'eût pu faire un pas sans marcher sur un cadavre.

Le cardinal s'arrêta, descendit, entra dans le couvent de Monte Oliveto et envoya La Marra et De Cesari à la découverte, leur ordonnant, sous peine de sa disgrâce, de ne lui rien cacher.

En attendant, il appela près de lui Fra Diavolo et Mammone et les interrogea sur les événements de la nuit. Ils ne savaient que ce qui s'était passé dans la rue de Tolède.

Le peu de cohésion qu'il y avait entre les différents corps sanfédistes empêchait les communications d'être ce qu'elles eussent été dans une armée régulière.

Les deux chefs racontèrent que, vers trois heures du matin, ils avaient été assaillis par une troupe de démons qui leur était tombée sur les épaules, sans qu'ils pussent savoir d'où elle venait, et au moment où ils s'en doutaient le moins. Leurs hommes, attaqués à l'improviste, n'avaient fait aucune résistance, et le cardinal avait vu le résultat de leur irruption.

Les républicains, au reste, avaient disparu comme une vision; seulement, cette vision laissait, pour preuve de sa réalité, cent cinquante ennemis couchés sur le champ de bataille.

Le cardinal fronça le sourcil.

Puis De Cesari et La Marra arrivèrent à leur tour.

Les nouvelles qu'ils apportaient étaient désastreuses.

La Marra annonçait que le bataillon albanais, une des forces de la coalition sanfédiste, était égorgé, depuis le premier jusqu'au dernier homme.

De Cesari avait appris que, du poste et de la batterie de Chiaïa, il ne restait pas vingt hommes. Les quatre canons fournis par le Sea-Horse étaient encloués et, par conséquent, hors d'usage, et les artilleurs russes s'étaient fait tuer sur leurs pièces.

Or, pendant la même nuit, c'est-à-dire pendant la nuit qui venait de se passer, le cardinal, par un messager qui avait débarqué à Salerne, avait reçu la lettre de la reine, en date du 14; dans laquelle lettre la reine lui disait que la flotte de Nelson, après avoir quitté Palerme pour conduire à Ischia l'héritier de la couronne, y était rentrée pour remettre à terre ce même héritier, sur la nouvelle, reçue par Nelson, que la flotte française était sortie de Toulon.

Il n'y avait que peu de probabilité que la flotte vînt à Naples; cependant, il était possible qu'elle y vînt: alors son entreprise était ruinée.

Enfin, une chose pouvait arriver une seconde fois, comme elle était arrivée une première. Après Cotrone, le pillage avait été si grand, que les trois quarts des sanfédistes, s'étant regardés comme enrichis, avaient déserté avec armes, bagages et butin.

Or, la moitié de Naples était pillée par les lazzaroni, et l'armée sanfédiste pouvait bien ne pas estimer l'autre à la valeur des dangers que chaque homme courait en restant.

Le cardinal ne s'abusait point. Son armée, c'était bien plutôt une bande de corbeaux, de loups et de vautours venant à la curée, qu'une troupe de soldats faisant la guerre pour le triomphe d'une idée ou d'un principe.

Donc, la première mesure à prendre était d'arrêter le pillage des lazzaroni, afin qu'en tout cas, il restât quelque chose pour ceux qui avaient fait cent lieues dans l'espoir de piller eux-mêmes.

En conséquence, prenant son parti avec cette rapidité d'exécution qui était un des côtés saillants de son génie, il se fit apporter une plume, de l'encre et du papier, et rédigea une proclamation dans laquelle il ordonnait positivement de cesser le pillage et le massacre, promettant qu'il ne serait fait aucun mauvais traitement à ceux qui remettaient leurs armes, l'intention de Sa Majesté étant de leur accorder amnistie pleine et entière.

On conviendra qu'il est difficile de concilier cette promesse avec les ordres rigoureux du roi et de la reine concernant les rebelles, si l'intention positive du cardinal n'eût point été de sauver, en vertu de son pouvoir d'alter ego, autant de patriotes qu'il pourrait le faire.

La suite, au reste, prouva que c'était bien là son intention.

Il ajoutait, en outre, que toute hostilité cesserait à l'instant même contre tout château et toute forteresse arborant la bannière blanche, en signe qu'ils acceptaient l'amnistie offerte, et il garantissait sur son honneur la vie des officiers qui se présenteraient pour parlementer.

Cette proclamation fut imprimée et affichée, le même jour, à tous les coins de rue, à tous les carrefours, sur toutes les places de la ville; et, comme il était possible que les patriotes de San-Martino, ne descendant point en ville, demeurassent dans l'ignorance de ces nouvelles dispositions du cardinal, il leur envoya Scipion La Marra, précédé d'un drapeau blanc et accompagné d'un trompette, pour leur annoncer cette suspension d'armes.

Les patriotes de San-Martino, encore tout enfiévrés de leur succès de la nuit précédente et du résultat obtenu, – car ils ne doutaient point que ce ne fût à leur victoire qu'ils dussent cette démarche pacifique du cardinal, – répondirent qu'ils étaient résolus à mourir les armes en main et qu'ils n'entendraient à rien avant que Ruffo et les sanfédistes eussent évacué la ville.

Mais, cette fois encore, Salvato, qui joignait la sagesse du diplomate au bouillant courage du soldat, ne fut point de l'avis de Manthonnet, chargé, au nom de ses compagnons, de répondre par un refus. Il se présenta au corps législatif, les propositions du cardinal Ruffo à la main, et n'eut point de peine, après lui avoir exposé la véritable situation des choses, à le déterminer à ouvrir des conférences avec le cardinal, ces conférences, si elles aboutissaient à un traité, étant le seul moyen de sauver la vie des patriotes compromis. Puis, comme les châteaux étaient sous la dépendance du corps législatif, le corps législatif fit dire à Massa, commandant du Château-Neuf, et à L'Aurora, commandant du château de l'Oeuf, que, s'ils ne traitaient pas directement avec le cardinal, il traiterait en leur nom.

Il n'y avait rien à ordonner de pareil à Manthonnet, qui, n'étant point enfermé dans un fort, mais occupant le couvent de San-Martino, ne dépendait que de lui-même.

Le corps législatif invitait, en même temps, Massa à s'aboucher avec le commandant du château Saint-Elme, non point pour qu'il acceptât les mêmes conditions qui seraient offertes aux commandants de forts napolitains, – en sa qualité d'officier français, il pouvait traiter à part, et comme bon lui semblait, – mais pour qu'il approuvât la capitulation des autres forteresses, et signât au traité, sa signature paraissant, avec raison, une garantie de plus de l'exécution des traités, puisque lui était tout simplement un ennemi, tandis que les autres étaient des rebelles.

On répondit donc au cardinal qu'il n'avait point à s'arrêter au refus des patriotes de San-Martino et que l'amnistie proposée par lui était acceptée.

On le priait d'indiquer le jour et l'heure où les chefs des deux partis se réuniraient pour jeter les bases de la capitulation.

Mais, pendant cette même journée du 19 juin, arriva une chose à laquelle on devait s'attendre.

Les Calabrais, les lazzaroni, les paysans, les forçats et tous ces hommes de rapine et de sang qui, pour piller et tuer à leur satisfaction, suivaient les Sciarpa, les Mammone, les Fra-Diavolo, les Panedigrano et autres bandits de même étoffe, tous ces hommes enfin, voyant la proclamation du cardinal qui mettait une fin aux massacres et aux incendies, résolurent de ne point obéir à cet ordre et de continuer le cours de leurs meurtres et de leurs dévastations.

Le cardinal frémit en sentant l'arme avec laquelle jusque-là il avait vaincu, lui tomber des mains.

Il donna l'ordre de ne plus ouvrir les prisons aux prisonniers que l'on y conduirait.

Il renforça les corps russes, turcs et suisses qui se trouvaient dans la ville, les seuls, en effet, sur lesquels il pût compter.

Alors, le peuple, ou plutôt des bandes d'assassins, de meurtriers et de brigands qui désolaient, incendiaient et ensanglantaient la ville, voyant que les prisons restaient fermées devant les prisonniers qu'ils y conduisaient, les fusillèrent et les pendirent sans jugement. Les moins féroces conduisirent les leurs au commandant du roi à Ischia; mais, là, les patriotes trouvèrent Speciale, lequel se contentait de rendre contre eux des jugements de mort, sans même les interroger, quand, pour en finir plus tôt avec eux, il ne les faisait pas jeter à la mer sans jugement.

Du haut de San-Martino, du haut du château de l'Oeuf et du haut du Château-Neuf, les patriotes voyaient avec terreur et avec rage tout ce qui se passait dans la ville, dans le port et sur la mer.

Révoltés de ce spectacle, les patriotes allaient sans doute reprendre les armes, lorsque le colonel Mejean, furieux de n'avoir pu traiter ni avec le directoire ni avec le cardinal Ruffo, fit dire aux républicains qu'il avait au château Saint-Elme cinq ou six otages qu'il leur livrerait si les massacres ne cessaient pas.

 

Au nombre de ces otages était un cousin du chevalier Micheroux, lieutenant du roi, et un troisième frère du cardinal.

On fit savoir à Son Éminence l'état des choses.

Si les massacres continuaient, autant de patriotes massacrés, autant d'ôtages on jetterait du haut en bas des murailles du château Saint-Elme.

Les rapports s'envenimaient et conduisaient naturellement les deux partis à une guerre d'extermination. Il n'y avait aucun doute à avoir que des hommes courageux et désespérés ne tinssent point les menaces de représailles qu'ils avaient faites.

Le cardinal comprit qu'il n'y avait pas un instant à perdre. Il convoqua les chefs de tous les corps marchant sous son commandement, et les supplia de maintenir leurs soldats dans la plus rigoureuse discipline, et leur promettant de glorieuses récompenses s'ils y réussissaient.

On ordonna alors des patrouilles composées de sous-officiers seulement. Ces patrouilles parcouraient les rues en tout sens, et, à force de menaces, de promesses, d'argent jeté, les incendies s'éteignirent, le sang cessa de couler: Naples respira.

Il ne fallut pas moins de deux jours pour arriver à ce résultat.

Le 21 juin, profitant de l'armistice et de la tranquillité qui, après tant d'efforts, en était la suite, les patriotes de Saint-Martin et des deux châteaux résolurent de faire ce que faisaient les anciens quand ils étaient condamnés à la mort: LE REPAS LIBRE.

César, seul, manquait pour recevoir les paroles sacramentelles: Morituri te salutant!

Ce fut une triste fête que cette solennité suprême dans laquelle chacun semblait célébrer ses propres funérailles, quelque chose de pareil à ce dernier festin des sénateurs de Capoue, à la fin duquel, au milieu des fleurs fanées et au son des lyres mourantes, on fit circuler la coupe empoisonnée dans laquelle quatre-vingts convives burent la mort.

La place choisie fut celle du Palais-National, aujourd'hui place du Plébiscite. Elle était alors beaucoup plus étroite qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Des mâts furent plantés sur toute la longueur de la table; chaque mât déroulait au vent une flamme blanche, sur laquelle, en lettres noires, étaient écrits ces mots:

VIVRE LIBRE OU MOURIR!

Au-dessus de cette flamme, et au milieu de chaque mât, était un faisceau de trois bannières, dont les extrémités venaient caresser le front des convives.

L'une était tricolore: c'était la bannière de la liberté.

L'autre était rouge: c'était le symbole du sang répandu et qui restait à répandre encore.

L'autre était noire: c'était l'emblème du deuil qui couvrirait la patrie lorsque la tyrannie, un instant chassée, reviendrait régner sur elle.

Au milieu de la place, au pied de l'arbre de la liberté, s'élevait l'autel de la patrie.

On commença par y célébrer une messe mortuaire en l'honneur des martyrs morts pour la liberté. L'évêque della Torre, membre du corps législatif, y prononça leur oraison funèbre.

Puis on se mit à table.

Le repas fut sobre, triste, presque muet.

Trois fois seulement, il fut interrompu par un double toast: «A la liberté et à la mort!» ces deux grandes déesses invoquées par les peuples opprimés.

De leurs avant-postes, les sanfédistes pouvaient voir le suprême festin; mais ils n'en comprenaient point la sublime tristesse.

Seul le cardinal calculait de quels efforts désespérés sont capables des hommes qui se préparent à la mort avec cette solennelle tranquillité; il n'en était, soit crainte, soit admiration, que plus affermi dans la résolution de traiter avec eux.

LXXIII
LA CAPITULATION

Le 19 juin, comme nous l'avons dit, les bases de la capitulation avaient été jetées sur le papier.

Elles avaient été discutées pendant la journée du 20, au milieu de l'émeute qui ensanglantait la ville et faisait parfois croire à l'impossibilité de mener à bonne fin les négociations.

Le 21, à midi, l'émeute était calmée, et le repas libre avait eu lieu à quatre heures du soir.

Enfin, le 22 au matin, le colonel Mejean descendit du château Saint-Elme, escorté par la cavalerie royaliste, et vint conférer avec le directoire.

Salvato voyait avec une grande joie tous ces préparatifs de paix. La maison de Luisa pillée, le bruit généralement répandu qu'elle avait dénoncé les Backer et que la dénonciation était cause de leur mort, lui inspiraient de vives inquiétudes pour la sûreté de la jeune femme. Insensible à toute crainte pour lui-même, il était plus tremblant et plus timide qu'un enfant quand il s'agissait de Luisa.

Puis une seconde espérance pointait dans son coeur. Son amour pour Luisa avait toujours été croissant, et la possession n'avait fait que l'augmenter. Après la publicité qu'avait prise leur liaison, il était impossible que Luisa demeurât à Naples et y attendît le retour de son mari. Or, il était, probable qu'elle profiterait de l'alternative donnée aux patriotes de rester à Naples ou de fuir, pour quitter non seulement Naples, mais encore l'Italie. Alors, Luisa serait bien à lui, à lui pour toujours: rien ne pourrait la séparer de lui.

Au fait de la capitulation qui avait été discutée sous ses ordres, il avait plusieurs fois, avec intention, expliqué à Luisa l'article 5 de cette capitulation, qui portait que toutes les personnes qui y étaient comprises avaient le choix, ou de rester à Naples, ou de s'embarquer pour Toulon.

Luisa, à chaque fois, avait soupiré, avait pressé son amant contre son coeur, mais n'avait rien répondu.

C'est que Luisa, malgré son ardent amour pour Salvato, n'avait rien décidé encore et reculait, en fermant les yeux pour ne pas voir l'avenir, devant l'immense douleur qu'il lui faudrait causer, le moment arrivé, ou à son époux, ou à son amant.

Certes, si Luisa eût été libre, pour elle comme pour Salvato, c'eût été le suprême bonheur de suivre au bout du monde l'ami de son coeur. Elle eût alors, sans regret, quitté ses amis, Naples et même cette petite maison où s'était écoulée son enfance, si calme, si tranquille et si pure. Mais, à côté de ce bonheur suprême, se dressait dans l'ombre un remords qu'elle ne pouvait écarter.

En partant, elle abandonnait à la douleur et à l'isolement la vieillesse de celui qui lui avait servi de père.

Hélas! cette entraînante passion qu'on appelle l'amour, cette âme de l'univers qui fait commettre à l'homme ses plus belles actions et ses plus grands crimes, si ingénieuse en excuses tant que la faute n'est pas commise, n'a plus que des pleurs et des soupirs à opposer au remords.

Aux instances de Salvato, Luisa ne voulait pas répondre: «Oui» et n'osait répondre: «Non.»

Elle gardait au fond du coeur ce vague espoir des malheureux qui ne comptent plus que sur un miracle de la Providence pour les tirer de la situation sans issue où ils se sont placés par une erreur ou par une faute.

Cependant, le temps passait, et, comme nous l'avons dit, le 22 juin, au matin, le colonel Mejean descendait du château Saint-Elme, pour venir, escorté de la cavalerie royaliste, conférer avec le directoire.

Le but de sa visite était de s'offrir comme intermédiaire entre les patriotes et le cardinal, le directoire n'espérant point obtenir les conditions qu'il demandait.

On se rappelle la réponse de Manthonnet: «Nous ne traiterons que lorsque le dernier sanfédiste aura abandonné la ville.»

Voulant savoir si les forts étaient en mesure de soutenir les paroles hautaines de Manthonnet, le corps législatif, qui siégeait dans le palais national, fit appeler le commandant du Château-Neuf.

Oronzo Massa, dont nous avons plusieurs fois déjà prononcé le nom, sans nous arrêter autrement sur sa personne, a droit, dans un livre comme celui que nous nous sommes imposé le devoir d'écrire, à quelque chose de plus qu'une simple inscription au martyrologe de la patrie.

Il était né de famille noble. Officier d'artillerie dès ses jeunes années, il avait donné sa démission lorsque, quatre ans auparavant, le gouvernement était entré dans la voie sanglante et despotique ouverte par l'exécution d'Emmanuele de Deo, de Vitagliano et de Galiani. La république proclamée, il avait demandé à servir comme simple soldat.

La République l'avait fait général.

C'était un homme éloquent, intrépide, plein de sentiments élevés.

Ce fut Cirillo qui, au nom de l'assemblée législative, adressa la parole à Massa.

–Oronzo Massa, lui demanda-t-il, nous vous avons fait venir pour savoir de vous quel espoir nous reste pour la défense du château et le salut de la ville. Répondez-nous franchement, sans rien exagérer ni dans le bien ni dans le mal.

–Vous me demandez de vous répondre en toute franchise, répliqua Oronzo Massa: je vais le faire. La ville est perdue; aucun effort, chaque homme fût-il un Curtius, ne peut la sauver. Quant au Château-Neuf, nous en sommes encore maîtres, mais par cette seule raison que nous n'avons contre nous que des soldats sans expérience, des bandes inexpérimentées, commandées par un prêtre. La mer, la darse, le port, sont au pouvoir de l'ennemi. Le palais n'a aucune défense contre l'artillerie. La courtine est ruinée, et si, au lieu d'assiégé, j'étais assiégeant, dans deux heures j'aurais pris le château.

–Vous accepteriez donc la paix?

–Oui, pourvu, ce dont je doute, que nous puissions la faire à des conditions qu'il fût possible de concilier avec notre honneur, comme soldats et comme citoyens.

–Et pourquoi doutez-vous que nous puissions faire la paix à des conditions honorables? Ne connaissez-vous point celles que le directoire propose?

–Je les connais, et c'est pour cela que je doute que le cardinal les accepte. L'ennemi, enorgueilli par la marche triomphale qui l'a conduit jusque sous nos murs, poussé par la lâcheté de Ferdinand, par la haine de Caroline, ne voudra pas accorder la vie et la liberté aux chefs de la République. Il faudra donc, à mon avis, que vingt citoyens au moins s'immolent au salut de tous. Ceci étant ma conviction, je demande à être inscrit, ou plutôt à m'inscrire le premier sur la liste.

Et alors, au milieu d'un frémissement d'admiration, s'avançant vers le bureau du président, en haut d'une feuille de papier blanc, il écrivit d'une main ferme:

ORONZO MASSA. – POUR LA MORT.

Les applaudissements éclatèrent, et, d'une seule voix, les législateurs s'écrièrent:

–Tous! tous! tous!

Le commandant du château de l'Oeuf, L Aurora, était, sur l'impossibilité de tenir, du même avis que son collègue Massa.

Restait Manthonnet, qu'il fallait ramener à l'avis des autres chefs: aveuglé par son merveilleux courage, il était toujours le dernier à se rendre aux prudents avis.

On décida que le général Massa monterait à San-Martino et conférerait avec les patriotes établis au pied du château Saint-Elme, et, s'il tombait d'accord avec eux, préviendrait le colonel Mejean que sa présence était nécessaire au directoire.

Un sauf-conduit du cardinal fut donné au commandant du château de l'Oeuf.

Le commandant Massa convainquit Manthonnet que le meilleur parti à prendre était de traiter aux conditions proposées par le directoire, et même à des conditions pires; et, comme il était convenu, il prévint le colonel Mejean qu'on l'attendait pour porter ces conditions au cardinal.

Voilà pourquoi, le 22 juin, le commandant du château Saint-Elme quittait sa forteresse et descendait vers la ville.

Il se rendit droit à la maison qu'occupait le cardinal, au pont de la Madeleine, mais en ne cachant point au directoire qu'il n'avait pas grand espoir que le cardinal acceptât de pareilles conditions.

Il fut immédiatement introduit près de Son Éminence, à laquelle il présenta les articles de la capitulation, déjà signés du général Massa et du commandant L'Aurora.

Le cardinal, qui l'attendait, avait près de lui le chevalier Micheroux, le commandant anglais Foote, le commandant des troupes russes, Baillie, et le commandant des troupes ottomanes, Achmet.

Le cardinal prit la capitulation, la lut, passa dans une chambre à côté, avec le chevalier Micheroux, et les chefs des camps anglais, russe et turc, pour en délibérer avec eux.

Dix minutes après, il rentra, prit la plume, et, sans discussion, mit son nom au-dessous de celui de L'Aurora.

Puis il passa la plume au commandant Foote; celui-ci, à son tour, la passa au commandant Baillie, qui la passa au commandant Achmet.

La seule exigence du cardinal fut que le traité, quoique signé le 22, portât la date du 18.

Cette exigence, à laquelle n'hésita point à se rendre le colonel Mejean, et qui fut un mystère pour tout le monde, grâce à la connaissance approfondie que nous avons de cette époque, et à la correspondance du roi et de la reine, sur laquelle nous eûmes, en 1860, le bonheur de mettre la main, n'en est pas un pour nous.

 

Il voulait que la date fût antérieure à la lettre qu'il avait reçue de la reine et qui lui défendait de traiter, sous aucun prétexte, avec les rebelles.

Il aurait cette excuse de dire que la lettre était arrivée quand la capitulation était déjà signée.

Et maintenant, il est de la plus grande importance que, traitant à cette heure un point purement historique, nous mettions sous les yeux de nos lecteurs le texte même des dix articles, qui n'a jamais été publié qu'incomplet ou altéré.

Il s'agit d'un procès terrible, où le cardinal Ruffo, condamné en première instance par l'histoire, ou plutôt par un historien, juge partial ou mal renseigné, en appelle à la postérité contre Ferdinand, contre Caroline, contre Nelson.

Voici la capitulation:

«ARTICLE 1er. – Le Château-Neuf et le château de l'Oeuf seront remis au commandant des troupes de Sa Majesté le roi des Deux-Siciles, et de celles de ses alliés, le roi d'Angleterre, l'empereur de toutes les Russies et le sultan de la Porte Ottomane, avec toutes les munitions de guerre et de bouche, artillerie et effets de toute espèce existant dans les magasins, et qui seront reconnus par l'inventaire des commissaires respectifs, après la signature de la présente capitulation.

»ART. 2. – Les troupes composant la garnison conserveront leurs forts jusqu'à ce que les bâtiments dont on parlera ci-après, destinés à transporter les personnes qui voudront aller à Toulon, soient prêts à mettre à la voile.

»ART. 3. – Les garnisons sortiront avec les honneurs militaires, c'est-à-dire avec armes et bagages, tambour battant, mèches allumées, enseignes déployées, chacune avec deux pièces de canon; elles déposeront leurs armes sur le rivage.

»ART. 4. – Les personnes et les propriétés mobilières de tous les individus composant les deux garnisons seront respectées et garanties.

»ART. 5. – Tous les susdits individus pourront choisir, ou de s'embarquer sur les bâtiments parlementaires qui seront préposés pour les conduire à Toulon, ou de rester à Naples, sans être inquiétés, ni eux ni leurs familles.

»ART. 6. – Les conditions arrêtées dans la présente capitulation sont communes à toutes les personnes des deux sexes enfermées dans les forts.

»ART. 7. – Jouiront du bénéfice de ces conditions, tous les prisonniers faits sur les troupes régulières par les troupes de Sa Majesté le roi des Deux-Siciles ou par celles de ses alliés, dans les divers combats qui ont eu lieu avant le blocus des forts.

»ART. 8. – MM. l'archevêque de Salerne, Micheroux, Dillon et l'évêque d'Avellino resteront en otage entre les mains du commandant du fort Saint-Elme jusqu'à l'arrivée à Toulon des patriotes expatriés.

»ART<. 9. – Excepté les personnages nommés ci-dessus, tous les otages et prisonniers d'État renfermés dans les forts seront mis en liberté aussitôt la signature de la présente capitulation.

»ART. 10. – Les articles de la présente capitulation ne pourront être exécutés qu'après avoir été complètement approuvés par le commandant du fort Saint-Elme.

»Fait au Château-Neuf, le 18 juin 1799.

»Ont signé:

»MASSA, commandant du Château-Neuf; L'AURORA, commandant du château de l'Oeuf; CARDINAL RUFFO, vicaire général du royaume de Naples; ANTONIO, CHEVALIER MICHEROUX, ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Deux-Siciles près les troupes russes; E. – T. FOOTE, commandant les navires de Sa Majesté Britannique; BAILLIE, commandant les troupes de Sa Majesté l'empereur de Russie; ACHMET, commandant les troupes ottomanes

Sous les signatures des différents chefs prenant part à la capitulation, on lisait les lignes suivantes:

«En vertu de la délibération prise par le conseil de guerre dans le fort Saint-Elme, le 3 messidor, sur la lettre du général Massa, commandant le Château-Neuf, lettre en date du 1er messidor, le commandant du château Saint-Elme approuve la susdite capitulation.

»Du fort Saint-Elme, 3 messidor an VII de la république française (21 juin 1799.)

»MEJEAN.»

Le même jour où la capitulation fut réellement signée, c'est-à-dire le 22 juin, le cardinal, enchanté d'en être arrivé à un si heureux résultat, écrivit au roi le récit détaillé des opérations accomplies, et chargea le capitaine Foote, l'un des signataires de la capitulation, de remettre sa lettre à Sa Majesté en personne.

Le capitaine Foote partit aussitôt pour Palerme, sur le Sea-Horse. – Depuis quelques jours, il avait succédé, dans le commandement de ce vaisseau, au capitaine Ball, rappelé par Nelson près de lui.

Le lendemain, le cardinal donna tous les ordres nécessaires pour que les bâtiments qui devaient transporter à Toulon la garnison patriote fussent prêts le plus tôt possible.

Le même jour, le cardinal écrivit à Ettore Caraffa pour l'inviter à céder les forts de Civitella et de Pescara à Pronio, aux mêmes conditions que venaient d'être cédés le Château-Neuf et le château de l'Oeuf.

Et, comme il craignait que le comte de Ruvo ne se fiât point à sa parole on vît quelque piège dans sa lettre, il fit demander s'il n'y avait point, dans l'un ou l'autre des deux châteaux, un ami d'Ettore Caraffa dans lequel celui-ci eût toute confiance, pour porter sa lettre et donner au comte une idée exacte de la situation des choses.

Nicolino Caracciolo s'offrit, reçut la lettre des mains du cardinal et partit.

Le même jour, un édit signé du vicaire général fut imprimé, publié et affiché.

Cet édit déclarait que la guerre était finie, qu'il n'y avait plus dans le royaume ni partis ni factions, ni amis ni ennemis, ni républicains ni sanfédistes, mais seulement un peuple de frères et de citoyens soumis également au prince, que le roi voulait confondre dans un même amour.

La certitude de la mort avait été telle chez les patriotes, que ceux mêmes qui, n'ayant pas confiance entière dans la promesse de Ruffo, avaient décidé de s'exiler, regardaient l'exil comme un bien, en comparant l'exil au sort auquel ils se croyaient réservés.

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