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La San-Felice, Tome 06

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–C'est donc vrai?

–Oui, c'est vrai. Mais est-il possible, mon bien-aimé Salvato, qu'après l'avoir quittée, tu aies eu l'idée d'épier ta Luisa?

–Moi, t'épier, faire le rôle de jaloux autour d'un ange? Dieu me garde, je ne dirai pas d'une pareille folie, mais d'une pareille lâcheté! Ma Luisa peut recevoir qui elle voudra, à quelque heure que ce soit, sans que jamais, de ma part du moins, un soupçon ternisse le pur miroir de sa chasteté. Non, je n'ai point cherché à voir; non, je n'ai point vu. J'ai reçu cette lettre un quart d'heure avant ton arrivée, par un des messagers que j'avais laissés pour m'apporter ma correspondance; je la lisais quand tu es entrée, et je me demandais quelle âme abjecte pouvait vouloir semer entre toi et moi la plante amère du doute.

–Une lettre? demanda Luisa; tu as reçu une lettre?

–La voici; tiens, lis.

Et Salvato, en effet, présenta à Luisa une lettre visiblement écrite par un de ces hommes qui prêtent leur plume à l'amour comme à la haine et que vont chercher, pour leurs sombres projets, les dénonciateurs anonymes.

Luisa lut la lettre; elle était conçue en ces termes:

«M. Salvato Palmieri est prévenu que madame Luisa San-Felice a trouvé chez elle, en rentrant de chez la duchesse Fusco, un homme jeune, beau et riche, avec lequel elle est restée enfermée jusqu'à trois heures du matin.

»Cette lettre est d'un ami, désespéré de voir M. Salvato Palmieri si mal placer son coeur.»

Luisa vit, comme à la lueur d'un éclair, Giovannina écrivant dans sa chambre et se levant pour lui cacher ce qu'elle écrivait. Mais l'idée que cette jeune fille qui lui devait tant pouvait la trahir s'écarta rapidement, et d'elle-même, de son esprit.

–Il n'y a pas dans cette lettre un mot qui ne soit vrai, mon ami; par bonheur, soit que celui ou celle qui l'a écrite ne sache pas le nom de l'homme que j'ai reçu, soit qu'elle n'ait pas voulu le dire, Dieu a permis que ce nom ne s'y trouvât point.

–Et pourquoi, chère Luisa, est-ce une permission de Dieu?

–Parce que, s'il s'y trouvait, j'étais aux yeux de ce malheureux qui a risqué sa tête pour moi, une femme sans foi, sans honneur, une dénonciatrice enfin.

–Tu dis vrai, Luisa, répliqua Salvato devenu plus sombre; car, s'il y était, je me trouvais d'après ce que je devine maintenant, obligé de tout dire au général.

–Et que devines-tu?

–Que cet homme, pour un motif quelconque que je ne cherche point à approfondir, est venu te révéler quelque conspiration qui menace ma vie, celle de mes compagnons, la sûreté du nouveau gouvernement, et que voilà pourquoi, dans ton irréflexion dévouée, tu voulais m'éloigner, me faire passer la frontière, me mettre hors de l'atteinte des conspirateurs; voilà pourquoi tu ne voulais pas me révéler le danger que je devais fuir, parce qu'un tel danger, je ne le fuirais pas.

–Eh bien, tu as deviné juste, mon bien-aimé, et je vais tout te dire, excepté le nom de celui qui m'a avertie; et alors, toi, l'homme d'honneur, l'esprit juste, le coeur loyal, tu me conseilleras.

–Dis, ma bien-aimée Luisa, dis; je t'écoute. Oh! si tu savais combien je t'aime! Parle, parle! Contre moi contre ma poitrine, sur mon coeur!

La jeune femme resta un instant la tête renversée, les yeux fermés, la bouche entr'ouverte, aux bras du jeune homme; puis, comme s'arrachant à un rêve délicieux:

–Oh! mon ami, dit-elle pourquoi ne nous est-il point donné de vivre ainsi, loin des troubles politiques, loin des révolutions, loin des conspirateurs! Quelles délices ce serait, une pareille vie! Dieu ne le veut pas; soumettons-nous à Dieu!

Luisa poussa un soupir et passa sa main sur ses yeux; puis:

–C'est ce que tu as dit, mon ami, continua-t-elle. Oh! pourquoi cet homme m'a-t-il fait cette confidence? Ne valait-il pas mieux que nous mourussions ensemble?

–Explique-toi, ma bien-aimée.

–Une conspiration contre-révolutionnaire doit éclater dans la nuit de jeudi à vendredi: tous les Français, tous les patriotes dont les maisons seront marquées dans la soirée, doivent être massacrés pendant la nuit, à l'exception de ceux qui pourront présenter cette carte et faire ce signe de reconnaissance.

Et Luisa montra à Salvato la carte fleurdelisée et fit le signe indiqué par André Backer.

–Une carte avec une fleur de lis, répéta Salvato, se mordre la première phalange du pouce. (Tels étaient, on s'en souvient, les signes de salut.) Les malheureux! qu'on veut arracher à l'esclavage et qui veulent être esclaves à tout prix!

–Eh bien, maintenant que je t'ai tout raconté, dit Luisa se laissant glisser aux genoux du jeune homme, que faut-il faire? Réfléchis et conseille-moi.

–Il est inutile de réfléchir, ma Luisa bien-aimée. Il faut répondre à la loyauté par la loyauté. Cet homme a voulu te sauver.

–Et toi aussi; car il sait tout, ta blessure, les soins que j'ai pris de toi, ton séjour de six semaines chez la duchesse; il sait notre mutuel amour, et il m'a dit: «Sauvez-le avec vous.»

–Raison de plus, comme je te le disais, pour répondre à la loyauté par la loyauté. Cet homme a voulu nous sauver: sauvons-le.

–Comment cela?

–En lui disant: «Votre complot est découvert; le général Championnet est prévenu; où vous croyez trouver un massacre facile, vous trouverez une résistance désespérée; vous allez inutilement faire couler le sang dans les rues de Naples. Renoncez à votre complot, et gagnez l'étranger; le conseil que vous m'avez donné, suivez-le.

–C'est l'honneur lui-même qui parle par ta voix, mon Salvato; ce que tu me dis de faire, je le ferai. Mais écoute donc…

–Quoi?

–Il m'a semblé entendre du bruit dans cette chambre, on a fermé une porte. Nous écoutait-on? sommes-nous épiés?

Salvato s'élança: la chambre était vide.

–Nul n'était dans cette chambre que Michele, dit-il; vois-tu un malheur à ce que Michele nous ait entendus?

–Non, car il ignore le nom de la personne qui est venue chez moi. Sans cela, mon cher Salvato, ajouta Luisa en riant, tu en as fait un tel patriote, qu'il serait capable d'aller tout courant le dénoncer.

–Eh bien, dit Salvato, tout est convenu ainsi, et ta conscience est en repos, n'est-ce pas?

–Tu m'assures que nous avons agi selon toutes les lois de la loyauté?

–Je te le jure.

–Tu es bon juge en matière d'honneur, Salvato, et je te crois. A mon retour à Naples, je préviendrai le chef des conjurés. Son nom n'est point sorti de ma bouche, même vis-à-vis de toi. Il ne peut donc être compromis en rien; ou, s'il l'est, ce sera en dehors de ma volonté. Ne pensons plus qu'à nous, au bonheur d'être ensemble. Tout à l'heure, je maudissais les troubles politiques, les révolutions, les conspirateurs… j'étais folle. Sans les troubles politiques, tu n'eusses point été envoyé à Naples par ton général; sans les révolutions, je ne t'eusse pas connu; sans les conspirateurs, je ne serais pas à cette heure près de toi. Bénies soient les choses que Dieu fait: elles sont bien faites.

Et la jeune femme, toute joyeuse, toute consolée, toute souriante, se jeta dans les bras de son amant.

CXII
MICHELE LE SAGE

Qui donc a dit-auteur sacré ou profane, je ne sais plus qui et n'ai point le temps de chercher, – qui donc a dit: «L'amour est puissant comme la mort?»

Ceci, qui a l'air d'une pensée, n'est qu'un fait, et un fait inexact.

César dit, dans Shakspeare, ou plutôt Shakspeare fait dire à César: «Le danger et moi sommes deux lions nés le même jour, et je suis l'aîné.»

L'amour et la mort aussi sont nés le même jour, le jour de la création; seulement, l'amour est l'aîné.

On a aimé avant que de mourir.

Lorsque Ève, à la vue d'Abel tué par Caïn, tordit ses bras maternels et s'écria: «Malheur! malheur! malheur! la mort est entrée dans le monde!» la mort n'y était entrée qu'après l'amour, puisque ce fils que la mort venait d'enlever au monde était le fils de son amour.

Il est donc imparfait de dire: «L'amour est puissant comme la mort;» il faut dire: «L'amour est plus puissant que la mort,» puisque tous les jours l'amour combat et terrasse la mort.

Cinq minutes après que Luisa eut dit: «Bénies soient les choses que Dieu fait: elles sont bien faites!» Luisa avait tout oublié, jusqu'à la cause qui l'avait amenée près de Salvato; elle savait seulement qu'elle était près de Salvato, et que Salvato était près d'elle.

Il fut convenu entre les jeunes gens qu'ils ne se quitteraient que le soir; que, le soir même, Luisa verrait le chef de la conspiration, et que, le lendemain, quand il aurait eu le temps de donner contre-ordre et de se mettre en sûreté, lui et ses complices, Salvato dirait tout au général, qui s'entendrait avec le pouvoir civil pour prendre les mesures nécessaires à l'avortement du complot, en supposant que, malgré l'avis de la San-Felice, les insurgés s'obstinassent dans leur entreprise.

Puis, ce point arrêté, les deux beaux jeunes gens furent tout à leur amour.

Être tout à l'amour, quand on est bien réellement amoureux, c'est emprunter les ailes des colombes ou des anges, s'envoler bien loin de la terre, se reposer sur quelque nuage de pourpre, sur quelque rayon de soleil, se regarder, se sourire, parler bas, voir l'Éden sous ses pieds, le paradis sur sa tête, et, dans l'intervalle de ces deux mots magiques, mille fois répétés: «Je t'aime!» entendre les choeurs célestes.

La journée passa comme un rêve. Fatigués du bruit de la rue, à l'étroit entre les quatre murs d'une chambre, aspirant à l'air, à la liberté, à la solitude, ils se jetèrent dans la campagne, qui, dans les provinces napolitaines, commence à revivre à la fin de janvier. Mais, là, aux environs de la ville, on rencontrait un importun à chaque pas. L'un des deux dit en souriant: «Un désert!» L'autre répondit: «Poestum!»

Une calèche passait: Salvato appela le cocher, les deux amants y montèrent; le but du voyage fut indiqué, les chevaux partirent comme le vent.

 

Ni l'un ni l'autre ne connaissaient Poestum. Salvato avait quitté l'Italie méridionale avant, pour ainsi dire, que ses yeux fussent ouverts, et, quoique le chevalier eût vint fois parlé de Poestum à Luisa, il n'avait jamais voulu l'y conduire, de peur de la mal'aria.

Eux n'y avaient pas même songé. L'un d'eux, au lieu de Poestum, eût nommé les marais Pontins, que l'autre eût répété: «Les marais Pontins.» Est-ce que la fièvre pourrait, dans un pareil moment, avoir prise sur eux! Le bonheur n'est-il point le plus efficace des antidotes?

Luisa n'avait rien à apprendre sur les localités que l'on traverse en contournant ce golfe magnifique qui, avant que Salerne existât, s'appelait le golfe de Poestum. Et cependant, comme une curieuse et ignorante élève en archéologie, elle laissait parler Salvato parce qu'elle aimait à l'entendre. Elle savait d'avance tout ce qu'il allait dire, et cependant il semblait qu'elle entendit pour la première fois tout ce qu'il disait.

Mais ce qu'aucun écrit n'avait pu faire comprendre ni à l'un ni à l'autre, c'est la majesté du paysage, c'est la grandeur des lignes qui se déroulèrent à leurs yeux quand, à l'un des détours de la route, ils aperçurent tout à coup les trois temples se détachant, avec leur chaude couleur feuille morte, sur l'azur foncé de la mer. C'était bien là ce qui devait rester de la rigide architecture de ces tribus helléniques, nées au pied de l'Ossa et de l'Olympe, qui, au retour d'une expédition infructueuse dans le Péloponèse, où les avait conduites Hyllus, fils d'Hercule, trouvèrent leurs pays envahi par les Perrhèbes; et qui, ayant abandonné les riches plaines du Pénée aux Lapythes et aux Ioniens, s'établirent dans la Dryopide, laquelle, dès lors, prit le nom de Doride, et, cent ans après la guerre de Troie, enlevèrent aux Pelasges, qu'ils poursuivirent jusqu'en Attique, Messène et Tyrenthe, célèbres encore aujourd'hui par leurs ruines titaniques; L'Argolide, où ils trouvèrent le tombeau d'Agamemnon; la Laconie, dont ils réduisirent les habitants à l'état d'ilotes, et où ils firent de Sparte la vivante représentation de leur grave et sombre génie, dont Lycurgue fut l'interprète. Pendant six siècles, la civilisation fut arrêtée par ces conquérants, hostiles ou indifférents à l'industrie, aux lettres et aux arts, et qui, lorsque, dans leurs guerres de Messénie, ils eurent besoin d'un poëte, empruntèrent Tyrtée aux Athéniens.

Comment purent-ils vivre dans ces molles plaines de Poestum, ces rudes fils de l'Olympe et de l'Ossa, au milieu de la civilisation de la Grande Grèce, où les brises du sud leur apportaient les parfums de Sybaris, et le vent du nord, les émanations de Baïa? Aussi, au milieu de leurs champs de rosiers, qui fleurissaient deux fois l'an, élevèrent-ils, comme une protestation contre ce doux climat, contre cette civilisation élégante, tout imprégnée du souffle ionien, ces trois terribles temples de granit, qui, sous Auguste, déjà en ruine, sont aujourd'hui encore ce qu'ils étaient du temps d'Auguste, et voulurent-ils laisser à l'avenir ce lourd spécimen de leur art, puissant comme tout ce qui est primitif.

Aujourd'hui, rien ne reste des conquérants de Sparte que ces trois squelettes de granit; où, entourée de miasmes mortels, règne la fièvre, et cette enceinte de murailles tracée par un inflexible cordeau et dont on peut suivre en une heure, par les bossellements du terrain, le quadrilatère exigu. Ces quelques fantômes errants, dévorés par la mal'aria, qui regardent le voyageur d'un oeil cave et curieux ne sont, certes, pas plus leurs descendants que ces herbes insalubres ou vénéneuses qui poussent dans des marais fétides ne sont les rejetons de ces rosiers dont les voyageurs qui venaient de Syracuse à Naples voyaient de loin la terre couverte et sentaient en passant les parfums.

A cette époque où l'archéologie était inculte et où la couleuvre frileuse rampait seule dans les ruines solitaires, il n'y avait pas, comme aujourd'hui, un chemin pour conduire à ces temples; il fallait traverser ces herbes gigantesques sans savoir sur quel reptile on risquait de mettre le pied. Luisa, au moment d'entrer dans ces jungles putrides, sembla hésiter; mais Salvato la prit dans ses bras comme il eût fait d'un enfant, la souleva au-dessus de la fauve et aride moisson, et ne la déposa que sur les degrés du plus grand des temples.

Laissons-les à cette solitude qu'ils étaient venus chercher si loin, à cet amour profond et mystérieux qu'ils essayaient de cacher à tous les regards et qu'une plume jalouse avait dénoncé à un rival, et voyons quelle avait été la cause de ce bruit que les deux amants avaient entendu dans la chambre contiguë, qui les avait un instant d'autant plus inquiétés qu'ils en avaient vainement cherché la cause.

Michele, on se le rappelle, avait suivi Luisa et ne s'était arrêté que sur le seuil de l'appartement de Salvato, au moment où le jeune officier s'était élancé au-devant de Luisa et l'avait pressée contre son coeur. Alors, il s'était discrètement retiré en arrière, quoiqu'il n'eût rien de nouveau à apprendre sur le sentiment que se portaient l'un à l'autre les deux amants, et s'était assis, sentinelle attentive, près de la porte, attendant les ordres ou de sa soeur de lait ou de son chef de brigade.

Luisa avait oublié que Michele fut là. Salvato, qui savait pouvoir compter sur sa discrétion, ne s'en inquiétait point, et la jeune femme, on s'en souvient, après avoir commencé par des instances pour faire fuir sans explication son amant, avait fini par lui tout avouer, hors le nom du chef de la conspiration.

Mais le nom du chef de la conspiration, Michele le savait.

Le chef de la conspiration, Luisa l'avouait elle-même à Salvato, c'était le jeune homme qui l'avait attendue jusqu'à deux heures du matin, qui n'était sorti de chez elle qu'à trois, et Giovannina avait dit à Michele, répondant à cette question du jeune lazzarone: «Qu'a donc Luisa, ce matin? Est-ce que, depuis que je suis devenu raisonnable, elle deviendrait folle, par hasard?» Giovannina avait dit, ne comprenant pas la terrible importance de sa réponse: «Je ne sais; mais elle est ainsi depuis la visite que lui a faite, cette nuit, M. André Backer.»

Donc, c'était M. André Backer, le banquier du roi, ce beau jeune homme si follement épris de Luisa, qui était le chef de la conspiration.

Maintenant, quel était le but de cette conspiration?

D'égorger dans une nuit les six ou huit mille Français qui occupaient Naples et, avec eux, tous leurs partisans.

Michele, à ce projet de nouvelles Vêpres siciliennes, s'était senti frémir dans son beau costume.

Il était un partisan des Français, lui, et un des plus chauds: il serait donc égorgé un des premiers, ou plutôt pendu, puisqu'il était déjà colonel.

Si la prédiction de Nanno devait se réaliser, Michele tenait au moins à ce que ce fût le plus tard possible.

Le délai qui lui était donné du jeudi matin à la nuit du vendredi ne lui paraissait point assez long.

Il lui sembla donc qu'en vertu de ce proverbe: «Il vaut mieux tuer le diable que le diable ne nous tue», il n'avait pas de temps à perdre pour se mettre en défense contre le diable.

Cela lui était d'autant plus facile, que sa conscience, à lui, n'était nullement agitée par les doutes qui bouleversaient celle de sa soeur de lait. On ne lui avait fait aucune confidence, il n'avait fait aucun serment.

La conspiration, il l'avait surprise en écoutant à la porte, comme le rémouleur, celle de Catilina; et encore, il n'avait pas écouté, il avait entendu, voilà tout.

Le nom du chef du complot, il le devinait parce que Giovannina le lui avait dit sans lui recommander le moins du monde le secret.

Il lui parut que c'était en laissant s'accomplir les projets réactionnaires de MM. Simon et André Backer qu'il mériterait véritablement le nom de fou, qu'on lui avait, à son avis, donné un peu légèrement, et qu'au contraire, devant les contemporains et la postérité, il mériterait, ni plus ni moins que Thalès et Solon, le nom de sage si, empêchant la contre-révolution d'avoir lieu, au prix de la vie de deux hommes, il sauvait celle de vingt-cinq ou trente mille.

Il était donc, sans perdre de temps, sorti de la chambre contiguë à celle où se tenaient les deux amants, et, en sortant, avait refermé la porte derrière lui, de manière que personne ne pût entrer sans être entendu.

C'était le bruit de cette porte qui avait inquiété Luisa et Salvato, lesquels eussent été bien plus inquiets encore si, sachant que c'était Michele le Fou qui l'ouvrait, ils eussent su dans quel but la fermait Michele le Sage.

CXIII
LES SCRUPULES DE MICHELE

Michele, en sortant de l'hôtel de la Ville, se jeta dans un calessino, au cocher duquel il promit un ducat si dans trois quarts d'heure il était à Castellamare.

Le cocher partit au galop.

J'ai raconté, il y a longtemps, l'histoire de ces malheureux chevaux-spectres qui n'ont que le souffle et qui vont comme le vent.

En quarante minutes, celui qui conduisait Michele eut franchi l'espace qui sépare Salerne de Castellamare.

Michele avait d'abord eu l'idée, en arrivant sur le pont et en voyant Giambardella orienter sa voile pour profiter d'une saute de vent qui avait eu lieu, de remonter à bord de la barque et de revenir à Naples avec lui. Mais le vent, qui était tombé une fois, pouvait tomber encore, ou, ayant sauté une première fois du sud-est au nord-est, sauter une seconde sur quelque autre point du compas, où il deviendrait tout à fait contraire, et où il faudrait recourir à la rame. Tout cela était excellent pour un fou, mais véritablement trop chanceux pour un sage.

Il résolut dont de s'arrêter à la locomotion terrestre, et, pour aller plus vite, de diviser sa route en deux relais: un premier, de Castellamare à Portici; un second, de Portici à Naples.

De cette façon, et moyennant un ducat par chaque relais, il pouvait être en moins de deux heures au palais d'Angri.

Nous disons au palais d'Angri, parce que c'était d'abord avec le général Championnet que Michele désirait conférer.

Car Michele, tout en allant au galop de son cheval, et tout en se grattant désespérément la tête, comme on herse une terre, pour y faire germer des idées, Michele sentait s'éveiller dans son esprit toute sorte de scrupules.

C'était un honnête garçon et un coeur loyal que Michele, et, au bout du compte, il se faisait dénonciateur.

Oui; mais, en se faisant dénonciateur, il sauvait la République.

Il était donc à peu près, et même tout à fait, décidé à dénoncer le complot; il n'hésitait plus que sur la façon de le dénoncer.

Or, en allant trouver le général Championnet, et en le consultant comme il ferait d'un confesseur sur un cas de conscience, il s'éclairerait de l'avis d'un homme qui, aux yeux de ses ennemis mêmes, passait pour un modèle de loyauté.

Voilà pourquoi nous avons dit qu'en moins de deux heures, il pouvait être au palais d'Angri, au lieu de dire qu'en moins de deux heures, il pouvait être au ministère de la police.

Et, en effet, grâce au relais Portici, grâce au ducat français donné à chaque relais, une heure cinquante minutes après être parti de Castellamare, Michele mettait le pied sur la première marche de l'escalier du palais d'Angri.

Le lazzarone s'était informé si le général Championnet était chez lui, et avait reçu du factionnaire une réponse affirmative.

Mais, dans l'antichambre, le planton lui dit que le général ne pouvait recevoir, étant fort occupé avec les architectes qui avait fait les projets du tombeau de Virgile.

Il répondit qu'il arrivait pour une chose bien autrement importante que le tombeau de Virgile, et qu'il fallait, sous peine des plus grands malheurs, qu'il parlât à l'instant même au général.

Tout le monde connaissait Michele le Fou; tout le monde savait comment, grâce à Salvato, il avait échappé à la mort; comment le général l'avait fait colonel, et quel service il avait rendu en conduisant saine et sauve une garde d'honneur à saint Janvier; on savait le général très accessible; on lui transmit donc la demande du colonel improvisé.

Il entrait dans les habitudes du général en chef de l'armée de Naples de ne négliger aucun avis.

Il s'excusa donc près des architectes, qu'il laissa au salon, en leur promettant de revenir aussitôt qu'il serait débarrassé de Michele; ce qui probablement ne serait pas long.

Puis il passa dans son cabinet et ordonna qu'on y introduisît Michele.

Michele se présenta et salua militairement; mais, malgré cet aplomb apparent et ce salut militaire, le pauvre garçon, qui n'avait jamais eu de prétention comme orateur, paraissait fort embarrassé.

 

Championnet devina cet embarras, et, avec sa bonté ordinaire, résolut de venir à son aide.

–Ah! c'est toi, ragazzo, dit-il en patois napolitain. Tu sais que je suis content de toi; tu te conduis à merveille et tu prêches comme don Michelangelo Ciccone.

Michele fut tout réconforté en entendant si bien parler son patois et en écoutant un homme comme Championnet faire un si bel éloge de lui.

–Mon général, répondit-il, je suis fier et heureux que vous soyez content de moi; mais ce n'est point assez.

–Comment, ce n'est point assez?

–Non; il faut encore que j'en sois content moi-même.

–Oh! diable, mon pauvre ami, tu es bien exigeant. Être content de soi-même, c'est la béatitude morale sur la terre. Quel est l'homme qui, interrogeant sévèrement sa conscience, sera content de lui-même?

–Moi, mon général, si vous voulez vous donner la peine d'éclairer et de diriger ma conscience.

–Mon cher ami, dit Championnet en riant, je crois que tu te trompes de porte; tu as cru entrer chez monseigneur Capece Zurlo, archevêque de Naples, et tu es entré chez Jean-Etienne Championnet, général en chef de l'armée française.

–Oh! non pas, mon général, répondit Michele; je sais bien chez qui je suis entré: chez le plus honnête, le plus brave et le plus loyal soldat de l'armée qu'il commande.

–Oh! oh! de la flatterie: tu as donc une grâce à me demander?

–Non pas; au contraire, j'ai un service à vous rendre.

–A me rendre?

–Oui, et un solide!

–A moi?

–A vous, à l'armée française, au pays… Seulement, il faut que je sache si je puis vous rendre ce service et rester honnête homme, et si, le service rendu, vous me donnerez encore la main comme vous venez de me la donner tout à l'heure.

–Il me semble que tu as sur ce point un meilleur guide que moi, ta conscience.

–Justement, c'est ma conscience qui ne sait pas parfaitement à quoi s'en tenir.

–Tu connais le proverbe, dit le général, qui oubliait ses architectes et s'amusait de la conversation du lazzarone: «Dans le doute, abstiens-toi.»

–Et, si je m'abstiens, et que, m'étant abstenu, il arrive de grands malheurs?

–Ainsi, comme tu le disais tout à l'heure, tu doutes?

–Oui, mon général, je doute, reprit Michele, et je crains de m'abstenir. C'est un singulier pays que le nôtre, voyez-vous, mon général, dans lequel par malheur, grâce à l'influence de nos souverains, il n'y a plus de sens moral ni de conscience publique. Vous n'entendrez jamais dire: «Monsieur tel est un honnête homme,» ou: «Monsieur tel est un coquin;» vous entendrez dire: «Monsieur tel est riche,» ou: «Monsieur tel est pauvre.» S'il est riche, cela suffit: c'est un honnête homme; s'il est pauvre, il est jugé: c'est une canaille. Vous avez envie de tuer quelqu'un, vous allez trouver un prêtre et vous lui dites: «Mon père, est-ce un crime d'ôter la vie à son prochain?» Le prêtre vous répond.: «C'est selon, mon fils. Si ton prochain est un jacobin, tue en toute sûreté de conscience; mais, si c'est un royaliste, garde-t'en bien!» Autant tuer un jacobin est une oeuvre méritoire aux yeux de la religion, autant tuer un royaliste est un crime abominable aux yeux du Seigneur. «Espionnez, dénoncez, nous disait la reine; je donnerai de si grandes faveurs aux espions, je récompenserai si bien les délateurs, que les premiers du royaume se feront dénonciateurs et espions.» Eh bien, mon général, que voulez-vous que nous devenions, nous, quand nous entendons dire par la voix générale: «Tout riche est un honnête homme, tout pauvre est un coquin;» quand nous entendons dire par la religion: «Il est bon de tuer les jacobins; mais il est mauvais de tuer les royalistes;» enfin, quand nous entendons dire par la royauté: «L'espionnage est un mérite, la délation est une vertu?» Nous n'avons qu'une chose à faire: c'est de venir à un étranger et de lui dire: Vous avez été élevé dans d'autres principes que les nôtres; que pensez-vous qu'un honnête homme doive faire dans telle circonstance?

–Voyons la circonstance, demanda le général étonné.

–Elle est grave, mon général. Ainsi, supposer que, sans vouloir l'entendre, j'aie entendu dans tous ses détails le récit d'un complot, que ce complot menace d'assassinat trente mille personnes à Naples, quelles que soient les personnes menacées, patriotes ou royalistes, que dois-je faire?

–Empêcher le complot d'avoir lieu, c'est incontestable, et, en le faisant avorter, sauver la vie à trente mille personnes.

–Même quand ce complot menacerait nos ennemis?

–Surtout si ce complot menaçait nos ennemis!

–Si vous pensez ainsi, mon général, comment faites-vous la guerre?

–Je fais la guerre pour combattre au grand jour et non pour assassiner la nuit. Combattre est glorieux; assassiner est lâche.

–Mais je ne puis faire avorter le complot qu'en le dénonçant.

–Dénonce-le.

–Mais, alors, je suis…

–Quoi?

–Un délateur.

–Un délateur est celui qui révèle le secret qui lui a été confié et qui, dans l'espoir d'une récompense, trahit ses complices. Les hommes qui conspiraient étaient-ils tes complices?

–Non, mon général.

–Les dénonces-tu dans l'espoir d'une récompense?

–Non, mon général.

–Alors, tu n'es point un délateur: tu es un honnête homme qui, ne voulant point que le mal ait lieu, coupe le mal dans sa racine.

–Mais, si, au lieu de menacer les royalistes, ce complot vous menaçait, vous, mon général, menaçait les soldats français, menaçait les patriotes, que devrais-je faire?

–Je t'ai indiqué ton devoir à l'égard de nos ennemis: ma morale sera la même à l'endroit de nos amis. En sauvant les ennemis, tu eusses bien mérité de l'humanité; en sauvant les amis, tu auras bien mérité de la patrie.

–Et vous continuerez de me donner la main?

–Je te la donne.

–Eh bien, attendez, mon général, je vais vous dire une partie de la chose, et je laisserai une autre personne vous dire le reste.

–Je t'écoute.

–Pendant la nuit de vendredi à samedi, une conspiration doit éclater. Les dix mille déserteurs de Mack et de Naselli, réunis à vingt mille lazzaroni, doivent égorger tous les Français et tous les patriotes; des croix seront faites dans la soirée, sur les portes des maisons condamnées, et, à minuit, la boucherie commencera.

–Tu es sûr de cela?

–Comme de mon existence, mon général.

–Mais, enfin, les meurtriers risquent d'assassiner les royalistes en même temps que les Jacobins?

–Non; car les royalistes n'auront qu'à montrer une carte de sûreté et à faire un signe, ils seront épargnés.

–Sais-tu ce signe? connais-tu cette carte de sûreté?

–La carte de sûreté représente une fleur de lis; le signe consiste à se mordre la première phalange du pouce.

–Et comment peux-tu empêcher le complot d'avoir lieu?

–En faisant arrêter les chefs.

–Connais-tu les chefs?

–Oui.

–Quels sont leurs noms?

–Ah! voilà…

–Que veux-tu dire par ce mot Voilà?

–Je veux dire que voilà où le doute non-seulement commence, mais redouble.

–Ah! ah!

–Que fera-t-on aux chefs du complot?

–Leur procès.

–Et, s'ils sont coupables?..

–Ils seront condamnés.

–A quoi?

–A mort.

–Eh bien, à tort ou à raison, ma conscience crie. On m'appelle Michele le Fou; mais jamais je n'ai fait de mal ni à un homme, ni à un chien, ni à un chat, pas même à un oiseau. Je voudrais ne pas être cause de la mort d'un homme. Je voudrais que l'on continuât de m'appeler Michele le Fou; mais je voudrais bien qu'on ne m'appelât jamais ni Michele le dénonciateur, ni Michele le traître, ni Michele l'homicide.

Championnet regarda le lazzarone avec une espèce de respect.

–Et, si je te baptise Michele l'honnête homme, te contenteras-tu de ce titre?

–C'est-à-dire que je n'en demanderai jamais d'autre, et que j'oublierai mon premier parrain pour ne me souvenir que du second.

–Et bien, au nom de la république française et de la république napolitaine, je te baptise du nom de Michele l'honnête homme.

Michele saisit la main du général pour la lui baiser.

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