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La San-Felice, Tome 05

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XCVII
OU L'AUTEUR EST FORCÉ D'EMPRUNTER A SON LIVRE DU Corricolo UN CHAPITRE TOUT FAIT, N'ESPÉRANT PAS FAIRE MIEUX

Nous ne suivrons pas les reliques de saint Janvier dans les différentes pérégrinations qu'elles ont accomplies et qui les conduisirent de Pouzzoles à Naples, de Naples à Bénévent, et enfin les ramenèrent de Bénévent à Naples; cette narration nous entraînerait à l'histoire du moyen âge tout entière, et l'on a tant abusé de cette intéressante époque, qu'elle commence à passer de mode.

C'est depuis le commencement du XVIe siècle seulement que saint Janvier a un domicile fixe et inamovible, d'où il ne sort que deux fois par an, pour aller faire son miracle à la cathédrale de Sainte-Claire, sépulture des rois de Naples. Deux ou trois fois, par hasard, on dérange bien encore le saint; mais il faut de ces grandes circonstances qui remuent un empire ou qui bouleversent une province pour le faire sortir de ses habitudes sédentaires, et chacune de ces sorties devient un événement dont le souvenir se perpétue et grandit par tradition orale dans la mémoire du peuple napolitain.

C'est à l'archevêché, et dans la chapelle du trésor, que, tout le reste de l'année, demeure saint Janvier. Cette chapelle fut bâtie par les nobles et les bourgeois napolitains; c'est le résultat d'un voeu qu'ils firent simultanément, en 1527, épouvantés qu'ils étaient par la peste qui désola, cette année, la très fidèle ville de Naples. La peste cessa, grâce à l'intervention du saint, et la chapelle fut bâtie comme signe de la reconnaissance publique.

A l'opposé des votants ordinaires qui, lorsque le danger est passé, oublient le plus souvent le saint auquel ils se sont voués, les Napolitains mirent une telle conscience à remplir vis-à-vis de leur patron l'engagement pris, que doña Catherine de Sandoval, femme du vieux comte de Lemos, vice-roi de Naples, leur ayant offert de contribuer, de son côté, pour une somme de trente mille ducats, à la confection de la chapelle, ils refusèrent cette somme, déclarant qu'ils ne voulaient partager avec aucun étranger, fut-il leur vice-roi ou leur vice-reine, l'honneur de loger dignement leur saint protecteur.

Or, comme ni l'argent ni le zèle ne manquèrent, la chapelle fut bientôt bâtie, il est vrai que, pour se maintenir mutuellement en bonne volonté, nobles et bourgeois avaient passé une obligation, laquelle existe encore, devant maître Vicenzo de Bassis, notaire public. Cette obligation porte la date du 13 janvier 1527. Ceux qui l'ont signée s'engagent à fournir, pour les frais du bâtiment, la somme de treize mille ducats; mais il paraît qu'à partir de cette époque, il fallait déjà commencer à se défier du devis des architectes: la porte seule coûta cent trente cinq mille francs, c'est-à-dire une somme triple de celle qui était allouée pour les frais généraux de la chapelle.

La chapelle terminée, on décida qu'on appellerait, pour l'orner de fresques représentant les principales actions de la vie du saint, les premiers peintres du monde. Malheureusement, cette décision ne fut point approuvée par les peintres napolitains, qui décidèrent, à leur tour, que la chapelle ne serait ornée que par les artistes indigènes, lesquels jurèrent que tout rival qui répondrait à l'appel s'en repentirait cruellement.

Soit qu'ils ignorassent ce serment, soit qu'ils ne crussent point à son exécution, le Guide, le Dominiquin et le chevalier d'Arpino accoururent. Mais le chevalier d'Arpino fut obligé de fuir, avant même d'avoir mis le pinceau à la main. Le Guide, après deux tentatives d'assassinat, auxquelles il n'échappa que par miracle, quitta Naples à son tour. Le Dominiquin seul, aguerri par les persécutions qu'il avait éprouvées, las d'une vie que ses rivaux lui avaient faite si triste et si douloureuse, n'écouta ni insultes ni menaces, et continua de peindre. Il avait fait successivement la Femme guérissant les malades (avec l'huile de la lampe qui brûle devant saint Janvier); la Résurrection d'un jeune homme et la coupole, lorsqu'un jour il se trouva mal sur son échafaud. On le rapporta chez lui: il était empoisonné.

Alors, les peintres napolitains se crurent délivrés de toute concurrence; mais il n'en était point ainsi. Un matin, ils virent arriver Gessi, qui venait avec deux de ses élèves pour remplacer le Guide, son maître. Huit jours après, les deux élèves, attirés sur une galère, avaient disparu, sans que jamais plus depuis on entendît reparler d'eux. Alors, Gessi, abandonné, perdit courage et se retira à son tour, et l'Espagnolet, Corenzio, Lanfranco et Stanzoni se trouvèrent maîtres à eux seuls de ce trésor de gloire et d'avenir auquel ils étaient arrivés par des crimes.

Ce fut alors que l'Espagnolet peignit son Saint sortant de la fournaise, composition titanesque; – Stanzoni, la Possédée délivrée par le saint, – et enfin Lanfranco, la coupole, à laquelle il refusa de mettre la main tant que les fresques commencées par le Dominiquin aux angles des voûtes ne seraient pas entièrement effacées.

Ce fut à cette chapelle, où l'art aussi avait eu ses martyrs, que furent confiées les reliques du saint.

Ces reliques se conservent dans une niche placée derrière le maître-autel; cette niche est séparée en deux parties par un compartiment de marbre, afin que la tête du saint ne puisse regarder son sang, événement qui pourrait faire arriver le miracle avant l'époque fixée, puisque, disent les chanoines, c'est par le contact de la tête et des fioles que le sang figé se liquéfie; enfin, elle est close par deux portes d'argent massif, sculptées aux armes du roi d'Espagne Charles II.

Ces portes sont fermées par deux clefs, dont l'une est gardée par l'archevêque, et l'autre par une compagnie tirée au sort parmi les nobles, et qu'on appelle les députés du Trésor. On voit que saint Janvier jouit tout juste de la liberté accordée aux doges, qui ne pouvaient jamais dépasser l'enceinte de la ville, et qui ne sortaient de leur palais qu'avec la permission du sénat. Si cette réclusion a ses inconvénients, elle a bien aussi ses avantages. Saint Janvier y gagne de ne point être dérangé à toute heure du jour et de la nuit comme un médecin de village. Aussi, les chanoines, les diacres, les sous-diacres, les bedeaux, les sacristains et jusqu'aux enfants de choeur de l'archevêché connaissent-ils bien la supériorité de leur position sur leurs confrères les gardiens des autres saints.

Un jour que le Vésuve faisait des siennes, et que sa lave, au lieu de suivre sa route ordinaire, ou d'aller pour la huitième ou neuvième fois faucher Torre-del-Greco, se dirigeait sur Naples, il y eut émeute des lazzaroni, qui justement avaient le moins à perdre en tout cela, mais qui sont toujours à la tête des émeutes, par tradition probablement. Ces lazzaroni se portèrent à l'archevêché et commencèrent à crier pour que l'on sortît le buste de saint Janvier, et qu'on le portât à l'encontre de l'inondation de flammes. Mais ce n'était point chose facile que de leur accorder ce qu'ils demandaient. Saint Janvier était sous double clef, et une de ces deux clefs était entre les mains de l'archevêque, pour le moment en course dans son diocèse, tandis que l'autre était entre les mains des députés, qui, occupés à déménager ce qu'ils avaient de plus précieux, couraient, les uns d'un côté, les autres de l'autre.

Heureusement, le chanoine de garde était un gaillard qui avait le sentiment de la position aristocratique que son saint occupait au ciel et sur la terre. Il se présenta au balcon de l'archevêché, qui dominait toute la place encombrée de monde; il fit signe qu'il voulait parler, et, balançant la tête de haut en bas, en homme étonné de l'audace de ceux à qui il a affaire:

–Vous me paraissez encore de plaisants drôles, dit-il, de venir ici crier: «Saint Janvier! saint Janvier!» comme vous crieriez: «Saint Fiacre!» ou: «Saint Crépin!» Apprenez, canailles! que saint Janvier est un seigneur qui ne se dérange pas ainsi pour le premier venu.

–Tiens! dit un raisonneur, Jésus-Christ se dérange bien pour le premier venu. Quand je demande le bon Dieu, moi, est-ce qu'on me le refuse?

Le chanoine se mit à rire avec une expression de foudroyant mépris.

–Voilà justement où je vous attendais, reprit-il. De qui est fils Jésus-Christ, s'il vous plaît? D'un charpentier et d'une pauvre fille. Jésus-Christ est tout simplement un lazzarone de Nazareth, tandis que saint Janvier, c'est bien autre chose: il est fils d'un sénateur et d'une patricienne. C'est donc, vous le voyez bien, un autre personnage que Jésus-Christ. Allez donc chercher le bon Dieu, si vous voulez. Quant à saint Janvier, c'est moi qui vous le dis, vous aurez beau vous réunir en nombre dix fois plus grand et crier dix fois plus fort, il ne se dérangera pas, car il a le droit de ne pas se déranger.

–C'est juste, dit la foule. Allons chercher le bon Dieu.

Et l'on alla chercher le bon Dieu, qui, moins aristocrate, en effet, que saint Janvier, sortit de l'église Sainte-Claire et s'en vint, suivi de son cortége populaire, au lieu qui réclamait sa miséricordieuse présence.

Mais, soit que le bon Dieu ne voulût pas empiéter sur les droits de saint Janvier, soit qu'il n'eût pas le pouvoir de dire à la lave ce qu'il a dit à la mer, la lave continua d'avancer quoiqu'elle fût conjurée au nom de l'hostie sainte et de la présence réelle.

Le danger redoublait donc, et les cris avec le danger, lorsque la statue de marbre de saint Janvier, qui domine le pont de la Madeleine, et qui, jusque-là, avait tenu sa main droite appuyée sur son coeur, la détacha et retendit vers la lave avec un geste de domination répondant à celui qui accompagnait le Quos ego de Neptune.

La lave s'arrêta.

On comprend quelle fut la gloire de saint Janvier après ce nouveau miracle.

Le roi Charles III, père de Ferdinand, avait été témoin du fait. Il chercha ce qu'il pouvait faire pour honorer saint Janvier. Ce n'était pas chose facile. Saint Janvier était noble, saint Janvier était riche, saint Janvier était saint, saint Janvier-il venait de le prouver-était plus puissant que le bon Dieu. Il donna à saint Janvier une dignité à laquelle celui-ci n'avait évidemment jamais eu même l'idée d'atteindre: il le nomma COMMANDANT GÉNÉRAL des troupes napolitaines, avec trente mille ducats d'appointements.

 

C'est pourquoi Michele, sans mentir, pouvait répondre à Luisa Felice, qui lui demandait où était Salvato:

–Il est de garde jusqu'à demain dix heures et demie du matin près du COMMANDANT GÉNÉRAL.

Et, en effet, comme le disait le bon chanoine, et comme nous l'avons répété après lui, saint Janvier est un saint aristocratique. Il a un cortége de saints inférieurs qui reconnaissent sa suprématie, à peu près comme les clients romains reconnaissaient celle de leur patron. Ces saints le suivent quand il sort, le saluent quand il passe, l'attendent quand il rentre. C'est le conseil des ministres de saint Janvier.

Voici comment se recrute cette troupe de saints secondaires, garde, cortége et cour du bienheureux évêque de Bénévent.

Toute confrérie, tout ordre religieux, toute paroisse, tout particulier qui tient à faire déclarer un saint de ses amis patron de Naples, sous la présidence de saint Janvier, n'a qu'à faire fondre une statue d'argent massif du prix de huit mille ducats et à l'offrir à la chapelle du Trésor. La statue, une fois admise, est retenue à perpétuité dans la susdite chapelle. A partir de ce moment, elle jouit de toutes les prérogatives de sa présentation en règle. Comme les anges et les archanges qui, au ciel, glorifient éternellement Dieu, autour duquel ils forment un choeur, eux glorifient éternellement saint Janvier. En échange de cette béatitude qui leur est accordée, ils sont condamnés à la même réclusion que saint Janvier. Ceux mêmes qui en ont fait don à la chapelle ne peuvent plus les tirer de leur sainte prison qu'en déposant entre les mains d'un notaire le double de la valeur de la statue à laquelle, soit pour son plaisir particulier, soit dans l'intérêt général, on désire faire voir le jour. La somme déposée, le saint sort pour un temps plus ou moins long. Le saint rentré, son identité constatée, le propriétaire, muni du reçu de son saint, va retirer sa somme. De cette façon, on est sûr que les saints ne s'égarent point, ou que, s'ils s'égarent, ils ne seront, du moins, pas perdus, puisque, avec l'argent déposé, on pourra en faire fondre deux au lieu d'un.

Cette mesure qui, au premier abord, peut paraître arbitraire, n'a été prise, il faut le dire, qu'après que le chapitre de saint Janvier a été dupe de sa trop grande confiance. La statue de san Gaetano, sortie sans dépôt, non-seulement ne rentra point au jour convenu, mais ne rentra même jamais. On eut beau essayer d'accuser le saint lui-même et prétendre qu'ayant toujours été assez médiocrement affectionné à saint Janvier, il avait profité de la première occasion qui s'était présentée pour faire une fugue, les témoignages les plus respectables vinrent en foule contredire cette calomnieuse assertion, et, recherches faites, il fut reconnu que c'était un cocher de fiacre qui avait détourné la précieuse statue. On se mit à la poursuite du voleur; mais, comme il avait eu deux jours devant lui, qu'il avait une voiture attelée de deux chevaux pour fuir, et que la police, n'en ayant pas, était obligée de le poursuivre à pied, il avait probablement passé la frontière romaine; de sorte que, si minutieuses que fussent les recherches, elles n'amenèrent aucun résultat. Depuis ce malheureux jour, une tache indélébile s'étendit sur la respectable corporation des cochers de fiacre, qui, jusque-là, à Naples comme en France, avait disputé aux caniches la suprématie de la fidélité, et qui n'osa plus se faire peindre, revenant au domicile de la pratique une bourse à la main, avec cet exergue: Au Cocher fidèle. Il y a plus: si vous avez à Naples une discussion avec un cocher de fiacre et que vous pensiez que la discussion vaille la peine d'appliquer à votre adversaire une de ces immortelles injures que le sang seul peut effacer, ne jurez ni par la Pasque-Dieu, comme jurait Louis XI, ni par Ventre-saint-gris, comme jurait Henri IV; jurez tout simplement par san Gaetano, et vous verrez votre ennemi tomber à vos pieds pour vous demander excuse. Il est vrai que, deux fois sur trois, il se relèvera pour vous donner un coup de couteau.

Comme on le comprend bien, les portes du Trésor sont toujours ouvertes pour recevoir les saints qui désirent faire partie de la cour de saint Janvier, et cela, sans aucune investigation de date et sans que le récipiendaire ait besoin de faire ses preuves de 1399 ou de 1426. La seule règle exigée, la seule condition sine qua non, c'est que la statue soit d'argent pur, qu'elle soit contrôlée et qu'elle pèse le poids.

Cependant, la statue serait d'or et pèserait le double, qu'on ne la refuserait pas pour cela. Les seuls jésuites, qui, comme on le sait, ne négligent aucun moyen de maintenir ou d'augmenter leur popularité, ont déposé cinq statues au Trésor dans l'espace de moins de trois ans.

Maintenant, nous espérons que ces détails, que nous avons crus indispensables, une fois donnés, le lecteur comprendra l'importance de l'annonce faite par le général en chef de l'armée française.

XCVIII
COMMENT SAINT JANVIER FIT SON MIRACLE ET DE LA PART QU'Y PRIT CHAMPIONNET

Dès le point du jour, les accès de la cathédrale de Sainte-Claire étaient encombrés par une effroyable affluence de peuple. Les parents de saint Janvier, les descendants de la vieille femme que l'aveugle rencontra dans le forum de Vulcano recueillant le sang du saint dans des fioles, avaient pris leurs places dans le choeur, non pour activer le miracle, comme c'est leur habitude, mais pour l'empêcher, si c'était possible. La cathédrale était déjà pleine et dégorgeait dans la rue.

Toute la nuit, les cloches avaient sonné à pleine volée. On eût dit qu'un tremblement de terre les mettait en branle, tant elles carillonnaient, isolées les unes des autres, dans une indépendance tout individuelle.

Championnet avait donné l'ordre que pas une cloche ne dormît cette nuit-là. Il fallait non-seulement que Naples, mais que toutes les villes, tous les villages, toutes les populations environnantes fussent avertis que saint Janvier était mis en demeure de faire son miracle.

Aussi, dès le point du jour, les principales rues de Naples apparurent-elles comme des canaux roulant des fleuves d'hommes, de femmes et d'enfants. Toute cette foule se dirigeait vers l'archevêché pour prendre sa place à la procession qui, à sept heures du matin, devait se mettre en route, de l'archevêché à la cathédrale.

En même temps, par toutes les portes de la ville, entraient les pêcheurs de Castellamare et de Sorrente, les corailleurs de Torre-del-Greco, les marchands de macaroni de Portici, les jardiniers de Pouzzoles et de Baïa, enfin les femmes de Procida, d'Ischia, d'Acera, de Maddalone, dans leurs plus riches atours. Au milieu de toute cette foule diaprée, bruyante, dorée, passait de temps en temps une vieille femme aux cheveux gris et épars, pareille à la sibylle de Cumes, criant plus haut, gesticulant plus fort que tout le monde, fendant la presse sans s'inquiéter des coups qu'elle donnait, entourée, au reste, sur tout son chemin, de respect et de vénération. C'était quelque parente de saint Janvier en retard, se hâtant de rejoindre ses compagnes pour prendre, à la procession ou dans le choeur de Sainte-Claire, la place qui lui appartenait de droit.

Dans les temps ordinaires, et quand le miracle doit se faire à sa date, la procession met un jour pour se rendre de l'archevêché à la cathédrale; les rues sont tellement encombrées, qu'il lui faut quatorze ou quinze heures pour parcourir un trajet d'un demi-kilomètre.

Mais, cette fois, il ne s'agissait point de s'amuser en route, de s'arrêter aux portes des cafés et des cabarets, de faire trois pas en avant et un en arrière, comme les pèlerins qui ont fait un voeu. Une double haie de soldats républicains s'étendait de l'archevêché à Sainte-Claire, dégageant le passage, dissipant les groupes, faisant disparaître enfin tout obstacle que la procession pouvait rencontrer. Seulement, ils avaient la baïonnette au côté et des bouquets de fleurs dans le canon de leur fusil.

Et, en effet, la procession devait faire en soixante minutes le trajet qu'elle fait ordinairement en quinze heures.

A sept heures précises, Salvato et sa compagnie, c'est-à-dire la garde d'honneur de saint Janvier, ayant au milieu d'eux Michele, revêtu de son bel uniforme, et portant une bannière sur laquelle était écrit en lettres d'or: GLOIRE A SAINT JANVIER! se mirent en route, partant de l'archevêché pour la cathédrale.

Aussi cherchait-on vainement, dans cette cérémonie toute militaire, cet étrange laisser aller qui fait le caractère distinctif de la procession de saint Janvier à Naples.

D'habitude, en effet, et lorsqu'elle est abandonnée à elle-même, la procession s'en va vagabonde comme la Durance ou indépendante comme la Loire, battant de ses flots le double rang de maisons qui forme ses rives, s'arrêtant tout à coup sans qu'on sache pourquoi elle s'arrête, se remettant en marche sans que l'on puisse deviner le motif qui lui rend le mouvement. On ne voyait pas briller au milieu des flots du peuple les uniformes couverts d'or, de cordons, de croix, des officiers napolitains, un cierge renversé à la main, escortés chacun de trois ou quatre lazzaroni qui se heurtent, se culbutent, se renversent pour recueillir dans un cornet de papier gris la cire qui tombe de leurs cierges, tandis que les officiers, la tête haute, ne s'occupant point de ce qui se passe à leurs pieds et autour d'eux, faisant royalement largesse d'un ou deux carlins de cire, lorgnent les dames amassées aux fenêtres et sur les balcons, lesquelles, tout en ayant l'air de jeter des fleurs sur le chemin de la procession, leur envoient des bouquets en échange de leurs clins d'oeil.

On cherchait encore et vainement, autour de la croix ou de la bannière, mêlés au peuple dont le flot les enveloppe en les isolant, ces moines de tous les ordres et de toutes les couleurs, capucins, chartreux, dominicains, camaldules, carmes chaussés ou déchaussés; – les uns au corps gros, gras, rond, court, avec une tête enluminée posée carrément sur de larges épaules, s'en allant comme à une fête de campagne ou à une foire de village, sans aucun respect de cette croix qui les domine, de cette bannière qui jette son ombre flottante sur leur front; riant, chantant, causant, offrant, dans leur tabatière de corne, du tabac aux maris, donnant des consultations aux femmes enceintes, des numéros de loterie à celles qui ne le sont pas, regardant, un peu plus charnellement qu'il ne convient aux règles de leur ordre, les jeunes filles étagées sur le pas des portes, sur les bornes des coins de rue et sur le perron des palais; – les autres, longs, minces, maigres, émaciés par le jeûne, pâlis par l'abstinence, affaiblis par les austérités, levant au ciel leur front d'ivoire, leurs yeux caves et bistrés, marchant sans voir, emportés par le flot humain, spectres vivants, fantômes palpables qui se sont fait un enfer de ce monde, dans l'espoir que cet enfer les conduira tout droit en paradis, et qui, aux grands jours des fêtes religieuses, recueillent le fruit de leurs douleurs claustrales par le respect craintif dont ils sont environnés.

Non! pas de peuple, pas de moines, gras ou maigres, ascétiques ou mondains, à la suite de la croix et de la bannière. Le peuple est entassé dans les rues étroites, dans les ruelles et les vicoli: il regarde d'un oeil menaçant les soldats français, qui marchent insoucieusement au pas au milieu de cette foule, où chaque individu qui la compose a la main sur son couteau, n'attendant que le moment de le tirer de sa poitrine, de sa poche ou de sa ceinture, et de le plonger dans le coeur de cet ennemi victorieux, qui a déjà oublié sa victoire et qui remplace les moines dans les oeillades et dans les compliments, mais qui, moins bien reçu qu'eux, n'obtient, en échange de ses avances, que des murmures et des grincements de dents.

Quant aux moines, ils sont là, mais disséminés dans la foule, qu'ils excitent tout bas au meurtre et à la rébellion. Cette fois, si différente que soit la robe qu'ils portent, leur opinion est la même, et cette voix, comme on dit à Naples, serpente dans la foule, pareille à un éclair chargé d'orage: «Mort aux hérétiques! mort aux ennemis du roi et de notre sainte religion! mort aux profanateurs de saint Janvier! mort aux Français!»

 

Après la croix et la bannière, portées par des gens d'Église et escortées seulement de Pagliuccella, que Michele avait rallié à lui, puis fait sous-lieutenant, et qui lui-même avait rallié une centaine de lazzaroni, objets pour le moment des sarcasmes de leurs compagnons et des anathèmes des moines, venaient les soixante-quinze statues d'argent des patrons secondaires de la ville de Naples, lesquels, comme nous l'avons dit, forment la cour de saint Janvier.

Quant à saint Janvier, pendant la nuit, son buste avait été transporté à Sainte-Claire, et il attendait sur l'autel, exposé à la vénération des fidèles.

Cette escorte de saints, qui, par la réunion des noms les plus honorés du calendrier et du martyrologe, commande ordinairement sur son passage le respect et la vénération, devait être fort indignée, ce jour-là, de la façon dont elle était reçue et des apostrophes qui lui étaient adressées.

Et, en effet, comme on craignait que la plupart de ces saints, adorés en France, ne donnassent à saint Janvier le conseil de favoriser les Français, les lazzaroni, que la chronique publique avait mis au courant des peccadilles que les bienheureux avaient à se reprocher, les apostrophaient au fur et à mesure qu'ils passaient, reprochant à saint Pierre ses trahisons, à saint Paul son idolâtrie, à saint Augustin ses fredaines, à sainte Thérèse ses extases, à saint François Borgia ses principes, à saint Gaetano son insouciance, et cela, avec des vociférations qui faisaient le plus grand honneur au caractère des saints et qui prouvaient qu'en tête des vertus qui leur avaient ouvert le paradis, figuraient la patience et l'humilité.

Chacune de ces statues s'avançait, portée sur les épaules de six hommes, et précédée de six prêtres appartenant aux églises où ces saints étaient particulièrement honorés, et chacune d'elles soulevait sur sa route les hourras que nous avons dits et qui, au fur et à mesure qu'elles approchaient de l'église, passaient des vociférations aux menaces.

Ainsi apostrophées, ainsi menacées, les statues arrivèrent enfin à l'église Sainte-Claire, firent humblement la révérence à saint Janvier, et allèrent prendre leur place en face de lui.

Après les saints, venait l'archevêque, monseigneur Capece Zurlo, que nous avons déjà vu apparaître dans les troubles qui ont précédé l'arrivée des Français, et qui était fortement soupçonné de patriotisme.

Le torrent aboutit à l'église Sainte-Claire, où tout s'engouffra. Les cent vingt hommes de Salvato formaient une haie allant du portail au choeur, et lui-même était à l'entrée de la nef, son sabre à la main.

Voici le spectacle que présentait l'église encombrée:

Sur le maître-autel était, d'un côté, le buste de saint Janvier; de l'autre, la fiole contenant le sang.

Un chanoine était de garde devant l'autel; l'archevêque, qui n'a rien à faire avec le miracle, s'était retiré sous son dais.

A droite et à gauche de l'autel était une tribune, de manière qu'entre ces deux tribunes se trouvait l'autel: la tribune de gauche chargée de musiciens attendant, leurs instruments à la main, que le miracle se fit pour le célébrer; la tribune de droite encombrée de vieilles femmes s'intitulant parentes de saint Janvier, venant là, d'habitude, pour activer le miracle par leurs accointances avec le saint, et venues, cette fois, pour l'empêcher de se faire.

Au haut des marches conduisant au choeur s'étendait une grande balustrade de cuivre doré, à l'ouverture de laquelle, nous l'avons dit, se tenait Salvato, le sabre à la main.

Devant cette balustrade, c'est-à-dire à sa droite et à sa gauche, venaient s'agenouiller les fidèles.

Le chanoine, debout devant l'autel, prenait alors la fiole et la leur faisait baiser, montrant à tous le sang parfaitement coagulé; puis les fidèles, satisfaits, se retiraient pour faire place à d'autres. Cette adoration du bienheureux sang avait commencé à huit heures et demie du matin.

Le saint, qui a ordinairement un jour, deux jours et même trois jours pour faire son miracle, et qui quelquefois, au bout de trois jours, ne l'a pas fait, avait deux heures et demie pour le faire.

Le peuple était convaincu que le miracle ne se ferait pas, et les lazzaroni, en se comptant et en voyant le peu de Français qu'il y avait dans l'église, se promettaient si, à dix heures et demie sonnantes, le miracle n'était pas fait, d'avoir bon marché d'eux.

Salvato avait donné l'ordre à ses cent vingt hommes, lorsqu'ils entendraient sonner dix heures, et, par conséquent, lorsque le moment décisif approcherait, d'enlever les bouquets qui ornaient les canons des fusils et d'y substituer les baïonnettes.

Si, à dix heures et demie, le miracle ne s'opérait point et si des menaces se faisaient entendre, une manoeuvre était commandée pour que les cent vingt grenadiers fissent demi-tour, les uns à droite, les autres à gauche, abaissassent les armes, et, au lieu de présenter le dos à la foule, lui présentassent la pointe de leurs baïonnettes. Au commandement «Feu!» une fusillade terrible s'engagerait; chaque Français avait cinquante cartouches à tirer.

En outre, une batterie de canons avait été établie pendant la nuit au Mercatello, enfilant toute la rue de Tolède; une autre à la strada dei Studi, enfilant le largo delle Pigne et la strada Foria; enfin deux batteries, adossées, l'une au château de l'Oeuf, l'autre à la Victoria, enfilaient d'un côté tout le quai de Santa-Lucia, et de l'autre toute la rivière de Chiaïa.

Le Château-Neuf et le château del Carmine, pourvus de garnison française, se tenaient prêts à tout événement, et Nicolino, sur les remparts du château Saint-Elme, une lunette à la main, n'avait qu'un signe à faire à ses artilleurs pour qu'ils commençassent le feu qui, terrible traînée de poudre, incendierait Naples.

Championnet était à Capodimonte, avec une réserve de trois mille hommes, à la tête de laquelle il devait, selon les circonstances, faire son entrée solennelle et pacifique à Naples, ou descendre, la baïonnette en avant, sur Tolède. On voit que, même à part cette prière à saint Janvier, qui devait être décisive et sur laquelle comptait Championnet, toutes les mesures étaient prises, et que, si l'on s'apprêtait à attaquer d'un côté, on était près de l'autre à se défendre.

Au reste, jamais rumeurs plus menaçantes n'avaient couru dans les rues, au-dessus d'une foule plus compacte, et jamais angoisses plus émouvantes ne furent ressenties par ceux qui, de leurs balcons ou de leurs fenêtres, dominaient cette foule et attendaient ou que la paix fut définitivement rétablie, ou que les massacres, les incendies et les pillages recommençassent.

Au milieu de cette foule, et la poussant à la révolte, étaient ces mêmes agents de la reine que nous avons déjà vus si souvent à l'oeuvre, les Pasquale de Simone, le beccaïo et ce terrible prêtre calabrais, le curé Rinaldi, qui, de même que l'écume ne se montre à la surface de la mer que les jours de tempête, ne se montrait à la surface de la société que les jours d'émeute et de boucherie.

Tous ces cris, tout ce tumulte, toutes ces menaces cessaient à l'instant même, comme par magie, dès que l'on entendait la première vibration du marteau des horloges frappant le timbre et marquant l'heure. Cette multitude, attentive, comptait alors les coups de marteau, mais, l'heure sonnée, remontait aussitôt à ce diapason de rumeurs confuses qui n'a de comparable que le mugissement de la mer.

Elle compta ainsi huit heures, neuf heures, dix heures.

A dix heures sonnantes, au milieu du silence qui se faisait pour écouter sonner l'heure dans l'église comme dehors, les grenadiers de Salvato enlevèrent les bouquets du canon de leurs fusils et les armèrent de leurs baïonnettes. La vue de cette manoeuvre exaspéra les assistants.

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