Бесплатно

La dame de Monsoreau — Tome 2

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

CHAPITRE XVII
LE PRINCE ET L'AMI

Comme on l'a vu, Chicot avait vainement cherché le duc d'Anjou par les rues de Paris pendant la soirée de la Ligue.

Le duc de Guise, on se le rappelle, avait invité le prince à sortir: cette invitation avait inquiété l'ombrageuse altesse. François avait réfléchi, et, après réflexion, François dépassait le serpent en prudence.

Cependant, comme son intérêt à lui-même exigeait qu'il vît de ses propres yeux ce qui devait se passer ce soir-là, il se décida à accepter l'invitation, mais il prit en même temps la résolution de ne mettre le pied hors de son palais que bien et dûment accompagné.

De même que tout homme qui craint appelle une arme favorite à son secours, le duc alla chercher son épée, qui était Bussy d'Amboise.

— Pour que le duc se décidât à cette démarche, il fallait que la peur le talonnât bien fort. Depuis sa déception à l'endroit de M. de Monsoreau, Bussy boudait, et François s'avouait à lui-même qu'à la place de Bussy, et en supposant qu'en prenant sa place il eût en même temps pris son courage, il aurait témoigné plus que du dépit au prince qui l'eût trahi d'une si cruelle façon.

Au reste, Bussy, comme toutes les natures d'élite, sentait plus vivement la douleur que le plaisir: il est rare qu'un homme intrépide au danger, froid et calme en face du fer et du feu, ne succombe pas plus facilement qu'un lâche aux émotions d'une contrariété. Ceux que les femmes font pleurer le plus facilement, ce sont les hommes qui se font le plus craindre des hommes.

Bussy dormait, pour ainsi dire, dans sa douleur: il avait vu Diane reçue à la cour, reconnue comme comtesse de Monsoreau, admise par la reine Louise au rang de ses dames d'honneur; il avait vu mille regards curieux dévorer cette beauté sans rivale, qu'il avait pour ainsi dire découverte et tirée du tombeau où elle était ensevelie. Il avait, pendant toute une soirée, attaché ses yeux ardents sur la jeune femme qui ne levait point ses yeux appesantis; et, dans tout l'éclat de cette fête, Bussy, injuste comme tout homme qui aime véritablement, Bussy, oubliant le passé et détruisant lui-même dans son esprit tous les fantômes de bonheur que le passé y avait fait naître, Bussy ne s'était pas demandé combien Diane devait souffrir de tenir ainsi ses yeux baissés, elle qui pouvait, en face d'elle, apercevoir un visage voilé par une tristesse sympathique, au milieu de toutes ces figures indifférentes ou sottement curieuses.

— Oh! se dit Bussy à lui-même, en voyant qu'il attendait inutilement un regard, les femmes n'ont d'adresse et d'audace que lorsqu'il s'agit de tromper un tuteur, un époux ou une mère; elles sont gauches, elles sont lâches, lorsqu'il s'agit de payer une dette de simple reconnaissance; elles ont tellement peur de paraître aimer, elles attachent un prix si exagéré à leur moindre faveur, que, pour désespérer celui qui prétend à elles, elles ne regardent point, quand tel est leur caprice, à lui briser le coeur. Diane pouvait me dire franchement: «Merci de ce que vous avez fait pour moi, monsieur de Bussy, mais je ne vous aime pas.» J'eusse été tué du coup, ou j'en eusse guéri. Mais non! elle me préfère, me laisse l'aimer inutilement; mais elle n'y a rien gagné, car je ne l'aime plus, je la méprise.

Et il s'éloigna du cercle royal, la rage dans le coeur.

En ce moment, ce n'était plus cette noble figure que toutes les femmes regardaient avec amour et tous les hommes avec terreur: c'était un front terni, un oeil faux, un sourire oblique.

Bussy, en sortant, se vit passer dans un grand miroir de Venise et se trouva lui-même insupportable à voir.

— Mais je suis fou, dit-il; comment, pour une personne qui me dédaigne, je me rendrais odieux à cent qui me recherchent! Mais pourquoi me dédaigne-t-elle, ou plutôt pour qui?

Est-ce pour ce long squelette à face livide, qui, toujours planté à dix pas d'elle, la couve sans cesse de son jaloux regard... et qui, lui aussi, feint de ne pas me voir? Et dire cependant que, si je le voulais, dans un quart d'heure, je le tiendrais muet et glacé sous mon genou avec dix pouces de mon épée dans le coeur; dire que, si je le voulais, je pourrais jeter sur cette robe blanche le sang de celui qui y a cousu ces fleurs; dire que, si je le voulais, ne pouvant être aimé, je serais au moins terrible et haï!

Oh! sa haine! sa haine! plutôt que son indifférence.

Oui, mais ce serait banal et mesquin: c'est ce que feraient un Quélus et un Maugiron, si un Quélus et un Maugiron savaient aimer. Mieux vaut ressembler à ce héros de Plutarque que j'ai tant admiré, à ce jeune Antiochus mourant d'amour, sans risquer un aveu, sans proférer une plainte. Oui, je me tairai! Oui, moi qui ai lutté corps à corps avec tous les hommes effrayants de ce siècle; moi qui ai vu Crillon, le brave Crillon lui-même, désarmé devant moi, et qui ai tenu sa vie à ma merci. Oui, j'éteindrai ma douleur et l'étoufferai dans mon âme, comme a fait Hercule du géant Antée, sans lui laisser toucher une seule fois du pied l'Espérance, sa mère. Non, rien ne m'est impossible à moi, Bussy, que, comme Crillon, on a surnommé le brave, et tout ce que les héros ont fait, je le ferai.

Et, sur ces mots, il déroidit la main convulsive avec laquelle il déchirait sa poitrine, il essuya la sueur de son front et marcha lentement vers la porte; son poing allait frapper rudement la tapisserie: il se commanda la patience et la douceur, et il sortit, le sourire sur les lèvres et le calme sur le front, avec un volcan dans le coeur.

Il est vrai que, sur sa route, il rencontra M. le duc d'Anjou et détourna la tête, car il sentait que toute sa fermeté d'âme ne pourrait aller jusqu'à sourire, et même saluer le prince qui l'appelait son ami et qui l'avait trahi si odieusement.

En passant, le prince prononça le nom de Bussy, mais Bussy ne se détourna même point.

Bussy rentra chez lui. Il plaça son épée sur la table, ôta son poignard de sa gaîne, dégrafa lui-même pourpoint et manteau, et s'assit dans un grand fauteuil en appuyant sa tête à l'écusson de ses armes qui en ornait le dossier.

Ses gens le virent absorbé; ils crurent qu'il voulait reposer, et s'éloignèrent. Bussy ne dormait pas: il rêvait.

Il passa de cette façon plusieurs heures sans s'apercevoir qu'à l'autre bout de la chambre un homme, assis comme lui, l'épiait curieusement, sans faire un geste, sans prononcer un mot, attendant, selon toute probabilité, l'occasion d'entrer en relation, soit par un mot, soit par un signe.

Enfin, un frisson glacial courut sur les épaules de Bussy et fit vaciller ses yeux; l'observateur ne bougea point.

Bientôt les dents du comte cliquèrent les unes contre les autres; ses bras se roidirent; sa tête, devenue trop pesante, glissa le long du dossier du fauteuil et tomba sur son épaule.

En ce moment, l'homme qui l'examinait se leva de sa chaise en poussant un soupir, et s'approcha de lui.

— Monsieur le comte, dit-il, vous avez la fièvre.

Le comte leva son front qu'empourprait la chaleur de l'accès.

— Ah! c'est toi, Remy, dit-il.

— Oui, comte; je vous attendais ici.

— Ici, et pourquoi?

— Parce que là où l'on souffre on ne reste pas longtemps.

— Merci, mon ami, dit Bussy en prenant la main du jeune homme.

Remy garda entre les siennes cette main terrible, devenue plus faible que la main d'un enfant, et, la pressant avec affection et respect contre son coeur:

— Voyons, dit-il, il s'agit de savoir, monsieur le comte, si vous voulez demeurer ainsi: voulez-vous que la fièvre gagne et vous abatte? restez debout; voulez-vous la dompter? mettez-vous au lit, et faites-vous lire quelque beau livre où vous puissiez puiser l'exemple et la force.

Le comte n'avait plus rien à faire au monde qu'obéir; il obéit.

C'est donc en son lit que le trouvèrent tous les amis qui le vinrent visiter.

Pendant toute la journée du lendemain, Remy ne quitta point le chevet du comte; il avait la double attribution de médecin du corps et de médecin de l'âme; il avait des breuvages rafraîchissants pour l'un, il avait de douces paroles pour l'autre.

Mais le lendemain, qui était le jour où M. de Guise était venu au Louvre, Bussy regarda autour de lui, Remy n'y était point.

— Il s'est fatigué, pensa Bussy; c'est bien naturel! pauvre garçon, qui doit avoir tant besoin d'air, de soleil et de printemps! Et puis Gertrude l'attendait, sans doute; Gertrude n'est qu'une femme de chambre, mais elle l'aime... Une femme de chambre qui aime vaut mieux qu'une reine qui n'aime pas.

La journée se passa ainsi, Remy ne reparut pas; justement parce qu'il était absent, Bussy le désirait; il se sentait contre ce pauvre garçon de terribles mouvements d'impatience.

— Oh! murmura-t-il une fois ou deux, moi qui croyais encore à la reconnaissance et à l'amitié! Non, désormais je ne veux plus croire à rien.

Vers le soir, quand les rues commençaient à s'emplir de monde et de rumeurs, quand le jour déjà disparu ne permettait plus de distinguer les objets dans l'appartement, Bussy entendit des voix très-hautes et très-nombreuses dans son antichambre.

Un serviteur accourut alors tout effaré.

— Monseigneur le duc d'Anjou, dit-il.

— Fais entrer, répliqua Bussy en fronçant le sourcil à l'idée que son maître s'inquiétait de lui, ce maître dont il méprisait jusqu'à la politesse.

Le duc entra. La chambre de Bussy était sans lumière; les coeurs malades aiment l'obscurité, car ils peuplent l'obscurité de fantômes.

— Il fait trop sombre chez toi, Bussy, dit le duc; cela doit te chagriner.

 

Bussy garda le silence; le dégoût lui fermait la bouche.

— Es-tu donc malade gravement, continua le duc, que tu ne me réponds pas?

— Je suis fort malade, en effet, monseigneur, murmura Bussy.

— Alors, c'est pour cela que je ne t'ai point vu chez moi depuis deux jours? dit le duc.

— Oui, monseigneur, dit Bussy.

Le prince, piqué de ce laconisme, fit deux ou trois tours par la chambre en regardant les sculptures qui se détachaient dans l'ombre, et en maniant les étoffes.

— Tu es bien logé, Bussy, ce me semble du moins, dit le duc.

Bussy ne répondit pas.

— Messieurs, dit le duc à ses gentilshommes, demeurez dans la chambre à côté; il faut croire que, décidément, mon pauvre Bussy est bien malade. Çà, pourquoi n'a-t-on pas prévenu Miron? Le médecin d'un roi n'est pas trop bon pour Bussy.

Un serviteur de Bussy secoua la tête: le duc regarda ce mouvement.

— Voyons, Bussy, as-tu des chagrins? demanda le prince presque obséquieusement.

— Je ne sais pas, répondit le comte.

Le duc s'approcha, pareil à ces amants qu'on rebute, et qui, à mesure qu'on les rebute, deviennent plus souples et plus complaisants.

— Voyons! parle-moi donc, Bussy! dit-il.

— Eh! que vous dirai-je, monseigneur?

— Tu es fâché contre moi, hein? ajouta-t-il à voix basse.

— Moi, fâché, de quoi? D'ailleurs, on ne se fâche point contre les princes. A quoi cela servirait-il?

Le duc se tut.

— Mais, dit Bussy à son tour, nous perdons le temps en préambules.

Allons au fait, monseigneur.

Le duc regarda Bussy.

— Vous avez besoin de moi, n'est-ce pas? dit ce dernier avec une dureté incroyable.

— Ah! monsieur de Bussy!

— Eh! sans doute, vous avez besoin de moi, je le répète; croyez-vous que je pense que c'est par amitié, que vous me venez voir? Non, pardieu, car vous n'aimez personne.

— Oh! Bussy!.. toi, me dire de pareilles choses!

— Voyons, finissons-en; parlez, monseigneur, que vous faut-il? Quand on appartient à un prince, quand ce prince dissimule au point de vous appeler mon ami, eh bien! il faut lui savoir gré de la dissimulation et lui faire tout sacrifice, même celui de la vie. Parlez.

Le duc rougit; mais, comme il était dans l'ombre, personne ne vit cette rougeur.

— Je ne voulais rien de toi, Bussy, et tu te trompes, dit-il, en croyant ma visite intéressée. Je désire seulement, voyant le beau temps qu'il fait, et tout Paris étant ému ce soir de la signature de la Ligue, t'avoir en ma compagnie pour courir un peu la ville.

Bussy regarda le duc.

— N'avez-vous pas Aurilly? dit-il.

— Un joueur de luth.

— Ah! monseigneur! vous ne lui donnez pas toutes ses qualités, je croyais qu'il remplissait encore près de vous d'autres fonctions. Et, en dehors d'Aurilly, d'ailleurs, vous avez encore dix ou douze gentilshommes dont j'entends les épées retentir sur les boiseries de mon antichambre.

La portière se souleva lentement.

— Qui est là? demanda le duc avec hauteur, et qui entre sans se faire annoncer dans la chambre où je suis?

— Moi, Remy, répondit le Haudoin en faisant une entrée majestueuse et nullement embarrassée.

— Qu'est-ce que Remy? demanda le duc.

— Remy, monseigneur, répondit le jeune homme, c'est le médecin.

— Remy, dit Bussy, c'est plus que le médecin, monseigneur, c'est l'ami.

— Ah! fît le duc blessé.

— Tu as entendu ce que monseigneur désire, demanda Bussy en s'apprêtant à sortir du lit.

— Oui, que vous l'accompagniez, mais...

— Mais quoi? dit le duc.

— Mais vous ne l'accompagnerez pas, monseigneur, répondit le Haudoin.

— Et pourquoi cela? s'écria François.

— Parce qu'il fait trop froid dehors, monseigneur.

— Trop froid? dit le duc surpris qu'on osât lui résister.

— Oui! trop froid. En conséquence, moi qui réponds de la santé de M. de Bussy à ses amis et à moi-même, je lui défends de sortir.

Bussy n'en allait pas moins sauter en bas du lit, mais la main de Remy rencontra la sienne et la lui serra d'une façon significative.

— C'est bon, dit le duc. Puisqu'il courrait si gros risque à sortir, il restera.

Et Son Altesse, piquée outre mesure, fit deux pas vers la porte.

Bussy ne bougea point.

Le duc revint vers le lit.

— Ainsi c'est décidé, dit-il, tu ne te risques point?

— Vous le voyez, monseigneur, dit Bussy, le médecin le défend.

— Tu devrais voir Miron, Bussy; c'est un grand docteur.

— Monseigneur, j'aime mieux un médecin ami qu'un médecin savant, dit Bussy.

— En ce cas, adieu!

— Adieu, monseigneur!

Et le duc sortit avec grand fracas.

A peine fut-il dehors, que Remy, qui l'avait suivi des yeux jusqu'à ce qu'il fût sorti de l'hôtel, accourut près du malade.

— Çà, dit-il, monseigneur, qu'on se lève, et tout de suite, s'il vous plaît.

— Pour quoi faire me lever?

— Pour venir faire un tour avec moi. Il fait trop chaud dans cette chambre.

— Mais tu disais tout à l'heure au duc qu'il faisait trop froid dehors!

— Depuis qu'il est sorti la température a changé.

— De sorte que... dit Bussy en se soulevant avec curiosité.

— De sorte qu'en ce moment, répondit le Haudoin, je suis convaincu que l'air vous serait bon.

— Je ne comprends pas, fit Bussy.

— Est-ce que vous comprenez quelque chose aux potions que je vous donne? vous les avalez cependant. Allons! sus! levons-nous: une promenade avec M. le duc d'Anjou était dangereuse, avec le médecin elle est salutaire; c'est moi qui vous le dis. N'avez-vous donc plus confiance en moi? alors il faut me renvoyer.

— Allons donc, dit Bussy, puisque tu le veux.

— Il le faut.

Bussy se leva pâle et tremblant.

— L'intéressante pâleur, dit Remy, le beau malade!

— Mais où allons-nous?

— Dans un quartier dont j'ai analysé l'air aujourd'hui même.

— Et cet air?

— Est souverain pour votre maladie, monseigneur.

Bussy s'habilla.

— Mon chapeau et mon épée! dit-il.

Il se coiffa de l'un et ceignit l'autre.

Puis tous deux sortirent.

CHAPITRE XVIII
ÉTYMOLOGIE DE LA RUE DE LA JUSSIENNE

Remy prit son malade pardessous le bras, tourna à gauche, prit la rue Coquillère et la suivit jusqu'au rempart.

— C'est étrange, dit Bussy, tu me conduis du côté des marais de la Grange-Batelière, et tu prétends que ce quartier est sain?

— Oh! monsieur! dit Remy, un peu de patience, nous allons tourner autour de la rue Pagevin, nous allons laisser à droite la rue Breneuse, et nous allons rentrer dans la rue Montmartre; vous verrez la belle rue que la rue Montmartre!

— Crois-tu donc que je ne la connais pas?

— Eh bien! alors, si vous la connaissez, tant mieux! je n'aurai pas besoin de perdre du temps à vous en faire voir les beautés, et je vous conduirai tout de suite dans une petite jolie rue. Venez toujours, je ne vous dis que cela.

Et, en effet, après avoir laissé la porte Montmartre à gauche et avoir fait deux cents pas, à peu près, dans la rue, Remy tourna à droite.

— Ah çà! mais tu le fais exprès, s'écria Bussy; nous retournons d'où nous venons.

— Ceci, dit Remy, est la rue de la Gypecienne, ou de l'Égyptienne, comme vous voudrez, rue que le peuple commence déjà à nommer la rue de la Gyssienne, et qu'il finira par appeler, avant peu, la rue de la Jussienne, parce que c'est plus doux, et que le génie des langues tend toujours, à mesure qu'on s'avance vers le Midi, à multiplier les voyelles. Vous devez savoir cela, vous, monseigneur, qui avez été en Pologne; les coquins n'en sont-ils pas encore à leurs quatre consonnes de suite, ce qui fait qu'ils ont l'air, en parlant, de broyer de petits cailloux et de jurer en les broyant?

— C'est très-juste, dit Bussy; mais comme je ne crois pas que nous soyons venus ici pour faire un cours de phylologie voyons, dis-moi où allons-nous?

— Voyez-vous cette petite église? dit Remy sans répondre autrement à ce que lui disait Bussy. Hein! monseigneur! comme elle est fièrement campée, avec sa façade sur la rue et son abside sur le jardin de la communauté! Je parie que vous ne l'avez, jusqu'à ce jour, jamais remarquée?

— En effet, dit Bussy, je ne la connaissais pas.

Et Bussy n'était pas le seul seigneur qui ne fût jamais entré dans cette église de Sainte-Marie-L'Égyptienne, église toute populaire, et qui était connue aussi des fidèles qui la fréquentaient sous le nom de chapelle Quoqhéron.

— Eh bien! dit Remy, maintenant que vous savez comment s'appelle cette église, monseigneur, et que vous en avez suffisamment examiné l'extérieur, entrons-y, et vous verrez les vitraux de la nef: ils sont curieux.

Bussy regarda le Haudoin, et il vit sur le visage du jeune homme un si doux sourire, qu'il comprit que le jeune docteur avait, en le faisant entrer dans l'église, un autre but que celui de lui faire voir des vitraux qu'on ne pouvait voir, attendu qu'il faisait nuit.

Mais il y avait autre chose encore que l'on pouvait voir, car l'intérieur de l'église était éclairé pour l'office du Salut: c'était ces naïves peintures du seizième siècle, comme l'Italie, grâce à son beau climat, en garde encore beaucoup, tandis que, chez nous, l'humidité d'un côté, et le vandalisme de l'autre, ont effacé, à qui mieux mieux, sur nos murailles, ces traditions d'un âge écoulé, et ces preuves d'une foi qui n'est plus.

En effet, le peintre avait peint à fresque, pour François Ier et par les ordres de ce roi, la vie de sainte Marie l'Égyptienne; or, au nombre des sujets les plus intéressants de cette vie, l'artiste imagier, naïf et grand ami de la vérité, sinon anatomique, du moins historique, avait, dans l'endroit le plus apparent de la chapelle, placé ce moment difficile où, sainte Marie, n'ayant point d'argent pour payer le batelier, s'offre elle-même comme salaire de son passage.

Maintenant, il est juste de dire que, malgré la vénération des fidèles pour Marie l'Égyptienne convertie, beaucoup d'honnêtes femmes du quartier trouvaient que le peintre aurait pu mettre ailleurs ce sujet, ou tout au moins le traiter d'une façon moins naïve, et la raison qu'elles donnaient, ou plutôt qu'elles ne donnaient point, était que certains détails de la fresque détournaient trop souvent la vue des jeunes courtauds de boutique que les drapiers, leurs patrons, amenaient à l'église les dimanches et fêtes.

Bussy regarda le Baudoin, qui, devenu courtaud pour un instant, donnait une grande attention à cette peinture.

— As-tu la prétention, lui dit-il, de faire naître en moi des idées anacréontiques, avec ta chapelle de Sainte-Marie-l'Égyptienne? S'il en est ainsi, tu t'es trompé d'espèce. Il faut amener ici des moines et des écoliers.

— Dieu m'en garde, dit le Haudoin: Omnis cogitatio libidinosa cerebrum inficit.

— Eh bien, alors?

— Dame! écoutez donc, on ne peut cependant pas se crever les yeux quand on entre ici.

— Voyons, tu avais un autre but, en m'amenant ici, n'est-ce pas, que de me faire voir les genoux de sainte Marie l'Égyptienne?

— Ma foi, non, dit Remy.

— Alors, j'ai vu, partons.

— Patience! voici que l'office s'achève. En sortant maintenant nous dérangerions les fidèles.

Et le Haudoin retint doucement Bussy par le bras.

— Ah! voilà que chacun se retire, dit Remy. faisons comme les autres, s'il vous plaît.

Bussy se dirigea vers la porte avec une indifférence et une distraction visibles.

— Eh bien, dit le Haudoin, voilà que vous allez sortir sans prendre de l'eau bénite. Où diable avez-vous donc la tête?

Bussy, obéissant comme un enfant, s'achemina vers la colonne dans laquelle était incrusté le bénitier.

Le Haudoin profita de ce mouvement pour faire un signe d'intelligence à une femme qui, sur le signe du jeune docteur, s'achemina de son côté vers la même colonne où tendait Bussy.

Aussi, au moment où le comte portait la main vers le bénitier en forme de coquille, que soutenaient deux Égyptiens en marbre noir, une main un peu grosse et un peu rouge, qui cependant était une main de femme, s'allongea vers la sienne et humecta ses doigts de l'eau lustrale.

 

Bussy ne put s'empêcher de porter ses yeux de la main grosse et rouge au visage de la femme; mais, à l'instant même, il recula d'un pas et pâlit subitement, car il venait de reconnaître, dans la propriétaire de cette main, Gertrude, à moitié cachée sous un voile de laine noir.

Il resta le bras étendu, sans songer à faire le signe de la croix, tandis que Gertrude passait en le saluant et profilait sa haute taille sous le porche de la petite église.

A deux pas derrière Gertrude, dont les coudes robustes faisaient faire place, venait une femme soigneusement enveloppée dans un mantelet de soie, une femme dont les formes élégantes et jeunes, dont le pied charmant, dont la taille délicate, firent songer à Bussy qu'il n'y avait au monde qu'une taille, qu'un pied, qu'une forme semblables.

Remy n'eut rien à lui dire, il le regarda seulement; Bussy comprenait maintenant pourquoi le jeune homme l'avait amené rue Sainte-Marie-l'Égyptienne et l'avait fait entrer dans l'église.

Bussy suivit cette femme, le Haudoin suivit Bussy.

C'eût été une chose amusante que cette procession de quatre figures se suivant d'un pas égal, si la tristesse et la pâleur de deux d'entre elles n'eussent pas décelé de cruelles souffrances.

Gertrude, toujours marchant la première, tourna l'angle de la rue Montmartre, fit quelques pas en suivant cette rue, puis tout à coup se jeta à droite dans une impasse sur laquelle s'ouvrait une porte.

Bussy hésita.

— Eh bien, monsieur le comte, demanda Remy, vous voulez donc que je vous marche sur les talons?

Bussy continua sa route.

Gertrude, qui marchait toujours la première, tira une clef de sa poche, et fit entrer sa maîtresse, qui passa devant elle sans retourner la tête.

Le Haudoin dit deux mots à la camériste, s'effaça et laissa passer Bussy; puis Gertrude et lui entrèrent de front, refermèrent la porte, et l'impasse se retrouva déserte.

Il était sept heures et demie du soir, on allait atteindre les premiers jours de mai; à l'air tiède qui indiquait les premières haleines du printemps, les feuilles commençaient à se développer au sein de leurs enveloppes crevassées.

Bussy regarda autour de lui: il se trouvait dans un petit jardin de cinquante pieds carrés, entouré de murs très-hauts, sur le sommet desquels la vigne vierge et le lierre, élançant leurs pousses nouvelles, faisaient ébouler, de temps à autre, quelques petites parcelles de plâtre, et jetaient à la brise ce parfum âcre et vigoureux que le frais du soir arrache à leurs feuilles.

De longues ravenelles, joyeusement élancées hors des crevasses du vieux mur de l'église, épanouissaient leurs boutons rouges comme un cuivre sans alliage.

Enfin, les premiers lilas, éclos au soleil de la matinée, venaient, de leurs suaves émanations, ébranler le cerveau encore vacillant du jeune homme, qui se demandait si tant de parfums, de chaleur et de vie ne lui venaient pas à lui, si seul, si faible, si abandonné il y avait une heure à peine, ne lui venaient pas uniquement de la présence d'une femme si tendrement aimée.

Sous un berceau de jasmin et de clématite, sur un petit banc de bois adossé au mur de l'église, Diane s'était assise, le front penché, les mains inertes et tombant à ses côtés, et l'on voyait s'effeuiller, froissée entre ses doigts, une giroflée qu'elle brisait sans s'en douter et dont elle éparpillait les fleurs sur le sable.

A ce moment, un rossignol, caché dans un marronnier voisin, commença sa longue et mélancolique chanson, brodée de temps en temps de notes éclatantes comme des fusées.

Bussy était seul dans ce jardin avec madame de Monsoreau, car Remy et Gertrude se tenaient à distance: il s'approcha d'elle; Diane leva la tête.

— Monsieur le comte, dit-elle d'une voix timide, tout détour serait indigne de nous: si vous m'avez trouvée tout à l'heure à l'église Sainte-Marie-l'Égyptienne, ce n'est point le hasard qui vous y a conduit.

— Non, madame, dit Bussy, c'est le Haudoin qui m'a fait sortir sans me dire dans quel but, et je vous jure que j'ignorais...

— Vous vous trompez au sens de mes paroles, monsieur, dit tristement Diane. Oui, je sais bien que c'est M. Remy qui vous a conduit à l'église, et de force peut-être?

— Madame, dit Bussy, ce n'est point de force... Je ne savais pas que j'y devais voir...

— Voilà une dure parole, monsieur le comte, murmura Diane en secouant la tête et en levant sur Bussy un regard humide. Avez-vous l'intention de me faire comprendre que, si vous eussiez connu le secret de Remy, vous ne l'eussiez point accompagné?

— Oh! madame!

— C'est naturel, c'est juste, monsieur, vous m'avez rendu un service signalé, et je ne vous ai point encore remercié de votre courtoisie. Pardonnez-moi, et agréez toutes mes actions de grâces.

— Madame...

Bussy s'arrêta; il était tellement étourdi, qu'il n'avait à son service ni paroles ni idées.

— Mais j'ai voulu vous prouver, moi, continua Diane en s'animant, que je ne suis pas une femme ingrate ni un coeur sans mémoire. C'est moi qui ai prié M. Remy de me procurer l'honneur de votre entretien; c'est moi qui ai indiqué ce rendez-vous: pardonnez-moi si je vous ai déplu.

Bussy appuya une main sur son coeur.

— Oh! madame, dit-il, vous ne le pensez pas.

Les idées commençaient à revenir à ce pauvre coeur brisé, et il lui semblait que cette douce brise du soir qui lui apportait de si doux parfums et de si tendres paroles lui enlevait en même temps un nuage de dessus les yeux.

— Je sais, continua Diane, qui était la plus forte, parce que depuis longtemps elle était préparée à cette entrevue, je sais combien vous avez eu de mal à faire ma commission. Je connais toute votre délicatesse. Je vous connais et vous apprécie, croyez-le bien. Jugez donc ce que j'ai dû souffrir à l'idée que vous méconnaîtriez les sentiments de mon coeur.

— Madame, dit Bussy, depuis trois jours je suis malade.

— Oui, je le sais, répondit Diane avec une rougeur qui trahissait tout l'intérêt qu'elle prenait à cette maladie, et je souffrais plus que vous, car M. Remy, — il me trompait sans doute, — M. Remy me laissait croire...

— Que votre oubli causait ma souffrance. Oh! c'est vrai.

— Donc, j'ai dû faire ce que je fais, comte, reprit madame de Monsoreau. Je vous vois, je vous remercie de vos soins obligeants, et vous en jure une reconnaissance éternelle... Maintenant croyez que je parle du fond du coeur.

Bussy secoua tristement la tête et ne répondit pas.

— Doutez-vous de mes paroles? reprit Diane.

— Madame, répondit Bussy, les gens qui ont de l'amitié pour quelqu'un témoignent cette amitié comme ils peuvent: vous me saviez au palais le soir de votre présentation à la cour; vous me saviez devant vous, vous deviez sentir mon regard peser sur toute votre personne, et vous n'avez pas seulement levé les yeux sur moi; vous ne m'avez pas fait comprendre, par un mot, par un geste, par un signe, que vous saviez que j'étais là; après cela, j'ai tort, madame; peut-être ne m'avez-vous pas reconnu, vous ne m'aviez vu que deux fois.

Diane répondit par un regard de si triste reproche, que Bussy en fut remué jusqu'au fond des entrailles.

— Pardon, madame, pardon, dit-il; vous n'êtes point une femme comme toutes les autres, et cependant vous agissez comme les femmes vulgaires; ce mariage?

— Ne savez-vous pas comment j'ai été forcée à le conclure?

— Oui, mais il était facile à rompre.

— Impossible, au contraire.

— Mais rien ne vous avertissait donc que, près de vous, veillait un homme dévoué?

Diane baissa les yeux.

— C'était cela surtout qui me faisait peur, dit-elle.

— Et voilà à quelles considérations vous m'avez sacrifié. Oh! songez à ce que m'est la vie depuis que vous appartenez à un autre.

— Monsieur, dit la comtesse avec dignité, une femme ne change point de nom sans qu'il n'en résulte un grand dommage pour son honneur, lorsque deux hommes vivent, qui portent, l'un le nom qu'elle a quitté, l'autre le nom qu'elle a pris.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»