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Le Montonéro

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IV
L'ENTREVUE

Le peintre français ne s'était pas trompé: c'était bien, en effet, Zéno Cabral, le chef montonero, qu'il avait vu entrer dans le couvent.

La tourière marchait d'un pas pressé, sans détourner la tête devant le jeune homme qui, de son côté, semblait plongé dans de sombres et pénibles réflexions.

Ils allèrent ainsi, pendant assez longtemps, à travers les corridors sans échanger une parole, mais au moment où ils atteignirent l'entrée du premier cloître, le chef s'arrêta et touchant légèrement le bras de sa conductrice:

– Eh bien? lui dit-il à voix basse.

Celle-ci se retourna vivement, jeta un regard scrutateur autour d'elle puis, rassurée sans doute par la solitude au centre de laquelle elle se trouvait, elle répondit sur le même ton bas et étouffé, ce seul mot:

– Rien.

– Comment rien! s'écria don Zéno avec une impatience contenue, vous n'avez donc pas veillé comme je vous l'avais recommandé et ainsi que cela avait été convenu entre nous.

– J'ai veillé, répondit-elle vivement, veillé du soir au matin et du matin au soir.

– Et vous n'avez rien découvert?

– Rien.

– Tant pis, fit le chef froidement, tant pis pour vous, ma sœur, car si vous êtes si peu clairvoyante, ce n'est pas cette fois encore que vous quitterez votre poste de tourière pour un emploi supérieur dans le couvent ou un plus élevé encore dans celui des Bernardines.

La tourière tressaillit; ses petits yeux gris laissèrent échapper une flamme sinistre.

– Je n'ai rien découvert, c'est vrai, dit-elle avec un rire sec et nerveux comme le cri d'une hyène, mais je soupçonne, bientôt je découvrirai; seulement je suis surveillée et l'occasion me manque.

– Ah! Et que découvrirez-vous? demanda-t-il avec un intérêt mal dissimulé.

– Je découvrirai, reprit-elle en appuyant avec affectation sur chaque syllabe, tout ce que vous voulez savoir et plus encore. Mes mesures sont prises maintenant.

– Ah! Ah! fit-il, et quand cela, s'il vous plaît?

– Avant deux jours.

– Vous me le promettez.

– Sur ma part de paradis!

– Je compte sur votre parole.

– Comptez-y; mais vous?

– Moi?

– Oui.

– Je tiendrai les promesses que je vous ai faites.

– Toutes?

– Toutes.

– C'est bien; ne vous inquiétez plus de rien; mais donnant, donnant?

– C'est convenu.

– Maintenant, venez, on vous attend; cette longue station pourrait éveiller les soupçons, plus que jamais il me faut agir avec prudence.

Ils se remirent en marche. Au moment où ils entraient dans le premier cloître, une forme noire se détacha d'un angle obscur dans lequel, jusque-là, elle était demeurée confondue au milieu des ténèbres, et, après avoir fait un geste de menace à la tourière, elle parut s'évanouir comme une apparition fantastique, tant elle s'envola rapidement à travers les corridors.

Arrivée à la porte de la cellule de la supérieure, la tourière frappa doucement deux coups sans recevoir de réponse; elle attendit un instant, puis recommença.

Adelante, répondit-on alors de l'intérieur.

Elle ouvrit et annonça l'étranger.

Priez ce seigneur d'entrer, il est le bienvenu, répondit l'abbesse.

La tourière s'effaça, le général entra, puis, sur un geste de la supérieure, la tourière se retira en refermant la porte derrière elle.

La supérieure était seule assise dans son grand fauteuil abbatial; elle tenait ouvert à la main un livre d'heures qu'elle semblait lire.

A l'entrée du jeune homme, elle inclina légèrement la tête et d'un geste lui indiqua un siège.

– Pardonnez-moi, madame, dit-il en la saluant respectueusement, de venir troubler d'une façon aussi malencontreuse vos pieuses méditations.

– Vous êtes, dites-vous, señor caballero, envoyé vers moi par le gouverneur de la ville; en cette qualité, mon devoir est de vous recevoir à quelque heure qu'il vous plaise de venir, reprit-elle d'un ton de froide politesse. Vous n'avez donc pas d'excuses à me faire, mais seulement à m'expliquer le sujet de cette mission dont le motif m'échappe.

– Je vais avoir l'honneur de m'expliquer, ainsi que vous m'y engagez si gracieusement, madame, répondit-il avec un sourire contraint, en prenant le siège qui lui était désigné.

La conversation avait commencé sur un ton de politesse aigre-doux qui établissait complètement la situation dans laquelle chacun des deux interlocuteurs voulait demeurer vis-à-vis de l'autre, pendant toute la durée de l'entretien.

Il y eut un silence de deux ou trois minutes: le montonero tournait, retournait son chapeau entre ses mains d'un air dépité; l'abbesse, tout en feignant de lire attentivement le livre qu'elle n'avait pas quitté, jetait à la dérobée des regards railleurs sur l'officier.

Ce fut lui qui, comprenant combien son silence pouvait paraître singulier, reprit la parole avec une aisance trop soulignée pour être naturelle.

– Señora, j'ignore quel motif cause le déplaisir que vous semblez éprouver de me voir, veuillez me le faire connaître et agréer, avant tout, mes humbles et respectueuses excuses pour le trouble que vous occasionne, à mon grand regret, ma présence.

– Vous vous méprenez, caballero, répondit-elle, sur le sens que j'attache à mes paroles; je n'éprouve aucun trouble, croyez-le bien, de votre présence; seulement, je suis contrariée d'être contrainte par le bon plaisir des personnes qui nous gouvernent, de recevoir, sans y être préparée à l'avance, la visite d'envoyés fort recommandables sans doute, mais dont la place devrait être partout ailleurs que dans la cellule de la supérieure d'un couvent de femmes.

– Cette observation est parfaitement juste, madame, il n'a pas tenu à moi qu'il n'en fût pas ainsi; malheureusement c'est, quant à présent, une nécessité qu'il vous faut subir.

– Aussi, reprit-elle avec une certaine aigreur, vous voyez que je la subis.

– Vous la subissez, oui, madame, reprit-il d'un ton insinuant, mais en vous plaignant, parce que vous confondez vos amis avec vos ennemis.

– Moi, señor, vous faites erreur sans doute, dit-elle avec componction, vous ne réfléchissez pas à ce que je suis. Quels ennemis ou quels amis puis-je avoir, moi, pauvre femme retirée du monde et vouée au service de Dieu?

– Vous vous trompez, ou bien ce qui est plus probable, excusez-moi, je vous en prie, madame, vous ne voulez pas me comprendre.

– Peut-être aussi est-ce un peu de votre faute, señor, reprit-elle avec une légère teinte d'ironie, et cela tient-il à l'obscurité dont vos paroles sont enveloppées, à votre insu sans doute.

Don Zéno réprima un geste d'impatience.

– Voyons, madame, fit-il au bout d'un instant, soyons francs, le voulez-vous?

– Je ne demande pas mieux pour ma part, señor.

– Vous avez ici deux prisonnières?

– J'ai deux dames que je n'ai reçues dans l'intérieur de cette maison, que sur l'injonction et le commandement exprès du gouverneur de la ville; est-ce de ces deux dames dont vous parlez, señor?

– Oui, señora, d'elles-mêmes.

– Fort bien; elles sont ici, j'ai même des ordres très sévères à leur sujet.

– Je le sais.

– Ces dames n'ont rien que je sache à voir dans cet entretien?

– Au contraire, madame, car c'est d'elles seules qu'il s'agit; c'est pour elles seules que je me suis présenté ici.

– Très bien, señor, continuez, je vous écoute.

– Ces dames ont été faites prisonnières par moi, et par moi aussi conduites dans cette ville.

– Vous pourriez même ajouter dans ce couvent, señor; mais continuez.

– Vous supposez à tort, madame, que je suis l'ennemi de ces malheureuses femmes; nul, au contraire, ne s'intéresse plus que moi à leur sort.

– Ah! fit-elle avec ironie.

– Vous ne me croyez pas, madame; en effet, les apparences me condamnent.

– En attendant que vous fassiez condamner ces malheureuses dames; n'est-ce pas, caballero?

– Señora! s'écria-t-il avec violence, mais, se contraignant aussitôt, pardonnez-moi cet emportement, madame; mais si vous consentiez à m'entendre…

– N'est-ce donc pas ce que je fais en ce moment, señor?

– Oui, vous m'écoutez, c'est vrai, madame; mais avec un parti pris d'avance de ne pas ajouter foi à mes paroles, si véridiques qu'elles soient.

L'abbesse fit un léger mouvement des épaules et reprit:

– C'est que, señor, vous me dites en ce moment des choses tellement incroyables! Comment voulez-vous que lorsque vous-même m'avez avoué à l'instant que vous aviez arrêtés ces dames, lorsqu'il vous était si facile de leur laisser continuer leur voyage, que c'est vous qui les avez conduites dans cette ville, que c'est vous encore qui les avez amenées dans ce couvent, afin de leur enlever tout espoir de fuite; comment voulez vous que je puisse ajouter foi aux protestations de dévouement dont il vous plaît aujourd'hui de faire parade devant moi? Ce serait plus que de la naïveté de ma part, convenez-en, et vous seriez en droit de me croire ce que je ne suis pas, c'est-à-dire, pour parler franc, une sotte.

– Oh, madame! Il y a bien des choses que vous ignorez.

– Certainement, il y a toujours bien des choses qu'on ignore en pareil cas; mais voyons, venons au fait, puisque vous-même m'avez proposé la franchise; prouvez-moi que bien réellement vous avez l'intention de me dire la vérité, faites-moi connaître ces choses que j'ignore.

– Je ne demande pas mieux, madame.

– Seulement, je vous avertis que j'en sais peut-être beaucoup de ces choses, et que, si vous vous écartez du droit chemin, je vous y remettrai impitoyablement. Ce marché vous convient-il?

– On ne saurait davantage, madame.

– Eh bien! Parlez, je vous promets de ne pas vous interrompre.

– Vous me comblez, señora; mais, pour vous apprendre toute la vérité, je suis contraint d'entrer dans certains détails touchant ma famille qui, sans doute, auront peu d'intérêt pour vous.

 

– Pardon, je veux être impartiale, donc je dois tout savoir.

En prononçant ces paroles, elle jeta à la dérobée un regard du côté de la porte de la seconde pièce.

Ce regard ne fut pas surpris par le montonero qui, en ce moment, la tête baissée sur la poitrine, semblait recueillir ses souvenirs.

Enfin, après quelques minutes, il commença.

– Ma famille, ainsi que vous l'indique mon nom, madame, est d'origine portugaise: un de mes ancêtres fut cet Álvarez Cabral auquel le Portugal doit de si magnifiques découvertes. Fixés au Brésil depuis les premiers temps de l'occupation, mes aïeux s'établirent dans la province de São Paulo, et, entraînés tour à tour par l'exemple de leurs voisins et de leurs amis, ils tentèrent de longues et périlleuses expéditions dans l'intérieur des terres inconnues de tous, et plusieurs d'entre eux comptèrent parmi les plus célèbres et les plus hardis Paulistas de la province. Pardonnez-moi ces détails, madame, mais ils sont indispensables; du reste, je les abrège autant que cela m'est possible. Mon aïeul, à la suite d'une discussion fort vive avec le vice-roi du Brésil, don Vasco Fernández Cesar de Meneses, vers 1723, discussion dont jamais il ne voulut nous révéler les motifs, vit ses biens mis sous séquestre; lui-même fut obligé de prendre la fuite avec toute sa famille. Un peu de patience, je vous en conjure, madame.

– Vous êtes injuste, señor; ces détails, que j'ignorais, m'intéressent au plus haut point.

– Mon aïeul, avec les débris qu'il réussit à sauver de sa fortune, débris assez considérables, je me hâte de le dire, car il était colossalement riche, se réfugia dans la vice-royauté de Buenos Aires, afin de plus facilement repasser au Brésil, si la fortune cessait de lui être contraire. Mais son espoir fut déçu; il devait mourir dans l'exil; sa famille était condamnée à ne revoir jamais sa patrie. Cependant, à différentes reprises, des propositions lui furent faites pour entrer en accommodement avec le gouvernement portugais, mais toujours il les repoussa avec hauteur, protestant que, n'ayant commis aucun crime, il ne voulait pas être absous, et que surtout, – remarquez bien cette dernière parole, madame, – le gouvernement, qui lui avait enlevé ses biens, n'avait rien à prétendre sur ce qui lui restait; qu'il ne consentirait jamais à payer une grâce qu'on n'avait pas le droit de lui vendre. Plus tard, lorsque mon aïeul fut sur le point de rendre l'âme, et que mon grand-père et mon père furent réunis autour de son lit, bien que fort jeune encore, mon père crut comprendre quelles étaient les propositions faites par le gouvernement portugais, et que le vieillard avait toujours obstinément repoussées.

– Ah! fit l'abbesse, commençant malgré elle à s'intéresser à ce récit, fait avec un accent de vérité qui ne pouvait être révoqué en doute.

– Jugez-en vous-même, madame, reprit le montonero; mon aïeul, ainsi que je vous l'ai dit, se sentant mourir, avait réuni mon grand-père et mon père autour de son lit, puis, après leur avoir fait jurer sur le Christ et sur l'Evangile de ne jamais révéler ce qu'il allait leur dire, il leur confia un secret d'une importance immense pour l'avenir de notre famille; en un mot, il leur avoua que quelque temps avant son exil, dans la dernière expédition qu'il avait tentée seul selon sa coutume, il avait découvert des mines de diamants et des gisements d'or d'une richesse incalculable, il entra dans les plus grands détails sur la route à suivre pour retrouver le pays où ces richesses inconnues étaient enfouies, remit à mon grand-père une carte tracée par lui sur les lieux mêmes, y ajouta, de peur que mon grand-père oubliât quelque détail important, une liasse de manuscrit où l'histoire de son expédition et de sa découverte ainsi que l'itinéraire qu'il avait suivi pour aller et revenir, étaient racontés jour par jour, presque heure par heure; puis certain que cette fortune qu'il leur léguait ne serait pas perdue pour eux, il bénit ses enfants et mourut presque aussitôt épuisé par les efforts qu'il lui avait fallu faire pour bien les renseigner; mais, avant de fermer à jamais les yeux, il leur fit une dernière fois jurer un secret inviolable.

– Je ne vois pas jusqu'à présent, monsieur, quel rapport il y a entre l'histoire, fort intéressante incontestablement, que vous me racontez, et ces deux malheureuses dames, interrompit l'abbesse en hochant la tête.

– Encore quelques minutes de complaisance, madame, vous ne tarderez pas à être satisfaite.

– Soit, monsieur, continuez donc, je vous prie!

Don Zéno reprit:

– Quelques années s'écoulèrent, mon grand-père s'était mis à la tête de la vaste chacra, exploitée par notre famille; mon père commençait à l'aider dans ses travaux. Il avait une sœur, belle comme les anges et pure comme eux, elle se nommait Laura; son père et son frère l'aimaient à l'adoration, elle était toute leur joie, tout leur orgueil, tout leur bonheur…

Don Zéno s'arrêta; deux larmes, qu'il ne songea pas à retenir, coulèrent lentement le long de ses joues.

– Ce souvenir vous attriste, señor, lui dit doucement l'abbesse.

Le jeune homme se redressa fièrement.

– J'ai promis de vous dire toute la vérité, madame, bien que la tâche que je me suis imposée soit pénible, je ne faiblirai pas: Mon grand-père avait renfermé dans un lieu, connu de lui et de son fils seulement, le manuscrit et la carte que leur avait en mourant légué mon aïeul, puis ils n'y avaient plus songé ni l'un ni l'autre, ne supposant pas qu'il pût venir une époque où il leur serait possible de s'emparer de cette fortune qui leur appartenait, cependant par des titres incontestables. Un jour, un étranger se présenta à la chacra et demanda une hospitalité qui jamais n'était refusée à personne; cet étranger était jeune, beau, riche, du moins il le paraissait, et pour notre famille il avait l'inappréciable avantage d'être notre compatriote; il appartenait à l'une des plus nobles familles du Portugal. C'était donc plus qu'un ami, c'était presque un parent. Mon grand-père le reçut les bras ouverts; il demeura plusieurs mois dans notre chacra, il y serait demeuré toujours s'il l'eût voulu: tous l'aimaient dans la maison. Pardonnez-moi, madame, de passer rapidement sur ces détails. Bien que trop jeune pour avoir personnellement assisté à cette infâme trahison, j'ai le cœur brisé. Un jour, l'étranger disparut en enlevant doña Laura. Voilà comment cet homme avait payé notre hospitalité.

– Oh! C'est horrible cela! s'écria l'abbesse, emportée malgré elle par l'indignation qu'elle éprouvait.

– Toutes les recherches furent infructueuses: il fut impossible de retrouver ses traces. Mais ce qu'il y eut de plus affreux dans cette affaire, madame, c'est que cet homme avait froidement et lâchement suivi un plan tracé à l'avance.

– Ce n'est pas possible! fit l'abbesse avec horreur.

– Cet homme avait, je ne sais comment, surpris quelques mots, en Europe, de ce secret que mon aïeul croyait si bien gardé. Son but, en s'introduisant dans notre maison, était de découvrir le reste de ce secret, afin de nous voler notre fortune. Pendant le temps qu'il demeura à la chacra, plusieurs fois il essaya, par des questions adroites, d'apprendre les détails qu'il ignorait; questions adressées tantôt à mon grand-père, tantôt à mon père, jeune homme alors. Enfin, le rapt odieux qu'il commit ne provint pas d'un amour poussé jusqu'à la folie, ainsi que vous pourriez le supposer, il aurait demandé à mon grand-père la main de sa fille que celui-ci la lui aurait accordée; non, il n'aimait pas doña Laura.

– Alors, interrompit l'abbesse, pourquoi l'a-t-il enlevé.

– Pourquoi, dites-vous?

– Oui.

– Parce qu'il croyait qu'elle possédait ce secret qu'il voulait à tout prix découvrir; voilà, madame, le seul motif de ce crime.

– Mais ce que vous me dites-là est infâme, señor, s'écria l'abbesse; cet homme était un démon.

– Non, madame, c'était un malheureux dévoré de la soif des richesses et qui à tout prix voulait les posséder, dût-il pour cela porter le déshonneur et la honte dans une famille et marcher sur des monceaux de cadavres.

– Oh! fit-elle en cachant sa tête dans ses mains.

– Maintenant, madame, voulez-vous savoir le nom de cet homme, reprit-il avec amertume; mais c'est inutile, n'est-ce pas? Car vous l'avez déjà deviné sans doute.

L'abbesse hocha affirmativement la tête sans répondre.

Il y eut un assez long silence.

– Mais pourquoi rendre des innocents, dit enfin l'abbesse, responsables des crimes commis par d'autres?

– Parce que; madame, héritier de la haine paternelle, après vingt ans, il y a quinze jours seulement que j'ai retrouvé une trace que je croyais à jamais perdue; que le nom de notre ennemi a comme un coup de foudre éclaté subitement à mon oreille et que j'ai à demander à cet homme un compte sanglant de l'honneur de ma famille.

– Ainsi, pour satisfaire une vengeance qui pourrait être juste si elle s'adressait au véritable coupable, vous seriez assez cruel?

– Je ne sais encore ce que je ferai, madame. Ma tête est en feu, la fureur m'égare, interrompit-il avec violence, cet homme nous a volé notre bonheur, je veux lui enlever le sien, mais je ne serai pas lâche comme il l'a été, lui; il saura d'où part le coup qui le frappe, c'est entre nous une guerre de bêtes fauves.

En ce moment la porte de la seconde chambre s'ouvrit brusquement, et la marquise parut, calme et imposante.

– Guerre de bêtes fauves, soit, caballero, dit-elle, je l'accepte.

Le jeune homme se leva brusquement, et foudroyant la supérieure d'un regard de mépris écrasant:

– Ah! On nous écoutait, dit-il avec ironie; eh bien, tant mieux, je le préfère ainsi; cette trahison indigne m'évite une explication nouvelle; vous connaissez, madame, les motifs de la haine que je porte à votre mari; je n'ai rien de plus à vous apprendre.

– Mon mari est un noble caballero qui, s'il était présent, flétrirait d'un démenti, ainsi que je le fais moi-même, le tissu d'odieux mensonges dont vous n'avez pas craint de l'accuser devant une personne, ajouta-t-elle en jetant un regard de douloureuse pitié à la supérieure, qui n'aurait peut-être pas dû ajouter une foi si crédule à cette effroyable histoire, dont la fausseté est trop facile à prouver, pour qu'il soit nécessaire de la réfuter.

– Soit, madame; cette insulte venant de vous ne peut me toucher, vous êtes naturellement la dernière personne à qui votre mari aurait confié cet horrible secret; mais, quoi qu'il arrive, un temps viendra, et ce temps est proche, je l'espère, où la vérité se fera jour, et où le criminel sera démasqué devant tous.

– Il y a des hommes, señor, que la calomnie, si bien ourdie qu'elle soit, ne saurait atteindre, répondit-elle avec mépris.

– Brisons là, madame; toute discussion entre nous ne servirait qu'à nous aigrir davantage l'un contre l'autre, je vous répète que je ne suis pas votre ennemi.

– Mais qu'êtes-vous donc alors, et pour quel motif avez-vous raconté cette horrible histoire?

– Si vous aviez eu la patience de m'écouter quelques minutes de plus, madame, vous l'auriez appris.

– Qui vous empêche de me le dire maintenant que nous sommes face à face?

– Je vous le dirai si vous l'exigez, madame, reprit-il froidement, j'aurais cependant préféré qu'une autre personne qui vous fût plus sympathique que moi se chargeât de ce soin.

– Non, non, monsieur, je suis Portugaise aussi, moi, et lorsqu'il s'agit de l'honneur de mon nom, j'ai pour principe de traiter moi-même.

– Comme il vous plaira, madame; je venais vous faire une proposition.

– Une proposition, à moi? fit-elle avec hauteur.

– Oui, madame.

– Laquelle? Soyez bref, s'il vous plaît.

– Je venais vous demander de me donner votre parole de ne pas quitter cette ville sans mon autorisation, et de ne pas essayer de donner de vos nouvelles à votre mari.

– Ah! Et si je vous avais fait cette promesse?

– Alors, madame, je vous aurais, moi, en retour, fait décharger de l'accusation qui pèse sur vous, et je vous aurais immédiatement fait obtenir votre liberté.

– Liberté d'être prisonnière dans une ville au lieu de l'être dans un couvent, dit-elle avec ironie; vous êtes généreux, señor.

– Mais vous n'auriez pas comparu devant un conseil de guerre.

– C'est vrai; j'oubliais que vous et les vôtres vous faites la guerre aux femmes, aux femmes surtout: vous êtes si braves, seigneurs révolutionnaires!

Le jeune homme demeura froid devant cette sanglante injure; il s'inclina respectueusement.

– J'attends votre réponse, madame, dit-il.

 

– Quelle réponse? reprit-elle avec dédain.

– Celle qu'il vous plaira de faire à la proposition que j'ai eu l'honneur de vous adresser.

La marquise demeura un instant silencieuse, puis, relevant la tête et faisant un pas en avant:

– Caballero, reprit-elle d'une voix fière, accepter la proposition que vous me faites, serait admettre la possibilité de la véracité de l'accusation odieuse que vous osez porter contre mon mari; or, cette possibilité je ne l'admets pas; l'honneur de mon mari est le mien, il est de mon devoir de le défendre.

– Je m'attendais à cette réponse, madame, bien qu'elle m'afflige plus que vous ne le pouvez supposer. Vous avez bien réfléchi, sans doute, à toutes les conséquences de ce refus?

– A toutes, oui, señor.

– Elles peuvent être terribles.

– Je le sais et je les subirai.

– Vous n'êtes pas seule, madame, vous avez une fille.

– Monsieur, répondit-elle avec un accent de suprême hauteur, ma fille sait trop bien ce qu'elle doit à l'honneur de sa maison pour hésiter à lui faire, s'il le faut, le sacrifice de sa vie.

– Oh! Madame.

– N'essayez pas de m'effrayer, señor, vous ne sauriez y réussir! Ma détermination est prise, je n'en changerai pas, quand même je verrais l'échafaud dressé devant moi; les hommes se trompent, s'ils croient seuls posséder le privilège du courage; il est bon que, de temps en temps, une femme leur montre qu'elles aussi savent mourir pour leurs convictions. Trêve donc, je vous prie, à de plus longues prières, señor, elles seraient inutiles.

Le montonero s'inclina silencieusement, fit quelques pas vers la porte, s'arrêta, se retourna à demi comme s'il voulait parler, mais, se ravisant, il salua une dernière fois et sortit.

La marquise demeura un instant immobile, puis se tournant vers l'abbesse et lui tendant les bras:

– Et maintenant, mon amie, lui dit-elle avec des larmes dans la voix, croyez-vous encore que le marquis de Castelmelhor soit coupable des crimes affreux dont cet homme l'accuse.

– Oh! Non, non, mon amie! s'écria la supérieure en se laissant aller, en fondant en larmes, dans les bras qui s'ouvraient pour la recevoir.

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