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Actes et Paroles, Volume 3

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Actes et Paroles, Volume 3
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PARIS ET ROME

I

Cette trilogie, Avant l'Exil, Pendant l'Exil, Depuis l'Exil, n'est pas de moi, elle est de l'empereur Napoleon III. C'est lui qui a partage ma vie de cette facon; que l'honneur lui en revienne. Il faut rendre a Cesar ce qui est a Bonaparte.

La trilogie est tres bien faite; et l'on pourrait dire selon les regles de l'art. Chacun de ces trois volumes contient un exil; dans le premier il y a l'exil de France, dans le deuxieme l'exil de Jersey, dans le troisieme l'exil de Belgique.

Une rectification pourtant. L'exil, pour les deux derniers pays, est un mot impropre; le mot vrai est expulsion. Il n'y a d'exil que de la patrie.

Une vie tout entiere est dans ces trois volumes. Elle y est complete. Dix ans dans le tome premier; dix-neuf ans dans le tome second; six ans dans le tome troisieme. Cela va de 1841 a 1876. On peut dans ces pages reelles etudier jour par jour la marche d'un esprit vers la verite; sans jamais un pas en arriere; l'homme qui est dans ce livre l'a dit et le repete.

Ce livre, c'est quelque chose comme l'ombre d'un passant fixee sur le sol.

Ce livre a la forme vraie d'un homme.

On remarquera peut-etre que ce livre commence (tome Ier, Institut, juin 1841) par un conseil de resistance et se termine (tome III, Senat, mai 1876) par un conseil de clemence. Resistance aux tyrans, clemence aux vaincus. C'est la en effet toute la loi de la conscience. Trente-cinq annees separent dans ce livre le premier conseil du second; mais le double devoir qu'ils imposent est indique, accepte et pratique dans toutes les pages de ces trois volumes.

L'auteur n'a plus qu'une chose a faire: continuer et mourir.

Il a quitte son pays le 11 decembre 1851; il y est revenu le 5 septembre 1870.

A son retour, il a trouve l'heure plus sombre et le devoir plus grand que jamais.

II

La patrie a cela de poignant qu'en sortir est triste, et qu'y rentrer est quelquefois plus triste encore. Quel proscrit romain n'eut mieux aime mourir comme Brutus que voir l'invasion d'Attila? Quel proscrit francais n'eut prefere l'exil eternel a l'effondrement de la France sous la Prusse, et a l'arrachement de Metz et de Strasbourg?

Revenir dans son foyer natal le jour des catastrophes; etre ramene par des evenements qui vous indignent; avoir longtemps appele la patrie dans sa nostalgie et se sentir insulte par la complaisance du destin qui vous exauce en vous humiliant; etre tente de souffleter la fortune qui mele un vol a une restitution; retrouver son pays, dulces Argos, sous les pieds de deux empires, l'un en triomphe, l'autre en deroute; franchir la frontiere sacree a l'heure ou l'etranger la viole; ne pouvoir que baiser la terre en pleurant; avoir a peine la force de crier: France! dans un etouffement de sanglots; assister a l'ecrasement des braves; voir monter a l'horizon de hideuses fumees, gloire de l'ennemi faite de votre honte; passer ou le carnage vient de passer; traverser des champs sinistres ou l'herbe sera plus epaisse l'annee prochaine; voir se prolonger a perte de vue, a mesure qu'on avance, dans les pres, dans les bois, dans les vallons, dans les collines, cette chose que la France n'aime pas, la fuite; rencontrer des dispersions farouches de soldats accables; puis rentrer dans l'immense ville heroique qui va subir un monstrueux siege de cinq mois; retrouver la France, mais gisante et sanglante, revoir Paris, mais affame et bombarde, certes, c'est la une inexprimable douleur.

C'est l'arrivee des barbares; eh bien, il y a une autre attaque non moins funeste, c'est l'arrivee des tenebres.

Si quelque chose est plus lugubre que le pietinement de nos sillons par les talons de la landwehr, c'est l'envahissement du dix-neuvieme siecle par le moyen age. Crescendo outrageant. Apres l'empereur, le pape; apres Berlin, Rome.

Apres avoir vu triompher le glaive, voir triompher la nuit!

La civilisation, cette lumiere, peut etre eteinte par deux modes de submersion; deux invasions lui sont dangereuses, l'invasion des soldats et l'invasiondes pretres.

L'une menace notre mere, la patrie; l'autre menace notre enfant, l'avenir.

III

Deux inviolabilites sont les deux plus precieux biens d'un peuple civilise, l'inviolabilite du territoire et l'inviolabilite de la conscience. Le soldat viole l'une, le pretre viole l'autre.

Il faut rendre justice a tout, meme au mal; le soldat croit bien faire, il obeit a sa consigne; le pretre croit bien faire, il obeit a son dogme; les chefs seuls sont responsables. Il n'y a que deux coupables, Cesar et Pierre; Cesar qui tue, Pierre qui ment.

Le pretre peut etre de bonne foi; il croit avoir une verite a lui, differente de la verite universelle. Chaque religion a sa verite, distincte de la verite d'a cote. Cette verite ne sort pas de la nature, entachee de pantheisme aux yeux des pretres; elle sort d'un livre. Ce livre varie. La verite qui sort du talmud est hostile a la verite qui sort du koran. Le rabbin croit autrement qu'e le marabout, le fakir contemple un paradis que n'apercoit pas le caloyer, et le Dieu visible au capucin est invisible au derviche. On me dira que le derviche en voit un autre; je l'accorde, et j'ajoute que c'est le meme; Jupiter, c'est Jovis, qui est Jova, qui est Jehovah; ce qui n'empeche pas Jupiter de foudroyer Jehovah, et Jehovah de damner Jupiter; Fo excommunie Brahma, et Brahma anathematise Allah; tous les dieux se revomissent les uns les autres; toute religion dement la religion d'en face; les clerges flottent dans tout cela, se haissant, tous convaincus, a peu pres; il faut les plaindre et leur conseiller la fraternite. Leur pugilat est pardonnable. On croit ce qu'on peut, et non ce qu'on veut. La est l'excuse de tous les clerges; mais ce qui les excuse les limite. Qu'ils vivent, soit; mais qu'ils n'empietent pas. Le droit au fanatisme existe, a la condition de ne pas sortir de chez lui; mais des que le fanatisme se repand au dehors, des qu'il devient veda, pentateuque ou syllabus, il veut etre surveille. La creation s'offre a l'etude de l'homme; le pretre deteste cette etude et tient la creation pour suspecte; la verite latente dont le pretre dispose contredit la verite patente que l'univers propose. De la un conflit entre la foi et la raison. De la, si le clerge est le plus fort, une voie de fait du fanatisme sur l'intelligence. S'emparer de l'education, saisir l'enfant, lui remanier l'esprit, lui repetrir le cerveau, tel est le procede; il est redoutable. Toutes les religions ont ce but: prendre de force l'ame humaine.

C'est a cette tentative de viol que la France est livree aujourd'hui.

Essai de fecondation qui est une souillure. Faire a la France un faux avenir; quoi de plus terrible?

L'intelligence nationale en peril, telle est la situation actuelle.

L'enseignement des mosquees, des synagogues et des presbyteres, est le meme; il a l'identite de l'affirmation dans la chimere; il substitue le dogme, cet empirique, a la conscience, cet avertisseur. Il fausse la notion divine innee; la candeur de la jeunesse est sans defense, il verse dans cette candeur l'imposture, et, si on le laisse faire, il en arrive a ce resultat de creer chez l'enfant une epouvantable bonne foi dans l'erreur.

Nous le repetons, le pretre est ou peut etre convaincu et sincere.

Doit-on le blamer? non. Doit-on le combattre? oui.

Discutons, soit.

Il y a une education a faire, le clerge le croit du moins, l'education de la civilisation; le clerge nous la demande. Il veut qu'on lui confie cet eleve, le peuple francais. La chose vaut la peine d'etre examinee.

Le pretre, comme maitre d'ecole, travaille dans beaucoup de pays. Quelle education donne-t-il? Quels resultats obtient-il? Quels sont ses produits? la est toute la question.

Celui qui ecrit ces lignes a dans l'esprit deux souvenirs; qu'on lui permette de les comparer, il en sortira peut-etre quelque lumiere. Dans tous les cas, il n'est jamais inutile d'ecrire l'histoire.

IV

En 1848, dans les tragiques journees de juin, une des places de Paris fut brusquement envahie par les insurges.

Cette place, ancienne, monumentale, sorte de forteresse carree ayant pour muraille un quadrilatere de hautes maisons en brique et eu pierre, avait pour garnison un bataillon commande par un brave officier nomme Tombeur. Les redoutables insurges de juin s'en emparerent avec la rapidite irresistible des foules combattantes.

Ici, tres brievement, mais tres nettement, expliquons-nous sur le droit d'insurrection.

L'insurrection de juin avait-elle raison?

On serait tente de repondre oui et non.

Oui, si l'on considere le but, qui etait la realisation de la republique; non, si l'on considere le moyen, qui etait le meurtre de la republique. L'insurrection de juin tuait ce qu'elle voulait sauver. Meprise fatale.

Ce contre-sens etonne, mais l'etonnement cesse si l'on considere que l'intrigue bonapartiste et l'intrigue legitimiste etaient melees a la sincere et formidable colere du peuple. L'histoire aujourd'hui le sait, et la double intrigue est demontree par deux preuves, la lettre de Bonaparte a Rapatel, et le drapeau blanc de la rue Saint-Claude.

L'insurrection de juin faisait fausse route.

En monarchie, l'insurrection est un pas en avant; en republique, c'est un pas en arriere.

L'insurrection n'est un droit qu'a la condition d'avoir devant elle la vraie revolte, qui est la monarchie. Un peuple se defend contre un homme, cela est juste.

Un roi, c'est une surcharge; tout d'un cote, rien de l'autre; faire contrepoids a cet homme excessif est necessaire; l'insurrection n'est autre chose qu'un retablissement d'equilibre.

 

La colere est de droit dans les choses equitables; renverser la

Bastille est une action violente et sainte.

L'usurpation appelle la resistance; la republique, c'est-a-dire la souverainete de l'homme sur lui-meme, et sur lui seul, etant le principe social absolu, toute monarchie est une usurpation; fut-elle legalement proclamee; car il y a des cas, nous l'avons dit [note: Preface du tome Ier, Avant l'exil.], ou la loi est traitre au droit. Ces rebellions de la loi doivent etre reprimees, et ne peuvent l'etre que par l'indignation du peuple. Royer-Collard disait: Si vous faites cette loi, je jure de lui desobeir.

La monarchie ouvre le droit a l'insurrection.

La republique le ferme.

En republique, toute insurrection est coupable.

C'est la bataille des aveugles.

C'est l'assassinat du peuple par le peuple. En monarchie, l'insurrection c'est la legitime defense; en republique, l'insurrection c'est le suicide.

La republique a le devoir de se defendre, meme contre le peuple; car le peuple, c'est la republique d'aujourd'hui, et la republique, c'est le peuple d'aujourd'hui, d'hier et de demain.

Tels sont les principes.

Donc l'insurrection de juin 1848 avait tort.

Helas! ce qui la fit terrible, c'est qu'elle etait venerable. Au fond de cette immense erreur on sentait la souffrance du peuple. C'etait la revolte des desesperes. La republique avait un premier devoir, reprimer cette insurrection, et un deuxieme devoir, l'amnistier. L'Assemblee nationale fit le premier devoir, et ne fit pas le second. Faute dont elle repondra devant l'histoire.

Nous avons du en passant dire ces choses parce qu'elles sont vraies et que toutes les verites doivent etre dites, et parce qu'aux epoques troublees il faut des idees claires; maintenant nous reprenons le recit commence.

Ce fut par la maison n deg. 6 que les insurges penetrerent dans la place dont nous avons parle. Cette maison avait une cour qui, par une porte de derriere, communiquait avec une impasse donnant sur une des grandes rues de Paris. Le concierge, nomme Desmasieres, ouvrit cette porte aux insurges, qui, par la, se ruerent dans la cour, puis dans la place. Leur chef etait un ancien maitre d'ecole destitue par M. Guizot. Il s'appelait Gobert, et il est mort depuis, proscrit, a Londres. Ces hommes firent irruption dans cette cour, orageux, menacants, en haillons, quelques-uns pieds nus, armes des armes que le hasard donne a la fureur, piques, haches, marteaux, vieux sabres, mauvais fusils, avec tous les gestes inquietants de la colere et du combat; ils avaient ce sombre regard des vainqueurs qui se sentent vaincus. En entrant dans la cour, un d'eux cria: "C'est ici la maison du pair de France!" Alors ce bruit se repandit dans toute la place chez les habitants effares: Ils vont piller le n deg. 6!

Un des locataires du no. 6 etait, en effet, un ancien pair de France qui etait a cette epoque membre de l'Assemblee constituante. Il etait absent de la maison, et sa famille aussi. Son appartement, assez vaste, occupait tout le second etage, et avait a l'une de ses extremites une entree sur le grand escalier, et, a l'autre extremite, une issue sur un escalier de service.

Cet ancien pair de France etait en ce moment-la meme un des soixante representants envoyes par la Constituante pour reprimer l'insurrection, diriger les colonnes d'attaque et maintenir l'autorite de l'Assemblee sur les generaux. Le jour ou ces faits se passaient, il faisait face a l'insurrection dans une des rues voisines, seconde par son collegue et ami le grand statuaire republicain David d'Angers.

– Montons chez lui! crierent les insurges.

Et la terreur fut au comble dans toute la maison.

Ils monterent au second etage. Ils emplissaient le grand escalier et la cour. Une vieille femme qui gardait le logis en l'absence des maitres leur ouvrit, eperdue. Ils entrerent pele-mele, leur chef en tete. L'appartement, desert, avait le grave aspect d'un lieu de travail et de reverie.

Au moment de franchir le seuil, Gobert, le chef, ota sa casquette et dit:

– Tete nue!

Tous se decouvrirent.

Une voix cria:

– Nous avons besoin d'armes.

Une autre ajouta:

– S'il y en a ici, nous les prendrons.

– Sans doute, dit le chef.

L'antichambre etait une grande piece severe, eclairee, a une encoignure, d'une etroite et longue fenetre, et meublee de coffres de bois le long des murs, a l'ancienne mode espagnole.

Ils y penetrerent.

– En ordre! dit le chef.

Ils se rangerent trois par trois, avec toutes sortes de bourdonnements confus.

– Faisons silence, dit le chef.

Tous se turent.

Et le chef ajouta:

– S'il y a des armes, nous les prendrons.

La vieille femme, toute tremblante, les precedait. Ils passerent de l'antichambre a la salle a manger.

– Justement! cria l'un d'eux.

– Quoi? dit le chef.

– Voici des armes.

Au mur de la salle a manger etait appliquee, en effet, une sorte de panoplie en trophee. Celui qui avait parle reprit:

– Voici un fusil.

Et il designait du doigt un ancien mousquet a rouet, d'une forme rare.

– C'est un objet d'art, dit le chef.

Un autre insurge, en cheveux gris, eleva la voix:

– En 1830, nous en avons pris de ces fusils-la, au musee d'artillerie.

Le chef repartit:

– Le musee d'artillerie appartenait au peuple.

Ils laisserent le fusil en place.

A cote du mousquet a rouet pendait un long yatagan turc dont la lame etait d'acier de Damas, et dont la poignee et le fourreau, sauvagement sculptes, etaient en argent massif.

– Ah! par exemple, dit un insurge, voila une bonne arme. Je la prends.

C'est un sabre.

– En argent! cria la foule.

Ce mot suffit. Personne n'y toucha.

Il y avait dans cette multitude beaucoup de chiffonniers du faubourg

Saint-Antoine, pauvres hommes tres indigents.

Le salon faisait suite a la salle a manger. Ils y entrerent.

Sur une table etait jetee une tapisserie aux coins de laquelle on voyait les initiales du maitre de la maison.

– Ah ca mais pourtant, dit un insurge, il nous combat!

– Il fait son devoir, dit le chef.

L'insurge reprit:

– Et alors, nous, qu'est-ce que nous faisons?

Le chef repondit:

– Notre devoir aussi.

Et il ajouta:

– Nous defendons nos familles; il defend la patrie.

Des temoins, qui sont vivants encore, ont entendu ces calmes et grandes paroles.

L'envahissement continua, si l'on peut appeler envahissement le lent defile d'une foule silencieuse. Toutes les chambres furent visitees l'une apres l'autre. Pas un meuble ne fut remue, si ce n'est un berceau. La maitresse de la maison avait eu la superstition maternelle de conserver a cote de son lit le berceau de son dernier enfant. Un des plus farouches de ces deguenilles s'approcha et poussa doucement le berceau, qui sembla pendant quelques instants balancer un enfant endormi.

Et cette foule s'arreta et regarda ce bercement avec un sourire.

A l'extremite de l'appartement etait le cabinet du maitre de la maison, ayant une issue sur l'escalier de service. De chambre en chambre ils y arriverent.

Le chef fit ouvrir l'issue, car, derriere les premiers arrives, la legion des combattants maitres de la place encombrait tout l'appartement, et il etait impossible de revenir sur ses pas.

Le cabinet avait l'aspect d'une chambre d'etude d'ou l'on sort et ou l'on va rentrer. Tout y etait epars, dans le tranquille desordre du travail commence. Personne, excepte le maitre de la maison, ne penetrait dans ce cabinet; de la une confiance absolue. Il y avait deux tables, toutes deux couvertes des instruments de travail de l'ecrivain. Tout y etait mele, papiers et livres, lettres decachetees, vers, prose, feuilles volantes, manuscrits ebauches. Sur l'une des tables etaient ranges quelques objets precieux; entre autres la boussole de Christophe Colomb, portant la date 1489 et l'inscription la Pinta.

Le chef, Gobert, s'approcha, prit cette boussole, l'examina curieusement, et la reposa sur la table en disant:

– Ceci est unique. Cette boussole a decouvert l'Amerique.

A cote de cette boussole, on voyait plusieurs bijoux, des cachets de luxe, un en cristal de roche, deux en argent, et un en or, joyau cisele par le merveilleux artiste Froment-Meurice.

L'autre table etait haute, le maitre de la maison ayant l'habitude d'ecrire debout.

Sur cette table etaient les plus recentes pages de son oeuvre interrompue,[note: Les Miserables.] et sur ces pages etait jetee une grande feuille depliee chargee de signatures. Cette feuille etait une petition des marins du Havre, demandant la revision des penalites, et expliquant les insubordinations d'equipages par les cruautes et les iniquites du code maritime. En marge de la petition etaient ecrites ces lignes de la main du pair de France representant du peuple: "Appuyer cette petition. Si l'on venait en aide a ceux qui souffrent, si l'on allait au-devant des reclamations legitimes, si l'on rendait au peuple ce qui est du au peuple, en un mot, si l'on etait juste, on serait dispense du douloureux devoir de reprimer les insurrections."

Ce defile dura pres d'une heure. Toutes les miseres et toutes les coleres passerent la, en silence. Ils entraient par une porte et sortaient par l'autre. On entendait au loin le canon.

Tous s'en retournerent au combat.

Quand ils furent partis, quand l'appartement fut vide, on constata que ces pieds nus n'avaient rien insulte et que ces mains noires de poudre n'avaient touche a rien. Pas un objet precieux ne manquait, pas un papier n'avait ete derange. Une seule chose avait disparu, la petition des marins du Havre.

[Note: Cette disparition s'est expliquee depuis. Le chef, Gobert, avait emporte cette petition annotee comme on vient de le voir, afin de montrer aux combattants a quel point l'habitant de cette maison, tout en faisant contre l'insurrection sa mission de representant, etait un ami vrai du peuple.]

Vingt ans apres, le 27 mai 1871, voici ce qui se passait dans une autre grande place; non plus a Paris, mais a Bruxelles, non plus le jour, mais la nuit.

Un homme, un aieul, avec une jeune mere et deux petits enfants, habitait la maison numero 3 de cette place, dite place des Barricades; c'etait le meme qui avait habite le numero 6 de la place Royale a Paris; seulement il n'etait plus qualifie "ancien pair de France", mais "ancien proscrit"; promotion due au devoir accompli.

Cet homme etait en deuil. Il venait de perdre son fils. Bruxelles le connaissait pour le voir passer dans les rues, toujours seul, la tete penchee, fantome noir en cheveux blancs.

Il avait pour logis, nous venons de le dire, le numero 3 de la place des Barricades.

Il occupait, avec sa famille et trois servantes, toute la maison.

Sa chambre a coucher, qui etait aussi son cabinet de travail, etait au premier etage et avait une fenetre sur la place; au-dessous, au rez-de-chaussee, etait le salon, ayant de meme une fenetre sur la place; le reste de la maison se composait des appartements des femmes et des enfants. Les etages etaient fort eleves; la porte de la maison etait contigue a la grande fenetre du rez-de-chaussee. De cette porte un couloir menait a un petit jardin entoure de hautes murailles au dela duquel etait un deuxieme corps de logis, inhabite a cette epoque a cause des vides qui s'etaient faits dans la famille.

La maison n'avait qu'une entree et qu'une issue, la porte sur la place.

Les deux berceaux des petits enfants etaient pres du lit de la jeune mere, dans la chambre du second etage donnant sur la place, au-dessus de l'appartement de l'aieul.

Cet homme etait de ceux qui ont l'ame habituellement sereine. Ce jour-la, le 27 mai, cette serenite etait encore augmentee en lui par la pensee d'une chose fraternelle qu'il avait faite le matin meme. L'annee 1871, on s'en souvient, a ete une des plus fatales de l'histoire; on etait dans un moment lugubre. Paris venait d'etre viole deux fois; d'abord par le parricide, la guerre de l'etranger contre la France, ensuite par le fratricide, la guerre des francais contre les francais. Pour l'instant la lutte avait cesse; l'un des deux partis avait ecrase l'autre; on ne se donnait plus de coups de couteau, mais les plaies restaient ouvertes; et a la bataille avait succede cette paix affreuse et gisante que font les cadavres a terre et les flaques de sang fige.

Il y avait des vainqueurs et des vaincus; c'est-a-dire d'un cote nulle clemence, de l'autre nul espoir.

Un unanime vae victis retentissait dans toute l'Europe. Tout ce qui se passait pouvait se resumer d'un mot, une immense absence de pitie. Les furieux tuaient, les violents applaudissaient, les morts et les laches se taisaient. Les gouvernements etrangers etaient complices de deux facons; les gouvernements traitres souriaient, les gouvernements abjects fermaient aux vaincus leur frontiere. Le gouvernement catholique belge etait un de ces derniers. Il avait, des le 26 mai, pris des precautions contre toute bonne action; et il avait honteusement et majestueusement annonce dans les deux Chambres que les fugitifs de Paris etaient au ban des nations, et que, lui gouvernement belge, il leur refusait asile.

 

Ce que voyant, l'habitant solitaire de la place des Barricades avait decide que cet asile, refuse par les gouvernements a des vaincus, leur serait offert par un exile.

Et, par une lettre rendue publique le 27 mai, il avait declare que, puisque toutes les portes etaient fermees aux fugitifs, sa maison a lui leur etait ouverte, qu'ils pouvaient s'y presenter, et qu'ils y seraient les bienvenus, qu'il leur offrait toute la quantite d'inviolabilite qu'il pouvait avoir lui-meme, qu'une fois entres chez lui personne ne les toucherait sans commencer par lui, qu'il associait son sort au leur, et qu'il entendait ou etre en danger avec eux, ou qu'ils fussent en surete avec lui.

Cela fait, le soir venu, apres sa journee ordinaire de promenade solitaire, de reverie et de travail, il rentra dans sa maison. Tout le monde etait deja couche dans le logis. Il monta au deuxieme etage, et ecouta a travers une porte la respiration egale des petits enfants. Puis il redescendit au premier dans sa chambre, il s'accouda quelques instants a sa croisee, songeant aux vaincus, aux accables, aux desesperes, aux suppliants, aux choses violentes que font les hommes, et contemplant la celeste douceur de la nuit.

Puis il ferma sa fenetre, ecrivit quelques mots, quelques vers, se deshabilla reveur, envoya encore une pensee de pitie aux vainqueurs aussi bien qu'aux vaincus, et, en paix avec Dieu, il s'endormit.

Il fut brusquement reveille. A travers les profonds reves du premier sommeil, il entendit un coup de sonnette; il se dressa. Apres quelques secondes d'attente, il pensa que c'etait quelqu'un qui se trompait de porte; peut-etre meme ce coup de sonnette etait-il imaginaire; il y a de ces bruits dans les reves; il remit sa tete sur l'oreiller.

Une veilleuse eclairait la chambre.

Au moment ou il se rendormait, il y eut un second coup de sonnette, tres opiniatre et tres prolonge. Cette fois il ne pouvait douter; il se leva, mit un pantalon a pied, des pantoufles et une robe de chambre, alla a la fenetre et l'ouvrit.

La place etait obscure, il avait encore dans les yeux le trouble du sommeil, il ne vit rien que de l'ombre, il se pencha sur cette ombre et demanda: Qui est la?

Une voix tres basse, mais tres distincte, repondit: Dombrowski.

Dombrowski etait le nom d'un des vaincus de Paris. Les journaux annoncaient, les uns qu'il avait ete fusille, les autres qu'il etait en fuite.

L'homme que la sonnette avait reveille pensa que ce fugitif etait la, qu'il avait lu sa lettre publiee le matin, et qu'il venait lui demander asile. Il se pencha un peu, et apercut en effet, dans la brume nocturne, au-dessous de lui, pres de la porte de la maison, un homme de petite taille, aux larges epaules, qui otait son chapeau et le saluait. Il n'hesita pas, et se dit: Je vais descendre et lui ouvrir.

Comme il se redressait pour fermer la fenetre, une grosse pierre, violemment lancee, frappa le mur a cote de sa tete. Surpris, il regarda. Un fourmillement de vagues formes humaines, qu'il n'avait pas remarque d'abord, emplissait le fond de la place. Alors il comprit. Il se souvint que la veille, on lui avait dit: Ne publiez pas cette lettre, sinon vous serez assassine. Une seconde pierre, mieux ajustee, brisa la vitre au-dessus de son front, et le couvrit d'eclats de verre, dont aucun ne le blessa. C'etait un deuxieme renseignement sur ce qui allait etre fait ou essaye. Il se pencha sur la place, le fourmillement d'ombres s'etait rapproche et etait masse sous sa fenetre; il dit d'une voix haute a cette foule: Vous etes des miserables!

Et il referma la croisee.

Alors des cris frenetiques s'eleverent: A mort! A la potence! A la lanterne! A mort le brigand!

Il comprit que "le brigand" c'etait lui. Pensant que cette heure pouvait etre pour lui la derniere, il regarda sa montre. Il etait minuit et demi.

Abregeons. Il y eut un assaut furieux. On en verra le detail dans ce livre. Qu'on se figure cette douce maison endormie, et ce reveil epouvante. Les femmes se leverent en sursaut, les enfants eurent peur, les pierres pleuvaient, le fracas des vitres et des glaces brisees etait inexprimable. On entendait ce cri: A mort! A mort! Cet assaut eut trois reprises et dura sept quarts d'heure, de minuit et demi a deux heures un quart. Plus de cinq cents pierres furent lancees dans la chambre; une grele de cailloux s'abattit sur le lit, point de mire de cette lapidation. La grande fenetre fut defoncee; les barreaux du soupirail du couloir d'entree furent tordus; quant a la chambre, murs, plafond, parquet, meubles, cristaux, porcelaines, rideaux arraches par les pierres, qu'on se represente un lieu mitraille. L'escalade fut tentee trois fois, et l'on entendit des voix crier: Une echelle! L'effraction fut essayee, mais ne put disloquer la doublure de fer des volets du rez-de-chaussee. On s'efforca de crocheter la porte; il y eut un gros verrou qui resista. L'un des enfants, la petite fille, etait malade; elle pleurait, l'aieul l'avait prise dans ses bras; une pierre lancee a l'aieul passa pres de la tete de l'enfant. Les femmes etaient en priere; la jeune mere, vaillante, montee sur le vitrage d'une serre, appelait au secours; mais autour de la maison en danger la surdite etait profonde, surdite de terreur, de complicite peut-etre. Les femmes avaient fini par remettre dans leurs berceaux les deux enfants effrayes, et l'aieul, assis pres d'eux, tenait leurs mains dans ses deux mains; l'aine, le petit garcon, qui se souvenait du siege de Paris, disait a demi-voix, en ecoutant le tumulte sauvage de l'attaque: C'est des prussiens. Pendant deux heures les cris de mort allerent grossissant, une foule effrenee s'amassait dans la place. Enfin il n'y eut plus qu'une seule clameur: Enfoncons la porte!

Peu apres que ce cri fut pousse, dans une rue voisine, deux hommes portant une longue poutre, propre a battre les portes des maisons assiegees, se dirigeaient vers la place des Barricades, vaguement entrevus comme dans un crepuscule de la Foret-Noire.

Mais en meme temps que la poutre le soleil arrivait; le jour se leva. Le jour est un trop grand regard pour de certaines actions; la bande se dispersa. Ces fuites d'oiseaux de nuit font partie de l'aurore.

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