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Ivanhoe. 2. Le retour du croisé

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Ivanhoe. 2. Le retour du croisé
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CHAPITRE XI

Premier voleur

«Halte là, monsieur; jetez-nous votre bourse si vous ne voulez pas que nous vous la prenions de force.»

Sperd

«Nous sommes perdus! ce sont les scélérats que tous les voyageurs craignent tant.»

Valentin

«Mes amis…»

Premier voleur

«Ne nous appelez pas ainsi, monsieur; nous ne sommes pas vos amis, mais vos ennemis.»

Deuxième voleur

«Paix! il faut l'écouter!..

Troisième voleur

«Oui, par ma barbe, il faut l'écouter! c'est un homme comme il faut.»

Shakspeare, les deux Gentilshommes de Venise.

Notre gardien de pourceaux n'était pas à la fin de ses aventures nocturnes, et il commençait en effet à s'en douter, lorsqu'après avoir traversé la plus grande partie de la ville d'Ashby, et avoir passé près de quelques maisons isolées qui en formaient le faubourg, il se trouva dans un chemin creux, entre deux monticules couverts de noisetiers et de buis, entremêlés de chênes qui étendaient leurs branches sur la route, d'ailleurs très raboteuse et pleine d'ornières profondes, creusées par le roulis journalier de voitures de toute espèce, de celles surtout qui avaient récemment transporté tous les matériaux nécessaires à la construction des galeries élevées autour de la lice du tournoi; enfin l'obscurité était encore rendue plus grande par le feuillage et les branches des arbres qui interceptaient le peu de clarté que la lune aurait pu y verser dans une belle nuit d'été. Le bruit lointain des divertissemens de la ville, celui des chants joyeux, des éclats de rire de la multitude, mariés au son des divers instrumens, tout cela, en rappelant au souvenir de Gurth cette foule de guerriers, de gens de toute condition et sans aveu, qui se trouvaient à Ashby, tintait malgré lui à son oreille, et augmentait son inquiétude et son embarras. Dans sa perplexité, il se dit à lui-même: «Par le ciel et par saint Dunstan, la juive avait raison! je voudrais être en sûreté, moi et mon trésor. Il y a ici un si grand nombre, je n'ose pas dire de voleurs, mais de soi-disant chevaliers errans, d'écuyers, de ménestrels, de jongleurs, d'archers et de vauriens affamés et vagabonds, qu'un homme ayant un marc d'argent en poche ne saurait être en pleine sécurité; à plus forte raison celui qui, comme moi, a une si énorme somme de sequins. Je voudrais être au bout de ce chemin redouté, pour apercevoir les clercs de saint Nicolas avant qu'ils ne tombent sur les épaules.» Afin d'atteindre la plaine à laquelle menait ce chemin creux, notre voyageur doubla donc le pas; mais, dans l'endroit précisément où le bois qui garnissait les deux hauteurs était le plus fourré, le plus touffu, quatre hommes s'élancent sur lui, deux de chaque côté du chemin, et ils le tiennent si bien serré, que tous efforts de sa part, toute résistance deviennent inutiles.

«Ta bourse! lui dit l'un d'eux; nous sommes des gens serviables, et nous débarrassons les voyageurs des plus ou moins lourds fardeaux qui les gênent dans leur marche.» – «Vous ne me débarrasseriez pas facilement de celui que je porte, si je pouvais me défendre,» répondit Gurth, dont la probité innée et sans tache l'empêchait de se taire et de ne pas s'épuiser en efforts, malgré l'imminence du danger présent. «C'est ce que nous allons voir, répliqua le voleur. Si tu aimes les os brisés et la bourse coupée, rien n'est plus facile; on pourra également t'ouvrir deux veines en même temps. Qu'on l'emmène dans le bois,» dit-il à ses compagnons.

On força Gurth à gravir la hauteur du côté gauche du chemin, et on l'entraîna de vive force dans un petit bois qui s'étendait jusqu'à la plaine; on le fit marcher ainsi jusque dans le plus épais du taillis. Là, se trouvait une espèce de clairière où se jouaient les pales rayons de la lune, où les bandits s'arrêtèrent avec leur victime, et où ils furent joints par deux autres. Ce fut en cet endroit que Gurth, au moyen de cette faible lueur, put s'apercevoir que ces six larrons portaient des masques, ce qui ne lui aurait laissé aucun doute sur leur profession, s'il avait pu en concevoir d'après la manière brutale dont il venait d'être arrêté et saisi, et si le lieu même de l'arrestation n'eût témoigné contre ses assassins. «Combien as-tu d'argent?» lui demanda un des nouveaux venus. – «Trente sequins m'appartiennent,» répondit Gurth avec assurance. – «Mensonge! mensonge! s'écrièrent tous les brigands; un Saxon aurait trente sequins, et partirait de la ville sans être ivre? impossible! confiscation irrévocable de tout ce qu'il porte.» – «Je les gardais pour acheter ma liberté,» dit Gurth. – «Tu n'es qu'un âne, cria l'un des voleurs; trois pintes de double bière t'auraient rendu aussi libre et plus libre que ton maître, fût-il Saxon, comme toi.» – «C'est une triste vérité, dit Gurth; mais si trente sequins vous contentaient, lâchez moi le bras, et je vous les compterai.» – «Un instant, reprit encore un des nouveaux venus, qui semblait être le chef; le sac que tu portes sous ton manteau renferme plus d'argent que tu n'en déclares.» – «Il appartient au brave chevalier, mon maître, répondit Gurth, et certainement je ne vous en aurais point parlé, si vous aviez voulu vous contenter de ce qui m'appartient.» – «Tu es un brave garçon, par ma foi! et tout dévoués que nous soyons à saint Nicolas, tu peux encore sauver tes trente sequins, si tu veux être sincère avec nous. Mais, en attendant, mets à terre le poids qui te gêne.» Et aussitôt il lui prit un sac de cuir, dans lequel se trouvaient la bourse de Rebecca et le reste des sequins qu'il avait apportés.»

Continuant alors son interrogatoire: «Quel est ton maître?» lui demanda-t-il. – «Le chevalier déshérité.» – «Qui a remporté le prix aujourd'hui? Quel est son nom et son lignage?» – «Son bon plaisir est qu'on l'ignore, et ce n'est pas de moi que vous l'apprendrez.» – «Et toi-même, comment te nommes-tu?» – «Vous dire mon nom, ce serait vous désigner mon maître.» – «Tu es un fidèle serviteur. Mais comment cet or appartient-il à ton maître? Est-ce par héritage ou à quelque autre titre?» – «C'est par le droit de sa bonne lance. Ce sac renferme la rançon de quatre beaux coursiers et d'autant de belles armures.» – «Combien s'y trouve-t-il?» – Deux cents sequins.» – «Pas davantage? Ton maître a été bien modéré envers les vaincus; ils en ont été quittes à bon marché. Dis-moi ceux qui ont payé cette rançon.» Gurth obéit.

«Mais tu ne me parles pas du templier, reprit le chef. Tu ne peux me tromper: quelle rançon a payé sire Brian de Bois-Guilbert?» – «Mon maître n'en a voulu aucune de lui. Il existe entre eux une haine à mort, et ils ne peuvent avoir ensemble aucun rapport de courtoisie.» – «Bravo!» dit le chef. Et après un moment de réflexion: «Par quel hasard, ajouta-t-il, te trouvais-tu à Ashby avec une telle somme?» – «J'allais rendre au juif Isaac d'Yorck le prix d'une armure qu'il avait prêtée à mon maître pour le tournoi.» – «Et combien as-tu payé à Isaac? Si j'en juge par le poids, la somme entière est encore dans ce sac.» – «J'ai payé quatre-vingts sequins à Isaac, et il m'en a fait remettre cent en place.» – «Impossible! Impossible! s'écrièrent à la fois tous les brigands. Comment oses-tu nous en imposer par d'aussi grossiers mensonges?» – «Ce que je vous dis, répondit Gurth, est aussi vrai qu'il est vrai que vous voyez la lune. Vous trouverez les cent sequins dans une bourse de soie séparée du reste de l'argent.» – «Songe, dit le chef, que tu parles d'un juif, d'un homme aussi incapable de lâcher l'or qu'il a une fois touché que les sables du désert le sont de rendre la coupe d'eau que le voyageur y a versée1.» – «Un juif, dit un autre chef de bandits, n'a pas plus de pitié qu'un officier du shériff à qui l'on n'a pas remis pour boire.» – «Ce que je vous ai dit est pourtant vrai,» répondit Gurth. – «Qu'on allume vite une torche, dit le chef, car je veux examiner cette bourse. Si ce drôle ne ment pas, la générosité du juif est un phénomène contre nature, et presque un aussi grand miracle que celui qui fit jaillir une source d'un rocher pour ses ancêtres dans le désert.»

On alluma une torche, et le chef examina ce que la bourse contenait. Pendant qu'il la dénouait, ses compagnons se groupèrent autour de lui; et ceux qui tenaient Gurth par le bras, mus par un excès de curiosité à la vue de l'or, allongèrent le cou pour satisfaire leur cupidité. L'écuyer saxon, par cette inadvertance, se trouvant moins serré, rassembla toutes ses forces musculeuses pour s'affranchir de ses liens à l'aide d'un mouvement spontané et vigoureusement combiné; et vraiment il fût parvenu à s'évader, à se délivrer des voleurs, s'il eût voulu renoncer à l'argent de son maître; mais cette intention ne fut pas la sienne. Ainsi adroitement dégagé des liens qui le retenaient captif, il arracha incontinent à l'un des bandits un bâton noueux, en asséna un coup vigoureux sur la tête du chef, qui ne s'attendait guère à semblable représaille: dès lors la bourse tomba des mains de celui-ci, et Gurth allait la ramasser, quand les voleurs, plus agiles, s'emparèrent de nouveau du malheureux porcher, et le tinrent plus étroitement serré que jamais.

 

«Faquin, lui dit le chef, avec tout autre que moi ton insolence serait déjà punie: mais dans un moment tu connaîtras ta destinée. Il faut d'abord nous occuper de ton maître: les affaires du chevalier doivent passer avant celles de l'écuyer, suivant les lois de la chevalerie. En attendant, demeure en repos; car, si tu essaies le moindre mouvement, on te mettra hors d'état de bouger de long-temps. Camarades, dit-il alors aux autres, cette bourse est brodée en caractères hébraïques; il s'y trouve cent pièces, et je crois à la véracité du yeoman. N'exigeons nul péage du chevalier son maître; il est trop des nôtres pour que nous le rançonnions: les chiens ne s'attaquent pas aux chiens tant qu'il y a des loups et des renards en abondance2.» – «Il est des nôtres! reprit un des bandits: je voudrais bien savoir comment?» – «N'est-il pas misérable et déshérité comme nous? N'est-ce pas, comme nous, à la pointe de l'épée qu'il gagne paisiblement sa vie? N'a-t-il pas vaincu Front-de-Boeuf et Malvoisin, comme nous le ferions si l'occasion s'en présentait? N'est-il pas ennemi mortel de Brian de Bois-Guilbert, que nous avons tant de raison de redouter? Autrement, voudrais-tu que nous eussions moins de conscience qu'un mécréant, un vilain juif?» – «Non, tu as raison: ce serait une honte, répondit le même brigand; cependant, lorsque je servais dans la troupe du vieux Gandelyn, nous n'avions pas de tels scrupules. Et cet insolent rustaud, je le demande, s'en ira-t-il sans égratignure?» – Non, certes, si tu peux le fustiger,» répliqua le chef.

«Ici, coquin, ajouta-t-il en s'adressant à Gurth. Sais-tu manier le bâton que tu as si vite escamoté?» – «Je pense, dit Gurth, que vous en avez eu une assez bonne preuve pour répondre vous-même à cette question.» – «Oui, par ma foi, tu m'en as asséné un coup vigoureux, reprit le capitaine. Donne-s-en autant à ce garçon, et tu passeras franc d'impôt. Et même, si tu ne réussis pas, tu t'es montré si fidèle à ton maître, que je me croirai, sur mon honneur, obligé de payer ta rançon. Allons, Miller3, prends ton bâton et ne perds point la tête. Vous autres, lâchez ce drôle et donnez-lui un bâton: il fait assez clair pour une telle joute.»

Armés chacun d'un fort bâton de même longueur et de même grosseur, les deux champions vinrent se placer au milieu de la clairière, afin de combattre plus à leur aise au clair de la lune. Les brigands faisaient cercle autour d'eux en pouffant de rire; et criaient à leur camarade: «Allons, meunier, prends garde de payer toi-même ton droit de passe.» Le meunier, de son côté, prenant son bâton par le milieu, et le faisant tourner sur sa tête pour imiter ce que les Français appellent le moulinet, s'écria fièrement: «Avance, faquin, si tu l'oses; tu vas sentir la force du poing d'un meunier.» – «Si tu es un meunier,» répondit Gurth avec fermeté, en jouant du bâton sur sa tête de la même manière que son antagoniste, «tu dois être doublement voleur; et, en homme, je te défie.»

Alors les deux champions s'attaquèrent bravement, et déployèrent pendant quelques minutes une grande égalité de force, de courage et d'adresse, portant et parant les coups avec la plus rapide dextérité. Le bruit de leurs bâtons frappant à coups redoublés l'un sur l'autre était tel, qu'à une certaine distance on aurait cru qu'il y avait au moins six combattans de chaque côté. Des combats moins acharnés et moins dangereux ont été chantés en beaux vers héroïques; mais celui de Gurth et du meunier n'aura pas le même honneur, faute d'un poète inspiré qui rende hommage à de tels adversaires. Cependant, quoique le combat du bâton à deux bouts ne soit plus pratiqué4, nous ferons de notre mieux pour rendre justice en prose à de si braves champions.

Ils luttèrent pendant assez long-temps avec un succès balancé. Toutefois, le meunier commença à perdre patience devant un antagoniste aussi formidable, et en voyant ses compagnons se moquer de lui, comme c'est d'usage en pareil cas. Cette impatience devint funeste à celui qui la manifestait dans ce noble jeu du gourdin, lequel exige beaucoup de sang-froid et de présence d'esprit, et elle donna à Gurth, doué d'un caractère très ferme, un énorme avantage dont il sut profiter. Le meunier attaquait avec une furie extrême; les deux bouts de son bâton frappaient tour à tour sans discontinuer, et il serrait de près son ennemi, qui, faisant le moulinet, se couvrait la tête et le corps, parait tous les coups, et se tenait sur la défensive; il agissait de l'oeil, du pied et de la main, si à propos, qu'en voyant son adversaire manquer de respiration par la fatigue, il porta de la main gauche un coup de l'instrument à la tête; pendant que le meunier voulut le parer, il précipita sa main droite à sa gauche, et, en brandissant le bâton, il atteignit au côté gauche de la tête son antagoniste dont le corps à l'instant mesura de toute sa longueur la verte pelouse.

«Très bien! exploit digne d'un archer!» s'écrièrent les voleurs. Parfaitement combattu, et vive à jamais la vieille Angleterre! le Saxon a sauvé sa bourse et sa peau, le meunier a trouvé son maître.» – «Tu peux continuer ta route, mon ami, dit le capitaine en s'adressant à Gurth, et en confirmant l'assentiment général des spectateurs; je te ferai accompagner par deux de mes camarades, jusqu'en vue du pavillon de ton maître, de peur que tu ne rencontres quelques autres promeneurs de nuit, qui auraient des consciences moins timorées que les nôtres; car en ce moment il y en a plus d'un aux aguets. Prends garde, cependant; souviens-toi que tu as refusé de nous dire ton nom; ne cherche pas à découvrir les nôtres, et à savoir qui nous sommes; car, si tu poussais trop loin tes investigations, tu n'en serais plus quitte à si bon marché.

Gurth remercia le capitaine, et l'assura qu'il suivrait son avis. Deux des outlaws, armés de leurs bâtons, lui dirent alors de les suivre, et traversèrent ensemble la forêt, par un petit sentier embarrassé de broussailles, et à nombreux détours. Sur la lisière du bois, deux hommes parlèrent à ses guides, et en reçurent à l'oreille une réponse qui permit de continuer la marche sans encombre. Le fidèle écuyer reconnut que la précaution du chef n'avait pas été vaine, et il conclut de cette circonstance que la bande était nombreuse, et qu'il y avait une garde régulière autour du lieu de leur rendez-vous.

En arrivant sur la bruyère, Gurth n'aurait pu y trouver son chemin, qui n'était pas celui par où il était venu; mais ses deux guides l'accompagnèrent jusqu'à une petite éminence du haut de laquelle, au clair de la lune, on distinguait la place du tournoi, les tentes dressées à chaque bout, avec les pannonceaux qui les ornaient, et que le vent balançait encore; on entendait même le chant dont les sentinelles cherchaient à égayer leur faction nocturne.

Ici les deux voleurs s'arrêtèrent. «Nous n'irons pas plus loin, lui dirent-ils; car il y aurait de notre part imprudence à le tenter. Rappelle-toi l'avertissement que tu as reçu. Garde le secret sur ce qui t'est survenu cette nuit, tu n'auras pas sujet de t'en repentir. Mais si tu t'avisais de parler, la tour de Londres ne te protégerait pas contre notre vengeance.» – «Grand merci et bonne nuit, messieurs, dit Gurth, je suis discret de mon naturel, mais je me flatte que sans vous offenser, je puis vous souhaiter un meilleur état que le vôtre.

À ces mots ils se séparèrent. Les outlaws reprirent le chemin par où ils étaient venus, et Gurth se rendit à la tente de son maître, auquel, nonobstant l'injonction qu'il avait reçue, il conta toutes ses aventures de la nuit. Le chevalier déshérité éprouva un étonnement inexprimable, non moins de la générosité de Rébecca, dont cependant il résolut de ne pas profiter, que de celle des voleurs, à la profession desquels un pareil sentiment paraît si étranger. Ses réflexions sur ces événemens singuliers furent toutefois interrompues par le besoin qu'il avait de repos; les fatigues de la journée et celles qui l'attendaient le lendemain le lui rendaient indispensable. Il se mit donc sur une superbe couche que les maréchaux du tournoi lui avaient fait préparer; et, de son côté, le fidèle gardien de pourceaux s'étendit sur une peau d'ours, à travers l'entrée du pavillon, de manière que personne n'eût pu s'y introduire sans l'éveiller.

CHAPITRE XII

«Les hérauts cessent maintenant de toucher, serrer et remonter leurs trompettes et leurs clairons, qui ne font plus entendre leurs sons éclatans. Il ne reste plus rien à dire ou à faire; mais de toutes parts on voit les lances se précipiter au milieu des ennemis; ici l'éperon pointu est poussé dans le flanc; là vous voyez des jouteurs et des cavaliers; autre part des javelots frappant des boucliers volent en éclats; la pointe se fait jour jusqu'au coeur; les lances volent dans les airs à vingt pieds de hauteur; les épées, brillantes comme l'argent, cherchent des casques à briser, des cuirasses à mettre en lambeaux: le sang jaillit de toutes les plaies et forme de longs ruisseaux.»

Chaucer.

Le jour reparut dans tout son éclat; et avant que le soleil se fût un peu élevé sur l'horizon, les plus tardifs comme les plus empressés des spectateurs étaient accourus de toutes parts vers le cercle tracé autour de la lice, afin de s'assurer le poste le plus favorable, pour voir les joutes qui allaient commencer. Les maréchaux du tournoi et leurs suivans arrivèrent bientôt dans l'arène, avec les hérauts d'armes, pour recevoir les noms des chevaliers décidés à combattre, et leur demander sous quel étendard ils voulaient se ranger. C'était une précaution indispensable qui devait établir l'égalité entre les deux corps prêts à être opposés l'un à l'autre.

Suivant l'usage, le chevalier déshérité, qui avait triomphé dans le dernier tournoi, devenait de droit le chef d'une des deux troupes, tandis que Brian de Bois-Guilbert, regardé comme le second qui avait obtenu le plus de gloire dans le jour précédent, fut déclaré le premier champion de l'autre bande. Ceux qui la veille s'étaient rangés de son parti revinrent sous son drapeau, excepté Ralph de Vipont, que sa chute avait mis hors d'état de reprendre de sitôt son armure. Il ne manqua pas de vaillans et nobles candidats pour remplir les rangs de l'une et l'autre cohorte. En effet, bien que le tournoi général, dans lequel beaucoup de chevaliers combattaient à la fois, devînt plus dangereux que des combats singuliers, à cette époque du moyen âge, on le préférait toujours. Une foule de ces mêmes chevaliers, qui n'avaient pas assez de confiance dans leur propre habileté pour défier un seul adversaire d'une haute réputation, désiraient néanmoins déployer leur courage dans un combat général, où ils pouvaient lutter contre des champions moins redoutables. Cinquante chevaliers étaient déjà inscrits, lorsque les maréchaux déclarèrent qu'il n'en serait pas admis un plus grand nombre, ce dont plusieurs autres, arrivés trop tard, éprouvèrent bien du regret.

Vers dix heures, toute la plaine était couverte par une multitude de personnes des deux sexes, à cheval ou à pied, empressées au tournoi; et bientôt des fanfares annoncèrent le prince Jean et sa suite. Le monarque était entouré de la plupart des chevaliers qui se proposaient de prendre une part active à la lutte, aussi bien que de ceux dont le rôle devait se borner à celui de spectateurs. Dans le même instant arriva le Saxon Cedric avec lady Rowena, mais non suivi du baron Athelstane. Ce dernier avait revêtu une forte armure, afin de se mêler parmi les combattans; et, à la grande surprise de Cedric, il avait pris son rang sous la bannière du Templier. Le Saxon fit à son ami de très vives remontrances sur un choix si peu judicieux; mais il n'en avait reçu qu'une réponse évasive, comme en donnent ordinairement ceux qui s'obstinent beaucoup plus à suivre une détermination qu'à la justifier.

 

Athelstane cependant avait une excellente raison pour adhérer au parti de Brian de Bois-Guilbert; mais il eut la prudence de ne point la révéler. Quoique l'apathie de son humeur fût loin de le porter à faire aucune démarche pour gagner les bonnes grâces de lady Rowena, il s'en fallait qu'il demeurât insensible à ses charmes, et il considérait son alliance avec elle comme une chose irrévocablement fixée par le consentement de Cedric et des autres amis que la jeune personne eût pu consulter. Aussi était-ce avec un déplaisir extrême qu'il avait vu le vainqueur de la veille, usant de la prérogative que la coutume lui accordait, porter son choix sur lady Rowena, et la proclamer reine de la beauté et de l'amour. Pour le punir d'une préférence qui venait en quelque sorte contrarier ses desseins, Athelstane, confiant dans sa force et son habileté, que du moins ses flatteurs ne manquaient pas de vanter, résolut non seulement de priver du secours de son bras le chevalier déshérité, mais même, si l'occasion s'en présentait, de lui faire sentir le poids de sa hache d'armes. Bracy et d'autres chevaliers attachés au prince Jean s'étaient rangés parmi les tenans, d'après l'ordre de leur maître, qui par tous les moyens désirait assurer la victoire au drapeau de Brian de Bois-Guilbert. Du côté opposé, beaucoup d'autres chevaliers normands ou anglais s'étaient déclarés contre les tenans, d'autant plus volontiers qu'ils étaient fiers de suivre un champion aussi brave que le chevalier déshérité.

Sitôt que le prince Jean vit que la reine du jour était arrivée, il vint à sa rencontre avec cet air de courtoisie qu'il savait si bien prendre quand il le voulait, et, ôtant de sa tête la riche toque dont elle était parée, il descendit de cheval, et offrit la main à lady Rowena, pour quitter également la selle de son palefroi, tandis que, le front découvert, l'un des premiers seigneurs de sa suite tenait la bride du coursier de la belle, qui hennissait, comme orgueilleux d'un tel fardeau. «C'est ainsi qu'il nous faut les premiers, s'écria le prince, donner l'exemple du respect dû à la reine de la beauté et de l'amour, en nous empressant de l'accompagner jusqu'au trône où son triomphe lui a acquis le doux privilége de s'asseoir aujourd'hui. Mesdames, ajouta-t-il, escortez votre souveraine, et rendez-lui tous les honneurs qu'un jour aussi vous recevrez sans doute à votre tour.» En disant ces paroles, il conduisit Rowena au siége d'honneur, vis-à-vis de son trône, tandis que les dames les plus distinguées par leur naissance et leur beauté se pressaient, afin d'obtenir les places les plus voisines de leur reine éphémère.

À peine fut-elle assise, que des fanfares et des acclamations saluèrent sa nouvelle dignité. Les rayons du soleil, alors dans tout son éclat, se réfléchissaient sur les armes des chevaliers qui, aux deux extrémités de la lice, se concertaient vivement sur la manière dont ils disposeraient leur ligne, et soutiendraient l'assaut.

Les hérauts d'armes commandèrent alors le silence, jusqu'à ce qu'on eût terminé la lecture des règles du tournoi. Elles étaient calculées de façon à diminuer jusqu'à un certain point les dangers du combat; précaution devenue d'autant plus nécessaire, qu'on devait faire usage d'épées et de lances affilées. Aussi, était-il expressément défendu aux champions de pousser de la pointe; il ne leur était permis que de frapper du plat de la lame. Un chevalier pouvait à son gré se servir d'une massue ou d'une hache d'armes; mais le poignard lui était interdit. Tout chevalier désarçonné pouvait renouveler à pied le combat avec un autre adversaire qui se trouvait dans le même cas; mais alors nul cavalier ne pouvait l'attaquer. Lorsqu'un chevalier parvenait à repousser son antagoniste jusqu'à l'extrémité de la lice, de manière à lui faire toucher, de sa personne et de ses armes, la palissade, celui-ci était tenu de s'avouer vaincu, et son armure et son coursier passaient à la disposition du vainqueur. Un chevalier ainsi défait ne pouvait plus rentrer en lice. Si un chevalier tombait renversé et hors d'état de se relever, son page pouvait entrer dans l'arène et emporter son maître hors de l'enceinte; mais alors ce chevalier était déclaré vaincu, et privé de ses armes et de son cheval. Le combat devait cesser dès que le prince Jean jetterait dans l'arène son bâton de commandement; autre précaution usitée pour empêcher l'inutile effusion du sang, par la trop longue prolongation d'une joute désespérée. Tout chevalier qui transgressait les règles du tournoi, ou, de quelque manière que ce fût, celles de la chevalerie, pouvait être dépouillé de ses armes, et obligé, son bouclier renversé, de s'asseoir dans cette posture sur les barreaux de la palissade, exposé à la risée publique, en punition de sa déloyale conduite.

Après avoir ainsi proclamé ces sages dispositions, les hérauts d'armes terminèrent par une exhortation à tout bon chevalier de remplir son devoir et de mériter la faveur de la reine de la beauté et de l'amour. Cette proclamation finie, les hérauts se retirèrent à leurs places respectives. Alors les chevaliers s'avancèrent lentement des deux bouts de la lice, rangés en double file exactement opposée l'une à l'autre, le chef de troupe au centre du premier rang, poste qu'il n'occupa qu'après avoir passé en revue son corps, et avoir assigné à chacun la place qu'il devait garder.

C'était un spectacle tout à la fois agréable et terrible, que de voir tant de valeureux champions richement armés, guidant de superbes coursiers, et se tenant tous prêts à une attaque formidable, fixés sur leur selle de guerre, comme autant de piliers d'airain, et attendant le signal du combat avec la même impatience que leurs généreux coursiers, qui, hennissant et frappant du pied la terre, brûlaient de commencer un choc épouvantable.

Pendant que les chevaliers tenaient leurs lances debout, les rayons du soleil en faisaient briller les pointes acérées, et des banderoles, les ornant à l'envi, flottaient sur les panaches qui ombrageaient l'éclat des casques belliqueux. Ils demeurèrent dans cette noble attitude pendant que les maréchaux du tournoi parcouraient les rangs avec une rigoureuse attention, de peur que l'un des deux partis ne se trouvât plus ou moins nombreux que l'autre. Assurés d'une balance égale, ils se retirèrent de la lice; et, d'une voix de tonnerre, Guillaume de Wyvil donna le signal en ces mots: «Laissez aller!» Les trompettes sonnèrent au même instant; les lances des chevaliers se baissèrent à la fois, et se mirent en arrêt; les éperons s'enfoncèrent dans les flancs des coursiers: des deux côtés les premiers rangs fondirent l'un sur l'autre au grand galop, et, lorsqu'ils se rencontrèrent au milieu de l'arène, leur choc fut si terrible, qu'on l'entendit à un mille de distance.

Le résultat de ce premier engagement ne fut pas sur-le-champ connu des spectateurs, car les flots de poussière élevés par le trépignement des chevaux obscurcirent l'air, et il fallut attendre quelques minutes avant de pouvoir juger l'effet de cette rencontre meurtrière. Aussitôt que l'on put apercevoir le champ de bataille, on vit de chaque côté que la moitié des chevaliers avaient été désarçonnés, les uns vaincus par la dextérité de leurs adversaires, les autres par une force plus grande qui avait abattu en même temps le cheval et le cavalier; quelques uns gisaient sur la terre comme dans une impossibilité absolue de se relever; d'autres étaient déjà sur pied, et serraient de près ceux de leurs ennemis qui se trouvaient dans la même position; deux ou trois avaient reçu de si graves blessures qu'ils se voyaient hors de combat, et, employant leurs écharpes à arrêter le sang, ils s'épuisaient en douloureux efforts pour s'éloigner du milieu de la foule et du bruit. Les chevaliers non démontés, mais dont presque toutes les lances avaient été rompues par la violence du choc, avaient maintenant l'épée à la main; ils poussaient leurs cris de guerre, et échangeaient leurs coups avec le même acharnement que si l'honneur et la vie de chacun eussent dépendu de l'issue de l'action.

Le tumulte s'accrut bientôt, lorsque de chaque côté le second rang, qui formait la réserve, se précipita au secours du premier. Les compagnons de Brian de Bois-Guilbert criaient: «Ah! Baucéan! Baucéan5! pour le Temple! pour le Temple!» Le parti opposé répondait: «Desdichado! desdichado!6» cri de guerre qu'il avait pris de la devise gravée sur le bouclier de son chef.

Les deux partis en vinrent derechef aux mains avec une inexprimable furie. Le succès était balancé, et la victoire flottait incertaine entre les combattans. Le cliquetis des armes et les cris des champions, se mêlant à l'âpre son des trompettes, étouffaient les gémissemens de ceux qui succombaient et roulaient, sur le sol et sans défense, sous les pieds des chevaux. Les éclatantes armures des guerriers étaient alors couvertes de poussière et de sang, et se brisaient aux coups réitérés du glaive et de la hache d'armes. Les plumes blanches qui décoraient les casques voltigeaient au gré de la brise comme des flocons de neige. Tout ce qu'il y avait de brillant et de gracieux dans le costume militaire s'était évanoui, et ce qui demeurait visible n'était plus de nature qu'à éveiller la crainte ou la pitié.

1A Jew, as unapt to restore gold as the dry of his deserts to return the cup of water which the pilgrim spills upon them.
2Dogs should not worry dogs where wolves and foxes are to be found in abundance.
3Mot qui veut dire meunier, sens dans lequel il sera tout à l'heure employé.
4Les paysans de la Normandie se servent encore du bâton dans leurs querelles ou leurs jeux, en faisant le moulinet.A. M.
5Le Baucéan, que par erreur Walter-Scott écrit Beaucéant, était, dit-il, le nom de la bannière des templiers, laquelle était moitié noire, moitié blanche, pour annoncer, ajoute-t-il, qu'ils étaient aussi bons et candides envers les chrétiens, que noirs, c'est-à-dire terribles envers les infidèles. Cette explication de l'emblème est exacte; mais ici l'écrivain anglais confond, et prend un étendard pour l'autre. Les templiers en avaient deux: le Drapeau de guerre ou Vexilium belli, et le Baucéan ou Baucennus. Celui-ci, blanc, était chargé d'une croix gironnée de gueule ou rouge, formée de quatre triangles, l'autre était blanc, chargé de quatre pals de sable ou noirs.
6Déshérité! déshérité! devise du chevalier Ivanhoe.
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