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Les mystères du peuple, Tome V

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Les mystères du peuple, Tome V
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Correspondance avec les Editeurs étrangers

L'éditeur des Mystères du Peuple offre aux éditeurs étrangers, de leur donner des épreuves de l'ouvrage, quinze jours avant l'apparition des livraisons à Paris, moyennant 15 francs par feuille, et de leur fournir des gravures tirées sur beau papier, avec ou sans la lettre, au prix de 10 francs le cent.

Travailleurs qui ont concouru à la publication du volume:

Protes et Imprimeurs: Richard Morris, Stanislas Dondey-Dupré, Nicolas Mock, Jules Desmarest, Louis Dessoins, Michel Choque, Charles Mennecier, Victor Peseux, Etienne Bouchicot, Georges Masquin, Romain Sibillat, Alphonse Perrève, Hy père, Marcq fils, Verjeau, Adolphe Lemaître, Auguste Mignot, Benjamin.

Clicheurs: Curmer et ses ouvriers.

Fabricants de papiers: Maubanc et ses ouvriers, Desgranges et ses ouvriers.

Artistes Dessinateurs: Charpentier, Masson, Castelli.

Artistes Graveurs: Ottweit, Langlois, Lechard, Audibran, Roze, Frilley, Hopwood, Massard, Masson.

Planeurs d'acier: Héran et ses ouvriers.

Imprimeurs en taille-douce: Drouart et ses ouvriers.

Fabricants pour les primes, Associations fraternelles d'Horlogers, de Lampistes et d'ouvriers en Bronze: Duchâteau, Deschiens, Journeux, Suireau, Lecas, Ducerf, Renardeux, etc., etc.

Employés et correspondants de l'Administration: Maubanc, Gavet, Berthier, Henry, Rostaing, Jamot, Blain, Rousseau, Toussaint, Rodier, Swinnens, Porcheron, Gavet fils, Dallet, Delaval, Renoux, Vincent, Charpentier, Dally, Berlin, Sermet, Chalenton, Blot, Thomas, Gogain, Philibert, Nachon, Lebel, Plunus, Grossetête, Charles, Poncin, Vacheron, Colin, Carillan, Constant, Fonteney, Boucher, Darris, Adolphe, Renoux, Lyons, Letellier, Alexandre, Nadon, Normand, Rongelet, Bouvet, Auzurs, Dailhaux, Lecerf, Bailly, Baptiste, Debray, Saunier, Tuloup, Richer, Daran, Camus, Foucaud, Salmon, Strenl, Seran, Tetu, Sermet, Chauffour, Caillaut, Fondary, C. de Poix, Bresch, Misery, Bride, Carron, Charles, Celcis, Chartier, Lacoste, Dulac, Delaby, Kaufried, Chappuis, etc., etc., de Paris; Férand, Collier, Petit-Bertrand, Périé. Plantier, Etchegorey, Giraudier, Gaudin, Saar, Dath-Godard, Hourdequin, Weelen, Bonniol, Alix, Mengelle, Pradel, Manlius Salles, Vergnes, Verlé, Sagnier, Samson, Ay, Falick, Jaulin, Fort-Mussat, Freund, Robert, Carrière, Guy, Gilliard, Collet, Ch. Celles, Laurent, Castillon, Drevet, Jourdan Moral, Bonnard, Legros, Genesley, Bréjot, Ginon, Féraud, Vandeuil, Châtonier, Bayard, Besson, Delcroix, Delon, Bruchet, Fournier, Tronel, Binger, Molini, Bailly, Fort-Mussot, Laudet, Bonamici, Pillette, Morel, Chaigneau, Goyet, Colin-Morard, Gerbaldi, Fruges, Raynaut, Chatelin, Bellue, etc., etc., des principales villes de France et de l'étranger.

La liste sera ultérieurement complétée, dès que nos fabricants et nos correspondants des départements, nous auront envoyé les noms des ouvriers et des employés qui concourent avec eux à la publication et à la propagation de l'ouvrage.

Le Directeur de l'Administration.

Paris. – Typ. Dondey-Dupré, rue Saint-Louis, 16, au Marais.

KARADEUK LE BAGAUDE ET RONAN LE VAGRE

ÉPILOGUE
LE MONASTÈRE DE CHAROLLES
ET
LE PALAIS DE LA REINE BRUNEHAUT
560-615

CHAPITRE II

Le château de Brunehaut. – Le marchand d'esclaves. —Aurélie, la pleureuse, et Blandine, la rieuse. – Ce que faisait la reine Brunehaut de ses petits-fils. – Lettre du PAPE saint Grégoire le Grand à cette sainte femme sur l'ÉDUCATION DE SON FILS. —Childebert, Corbe, Mérovée, arrière-petits-enfants de la reine Brunehaut. – La bonne aïeule. – Arrivée de Sigebert, fils aîné du défunt roi Thierry. – Le maire du palais Warnachaire. – Loysik et Brunehaut. – La reine marche à la tête de son armée pour aller combattre Clotaire II, fils de Frédégonde.

«Vive celui qui aime les Franks! que le Christ maintienne leur puissance! qu'il remplisse leur chef des clartés de sa grâce, qu'il protége l'armée, qu'il fortifie la foi, qu'il accorde paix et bonheur à ceux qui les gouvernent sous les auspices de Notre-Seigneur Jésus Christ!»

– Foi de vieux Vagre, ce début tout catholique de la loi salique vous revient toujours à la pensée lorsqu'il s'agit des rois franks ou de leurs reines… Entrons donc dans le repaire de Brunehaut, splendide repaire! non pas rustique comme celui du comte Neroweg, vaste burg, que nous autres anciens de la Vagrerie nous avons vu joyeusement réduire en cendres! non, cette grande reine a le goût raffiné: une de ses passions est l'architecture; elle aime les arts antiques de la Grèce et de l'Italie, cette noble femme! oui, elle aime les arts, doux délassement des belles âmes! Voyez plutôt le magnifique château qu'elle a fait construire à Châlons-sur-Saône, capitale de la Bourgogne; ses autres châteaux, même celui de Bourcheresse, ne sont rien auprès de son habitation royale, dont les jardins magnifiques s'étendent jusqu'aux bords de la Saône… palais à la fois splendide et guerrier; car en ces temps de batailles incessantes les rois et les seigneurs se fortifient de plus en plus dans leurs repaires. Le palais de Brunehaut est ceint d'épaisses murailles, flanqué de tours massives; on y arrive par une seule entrée, voûte profonde fermée à ses deux extrémités par des portes énormes, renforcées de barres de fer. Sous cette voûte veillent jour et nuit les guerriers de Brunehaut, toujours armés; dans les cours intérieures sont d'autres logis pour un grand nombre de cavaliers et de gens de pied. Les salles du palais sont immenses, pavées de marbre ou de mosaïque, enrichies de colonnades de jaspe, de porphyre et d'albâtre oriental, surmontées de chapiteaux de bronze doré; ces magnificences architecturales, chefs-d'œuvre de l'art, dépouilles des temples et des palais de la Gaule, ont été transportées à grand renfort de dos d'esclaves et de chariots dans le palais de la reine. Ces salles immenses, ornées de meubles d'ivoire, d'argent ou d'or massif, de statues païennes du travail le plus rare, de vases précieux, de trépieds, précèdent l'appartement particulier de Brunehaut… Le jour est à peine levé; déjà ces grandes salles se remplissent des esclaves domestiques de la reine, des officiers de ses troupes, des hauts dignitaires de sa maison, chambellans, écuyers, majordomes, connétables, venant attendre les ordres de leur maîtresse.

Une pièce de forme circulaire, pratiquée dans une des tours du palais, avoisine la chambre où se tient habituellement la reine; trois portes sont percées dans le mur: l'une conduit à la salle où se tiennent les officiers du palais, l'autre à la chambre à coucher de Brunehaut; la troisième, simple baie fermée par un rideau de cuir doré, donne sur un petit escalier tournant, pratiqué dans l'épaisseur de la muraille. Cette pièce est somptueusement meublée: sur une table recouverte d'un riche tapis brodé sont des parchemins préparés pour écrire, et un grand coffret d'or, enrichi de pierreries. Autour de la table sont rangés des siéges ornés de coussins d'étoffe pourpre; çà et là des fûts de colonne servent de piédouches à des vases de jaspe, d'onyx ou de bronze de Corinthe, plus précieux que l'or ou l'albâtre rose. Sur un socle de vert antique est un magnifique groupe de marbre de Paros d'un travail exquis, représentant l'Amour païen caressant Vénus. Non loin de là, deux figures en airain, verdi par les siècles, offrent l'image obscène d'un faune et d'une nymphe. Entre ces chefs-d'œuvre de l'art païen, un tableau peint sur bois, apporté à grands frais de Byzance, représente le Christ enfant et saint Jean-Baptiste aussi enfant. Ce tableau de sainteté rappelle que Brunehaut est une fervente catholique… n'est-elle pas en correspondance réglée avec le pape de Rome, le pieux Grégoire, qui n'a pas assez de bénédictions pour cette sainte fille de l'Église! Et plus loin, sur cette console d'ivoire, quel est ce riche médaillier rempli de grandes médailles romaines et gauloises en argent et en or? Parmi elles en voici une de bronze, la seule qui soit de ce métal… Que représente-t-elle?

Quoi! ici! dans ce lieu! ce visage auguste et vénéré?

Ah! si le Dieu des catholiques veut faire un miracle, jamais moment ne fut plus opportun, plus solennel, et bientôt, oui, si le Seigneur veut terrifier les méchants, cette effigie de bronze devra, prodige effrayant, frissonner d'horreur et d'épouvante!

Une vieille femme richement vêtue et d'une physionomie froide, sardonique, rusée, sortant de la chambre à coucher de Brunehaut, entre dans la salle de la tour. Cette femme, de noble race franque, est Chrotechilde, confidente depuis longues années des crimes et des débauches de la reine; elle s'approche d'un timbre, le fait vibrer et attend. Bientôt paraît à la porte, qui s'ouvre sur le petit escalier pratiqué dans l'épaisseur du mur, une autre vieille femme; son costume annonce un rang inférieur:

– J'ai entendu le timbre, noble dame Chrotechilde, me voici.

– Samuel le marchand d'esclaves est-il venu?

– Depuis une heure il attend dans la salle basse avec deux jeunes filles et un vieillard à longue barbe blanche.

– Qu'est-ce que ce vieillard?

– Madame, je l'ignore; c'est sans doute un esclave que le juif Samuel doit conduire ailleurs en sortant d'ici.

– Ordonne à Samuel d'amener à l'instant les deux filles.

La vieille femme disparaît: presque au même instant Brunehaut sort de sa chambre; cette reine est âgée de soixante-six ou sept ans; l'on retrouve les traces d'une beauté remarquable sur ses traits, encore moins flétris par l'âge que par la débauche, et par la dévorante ardeur de la haine ou de l'ambition. Son visage blafard, ridé, semble illuminé par le sombre éclat de ses deux grands yeux, profondément caves et cernés; ils sont noirs comme ses longs sourcils, ses cheveux seuls ont blanchi; front d'airain, lèvres impassibles, regard profond, port de tête altier, démarche fière, superbe, car sa taille s'est conservée droite et svelte, telle est Brunehaut. À peine entrée, elle prête l'oreille et dit à Chrotechilde:

 

– Qui vient là, par le petit escalier?

– Le marchand d'esclaves; il amène les deux jeunes filles.

– Qu'il entre… qu'il entre…

– Madame, à qui voulez-vous faire don de ces esclaves?

– Tu le sauras… Mais j'ai hâte d'examiner ces créatures, le choix est important.

– Madame, voici Samuel.

Le marchand de chair gauloise, juif d'origine comme la plupart de ceux qui se livraient à ce trafic, entra bientôt suivi des deux esclaves qu'il amenait; elles étaient enveloppées de longs voiles blancs, assez transparents pour qu'elles pussent voir à se conduire.

– Illustre reine, – dit le juif en mettant dès la porte un genou en terre et inclinant son front presque à toucher le plancher, – je me rends à vos ordres; voici deux jeunes esclaves, véritables trésors de beauté, de douceur, de grâces, de gentillesse et surtout de virginité. Votre excellence sait que le vieux Samuel n'a qu'une qualité… celle d'être honnête homme.

– Debout, debout! – dit Brunehaut s'adressant aux deux esclaves qui, en présence de la terrible reine, s'étaient agenouillées comme le marchand au seuil de la porte, – debout, les filles, et ôtez vos voiles.

Les deux esclaves se hâtèrent de se relever et d'obéir à la reine; le juif, afin de mieux mettre en valeur sa marchandise, avait vêtu les deux jeunes filles de tuniques à manches courtes et dont la jupe descendait à peine au-dessus du genou, tandis que l'échancrure du corsage découvrait à demi le sein et les épaules. L'une des esclaves, grande et svelte, portait une tunique blanche; elle avait les yeux bleus, une torsade de corail s'enroulait dans les nattes de ses cheveux noirs: on pouvait lui donner dix-huit ou vingt ans; son visage, d'une beauté touchante et candide, était baigné de larmes, abîmée dans la douleur et la honte, tremblant de tous ses membres, elle tenait constamment baissé son regard noyé de pleurs, de crainte de rencontrer les yeux de Brunehaut. La vieille reine, après avoir longtemps et attentivement examiné cette jeune fille, en la faisant se tourner et se retourner devant elle en tous sens, échangea un signe approbatif avec Chrotechilde, non moins occupée à examiner l'esclave, et dit à celle-ci:

– De quel pays es-tu?

– Je suis de la ville de Toul, – répondit la jeune fille d'une voix altérée.

– Aurélie! Aurélie! – s'écria Samuel en frappant du pied, – est-ce ainsi que tu te rappelles mes leçons? On répond: Glorieuse reine, je suis de la ville de Toul… – Et se tournant vers Brunehaut:

– Veuillez lui pardonner, madame… mais c'est si naïf, si simple, que…

Brunehaut coupa d'un geste la parole au juif, et s'adressant à l'esclave: – Où as-tu été prise?

– À Toul, madame, lors du sac de cette ville par les troupes du roi de Bourgogne.

– Étais-tu de condition libre?

– Oui… mon père était maître armurier.

– Sais-tu lire? écrire? As-tu des talents agréables?

– Je sais lire, écrire, et ma mère m'avait appris à jouer du théorbe et à chanter.

Et en disant qu'elle savait chanter, la malheureuse ne put retenir ses sanglots convulsifs… Elle songeait sans doute à sa mère.

– Allons, pleure encore et pleure toujours! – maugréa Samuel avec dépit, – voilà ce que tu fais de mieux… Mais, vous le savez, grande reine! on a une certaine dose de larmes à pleurer, après quoi, c'est fini… la poche est vide…

– Tu crois cela, juif? heureusement tu calomnies l'espèce humaine, – reprit la reine avec un cruel sourire en continuant d'examiner la jeune fille, à qui elle dit: – Tu n'as été jusqu'ici esclave nulle part?

– Foi de Samuel, illustre reine, elle est aussi neuve à l'esclavage qu'un enfant dans le sein de sa mère! – s'écria le juif, voyant la jeune Gauloise éclater en sanglots et hors d'état de répondre. – J'ai acheté Aurélie le jour même de la bataille de Toul, et depuis, ma femme Rebecca et moi nous avons veillé sur cette chère fille comme sur notre propre enfant, sachant que nous tirerions d'elle un très-haut prix.

Brunehaut, après avoir contemplé de nouveau la jeune fille, qui cachait à demi sa figure dans ses mains, dit à Samuel:

– Remets-lui son voile et fais approcher l'autre.

Aurélie reçut son voile des mains du juif comme un bienfait et se hâta de s'envelopper dans les plis de l'étoffe pour y cacher sa douleur, sa honte et ses larmes. À l'ordre de la reine, l'autre esclave était prestement accourue; mignonne et fraîche comme une Hébé, si elle avait seize ans, c'était beaucoup: un collier de perles s'enroulait dans les nattes épaisses de ses cheveux d'un blond doré; ses grands yeux, d'un brun orangé, pétillaient de malice et de feu; son nez fin, légèrement relevé, ses narines roses, palpitantes, ses lèvres vermeilles, un peu charnues, ses petites dents d'émail, son menton et ses joues à fossettes, donnaient à cette fillette la physionomie la plus vive, la plus gaie, la plus effrontée qui fût au monde… Sa tunique de soie vert-pâle rendait plus éblouissante encore la blancheur de son sein et de ses épaules… Oh! le juif n'eut pas besoin de lui dire à celle-là de se tourner, de se retourner, pour que la vieille reine pût examiner à son aise les charmes de sa taille; elle se rengorgeait, se cambrait, se redressait sur la pointe de ses petits pieds, arrondissait gracieusement les bras, faisant enfin de son mieux la belle aux yeux de Brunehaut et de Chrotechilde, qui échangeaient entre elles des regards approbatifs, tandis que le juif, aussi inquiet de l'audace de cette esclave que de l'accablement de sa compagne, lui disait à demi-voix:

– Tiens-toi donc en place, Blandine… ne remue pas ainsi les jambes et les bras… Un peu de retenue, ma fille, en présence de notre illustre et bien aimée reine! On dirait que tu as du salpêtre dans les veines! Que votre excellence l'excuse, illustrissime princesse; c'est si jeune, si gai, si fou… ça ne demande qu'à s'envoler de sa cage pour faire admirer son plumage et son ramage. Baisseras-tu les yeux, Blandine! oser regarder ainsi en face notre auguste reine!!

Blandine, en effet, au lieu de fuir le noir regard de Brunehaut, le cherchait, le provoquait d'un air malin, souriant et assuré; aussi la reine lui dit-elle après un long et minutieux examen:

– L'esclavage ne t'attriste pas, toi?

– Au contraire, glorieuse reine, car pour moi l'esclavage a été la liberté.

– Comment cela, effrontée?

– J'avais une marâtre, quinteuse, revêche, grondeuse; elle me faisait passer sur le froid parvis des basiliques tout le temps que je n'employais pas à manier l'aiguille; cette vieille furie me battait, lorsque par malheur, levant le nez de dessus ma couture, je souriais aux garçons par ma fenêtre; aussi, grande reine, quel sort que le mien! mal nourrie, moi si friande! mal vêtue, moi si coquette! sur pied au chant du coq, moi si amoureuse de me dorloter dans mon lit! de sorte que grande a été ma joie quand votre invincible petit-fils, ô reine illustre! est approché l'an passé de Tolbiac, où j'habitais.

– Pourquoi ta joie?

– Pourquoi, glorieuse reine? Oh! je savais, moi, que les guerriers franks ne tuent jamais les jolies filles; aussi, me disais-je: «Peut-être je serai prise par un baron de Bourgogne, un comte ou même un duk, et une fois esclave, si je m'en crois, je deviendrai maîtresse… car l'on a vu des esclaves…»

– Devenir reine, comme Frédégonde, n'est-ce pas, ma mie?

– Pourquoi donc pas, quand elles sont gentilles? – répondit audacieusement cette fillette sans baisser les yeux devant Brunehaut qui l'écoutait et la contemplait d'un air pensif. – Mais, hélas! – reprit Blandine avec un demi-soupir, – je n'ai pas eu cette fois le bonheur de tomber aux mains d'un seigneur. Un vieux leude, à moustaches blanches et des moins amoureux, m'a eue pour sa part du butin, et il m'a vendue tout de suite au seigneur Samuel; mais enfin peut-être une chance heureuse me viendra-t-elle? Que dis-je! – ajouta Blandine en adressant à Brunehaut son plus gracieux sourire, – n'est-ce pas déjà un grand, un inespéré bonheur que d'avoir été conduite en votre présence, ô reine illustre!

Brunehaut, après avoir réfléchi pendant quelques instants, dit au marchand: – Juif, je t'achèterai une de ces deux esclaves.

– Illustre reine! laquelle des deux prenez-vous, Aurélie ou Blandine?

– Je ne sais encore… elles resteront au palais jusqu'à ce soir… on va les conduire dans l'appartement de mes femmes.

Chrotechilde, à un signe de la reine, frappa le timbre; la vieille femme reparut; la confidente de Brunehaut lui dit: – Emmenez ces deux esclaves…

– Illustre reine! choisissez-moi… – dit Blandine en se retournant une dernière fois vers Brunehaut, tandis que le juif enveloppait soigneusement de son voile cette petite diablesse. – Oh! choisissez-moi, glorieuse reine! vous ferez une bonne œuvre… je voudrais tant rester à la cour…

– Tais-toi donc, effrontée, – disait tout bas Samuel en poussant doucement Blandine vers la porte de la chambre à coucher de la reine que Chrotechilde désignait du geste. – Trop est trop, ces familiarités peuvent déplaire à notre redoutable souveraine!

Les deux jeunes filles, l'une toute joyeuse, l'autre chancelante et accablée, entrèrent dans l'appartement de la reine, tandis que, après avoir une dernière fois humblement salué Brunehaut, le juif quitta la salle en refermant sur lui le rideau de cuir qui masquait la baie de l'escalier tournant.

Brunehaut et sa confidente restèrent seules.

(Et maintenant, ô vous! descendants de Joël, qui en ce moment allez continuer de lire ce récit, le dégoût, l'horreur, l'épouvante que vous éprouverez n'égalera jamais le dégoût, l'horreur, l'épouvante dont je suis saisi en écrivant la scène sans nom qui va se passer entre ces deux exécrables vieilles.)

– Madame, – dit Chrotechilde à Brunehaut, – à qui donc destinez-vous celle des deux esclaves que vous voulez acheter?

– Tu me le demandes?

– Oui, madame…

– Chrotechilde… l'âge affaiblit ta pénétration habituelle… c'est fâcheux…

– Madame, expliquez-vous!..

– Il faut que j'éprouve jusqu'où peut aller ce manque d'intelligence si nouveau chez toi…

– En vérité, madame, je m'y perds…

– Dis-moi, Chrotechilde, lorsque mon fils Childebert est mort assassiné par Frédégonde, il m'a laissé, n'est-ce pas, la tutelle de mes deux petits-fils Thierry et Theudebert?

– Oui… madame… mais moi je vous parlais de ces esclaves…

– Justement… mais écoute… À quel âge mon petit-fils Theudebert était-il père?..

– À TREIZE ANS, madame[A]; car à cet âge il eut un fils de Bilichilde, cette esclave brune aux yeux verts, que vous avez payée si cher… Je vois encore son regard fauve, étrange comme sa beauté… Du reste, une taille de nymphe, des cheveux crépus d'un noir de jais traînant jusqu'à terre… Je n'ai de ma vie vu pareille chevelure…

– Cette esclave… qui la mit un soir dans le lit de mon petit-fils, alors à peine âgé de douze ans?..

– Vous, Madame[B]; je vous accompagnais… Ah! ah! ah! j'en ris de souvenir… Il avait d'abord une peur, cet innocent; mais comme vous voilà devenue sombre…

– Cette vile esclave! cette Bilichilde, malgré les autres concubines que nous avons données à mon petit-fils Theudebert, n'avait-elle pas pris sur lui un funeste ascendant?

– Si funeste, madame, qu'elle nous a fait toutes deux chasser de Metz et conduire prisonnières jusqu'à Arcis-sur-Aube, confins de la Bourgogne, royaume de votre autre petit-fils Thierry. Mais c'est là, madame, une vieille histoire: cette Bilichilde n'a-t-elle pas été, l'an dernier, étranglée par votre petit-fils[C], ce farouche idiot ayant passé de l'amour à la haine, et lui-même, après la bataille de Tolbiac, vaincu par son frère, que vous aviez déchaîné contre lui, n'a-t-il pas été, selon vos ordres, tonsuré, puis poignardé? Enfin son fils, âgé de cinq ans, n'a-t-il pas eu la tête brisée contre une pierre[D]? que voulez-vous de plus?..

– Chez moi la haine survit à la vengeance, comme le poignard survit au meurtre.

– Et vous n'êtes point, madame, en ceci, raisonnable… Haïr au delà de la tombe, c'est naïf pour notre âge.

– Mais passons… Ainsi, ce que nous venons de dire ne t'ouvre point l'esprit…

 

– À l'endroit de ces deux jolies esclaves?

– Oui…

– Non, madame…

– Poursuivons… Puisque ton intelligence est à ce point devenue obtuse… dis-moi, avant que nous n'ayons mis cette Bilichilde dans son lit, quel était le caractère de mon petit-fils Theudebert?

– Violent, actif, déterminé, opiniâtre et surtout fort glorieux… À dix ans ou onze ans, il sentait déjà l'orgueilleuse ardeur de son sang loyal, et disait fièrement: «Je suis roi d'Austrasie, moi!»

– Et deux ans… un an même après qu'il a eu possédé cette esclave brune aux yeux verts et aux cheveux crépus, si judicieusement choisie par toi, Chrotechilde, quel était le caractère de mon petit-fils?

– Oh! madame, Theudebert était méconnaissable… Énervé, indécis, languissant, il n'avait plus que la volonté d'aller du lit à la table avec ses concubines… Car nous avions donné des compagnes à la Bilichilde… C'est à peine s'il avait le courage de chasser au faucon, divertissement de femme; la chasse aux bêtes fauves était pour lui trop fatigante. Cela ne m'étonnait point; né robuste, pétulant, aimant dans sa première enfance les jeux bruyants, le grand air, il était devenu chétif, pâle, étiolé, recherchant le demi-jour, comme si l'éclat du soleil eût blessé sa vue; enfin, il annonçait devoir être de grande taille, et il est mort tout rabougri, presque imberbe!

– Mes vœux s'accomplissaient, Chrotechilde… Les débauches précoces énervent l'âme autant que le corps, et la postérité de Theudebert n'est pas née viable…

– De fait, je n'ai jamais vu d'enfants si chétifs… Quelle race, d'ailleurs, pouvait laisser un père nabot et presque idiot?

– Et dès l'âge de douze ou treize ans, Theudebert disait-il encore fièrement: «Je suis roi d'Austrasie, moi!»

– Non, certes, madame… car s'il vous arrivait par manière d'épreuve de lui parler des affaires de l'État, sous prétexte qu'il était roi, l'enfant vous répondait de sa voix allanguie et les yeux à demi fermés: «Grand'mère, je suis roi de mes femmes, de mes amphores de vin vieux et de mes faucons! Régnez pour moi, grand'mère… régnez pour moi si cela vous plaît!»

– Et cela m'a plu, Chrotechilde… Et de fait, j'ai régné en Austrasie, pour mon petit-fils Theudebert, jusqu'au jour où cette vile esclave Bilichilde, usant de son ascendant sur cet idiot, m'a chassée de Metz… m'a chassée, moi, Brunehaut!

– Encore ce souvenir, encore l'orage sur votre front, encore des éclairs dans vos yeux! Mais pour Dieu, madame, l'esclave a été étranglée, l'idiot et son fils tués… j'oubliais même, pour compléter l'hécatombe de ces animaux malfaisants… j'oubliais Quintio, maire du palais, duk de Champagne, qui, s'étant incongruement mêlé de l'affaire de Metz, a été mis à mort par vos ordres[E]! Que vouliez-vous de plus? et d'ailleurs, est-ce que pour une Austrasie perdue vous n'avez pas retrouvé une Bourgogne? Si Theudebert vous a chassée de Metz, ne vous êtes-vous pas réfugiée ici, à Châlons, auprès de votre autre petit-fils Thierry? Hébété, énervé par les femmes que nous lui choisissions, ne l'avez-vous pas, par vengeance, poussé à une guerre implacable contre son frère qu'il a vaincu à Toul, à Tolbiac, et qui, après cette défaite, a été mis à mort lui et son fils, comme je vous le rappelais tout à l'heure? Ainsi vengée de l'exil de Metz, n'avez-vous point dominé Thierry et régné à sa place? Aegila, maire du palais, vous inquiétait par son influence sur votre petit-fils, vous vous défaites d'Aegila et vous le remplacez par votre amant Protade, qui devient ainsi maire du palais, juste récompense des services de ce beau garçon.

– Il me l'ont tué… Chrotechilde! ils me l'ont tué… mon Protade[F]!

– Allons, madame, entre nous, avouez qu'il n'est pas qu'un Protade au monde; une reine ne chôme jamais d'amoureux! Vous n'avez qu'à choisir parmi les plus beaux, les plus jeunes et les plus fringants de la cour de Bourgogne; et puis, madame, sans reproche, s'ils vous ont tué Protade, vous leur avez tué l'évêque Didier[G].

– Il ne méritait pas son sort, peut-être?

– Lui! madame! jamais punition n'a été plus légitime! Astucieux prélat! vouloir nous supplanter dans notre commerce amoureux! Imaginer de faire épouser cette princesse d'Espagne à votre petit-fils, afin de l'arracher, disait ce Didier, aux fangeuses débauches dont nous étions les pourvoyeuses[H]. Aussi, qu'est-il arrivé?.. les flots de la Chalaronne ont emporté le corps de l'évêque. Cette Espagnole, sur laquelle il comptait pour vous évincer et dominer par elle Thierry, et par Thierry la Bourgogne; cette Espagnole, répudiée par votre petit-fils, est retournée dans son pays au bout de six mois de mariage, et nous avons mis la main sur sa dot[I]; enfin, Thierry est mort cette année de la dyssenterie (dites donc, madame, – ajouta la vieille avec un sourire affreux, – mort de la dyssenterie?); de sorte que par la grâce de cette bienheureuse dyssenterie, vous voici aujourd'hui maîtresse et reine souveraine de ce pays de Bourgogne, puisque Sigebert, le plus âgé des fils de Thierry, vos arrière-petits-enfants, n'a pas encore onze ans… Il ne faut pas qu'ils meurent, ces roitelets, car par leur mort, le fils de Frédégonde deviendrait l'héritier de leurs royaumes… Il faut seulement qu'ils vivotent, afin que vous régniez à leur place… Eh bien, madame, ils vivoteront… Mais, j'y songe, nous oublions l'esclave que vous voulez acheter à Samuel.

– Au contraire, Chrotechilde, cet entretien nous ramène à l'esclave…

– Comment cela?

– Il n'y a plus à en douter, l'âge amortit ton intelligence; autrefois si prompte à me comprendre, depuis un quart d'heure tu me donnes la preuve de ce fâcheux affaiblissement de ton esprit.

– Moi, madame?

– Oui, autrefois au lieu de me demander ce que je compte faire d'une de ces deux esclaves de Samuel, tu m'aurais devinée; mais je viens de me convaincre tout à mon aise de la lenteur sénile de ta perception… cela est triste, Chrotechilde.

– Triste… autant pour moi que pour vous, madame… Mais expliquez-vous… je vous en prie…

– Quoi! cervelle appesantie! Tu sais que j'ai la tutelle de mes arrière-petits-enfants, et sottement tu me demandes ce que je compte faire de ces jolies esclaves? devines-tu, maintenant?

– Eh! oui, madame, je devine, mais vos reproches sont injustes! Comment imaginer que vous songiez à cela… Sigebert n'a pas onze ans!

– Tant mieux!

– C'est vrai, – reprit l'autre monstre avec un éclat de rire épouvantable, – c'est vrai, tant mieux!

Pendant cet horrible entretien, l'auguste masque de bronze, toujours immobile dans son médaillier sur la console d'ivoire, ne sourcilla pas… Sa bouche d'airain ne fit pas entendre un cri de malédiction, retentissant comme les clairons du dernier jugement. Non; ces monstruosités se dirent impunément… Où était-il donc le Dieu des catholiques, qui se manifestait par de si grands miracles en faveur de Clotaire, le tueur d'enfants?

L'entretien des deux matrones continua:

– Donner une concubine à votre arrière-petit-fils Sigebert, – avait dit Chrotechilde à la reine; – mais il n'a pas onze ans!

– Tant mieux! – reprit Brunehaut; – seulement, vois-tu, Chrotechilde, l'exemple de cette infâme Bilichilde me donne à réfléchir, et je ne sais laquelle préférer de ces deux esclaves… Qu'en pense ton expérience?

– Madame, la chose est délicate… La grande brune qui pleure toujours ne sera jamais dangereuse; c'est doux, candide et bête comme une brebis… Il n'y a point à craindre que cette innocente donne jamais à Sigebert de méchantes pensées contre vous.

– Aussi je penche fort pour cette pleureuse; l'autre me paraît une petite commère par trop effrontée… As-tu remarqué cette impudente? elle n'a pas baissé les yeux devant moi, dont le regard fait baisser les plus fermes, les plus audacieux regards!

– Il se peut, madame, que cette frétillante petite diablesse ait trop de ce que la grande pleureuse n'a point assez… ou point du tout; mais ce sera peut-être un mal pour un bien. Examinons en experts le vrai des choses. Sigebert n'a pas onze ans, il est très-enfant, ne songe qu'à la toupie ou aux osselets, il est de plus doux et timide, c'est un véritable agneau; or, cette grande innocente étant de son côté une manière de sotte brebis… vous m'entendez, madame? D'un autre côté, cette petite endiablée pourrait effaroucher notre agneau… Je me rappelle toujours la peur de Theudebert, à la vue de l'esclave aux yeux verts et aux cheveux crépus… Aussi je vous le répète, madame, ceci demande réflexion… D'ailleurs, rien ne presse… Sigebert est en Germanie avec le duk Warnachaire, maire du palais de Bourgogne.

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