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La San-Felice, Tome 05

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La San-Felice, Tome 05
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LXXVI
OÙ MICHELE SE FACHE SÉRIEUSEMENT AVEC LE BECCAÏO

Les illustres fugitifs n'étaient pas les seuls qui, dans cette nuit terrible, eussent eu à lutter contre le vent et la mer.

A deux heures et demie, selon sa coutume, le chevalier San-Felice était rentré chez lui, et, avec une agitation en dehors de toutes ses habitudes, avait deux fois appelé:

–Luisa! Luisa!

Luisa s'était élancée dans le corridor; car, au son de la voix de son mari, elle avait compris qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire: elle en fut convaincue en le voyant.

En effet, le chevalier était fort pâle.

Des fenêtres de la bibliothèque, il avait vu ce qui s'était passé dans la rue San-Carlo, c'est-à-dire la mutilation du malheureux Ferrari. Comme le chevalier était, sous sa douce apparence, extrêmement brave et surtout de cette bravoure que donne aux grands coeurs un profond sentiment d'humanité, son premier mouvement avait été de descendre et de courir au secours du courrier, qu'il avait parfaitement reconnu pour celui du roi; mais, à la porte de la bibliothèque, il avait été arrêté par le prince royal, qui, de sa voix câline et froide, lui avait demandé:

–Où allez-vous, San-Felice?

–Où je vais? où je vais? avait répondu San-Felice. Votre Altesse ne sait donc pas ce qui se passe?

–Si fait, on égorge un homme. Mais est-ce chose si rare qu'un homme égorgé dans les rues de Naples, pour que vous vous en préoccupiez à ce point?

–Mais celui qu'on égorge est un serviteur du roi.

–Je le sais.

–C'est le courrier Ferrari.

–Je l'ai reconnu.

–Mais comment, pourquoi égorge-t-on un malheureux aux cris de «Mort aux jacobins!» quand, au contraire, ce malheureux est un des plus fidèles serviteurs du roi?

–Comment? pourquoi? Avez-vous lu la correspondance de Machiavel, représentant de la magnifique république florentine à Bologne?

–Certainement que je l'ai lue, monseigneur.

–Eh bien, alors, vous connaissez la réponse qu'il fit aux magistrats florentins à propos du meurtre de Ramiro d'Orco, dont on avait trouvé les quatre quartiers empalés sur quatre pieux, aux quatre coins de la place d'Imola?

–Ramiro d'Orco était Florentin?

–Oui, et, en cette qualité, le sénat de Florence croyait avoir droit de demander à son ambassadeur des détails sur cette mort étrange.

San-Felice interrogea sa mémoire.

–Machiavel répondit: «Magnifiques seigneurs, je n'ai rien à vous dire sur la mort de Ramiro d'Orco, sinon que César Borgia est le prince qui sait le mieux faire et défaire les hommes, selon leurs mérites.»

–Eh bien, répliqua le duc de Calabre avec un pâle sourire, remontez sur votre échelle, mon cher chevalier, et pesez-y la réponse de Machiavel.

Le chevalier remonta sur son échelle, et il n'en avait pas gravi les trois premiers échelons, qu'il avait compris qu'une main qui avait intérêt à la mort de Ferrari, avait dirigé les coups qui venaient de le frapper.

Un quart d'heure après, on appelait le prince de la part de son père.

–Ne quittez pas le palais sans m'avoir revu, dit le duc de Calabre au chevalier; car j'aurai, selon toute probabilité, quelque chose de nouveau à vous annoncer.

En effet, moins d'une heure après, le prince rentra.

–San-Felice, lui dit-il, vous vous rappelez la promesse que vous m'avez faite de m'accompagner en Sicile?

–Oui, monseigneur.

–Êtes-vous toujours prêt à la remplir?

–Sans doute. Seulement, monseigneur…

–Quoi?

–Quand j'ai dit à madame de San-Felice l'honneur que me faisait Votre Altesse…

–Eh bien?

–Eh bien, elle a demandé à m'accompagner.

Le prince poussa une exclamation joyeuse.

–Merci de la bonne nouvelle, chevalier! s'écria-t-il. Ah! la princesse va donc avoir une compagne digne d'elle! Cette femme, San-Felice, est le modèle des femmes, je le sais, et vous vous rappellerez que je vous l'ai demandée pour dame d'honneur de la princesse; car, alors, elle eût été, de nom et de fait, une vraie dame d'honneur; c'est vous qui me l'avez refusée. Aujourd'hui, c'est elle qui vient à nous. Dites-lui, mon cher chevalier, qu'elle sera la bienvenue.

–Je vais le lui dire, en effet, monseigneur.

–Attendez donc, je ne vous ai pas tout dit.

–C'est vrai.

–Nous partons tous cette nuit.

Le chevalier ouvrit de grands yeux.

–Je croyais, dit-il, que le roi avait décidé de ne partir qu'à la dernière extrémité?

–Oui; mais tout a été bouleversé par le meurtre de Ferrari. A dix heures et demie, Sa Majesté quitte le château et s'embarque avec la reine, les princesses, mes deux frères, les ambassadeurs et les ministres, à bord du vaisseau de lord Nelson.

–Et pourquoi pas à bord d'un vaisseau napolitain? Il me semble que c'est faire injure à toute la marine napolitaine que de donner cette préférence à un bâtiment anglais.

–La reine l'a voulu ainsi, et, sans doute par compensation, c'est moi qui m'embarque sur le bâtiment de l'amiral Caracciolo, et, par conséquent, vous vous y embarquez avec moi.

–A quelle heure?

–Je ne sais encore rien de tout cela: je vous le ferai dire. Tenez-vous prêt en tout cas; ce sera probablement de dix heures à minuit.

–C'est bien, monseigneur.

Le prince lui prit la main, et, le regardant:

–Vous savez, lui dit-il, que je compte sur vous.

–Votre Altesse a ma parole, répondit San-Felice en s'inclinant, et c'est un trop grand honneur pour moi de l'accompagner pour que j'hésite un moment à le recevoir.

Puis, prenant son chapeau et son parapluie, il sortit.

La foule, toute grondante encore, encombrait les rues; deux ou trois feux étaient allumés sur la place même du palais, et l'on y faisait rôtir sur les braises des morceaux du cheval de Ferrari.

Quant au malheureux courrier, il avait été mis en morceaux. L'un avait pris les jambes, l'autre les bras; on avait tout mis au bout de bâtons pointus, – les lazzaroni n'avaient encore ni piques ni baïonnettes, – et l'on portait dans les rues ces hideux trophées en criant: «Vive le roi! Mort aux jacobins!»

A la descente du Géant, le chevalier avait rencontré le beccaïo, qui s'était emparé de la tête de Ferrari, lui avait mis une orange dans la bouche, et portait cette tête au bout d'un bâton.

En voyant un homme bien mis, – ce qui était à Naples le signe du libéralisme, – le beccaïo avait eu l'idée de faire baiser au chevalier la tête de Ferrari. Mais, nous l'avons dit, le chevalier n'était pas homme à céder à la crainte. Il avait refusé de donner la sanglante accolade et avait rudement repoussé l'ignoble assassin.

–Ah! misérable jacobin! s'écria le beccaïo, j'ai décidé que vous vous embrasseriez, cette tête et toi, et, mannaggia la Madonna! vous vous embrasserez.

Et il revint à la charge.

Le chevalier, qui n'avait pour toute arme que son parapluie, se mit en défense avec son parapluie.

Mais, au cri «Le jacobin! le jacobin!» poussé par le beccaïo, tous les misérables qui venaient d'habitude à ce cri étaient accourus, et déjà un cercle menaçant se formait autour du chevalier, – quand un homme fendit ce cercle, envoya, d'un coup de pied dans la poitrine, le beccaïo rouler à dix pas, tira son sabre, et, se plaçant devant le chevalier:

–En voilà un drôle de jacobin! dit-il; le chevalier San-Felice, bibliothécaire de Son Altesse royale le prince de Calabre, rien que cela! Eh bien, continua-t-il en faisant le moulinet avec son sabre, que lui voulez-vous, au chevalier San-Felice?

–Le capitaine Michele! crièrent les lazzaroni. Vive le capitaine Michele! il est des nôtres!

–Ce n'est point «Vive le capitaine Michele!» qu'il faut crier; c'est «Vive le chevalier San-Felice!» et cela tout de suite.

La foule, à laquelle il est égal de crier: Vive un tel! ou Mort à un tel! pourvu qu'elle crie, hurla d'une seule voix:

–Vive le chevalier San-Felice!

Seul, le beccaïo s'était tu.

–Allons, allons, lui dit Michele, ce n'est point une raison parce que c'est devant la porte de son jardin que tu as reçu ta pile, pour que tu ne cries pas: «Vive le chevalier!»

–Et s'il ne me plaît pas de le crier, à moi! dit le beccaïo.

–Ce sera absolument comme si tu chantais, attendu qu'il me plaît, à moi, que tu le cries! Ainsi donc, continua Michele, vive le chevalier San-Felice, et tout de suite, ou je t'appareille l'autre oeil!

Et il fit tourner son sabre autour de la tête du beccaïo, qui devint très-pâle, encore plus de terreur que de colère.

–Mon ami, mon bon Michele, dit le chevalier, laisse cet homme tranquille. Tu vois bien qu'il ne me connaît pas.

–Et quand il ne vous connaîtrait pas, serait-ce une raison pour vouloir vous forcer de baiser la tête de ce malheureux qu'il a tué? Il est vrai qu'il vaudrait mieux encore baiser cette tête, qui est celle d'un honnête homme, que la sienne, qui est celle d'un coquin.

–Vous l'entendez! hurla le beccaïo, il appelle des jacobins des honnêtes gens!

–Tais-toi, misérable! Cet homme n'était pas un jacobin, tu le sais bien: c'était Antonio Ferrari, le courrier du roi et l'un des plus résolus serviteurs de Sa Majesté. Et, si vous ne me croyez pas, demandez au chevalier. Chevalier, dites à ces hommes qui ne sont point méchants, mais qui ont le malheur de suivre un méchant, dites-leur ce qu'était le pauvre Antonio.

–Mes amis, dit le chevalier, Antonio Ferrari, qui vient d'être tué, a, en effet, été victime de quelque erreur fatale; car c'était un des serviteurs dévoués de votre bon roi, qui pleure en ce moment sa mort.

La foule écoutait avec stupéfaction.

–Ose dire maintenant que cette tête n'est pas celle de Ferrari et que Ferrari n'était pas un honnête homme! Dis-le! mais dis-le donc, que j'aie l'occasion de te couper l'autre moitié du visage!

 

Et Michele leva son sabre sur le beccaïo.

–Grâce! dit celui-ci en tombant à genoux: je dirai tout ce que tu voudras.

–Et moi, je ne dirai qu'une chose, c'est que tu es un lâche! Va-t'en, et, quand tu te trouveras sur mon chemin, vingt pas à l'avance, à droite ou à gauche, aie soin de te déranger.

Le beccaïo se retira au milieu des huées de cette foule qui, un instant auparavant, l'applaudissait, et gui se divisa en deux bandes: l'une suivit le beccaïo en l'injuriant; l'autre suivit Michele et le chevalier en criant:

–Vive Michele! Vive le chevalier San-Felice! Michele resta à la porte du jardin pour congédier son escorte; le chevalier rentra chez lui, et, comme nous l'avons dit, appela Luisa.

Nous venons de raconter ce qu'il avait vu des fenêtres de la bibliothèque et ce qui lui était arrivé à la descente du Géant: deux choses suffisantes, à notre avis, pour motiver sa pâleur.

A peine eut-il dit à Luisa le motif qui le ramenait, qu'elle devint à son tour plus pâle que lui; mais elle ne répliqua point une parole, ne fit point une observation; seulement:

–A quelle heure le départ? demanda-t-elle.

–Entre dix heures et minuit, répondit le chevalier.

–Je serai prête, dit-elle; ne vous inquiétez pas de moi, mon ami.

Et elle se retira dans sa chambre, sous prétexte de faire ses préparatifs de départ, en donnant l'ordre que le dîner fût, comme d'habitude, servi à trois heures.

LXXVII
FATALITÉ

Ce n'était point dans sa chambre que s'était retirée Luisa; c'était dans celle de Salvato.

Dans la lutte entre le devoir et l'amour, le premier avait vaincu; mais, ayant sacrifié son amour au devoir, elle se croyait par cela même le droit de donner des larmes à son amour.

Aussi, depuis le jour où Luisa avait dit à son mari: «Je partirai avec vous,» elle avait beaucoup pleuré.

Ne sachant comment faire tenir ses lettres à Salvato, elle ne lui avait point écrit; mais elle avait reçu deux nouvelles lettres de lui.

Cet amour si ardent, cette joie si profonde qu'elle trouvait à chaque ligne dans les lettres du jeune homme lui brisait le coeur, lorsqu'elle songeait surtout à quel amer désappointement Salvato serait en proie quand, plein d'espérance et de sécurité, croyant trouver la fenêtre ouverte et Luisa dans la chambre où elle pleurait si douloureusement à cette heure, il trouverait Luisa absente et la fenêtre fermée.

Et pourtant, elle ne se repentait point de ce qu'elle avait promis ou plutôt offert: elle eût eu le choix, maintenant que l'heure du départ était arrivée, qu'elle eût agi comme elle avait fait.

Elle appela Giovannina.

Celle-ci accourut. Elle avait vu Michele à la cuisine et se doutait qu'il arrivait quelque chose d'extraordinaire.

–Nina, lui dit sa maîtresse, nous quittons Naples cette nuit. C'est vous que je charge du soin de réunir et de mettre dans des caisses les objets de mon usage habituel. Vous les connaissez aussi bien que moi, n'est-ce pas?

–Sans doute, je les connais, répondit la femme de chambre, et je ferai ce que madame m'ordonne; mais j'ai besoin que madame ait la bonté de m'éclairer sur un point.

–Lequel? Dites Nina, répliqua la San-Felice, un peu étonnée de la fermeté progressive avec laquelle la femme de chambre avait répondu à l'ordre qu'elle lui donnait.

–Mais sur ces paroles: «Nous quittons Naples;» madame a dit cela, je crois?

–Sans doute, je l'ai dit.

–Est-ce que madame comptait m'emmener avec elle?

–Si vous eussiez voulu, oui; mais, pour peu que la chose vous déplaise…

Nina vit qu'elle avait été trop loin.

–Si je ne dépendais que de moi, ce serait avec le plus grand plaisir que je suivrais madame jusqu'au bout du monde, dit-elle; mais, par malheur, j'ai une famille.

–Ce n'est jamais un malheur d'avoir une famille mon enfant, dit Luisa avec une suprême douceur.

–Excusez-moi, madame, si je dis un peu trop franchement…

–Vous n'avez pas besoin d'excuse. Vous avez une famille, disiez-vous, et cette famille, alliez-vous dire, ne permettra point que vous quittiez Naples.

–Non, madame, j'en suis sûre, répondit vivement Giovannina.

–Mais cette famille permettrait-elle, continua Luisa, qui venait de songer qu'il serait moins cruel à Salvato de trouver, elle absente, quelqu'un à qui parler d'elle, qu'une porte fermée et une maison muette, – cette famille permettrait-elle que vous restassiez ici comme une personne de confiance chargée de veiller sur la maison?

–Oh! pour cela, oui, s'écria Nina avec une vivacité qui, si elle eût eu le moindre soupçon de ce qui se passait dans le coeur de la jeune fille, eût ouvert les yeux de Luisa.

Puis, se modérant:

–Car ce sera toujours, ajouta-t-elle, un honneur et un plaisir pour moi d'être chargée des intérêts de madame.

–Eh bien, alors, Nina, quoique je sois habituée à votre service, dit la jeune femme, vous resterez. Peut-être notre absence ne sera pas longue. Pendant cette absence, à ceux qui viendront pour me voir-retenez bien mes paroles, Nina, – vous direz que le devoir de mon mari était de suivre le prince, et que mon devoir, à moi, était de suivre mon mari; vous direz-car vous appréciez mieux que personne, vous qui ne voulez pas quitter Naples, ce que je souffre, moi, en le quittant-vous direz, que c'est les yeux baignés de larmes que je fais mes premiers, et qu'à l'heure de mon départ, je ferai mes derniers adieux à chacune des chambres de cette maison et à chacun des objets renfermés dans ces chambres. Et, quand vous parlerez de ces larmes, vous saurez que ce ne sont point de vaines paroles, car vous les aurez vues couler.

Luisa acheva ces paroles en sanglotant.

Nina la regardait avec une certaine joie, profitant de ce qu'ayant son mouchoir sur les yeux, sa maîtresse ne pouvait lire l'expression fugitive qui éclairait son visage.

–Et… – elle hésita un instant, – et si M. Salvato vient, que lui dirai-je, à lui?

Luisa découvrit son visage et, avec une suprême sérénité:

–Que je l'aime toujours, répondit-elle, et que cet amour durera autant que ma vie. Allez dire à Michele qu'il ne s'éloigne pas: j'ai à lui parler avant mon départ et je compte sur lui pour me conduire jusqu'au bateau.

Nina sortit.

Restée seule, Luisa imprima son visage dans l'oreiller resté sur le lit, laissa un baiser dans l'empreinte qu'elle avait faite et sortit à son tour.

Trois heures venaient de sonner, et, avec sa ponctualité ordinaire que rien ne pouvait troubler, le chevalier entrait dans la salle à manger par la porte de son cabinet de travail, tandis que Luisa y entrait par celle de sa chambre à coucher.

Michele se tenait debout sur le perron en dehors de la porte.

Le chevalier le chercha des yeux.

–Où est donc Michele? demanda-t-il. J'espère bien qu'il n'est point parti?

–Non, dit Luisa, le voici. Viens donc, Michele! le chevalier t'appelle, et, moi, j'ai besoin de te parler.

Michele entra.

–Tu sais ce qu'a fait ce garçon-là! dit le chevalier à Luisa en lui posant la main sur l'épaule.

–Non, fit la jeune femme; quelque chose de bien, j'en suis sûr.

Puis, mélancoliquement:

–On l'appelle Michele le Fou à la Marinella; mais l'amitié qu'il a pour nous, à mes yeux, du moins, ajouta-t-elle, lui tient lieu de raison.

–Ah! pardieu! dit Michele, voilà une belle affaire!

–Il est vrai que cela ne vaut pas la peine d'en parler, continua San-Felice avec son bon sourire;je suis si distrait, qu'en rentrant, je ne t'en ai rien dit; – il m'a très-probablement sauvé la vie.

–Allons donc! fit Michele.

–Sauvé la vie! Et comment cela? demanda Luisa avec une vive altération dans la voix.

–Imagine-toi qu'il y avait un drôle qui voulait me faire baiser la tête de ce malheureux Ferrari, et qui, parce que je ne voulais pas la baiser, m'appelait jacobin. C'est malsain, d'être appelé jacobin, par le temps qui court. Le mot commençait à faire son effet. Michele s'est élancé entre moi et la foule, il a joué du sabre et l'homme s'en est allé en me menaçant, je crois. Que pouvait-il donc avoir contre moi?

–Pas contre vous, mais contre la maison probablement. Vous vous rappelez ce que vous a dit le docteur Cirillo d'un assassinat qui avait eu lieu sous vos fenêtres dans la nuit du 22 au 23 septembre; eh bien, c'est un des cinq ou six coquins qui ont été si bien étrillés par celui-là même qu'ils voulaient assassiner.

–Ah! ah! et c'est sous mes fenêtres qu'il a reçu la balafre qu'il a sous l'oeil.

–Justement.

–Je comprends que l'endroit lui paraisse néfaste; mais qu'ai-je à voir là dedans?

–Rien, bien entendu; mais, si jamais vous aviez affaire dans le Vieux-Marché, je vous dirais: «Si cela vous est égal, monsieur le chevalier, n'y allez pas sans moi.»

–Je te le promets. Et maintenant embrasse ta soeur, mon garçon, et mets-toi à table avec nous.

Michele était habitué à cet honneur que lui faisaient de temps en temps le chevalier et Luisa. Il ne fit donc aucune difficulté d'accepter l'invitation, maintenant surtout qu'étant nommé capitaine, il avait monté quelques-uns des degrés de l'échelle sociale qui, autrefois, le séparaient de ses nobles amis.

Vers quatre heures, une voiture s'arrêta à la porte de la rue, Nina introduisit le secrétaire du duc de Calabre, qui passa avec le chevalier dans son cabinet, mais en sortit presque aussitôt.

Michele avait fait semblant de ne rien voir.

En sortant du cabinet, et après avoir reconduit le secrétaire du prince, le chevalier fit à Luisa un signe pour lui demander s'il pouvait se confier à Michele.

Luisa qui savait que Michele se ferait tuer pour elle encore bien plus que pour le chevalier, lui répondit que oui.

Le chevalier regarda un instant Michele.

–Mon cher Michele, lui dit-il, tu vas nous promettre de ne pas dire à qui que ce soit au monde un seul mot du secret que nous allons te confier.

–Ah! ah! tu sais ce que c'est, petite soeur?

–Oui.

–Et il faut se taire?

–Tu entends bien ce que te dit le chevalier? Michele fit une croix sur sa bouche.

–Parlez: c'est comme si le beccaïo m'eût coupé la langue.

–Eh bien, Michele, tout le monde part ce soir.

–Comment, tout le monde? Qui cela?

–Le roi, la reine, la famille royale, nous-mêmes.

Les larmes vinrent aux yeux de Luisa. Michele jeta un rapide coup d'oeil sur elle et vit ces larmes.

–Et pour quel pays part-on? demanda Michele.

–Pour la Sicile.

Le lazzarone secoua la tête.

–Ah! ah! fit le chevalier.

–Je n'ai pas l'honneur d'être du conseil de Sa Majesté, dit Michele; mais, si j'en étais, je lui dirais: «Sire, vous avez tort.»

–Oh! pourquoi n'a-t-il pas des conseillers aussi francs que toi, Michele!

–On le lui a dit, reprit le chevalier; l'amiral Caracciolo, le cardinal Ruffo le lui ont dit; mais la reine a eu peur, mais M. Acton a eu peur, et, à la suite du meurtre d'aujourd'hui, le roi s'est décidé à partir.

–Ah! ah! fit Michele, je commence à comprendre pourquoi, au nombre des assassins, j'ai vu Pasquale de Simone et le beccaïo. Quant à fra Pacifico, pauvre homme, il y était, comme son âne, sans savoir pourquoi.

–Alors, Michele, demanda Luisa, tu crois que c'est la reine…?

–Chut! petit soeur; on ne dit pas de ces choses-là à Naples, on se contente de les penser. N'importe! le roi a tort. Si le roi était resté à Naples, jamais les Français n'y seraient entrés, non, jamais: nous nous serions plutôt fait tuer tous! Ah! si le peuple savait que le roi veut partir!

–Oui; mais il ne faut pas qu'il le sache, Michele. Voilà pourquoi je t'ai fait faire serment de ne rien de dire ce que j'allais te révéler. Enfin, nous partons ce soir, Michele.

–Et petite soeur aussi? demanda Michele avec un accent dont il n'avait pu chasser toute surprise.

–Oui; elle a voulu venir, elle a voulu me suivre, cette chère enfant bien-aimée, dit le chevalier en étendant sa main au-dessus de la table pour chercher celle de Luisa.

–Eh bien, dit Michele, vous pouvez vous vanter d'avoir épousé une sainte, vous!

–Michele!.. fit Luisa.

–Je sais ce que je dis. Et vous partez, vous partez ce soir! Madonna! moi, je voudrais bien être quelqu'un: je partirais aussi avec vous.

–Viens, Michele! viens! s'écria Luisa, qui voyait dans Michele un ami auquel elle pourrait parler de Salvato.

–Par malheur, c'est impossible, petite soeur; chacun a son devoir. Le tien veut que tu partes, et le mien m'ordonne de rester. Je suis capitaine et chef du peuple, et ce n'est pas seulement pour faire le moulinet autour de la tête du beccaïo que j'ai un sabre au côté: c'est pour me battre, c'est pour défendre Naples, c'est pour tuer le plus de Français que je pourrai.

 

Luisa ne put réprimer un mouvement.

–Oh! sois tranquille, petite soeur, reprit Michele en riant, je ne les tuerai pas tous.

–Eh bien, pour en finir, continua le chevalier, nous nous embarquons ce soir à la Vittoria, pour rejoindre la frégate de l'amiral Caracciolo, derrière le château de l'Oeuf. Je voulais te prier de ne pas quitter ta soeur et, au besoin, de faire pour elle, au moment de l'embarquement, ce que tu as fait, il y a deux heures, pour moi, c'est-à-dire de la protéger.

–Oh! sous ce rapport-là, vous pouvez être tranquille, chevalier. Pour vous, je me ferais tuer; mais, pour elle, je me ferais hacher en morceaux. Mais, c'est égal, si le peuple savait cela, il y aurait une fière émeute.

–Ainsi, dit le chevalier se levant de table, j'ai ta parole, Michele: tu ne quittes Luisa que quand elle sera dans la barque.

–Soyez tranquille, je ne la quitte d'ici là pas plus que son ombre un jour de soleil, attendu qu'aujourd'hui je ne sais pas trop ce que chacun de nous a fait de la sienne.

Le chevalier, qui avait tous ses papiers à mettre en ordre, tous ses livres à emballer, tous ses manuscrits commencés à emporter avec lui, rentra dans son cabinet.

Quant à Michele, qui n'avait rien à faire qu'à regarder sa petite soeur, il fixa son regard bienveillant sur elle, et, voyant deux grosses larmes qui coulaient silencieusement de ses beaux yeux sur ses joues:

–C'est égal, dit-il, il y a des hommes qui ont une fière chance, et le chevalier est de ces hommes-là. Mannaggia la Madonna! ce n'est pas Assunta qui ferait pour moi ce que tu fais pour lui.

Luisa se leva, et, si vite qu'elle rentrât dans sa chambre, si rapidement qu'elle en refermât la porte, Michele put entendre le bruit des sanglots qui, malgré elle, maintenant qu'elle était seule, s'échappaient tumultueusement de sa poitrine.

Nous avons déjà, dans une autre circonstance, et quand c'était Salvato et non Luisa qui quittait Naples, suivi de l'oeil le mouvement lent et inégal de l'aiguille sur la pendule. Ce mouvement, en même temps que nous, deux coeurs le suivaient; mais, appuyés l'un à l'autre, il leur paraissait à coup sur moins douloureux qu'à ce pauvre coeur isolé qui n'avait d'autre soutien que le sentiment du devoir accompli.

Luisa n'avait, comme d'habitude, fait que passer par sa chambre et avait regagné sur la pointe du pied celle de Salvato. En traversant le corridor, elle avait, avec un certain étonnement, recueilli quelques notes de la voix de Giovannina chantant une gaie chanson napolitaine. Aux accents de cette gaieté un peu intempestive, Luisa avait soupiré et s'était contentée de se dire à elle-même:

–Pauvre fille! elle est contente de ne pas quitter Naples, et, si j'étais libre et que je restasse comme elle à Naples, comme elle, moi aussi, je chanterais quelque gaie chanson napolitaine.

Et elle était rentrée dans sa chambre, le coeur encore plus oppressé qu'auparavant de cette gaieté qui faisait contraste avec sa douleur.

Il est inutile de dire quelles pensées occupaient le coeur de Luisa une fois qu'elle était rentrée dans le sanctuaire de son amour. Toute sa vie repassait devant ses yeux, et nous disons toute sa vie, car, dans ses souvenirs, elle n'avait vécu que pendant les six semaines que Salvato avait habité cette chambre.

Alors, depuis le moment où le blessé avait été apporté sur son lit de douleur jusqu'à celui où, appuyé à son bras, le convalescent était sorti de la maison par cette fenêtre donnant sur la petite ruelle; où, avant de quitter cette fenêtre, il avait, dans un premier et dernier baiser, appuyé ses lèvres sur les siennes et versé son âme dans sa poitrine, – alors, non-seulement chaque jour, mais chaque heure du jour passait devant elle, triste ou joyeuse, sombre ou éclairée.

Et, comme toujours, elle suivait, les yeux du corps fermés, mais avec les yeux de l'âme, cette longue et blanche théorie, – lorsqu'elle entendit gratter doucement à sa porte, et que, de sa voix la plus douce, Michele lui souffla par le trou de la serrure:

–C'est moi, petite soeur.

–Entre, Michele, entre, dit-elle; tu sais bien que, toi, tu peux entrer.

Michele entra; il tenait une lettre à la main.

Luisa resta les yeux fixés sur cette lettre, les bras étendus, la respiration suspendue.

Aurait-elle cette suprême consolation dans un pareil moment de recevoir une dernière lettre de Salvato?

–C'est une lettre de Portici, dit Michele. Je l'ai prise des mains du facteur, et je te l'apporte.

–Oh! donne, donne! s'écria Luisa, c'est de lui!

Michele lui remit la lettre et alla fermer la porte. Mais, avant de la fermer:

–Dois-je rester? dois-je sortir? demanda-t-il.

–Reste, reste, cria Luisa. Tu sais bien que je n'ai pas de secrets pour toi.

Michele resta, mais se tint près de la porte.

Luisa décacheta vivement la lettre, et, comme toujours, essaya vainement de la lire. Les larmes et l'émotion étendaient devant ses yeux un brouillard qu'il fallait quelques secondes pour dissiper.

Enfin, elle put lire:

«San-Germano, 19 décembre, au matin.»

–Il est à San-Germano, ou plutôt il y était lorsqu'il m'écrivait cette lettre, dit Luisa à Michele.

–Lis, petite soeur, lui répondit celui-ci: cela te fera du bien.

Elle reprit, – car elle s'était interrompue pour respirer en renversant sa tête en arrière et en appuyant la lettre contre son coeur, – elle reprit:

«San-Germano, 19 décembre, au matin.

»Chère Luisa,

»Laissez-moi partager avec vous une grande joie: je viens de revoir la seule personne que j'aime d'un amour égal à celui que je vous ai voué, quoiqu'il soit bien différent: je viens de revoir mon père!

»Ce qu'il est et où il est, c'est un secret que je dois garder, même vis-à-vis de vous, mais que néanmoins je vous dirais bien certainement si j'étais près de vous. Un secret pour vous! En vérité, j'en ris moi-même. Est-ce qu'on a des secrets pour sa seconde âme?

»Je viens de passer une nuit, depuis neuf heures du soir jusqu'à six heures du matin avec mon père, que, depuis dix ans, je n'avais pas vu. Toute la nuit, il m'a parlé de la mort et de Dieu; toute la nuit, je lui ai parlé de mon amour et de vous.

»C'est à la fois, chose rare, un esprit élevé et un coeur tendre que mon père. Il a beaucoup aimé, beaucoup souffert, et, plaignez-le, il ne croit pas.

»Priez pour le père, cher ange du fils, et Dieu, qui ne doit avoir rien à vous refuser, lui accordera peut-être la foi.

»Une autre femme que vous, Luisa, se serait déjà étonnée de ne pas avoir trouvé vingt fois dans ces lignes le mot: «Je vous aime!» Vous l'avez déjà lu cent fois, vous, n'est-ce pas? Vous parler de mon père, dont je ne puis parler à personne, vous dire ma joie de l'avoir revu, vous le comprenez bien, n'est-ce pas? c'est mettre mon coeur dans vos mains, et c'est vous dire à deux genoux: «Je vous aime, ma Luisa! je vous aime!»

»Me voilà donc à vingt lieues de vous, ma belle fée du Palmier, et, quand vous recevrez cette lettre, j'en serai plus rapproché encore. Les brigands nous harcèlent, nous assassinent, nous mutilent, mais ne nous arrêtent point. C'est que nous ne sommes point une armée, c'est que nous ne sommes point des hommes en marche pour envahir un royaume et conquérir une capitale: nous sommes une idée faisant le tour du monde.

»Bon! voilà que je parle politique!

»Je parie que je devine où vous lisez ma lettre. Vous la lisez dans notre chambre, assise au chevet de mon lit, dans cette chambre où nous nous reverrons et ou j'oublierai, en vous revoyant, les longs jours passés loin de vous…»

Luisa s'interrompit: les larmes lui voilaient les yeux, les sanglots lui coupaient la voix.

Michele courut à elle et se mit à ses genoux.

–Voyons, petite soeur, lui dit-il, du courage! C'est beau, ce que tu fais, et le bon Dieu t'en récompensera. Et qui sait, mon Dieu! vous êtes jeunes tous deux: peut-être, un jour, vous reverrez-vous.

Luisa secoua la tête.

–Non, non, dit-elle avec un mouvement qui fit pleuvoir les larmes de ses yeux fermés; non, nous ne nous reverrons jamais. Et il vaut mieux que je ne le revoie pas; je l'aime trop, Michele, et ce n'est que depuis que j'ai décidé de ne plus le revoir que je sais combien je l'aime.

–Enfin, tu sais, dit Michele, il y a dans ta douleur quelque chose de bon à ce que tu ne le revoies pas; il y avait, au bout de votre amour, une triste prédiction de Nanno.

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