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A quoi tient l'amour?

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V

San-Carlino est un petit théâtre de Naples, où jouait alors Pulcinella avec sa troupe. Les comédiens dell'arte brodaient là tous les soirs, pour la joie des spectateurs épris de ces marionnettes vivantes et parlantes, des incidents nouveaux sur les vieux canevas. Les intarissables cascatelles de leur esprit bouffon rafraîchissaient l'antique imbroglio où figurent Diamantine et Cassandre.

La Strettina connaissait fort bien le seigneur Polichinelle, ayant eu pour lui une fantaisie, disait-on. Elle lui livra le marquis Michel. Il le suivit pendant deux jours entiers comme son ombre, et lui déroba complètement sa personnalité.

La marquise prit soin que l'aristocratie napolitaine emplît le théâtre de San-Carlino au jour dit. Elle s'y fit elle-même conduire par son mélancolique époux, qui attendait toujours une réponse de la courtisane.

Le rideau se leva. Pulcinella parut, marcha, gesticula, parla. Un long éclat de rire courut dans l'assemblée. Pulcinella et le marquis Michel semblaient n'être plus qu'un. On eût dit que le premier de ces personnages avait avalé et digéré le second. Ce composé éminemment burlesque faisait pâmer de gaîté les assistants. Le marquis, assis dans le fond de sa loge à côté de la marquise en loup de satin noir, n'y comprenait rien. Hélas! il comprit bientôt, quand il vit se dérouler sur les planches sa petite histoire. Pour comble de douleur, la Strettina avait voulu jouer Colombine sous le masque, ce jour-là. Elle sut dire très délicatement son fait au marquis Polichinelle, lui donna, non pas l'espérance, mais une dégelée de coups de bâton, et finalement partit pour Cythère avec le petit page Enrico, à qui elle avait fait apprendre ad hoc un bout de rôle.

Le marquis fut malade toute une semaine. Il se releva guéri pour toujours des amours séniles. Naples s'amusa un mois à ses dépens. Mais il confessa ses torts de si bonne grâce et s'accusa avec tant de bonhomie, qu'on ne lui en voulut pas longtemps et qu'on oublia bientôt l'aventure.

La marquise fit remettre à la Strettina une merveilleuse parure de diamants, avec ces quelques mots:

«Je suis votre obligée; permettez-moi de vous envoyer ce souvenir. Je vous souhaite d'être toujours belle.»

La Vieille au Chien noir

I

Nous étions venus à vingt ans de Marseille à Paris, Jean, Marius et moi, tous les trois possédés de grands appétits, de grands espoirs et d'immenses résolutions. Nous voulions tout apprendre, jouir de tout et gouverner le monde, d'abord les femmes, ensuite les hommes.

Pendant les premières années de notre puberté, nous avions vécu, dans les livres ou en imagination, une vie plus longue que celle du docteur Faust; et nous nous élancions vers la capitale des plaisirs et des études avec plus de désirs que le héros de Goethe. Car il était las de l'étude quand vint Méphistophélès; et nous, nous étions aussi avides de science que d'amour et de gloire. Nous voulions tout, ne connaissant rien encore.

Nous nous installâmes ensemble dans un coin tranquille du quartier

Saint-Germain. La différence de nos caractères nous sépara bientôt.

Pourtant, nous étions toujours fraternellement unis; et nous demeurions à cinq minutes l'un de l'autre.

Jean était poète. Marius s'adonnait aux sciences chimiques et chimériques, naturelles et surnaturelles. Pour moi, je m'étais voué éperdument aux mathématiques et à l'astronomie. Oui, à l'astronomie! Ces choses me paraissaient si peu avancées, si enfantines encore, et avaient un horizon si vaste, qu'elles m'attiraient avec une sorte de vertige. Je travaillais ferme; j'étais très timide, surtout à l'égard des femmes, et je vivais comme un reclus, plongé dans la mysticité astrale. Mes deux amis travaillaient beaucoup moins et s'amusaient beaucoup plus. Je finis par les voir seulement de loin en loin. Je savais que Jean, par le charme de la voix, de l'oeil et de la poésie, avait fait la conquête d'une ravissante couturière, et que Marius jouissait d'une véritable célébrité dans les bals publics.

II

Un dimanche que je flânais, pensant à Mars et à la Lune, j'aperçus devant moi, en levant les yeux par une échappée de rêverie, Marius, Jean et la jeune couturière, qui, dans un rayon de soleil, s'en allaient, légers, avec des éclats de rire, je ne sais où.

Je marchais lentement, ils n'allaient pas vite non plus: ils suivaient d'assez près une vieille femme, vêtue d'étranges haillons, qui portait sur le doigt un perroquet de cent ans, et traînait au bout d'une ficelle un horrible petit chien noir.

Je sus bientôt la cause de la grande hilarité de mes amis. Jean donnait le bras à sa Jeanne; et Marius, la canne à la main, voltigeait de l'autre côté de la jolie grisette, car, disons-le, c'était une vraie grisette.

Il y a encore des grisettes; Béranger et Paul de Kock ne les ont pas emportées toutes dans leur tombeau.

Or, voici ce qui provoquait la gaîté de Jeanne. Marius, adroit comme un singe, martyrisait le pauvre chien noir sans que la vieille femme s'en aperçût; toutes les deux minutes, il faisait avec sa canne le geste de lui administrer un lavement. La pauvre bête baissait la queue et s'arrêtait. La vieille tirait la ficelle en maugréant, et Jeanne pouffait de rire, et Jean lui-même avait peine à ne pas éclater. Marius restait grave. La vieille femme se retourna une ou deux fois, elle rencontra les yeux sévères de cette apparente gravité, et, ne sachant pas ce que tout cela voulait dire, continua à traîner sa bête. Marius poursuivit son manège; les rires étouffés recommencèrent de plus belle.

Mais bientôt la sorcière le surprit en flagrant délit, lui jeta un regard courroucé, et s'enfuit de toute la vitesse de ses maigres jambes.

J'étais probablement dans une disposition mélancolique ce jour-là. Ces enfantillages me déplurent, je rebroussai chemin et je rentrai chez moi pour travailler. Je ne travaillais jamais mieux que le dimanche, quand je sentais que tout le monde autour de moi était allé s'amuser.

III

Plusieurs jours s'écoulèrent; et j'avais totalement oublié cette grotesque rencontre, quand un matin je vis arriver chez moi mon ami Jean, très pâle, les yeux battus, la figure à l'envers.

«Qu'y a-t-il? m'écriai-je, en le regardant. Voyons, parle.»

Il eut de la peine à parler. Sa gorge semblait horriblement serrée.

Enfin il me dit d'une voix tremblante:

«Écoute, je viens te demander un grand service. Je me bats avec Marius.

Il m'a pris Jeanne. Je les ai vus, te dis-je.»

Et il mit sa main sur ses yeux, comme pour retenir ses larmes.

Hélas! la trahison de la petite ne me surprit pas. Les femmes se lassent vite de la poésie. Et puis Marius était si drôle, l'autre jour, avec le petit chien noir de la vieille.

Jean me demanda d'être son témoin. J'épuisai tous les moyens de persuasion pour empêcher le duel. Ce fut en vain. Mais je repoussai fermement sa demande, ne voulant pas l'assister contre un autre ami, et espérant que mon abstention empêcherait peut-être la rencontre projetée.

Il me serra la main et me dit:

«Oui, c'est vrai, je comprends; tu es notre ami à tous les deux. Reste donc en dehors de notre querelle.»

Je courus chez Marius.

«Viens! m'écriai-je. Viens au diable avec moi! Je ne veux pas que vous vous battiez.»

Marius fut de glace.

«Elle l'a aimé; maintenant c'est moi qu'elle aime. Pourquoi ne me la laisse-t-il pas? Chacun son tour. C'est lui qui veut se battre. Eh! bien, je ne puis reculer; ce serait une lâcheté.»

Le duel eut lieu. Attaqué avec furie, Marius se défendit sans trop savoir comment, car son adversaire et lui ignoraient l'escrime; et de ces deux maladroits, l'un tomba pour ne plus se relever: Jean.

IV

Je ne revis pas Marius. Je sus qu'il vivait avec Jeanne. Je lui en voulais profondément, quand je pensais au funeste duel.

Environ un an plus tard, un matin, en me promenant, je lisais le journal. Je suis peu curieux des gazettes quotidiennes; mais la crise politique était alors si aiguë, que j'avais voulu en apprendre ou en deviner le dénouement. J'allais replier la feuille, après l'avoir parcourue, quand le nom de Marius frappa mes yeux. Je pressentis un second malheur. Voilà ce que je lus:

«Marius M… étudiant en médecine, vivait avec une jeune femme, Jeanne Vady, depuis plusieurs mois. Dimanche, vers onze heures du soir, ils rentrèrent. Une discussion s'éleva entre eux. Les voisins entendirent des invectives et le piétinement d'une lutte. On était habitué à ces querelles d'amoureux. On n'y prit pas garde. Marius sortit à minuit. Pendant trois jours la chambre resta muette. Une odeur nauséabonde s'en dégageait. Marius ne revenait pas. On força la serrure. La jeune femme gisait à terre, morte. Elle avait reçu deux coups de couteau dans le coeur. On a retrouvé Marius hier matin, pendu à un arbre du bois de Boulogne. Il avait écrit ces mots sur un bout de papier: «Je me tue, je l'ai tuée. Jean, pardon!» On suppose que la dispute, qui a occasionné cette catastrophe, s'est produite au sujet de Jean R… ancien amant de la jeune femme et ancien ami du jeune homme. Ce dernier l'avait blessé mortellement en duel, après lui avoir enlevé sa maîtresse. Le père de Marius M… est un honorable magistrat du Midi. Marius était son fils unique.»

Je fus stupéfié. Il me semblait avoir devant les yeux la scène fatale. L'évocation du mort, la dispute, le mauvais coup, la fuite du meurtrier, la course dans l'ombre, le suicide, toutes ces visions atroces se succédaient dans mon esprit. Je suivais d'un pas saccadé, comme emporté par un vertige, cette même rue où, naguère, je les avais rencontrés tous les trois, si bouffonnement allègres.

Je heurtai quelqu'un dans cette course aveugle.

 

Je m'arrêtai, honteux; j'ôtai mon chapeau, je demandai pardon. Mais quoi! c'était la vieille femme au perroquet et au petit chien noir. C'était elle que je venais de heurter. Elle marchait toujours du même pas, portant le même volatile sur le même doigt. Elle était toujours vêtue du même jupon fantastique et du même fichu verdâtre, frangé par le temps et la misère. Elle traînait toujours son pauvre petit quadrupède efflanqué, avec la même ficelle.

Je crus que c'était une hallucination. Je reculai d'un pas. La vieille me regarda fixement dans les yeux, avec je ne sais quelle expression diabolique, puis continua sa promenade, clopin-clopant. Je restai cloué au sol.

«Cette vieille femme est fée, m'écriai-je; elle s'est vengée, elle les a perdus.»

C'était absurde; et pourtant, vous me direz ce que vous voudrez, je suis encore convaincu que cette vieille femme est fée. Quand je l'aperçois de loin, je l'évite.

Dernièrement, son chien noir est mort; du moins, je le suppose, car elle ne le traîne plus. Il lui reste son perroquet. Je crois que cette bête est fée aussi. Mais non, non, c'est moi qui suis fou. Mon pauvre cerveau d'astronome est si facilement détraqué par les choses de la terre!

La Désespérée

I

Jacquelin avait vingt-quatre ans; il voulait être attaché d'ambassade, et il se trouvait à Londres pour apprendre l'anglais.

Sous les pluies interminables qui, là-bas, pendant les jours ternes, tombent lentement, longuement, tristement, du ciel couleur de plomb, il attendait, en lisant Shakespeare ou Dickens, en écoutant le babil des enfants roses, l'épanouissement tardif d'un pâle rayon d'après-midi.

Enthousiasmé par la franchise cordiale des jeunes filles et par les allures viriles des jeunes hommes, la brutalité native du caractère britannique l'épouvantait bien à l'occasion; mais quand, par une éclaircie, il se promenait dans les parcs verts ou sur la Tamise, regardant filtrer à travers les nuées la fraîche et prismatique lumière du soleil, il ne maudissait guère son exil et acceptait en philosophe son isolement passager. Il s'était composé, d'ailleurs, un bouquet de platoniques amours, et ces fleurs idéales le berçaient de leur léger parfum.

Mais cela ne suffit pas longtemps à un jeune homme qui a du sang gaulois dans les veines.

Vers le soir, Jacquelin parfois sortait machinalement, et marchait jusqu'au coeur de la grande ville, poussé par les instincts profonds. Les cabs, avec leur cocher barbu hissé sur le haut siège de derrière, leurs deux grandes roues ferrées et leurs deux petites lucarnes vitrées, filaient rapidement dans la sonorité des chaussées larges. Les omnibus bariolés cahotaient lourdement, tandis que les conducteurs criaient à tue-tête: «Bank! Bank!» Les voyageurs, leur éternel parapluie au poing, montaient et descendaient, comme des seaux le long d'un puits. Les passants, pressés, affairés, allaient, venaient, se croisaient, s'éloignaient à travers les lueurs rougeâtres, par la brume et les ténèbres. Jacquelin vaguait, prêtait l'oeil et l'oreille à tout sans se fixer à rien, fatiguait sa fièvre, et cherchait dans la lassitude un refuge contre les désirs malsains.

Une nuit, vers onze heures, il s'était arrêté, très las, dans une des rues qui avoisinent Trafalgar-Square. Appuyé contre une grille, il respirait, sans aucune pensée, l'air humide. Personne ne passait; entre les roulements lointains et les rumeurs confuses, un silence relatif régnait autour de lui. Il eut quelques minutes d'anéantissement. Il se redressait déjà et se préparait à rentrer au logis, quand il vit émerger de l'ombre et venir de son côté une forme féminine.

Il attendit et regarda.

C'était une jeune fille, presque une enfant. En un clin d'oeil, il sut qu'elle était simplement mais bien vêtue, souple, gracieuse et belle. Il tressaillit, son regard prit une chaude acuité. La passante le considéra, lui adressa vaguement une muette interrogation, puis laissa aller à lui un sourire tristement amical.

«Vous êtes belle comme l'Espérance», fit-il.

Elle répliqua: «Dites plutôt comme le Désir.»

En causant, il l'accompagna.

«Je ne veux rien de vous, sachez-le bien, ajouta la jeune femme; votre figure me plaît, le son de votre voix aussi; causons, si vous voulez. Je puis même vous offrir le thé chez moi; vous partirez, après une bonne poignée de main; ce sera tout!»

II

Elle demeurait dans un quartier discret et tranquille. Après avoir gravi les quatre ou cinq marches qui donnent accès aux maisons anglaises, il entra dans le petit parloir du rez-de-chaussée. Un guéridon, des meubles de bon goût, quelques tapisseries, des tableaux religieux. Une vieille servante apporta le thé.

La jeune femme regardait Jacquelin avec une curiosité bienveillante, mais sans provocation aucune. Elle lui faisait très doucement des questions sur son passé, sa famille, lui demandant avec insistance mille détails, mille puérilités même, et l'écoutant, avec une sorte de tendre et sérieux intérêt, raconter des histoires, des folies enfantines, les chansons dont sa mère l'avait bercé, les étranges visions qui avaient hanté ses premiers rêves; comment le soir son père le faisait jadis sauter sur ses genoux, le couchait dans un petit lit de fer à pommes d'or, et l'endormait au sein d'une histoire fantastique; puis comment il avait été une fois très gravement malade, et s'était réveillé entre ses parents, qui, tout en lui souriant, pleuraient d'angoisse, pendant que sa petite soeur courait et chantait dans la chambre voisine, comme si elle avait eu les ailes et l'âme d'un oiseau.

«Ainsi vous avez une famille qui vous adore et que vous aimez!» dit la jeune femme, quand il se tut après les mille bavardages sollicités par elle.

Il y eut un silence; elle semblait rêveuse et inquiète.

Elle se leva.

«Adieu! reprit-elle tranquillement; si vous aviez été malheureux, je vous aurais proposé… Mais je vais vous sembler folle. Eh bien oui! je vous aurais proposé, quelque étrange et invraisemblable que cela puisse vous paraître, d'en finir ensemble, ici, ce soir. Nous nous serions aimés là-bas, autre part, je ne sais où, très loin. Mais vous ne comprenez pas, peut-être parce que vous êtes Français. Adieu!»

Et, comme il allait partir, plein d'une stupeur mal dissimulée:

«Voulez-vous que je vous embrasse?» fit-elle.

Elle l'embrassa sur le front, simplement, avec une sérénité grave.

Puis:

«Au fait, dites-moi où vous demeurez; je vous enverrai une fleur ou un livre, un jour que je penserai à vous.»

III

Il s'en alla, songeur; et, en vrai Parisien, il crut avoir été mystifié. Il eut un doute, puis un éclat de rire, rentra accablé de fatigue, dormit sans rêver, et le lendemain pensa à autre chose.

Un mois plus tard, il reçut une belle pensée de velours sombre dans une lettre où il lut ces mots:

«Vous êtes un de ceux que j'aurais pu aimer et dont j'aurais pu être aimée, n'est-ce pas? Vous m'avez donné une heure de votre vie, et, ma folie, vous l'avez excusée. Je vous envoie cette fleur, car je me décide à m'en aller de ce monde, cette nuit, toute seule. C'est ma faute; j'ai mal choisi, je suis abandonnée. Je ne sais pourquoi je voudrais que vous pleuriez en lisant ceci. Adieu, ami! vivez heureux. Si les morts peuvent quelque chose pour les vivants, je vous promets de ne vous point oublier.»

Un quart d'heure après avoir lu ce billet, Jacquelin entrait dans le petit parloir orné de tableaux religieux. Elle était réellement morte. Il se pencha sur elle, baisa ses lèvres décolorées, et pleura.

Une vraie Française

I

Claire était charmante, mais n'était pas facile à marier. Elle ne représentait pas ce que les gens sérieux appellent «un bon parti».

Certes, on appréciait, dès le premier abord, et toujours davantage, sa grâce naturelle et sa gaîté cordiale, la douceur de ses fins cheveux cendrés, la musique légère de sa voix si fraîche, et l'expression profonde de ses yeux, tantôt gris, tantôt bleus, de ses tendres yeux «couleur du temps», comme l'oiseau des contes de fées. Mais ces choses-là ne sont pas ce qu'à Paris, de nos jours, on prise le plus particulièrement dans une fille à marier; et même elles inquiètent les esprits timorés, surtout quand rien de solide ne les fait valoir.

Claire n'avait, pour ainsi dire, pas de dot. Elle ne devait apporter en ménage qu'une modeste rente, dont le chiffre n'était pas certain; et les espérances pécuniaires brillaient par leur absence. Son père, M. Albe, le plus honnête homme du monde et le plus intelligent, n'offrait malheureusement aucune garantie positive. Il mêlait à toutes ses entreprises une telle dose de passion, de chimère et de désintéressement, que, tous comptes faits, il n'en tirait jamais de gros bénéfices. Architecte de talent, il avait eu assez vite une belle clientèle. Cela n'avait pas suffi à son vaste et ardent cerveau. Sollicité tour à tour par toutes les sciences et tous les arts, il s'était lancé éperdument à la recherche de vérités neuves et de trésors inexplorés. Il n'avait pris la peine de conserver pour clients que ses amis. Pour ceux-là, il travaillait avec acharnement, recommençant parfois tel ouvrage dont il n'était pas satisfait, et y perdant alors plus qu'il n'y gagnait.

«C'est un original, c'est un artiste, un inventeur!» disaient, avec un sourire de supériorité, les gens incapables de rien inventer, mais habiles à exploiter tout.

Être le gendre d'un tel beau-père, il n'y avait pas là de quoi tenter les jeunes messieurs à moustaches retroussées ou à barbe pointue, en quête d'une situation avantageuse.

Et cela désolait Mme Albe, petite femme brune aux traits réguliers, à l'esprit net, une Flamande de race castillane, qui mettait tout l'ordre possible dans l'aventureuse existence de son mari.

L'avenir de sa fille était sa préoccupation continuelle.

Son fils Jules, un gamin de onze ans, lui donnait peu d'inquiétude. Il tenait d'elle, et très certainement il saurait se débrouiller plus tard.

Mais Claire tenait du père; et elle venait d'entrer dans sa vingtième année.

Pour la bien marier, il ne fallait pas perdre de temps.

Ce fut donc une grande joie pour cette mère anxieuse, quand elle sut que

Philippe Saville pensait à Claire.

Mme Albe le guettait depuis longtemps, l'excellent jeune homme; et pour l'amener à se déclarer, elle avait usé d'une admirable diplomatie féminine, sans compromettre aucunement sa fille, avec qui elle avait cru devoir garder une parfaite discrétion.

II

Philippe Saville avait vingt-huit ans. D'une taille un peu au-dessus de la moyenne, le visage allongé entre de courts favoris châtains, il avait l'air grave sans affectation; et s'il ne visait ni à l'éclat ni à l'élégance, il était absolument correct. Depuis deux ans, depuis la mort de son père, Arthur Saville, un Américain de Philadelphie venu tout jeune à Paris et marié à une Française, il se trouvait à la tête d'une importante maison de commission, dont il avait su maintenir et même augmenter le chiffre d'affaires. Sa fortune était donc fort respectable déjà, sans compter ce que lui laisseraient sa mère et son grand-père maternel. Et puis, selon toute probabilité, il multiplierait rapidement ses capitaux, car il ne se plaisait qu'au travail, n'aimait de la vie que le substantiel, dédaignant les hors-d'oeuvre et les friandises du dessert.

L'hiver précédent, il avait rencontré Claire chez des amis communs, à des bals, à des soirées intimes. Elle fit alors sur lui, sans y prendre garde, une impression profonde. Après un voyage commercial au delà de l'Atlantique, il eut plusieurs occasions de la revoir. Se trouvant assez riche pour deux, il n'hésita plus. Sa mère, qui l'adorait, désirait vivement le marier, et il obtint d'elle un consentement rapide. Le grand-papa Rambour se montra moins accommodant. Il rêvait pour son petit-fils une alliance plus fortunée. Il accepta cependant de faire la demande officielle. Mais d'abord, pour ne point l'exposer à un échec, Mme Saville pressentit prudemment Mme Albe. Elle la trouva fort bien disposée; et toutes deux s'entendirent pour donner aux jeunes gens le loisir de se mieux connaître.

Claire, lorsqu'elle apprit les sentiments du jeune homme, en fut sincèrement surprise. Il s'était toujours tenu à l'écart. Assurément, il ne lui déplaisait pas. Mais pourrait-elle l'aimer? Une fille sans dot est toujours flattée d'être recherchée par un jeune homme riche. Elle éprouva donc pour lui une certaine reconnaissance, qui vraisemblablement se transformerait en affection.

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