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Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia

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Tous les fragments qui suivent me vinrent par la poste sur différentes feuilles.

Rovigo, 20 juillet.

Je l'admirais, et je me disais à moi-même:

– Qu'adviendrait-il de moi, si je ne pouvais plus la voir?

Je me rassurais en songeant que j'étais près d'elle; et maintenant…

Que me fait le reste de l'univers?.. sur quelle terre pourrais-je vivre sans Thérèse?.. Il me semble que je voyage en songe… J'ai donc eu le courage de partir ainsi sans la revoir, sans un baiser, sans un dernier adieu… A chaque instant, je crois me retrouver à la porte de la maison, et lire dans la tristesse de son visage qu'elle m'aime!.. Et avec quelle rapidité chaque instant qui s'écoule ajoute à la distance qui me sépare d'elle… Je ne puis plus obéir ni à ma volonté, ni à ma raison, ni à mon cœur… Je me laisse entraîner par le bras de fer du destin. Adieu…

Ferrare, 20 juillet au soir.

Je traversais le Pô, et je regardais l'immensité de ses ondes; vingt fois, je m'avançai sur le bord de la barque pour m'y précipiter, m'engloutir et me perdre pour toujours… Tout est sur un seul point!.. Ah! si je n'avais pas une mère chérie et malheureuse, à qui ma mort coûterait d'amères larmes…

Non, je ne finirai pas ainsi en lâche mes souffrances. Je boirai jusqu'à la dernière goutte les pleurs que m'a départis le Ciel!.. Un jour, lorsque toute résistance sera vaine, lorsque toute espérance sera détruite, lorsque toutes forces seront épuisées; quand j'aurai le courage de regarder la mort en face, de raisonner tranquillement avec elle, de goûter avec plaisir son calice amer… quand j'aurai expié les larmes des autres, et désespéré de les tarir, alors, Lorenzo… alors!..

Mais, à cette heure où je parle, tout n'est-il pas perdu?.. n'ai-je pas la certitude que tout est perdu?.. Dis-moi, as-tu jamais éprouvé l'horreur de ce moment terrible… où le dernier espoir nous abandonne?..

Ni un baiser, ni un adieu!.. N'importe, tes larmes me suivront au tombeau… Mon salut… mon destin… mon cœur… tout m'y entraîne! Je vous obéirai à tous…

Pendant la nuit.

Et j'ai eu le courage de t'abandonner, je t'ai abandonnée, Thérèse, et dans un état plus déplorable encore que le mien! Qui sera ton consolateur?.. Tu trembleras à mon seul nom parce que je t'ai fait voir, moi, – moi le premier, moi le seul, à l'aube de ta vie, les tempêtes et les ténèbres du malheur! Et toi, pauvre enfant, tu n'es encore assez forte, ni pour supporter ni pour fuir la vie; tu ne sais pas encore que l'aurore et le soir sont tout un. – Oh! je ne veux pas te le persuader, et pourtant nous n'avons plus aucune aide chez les hommes, aucune consolation en nous-mêmes. – Pour moi, je ne sais que supplier Dieu, le supplier avec mes gémissements, et chercher mes espérances hors du monde, où tout nous persécute ou nous abandonne. Oh! tu ne seras pas aussi malheureuse, et je bénirai tous mes tourments. – Cependant, en mon désespoir mortel, sais-je dans quel danger tu te trouves? Je ne puis ni te défendre, ni essuyer tes larmes, ni recueillir tes secrets dans mon cœur, ni partager ton affliction. Non, je ne sais où je suis, comment je t'ai laissée, ni quand je pourrai te revoir.

Père cruel!.. Thérèse est ton sang… cet autel est profané… La nature, le Ciel maudissent ces serments… L'effroi, la jalousie, la discorde et le repentir tournent en frémissant autour du lit nuptial, et ensanglanteront peut-être ces chaînes. Thérèse est ta fille, laisse-toi fléchir… Tu te repentiras amèrement, mais trop tard… Un jour, dans l'horreur de son sort, elle maudira l'existence et ceux qui la lui ont donnée… et ses plaintes et ses larmes iront jusqu'au fond de la tombe accuser et troubler tes os… Aie pitié!.. – Oh! tu ne m'écoutes pas… tu l'entraînes… la victime est sacrifiée; j'entends ses gémissements… mon nom est dans son dernier soupir… Oh! tremblez… votre sang… le mien… Thérèse sera vengée… Oh! je suis fou! je délire! oh! je suis un assassin!..

Mais, toi, mon cher Lorenzo, pourquoi m'abandonnes-tu?.. Pouvais-je t'écrire lorsqu'une éternelle tempête de colère, de jalousie, de vengeance et d'amour frémissait dans mon cœur, lorsque tant de passions, gonflant ma poitrine, me suffoquaient, m'étranglaient presque? Non, je ne pouvais prononcer une parole, et je sentais la douleur se pétrifier dans mon sein… cette douleur qui maintenant encore étouffe ma voix, arrête mes soupirs et dessèche mes larmes!.. Oh! je sens qu'une grande partie de la vie me manque déjà, et que ce peu qui me reste est encore affaibli par la tristesse, la langueur et l'obscurité de la mort…

Souvent je me reproche d'être parti et je m'accuse de faiblesse; pourquoi n'ont-ils pas insulté plutôt à ma passion!.. Si quelqu'un avait commandé à cette infortunée de ne plus me voir… me l'avait enlevée de force… penses-tu que je l'eusse jamais abandonnée?.. Mais pouvais-je payer d'ingratitude un père qui m'appelait son ami, qui tant de fois me répéta en me serrant sur son cœur: «Malheureux, pourquoi le destin t'unit-il à nous malheureux?..» Pouvais-je précipiter dans le déshonneur et les persécutions une famille qui, en tout autre temps, eût partagé avec moi sa bonne et sa mauvaise fortune?.. Que pouvais-je lui répondre quand, d'une voix suppliante et entrecoupée par ses sanglots, il me disait: «C'est ma fille!..» Oui, je dévouerai le reste de mes jours dans la solitude et les remords; mais toujours je rendrai grâce à cette main invisible qui m'a arraché du précipice où j'eusse entraîné avec moi cette innocente enfant. Elle me suivait, et moi, cruel, j'allais m'arrêtant de temps en temps, tournant les yeux vers elle, et regardant si elle se hâtait derrière mes pas précipités. Elle me suivait, mais d'une âme épouvantée et avec des forces faiblissantes… Je pourrais me cacher au reste de l'univers et pleurer mes malheurs, mais avoir encore à pleurer sur ceux de cette créature céleste, avoir à les pleurer, quand c'est moi qui les cause?.. Ah!

Personne ne connaît le secret qui est enseveli en moi, personne ne sait d'où me pousse au front cette sueur froide et subite, personne n'entend ces gémissements qui, tous les soirs, sortent de terre et m'appellent! et ce cadavre… Ah! je ne suis pas un assassin et cependant je suis ensanglanté par un meurtre…

Le jour pointe à peine, et déjà je suis prêt à partir… Depuis combien de temps l'aurore me trouve-t-elle ainsi en proie à un sommeil de malade?.. La nuit ne m'apporte aucun repos: tout à l'heure encore, je jetais des cris en fixant autour de moi des yeux égarés, comme si je voyais luire sur ma tête l'épée du bourreau… Je sens dans mon réveil de certaines terreurs pareilles à celles que doivent éprouver ces hommes dont les mains sont encore chaudes de sang…

Adieu, Lorenzo, adieu, je pars, et toujours plus loin… Je t'écrirai de Bologne dès aujourd'hui… Remercie ma mère, prie-la de bénir son pauvre fils… Ah! si elle connaissait mon état… Mais tais-toi! n'ouvre pas sur ses plaies une autre plaie…

Bologne, 24 juillet, dix heures.

Veux-tu verser dans le cœur de ton ami quelques gouttes de baume, fais que Thérèse te donne son portrait, et remets-le à Michel, que je t'envoie avec l'ordre de ne point revenir sans ta réponse. Va, Lorenzo, aux collines Euganéennes; cette infortunée a sans doute besoin d'un consolateur… Lis-lui quelques fragments de ces lettres que, dans mes délires insensés, j'essayais de t'écrire… Adieu; tu verras la petite Isabelle: donne-lui mille baisers pour moi… Quand tout le monde m'aura oublié, elle seule peut-être encore nommera quelquefois son Ortis… O mon cher Lorenzo, infortuné, défiant, possédant une âme ardente que dévorait le besoin d'aimer et d'être aimé, à qui pouvais-je me confier plutôt qu'à cette enfant qui n'était encore corrompue ni par l'expérience, ni par l'intérêt, et qui, par une secrète sympathie, a tant de fois mouillé mon visage de ses larmes innocentes… Lorenzo, si jamais j'apprenais qu'elle m'a oublié, j'en mourrais de douleur…

Et toi, dis, mon seul et dernier ami, voudrais-tu aussi m'abandonner?.. L'amitié, cette céleste passion de la jeunesse, cet unique soutien de l'infortune se glace dans la prospérité… Les amis, les amis, Lorenzo! je serai le tien jusqu'à l'heure où la terre me couvrira… Le croirais-tu! quelquefois je m'applaudis de mes malheurs, parce que, sans eux, je ne serais pas digne de toi; parce que, sans eux, mon cœur ne serait peut-être pas capable de t'aimer… Mais, lorsque j'aurai cessé de vivre, lorsque tu auras hérité de moi ce calice de larmes, crois-moi, Lorenzo, ne cherche plus alors d'autre ami que toi-même.

Bologne, 28 juillet, pendant la nuit.

Il me semble, Lorenzo, que j'éprouverais quelque soulagement si je pouvais dormir d'un lourd sommeil; mais l'opium même ne me procure que de courtes léthargies… pleines de visions et de spasmes: il n'y a plus de nuit pour moi. Je me suis levé afin d'essayer de t'écrire; mais mon pouls est si dérangé, que je suis obligé de me rejeter sur mon lit… Il semble que mon âme suit l'état orageux de la nature… Il pleut par torrents… et je suis là sur mon lit, les yeux ouverts… Oh! mon Dieu! mon Dieu!..

Bologne, 12 août.

Voilà dix-huit jours que Michel est parti par la poste, et il ne revient point, et je n'ai point reçu de lettres de toi… Tu m'abandonnes donc aussi?..

Au nom de Dieu, Lorenzo, écris-moi du moins: j'attendrai jusqu'à lundi; ensuite, je prendrai la route de Florence… Je ne quitte pas la maison pendant tout le jour… Je souffrirais trop au milieu de cette foule de personnes inconnues… Lorsque la nuit est arrivée, je parcours la ville comme un fantôme, et mon âme se brise en entendant les cris de ces infortunés étendus dans les rues et demandant du pain; je ne sais si c'est par leur faute ou par celles des autres… je sais qu'ils demandent du pain… Aujourd'hui, en revenant de la poste, j'ai été me heurter à deux malheureux que l'on conduisait à la potence; j'ai demandé quel était leur crime, et l'on m'apprit que l'un avait dérobé une mule, et que l'autre, pressé par la faim, avait volé une somme de cinquante-six livres4. Ah! si la société ne protégeait pas de ses lois des hommes qui, pour s'enrichir de la sueur et des larmes de leurs concitoyens, les réduisent à la misère, et les forcent aux crimes, les crimes seraient-ils aussi communs, et les prisons et les bourreaux aussi nécessaires? Je ne suis pas assez fou pour vouloir réformer les hommes; mais on ne m'empêchera point de frémir sur leur misère et surtout sur leur aveuglement! jamais il ne se passe une semaine, m'a-t-on assuré, sans exécution, et le peuple y court comme à une solennité… Les crimes croissent avec les supplices. Non, non, Lorenzo, je ne veux plus respirer un air fumant toujours du sang des malheureux… – Et où aller?..

 
Florence, 27 août.

Je viens de visiter les sépultures de Galilée, de Machiavel et de Michel-Ange. Je me suis approché de la tombe de ces grands hommes tout frissonnant de respect… Ceux qui leur ont élevé ces mausolées espéraient sans doute se disculper de la misère et des persécutions avec lesquelles leurs aïeux punissaient la grandeur de ces divins génies? Oh! combien de proscrits de notre siècle auxquels on rendra dans la postérité des honneurs divins! mais les persécutions aux vivants et les honneurs aux morts sont les preuves de la maligne ambition qui ronge l'humaine espèce.

Près de ces marbres, il me semblait revivre dans ces chaudes années de jeunesse où, veillant sur les écrits de ces grands hommes, je m'élançais en esprit au milieu des applaudissements des générations futures… Mais, maintenant, ces idées sont trop élevées pour moi… trop folles peut-être… mon esprit est aveugle, mes membres s'affaiblissent, et mon cœur gâté là – jusqu'au fond.

Garde tes lettres de recommandation. J'ai brûlé celles que tu m'avais envoyées. Je ne veux plus recevoir des hommes puissants ni outrages ni faveurs. Le seul que je désirasse connaître était Victor Alfieri. Mais j'entends dire qu'il ne reçoit personne, et je n'ai pas la présomption de croire qu'il renoncera pour moi à un serment qui sans doute lui fut dicté par ses études, ses passions ou son expérience du monde… Peut-être est-ce une faiblesse; mais respectons les faiblesses des grands hommes, et que celui de nous qui n'en a pas leur jette la première pierre.

Florence, 7 septembre.

Ouvre mes fenêtres, Lorenzo, et salue de ma chambre mes collines chéries… dans une belle journée de septembre; salue en mon nom le ciel, le lac et les prairies qui se souviennent tous de ma jeunesse, et où, pendant quelque temps, j'ai oublié les anxiétés de la vie; si tes pieds, par quelque nuit sereine, te conduisaient vers l'église du village, gravis la montagne des pins, qui couvrent de si doux et si funestes souvenirs. Sur son penchant, plus loin que ce massif de tilleuls qui répand au loin une ombre fraîche et odorante, là où se rassemblent plusieurs ruisselets qui forment une espèce de petit lac, tu trouveras le saule solitaire dont les rameaux pleureurs se penchaient vers moi lorsque, couché sous son feuillage, j'interrogeais mes espérances; et, lorsque tu seras arrivé près du sommet, tu entendras peut-être les cris d'un coucou qui, tous les soirs, m'appelait de son lugubre chant, et qui fuyait à mon approche et au bruit de mes pas… Le pin où il se tenait caché alors, ombrage une petite chapelle à demi ruinée, où, près d'un crucifix, brûlait autrefois une lampe; la foudre l'a fracassée cette même nuit qui m'a laissé jusque aujourd'hui et me laissera jusqu'au dernier soupir l'esprit plein de ténèbres et de remords. Ses débris, à moitié cachés par les ronces et la bruyère, ressemblent dans l'obscurité à des pierres sépulcrales, et plus d'une fois j'ai pensé à faire élever là mon tombeau. Aujourd'hui, qui pourrait me dire où je laisserai mes os!.. Console tous les paysans qui te demanderont de mes nouvelles; autrefois, ils accouraient autour de moi, je les nommais mes amis, ils m'appelaient leur bienfaiteur… J'étais le médecin de leurs enfants, le juge complaisant de leur procès, l'arbitre de leurs querelles. Philosophe avec les vieillards, je les aidais à secouer les terreurs de la religion en leur peignant les récompenses que le Ciel réserve à l'homme accablé par la pauvreté et la sueur… Peut-être se plaignent-ils de moi… Dans les derniers temps que je passai près d'eux, muet et fantasque, souvent je ne répondais pas même à leur salut… et j'évitais leur rencontre en m'enfonçant dans les endroits les plus sauvages de la forêt, lorsqu'ils revenaient en chantant de la charrue, ou qu'ils ramenaient leurs troupeaux. Que de fois ils me virent avant l'aurore, précipitant déjà ma course, franchissant les fossés, heurtant étourdiment les arbres, qui, ébranlés par la secousse, faisaient pleuvoir sur mes cheveux épars la rosée dont ils étaient couverts, – et, traversant les prairies pour arriver au sommet du mont le plus élevé, d'où, sur un rocher escarpé, je tendais les bras vers l'orient, demandant au soleil pourquoi il ne se levait plus radieux comme autrefois. Ils te montreront la roche où, pendant que le monde était endormi, je m'asseyais en prêtant l'oreille au murmure des eaux et au mugissement des vents qui rassemblaient au-dessus de ma tête des nuages et les forçaient de voiler la lune, laquelle, en montant, éclairait de ses pâles rayons les croix plantées sur les tombeaux du cimetière. Alors, l'habitant des chaumières voisines, réveillé par mes cris, s'avançait sur le seuil de la porte et m'écoutait dans ce silence solennel, envoyer mes prières, mes gémissements et mes invocations à la mort… O ma solitude, où es-tu?.. Il n'est pas une butte de terre, un arbre, un antre, qui ne revive dans ma mémoire, alimentant ce suave et éternel désir qui suit loin du toit natal l'homme proscrit et malheureux: c'est là que mes plaisirs, mes douleurs même m'étaient chers. Tout ce qui était mien est resté avec toi, Lorenzo, et je n'emporte en m'éloignant que l'ombre du pauvre Ortis.

Mais, toi, mon unique et cher ami, pourquoi m'écris-tu seulement deux paroles nues pour m'annoncer que tu es près de Thérèse?.. Tu ne me dis pas comme elle vit, si elle me nomme, si Odouard me l'a enlevée… Je cours et recours à la poste, mais en vain… je reviens lentement désespéré… et je lis sur mon visage le pressentiment des plus grands malheurs… Je crois d'heure en heure m'entendre annoncer cette sentence mortelle: «Thérèse a juré…»

Ah! quand serai-je délivré de mon funeste délire et de mes folles illusions?.. Adieu, Lorenzo, adieu.

Florence, 17 septembre.

Tu m'as cloué le désespoir dans l'âme… Thérèse, je le vois, cherche à me punir de l'avoir aimée. Son portrait, elle l'avait envoyé à sa mère avant que je le lui demandasse… Tu me l'assures et je le crois… Mais prends garde, Lorenzo, qu'en voulant guérir mes blessures, tu ne me forces à recourir au seul baume qui peut les cicatriser.

Oh! mes espérances! – Ainsi elles s'évanouissent toutes, et je reste abandonné dans la solitude de ma douleur…

A qui me fier encore pour ne point être trahi? Tu le sais, Lorenzo, je ne t'éloignerai jamais de mon cœur… parce que ton souvenir m'est nécessaire; et, quelles que soient tes infortunes, tu me retrouveras toujours prêt à les partager… Seul, je suis donc condamné à tout perdre… mais qu'il soit ainsi jusqu'à la dernière ruine de tant d'espérances! Je ne me plains ni d'elle ni de toi… je n'accuserai ni moi, ni ma mauvaise fortune; je m'avilis avec tant de larmes, et je perds la consolation de pouvoir dire: «Je supporte mes maux, et je ne me plains pas.» Vous m'abandonnez tous, soit. – Mon cœur et mes gémissements vous suivront partout, parce que, sans vous, je ne suis pas homme et que, de tout temps, je vous appellerai dans mon désespoir.

Tiens, lis les deux seules lignes que Thérèse m'écrit:

«Respectez vos jours, je vous le commande au nom de nos malheurs. Nous ne sommes pas seuls malheureux… Je vous enverrai mon portrait aussitôt que je le pourrai. Mon père vous plaint, mais, en pleurant, m'ordonne de ne plus vous écrire. C'est en pleurant que je lui obéis… et je vous écris pour la dernière fois en pleurant; car ce n'est plus que devant Dieu, désormais, que je puis avouer que je vous aime.»

Tu as donc plus de courage que moi? Oui, je répéterai ces paroles comme si elles étaient tes dernières volontés… Je m'entretiendrai encore une fois avec toi, ô Thérèse!.. mais seulement le jour où j'aurai acquis tant de raison, que je me sentirai le courage de m'en séparer pour jamais…

Ah! si du moins t'aimer de cet amour immense, le taire, m'éloigner et me séparer de tout… pouvait te rendre la paix!.. si ma mort pouvait expier, au tribunal de nos persécuteurs, ta passion, ou l'étouffer pour toujours dans ton sein!.. oh! je supplierais, avec toute l'ardeur et la vérité de mon âme, la nature et le Ciel de m'enlever enfin de ce monde… Or, que je résiste au fatal et cependant si doux désir de mort, je te le promets; mais que je le surmonte, toi seule avec tes prières pourras peut-être l'obtenir de mon Créateur: je sens que de toute manière il m'appelle à lui; – mais, toi, vis; peut-être Dieu prendra en consolation ces larmes de repentir que je lui envoie, en lui demandant miséricorde pour toi. Hélas! hélas! tu n'as que trop participé de ma douleur, et tu ne t'es que trop faite malheureuse pour moi et par moi… Ton père!.. comment l'ai-je remercié de ses soins, de sa tendresse et de sa confiance?.. Et toi, au bord de quel précipice ne t'es-tu pas trouvée et ne te trouves-tu pas encore à cause de moi? Mais qui te dit qu'aux bienfaits de ton père, je ne répondrai pas par une reconnaissance inouïe: je ne lui présente pas en sacrifice mon cœur tout sanglant… Mais, crois-moi, je ne suis le débiteur d'aucun homme en générosité, et, tu le sais, je suis moi-même le plus cruel accusateur que je puisse trouver contre mon amour. – Être la cause de tes chagrins est à mes yeux le plus terrible crime que j'aie jamais pu commettre…

Insensé!.. à qui parlé-je? et à propos de quoi?

Si cette lettre te trouve encore à mes collines, garde-toi de la montrer à Thérèse; ne lui parle point de moi, et, si elle te demande de mes nouvelles, réponds-lui seulement que je vis encore, que je vis!.. et rien de plus… En somme, ne lui dis pas un mot de moi… Je te l'avoue, Lorenzo, je me plais dans mon malheur. Je touche moi-même mes blessures à l'endroit où elles sont le plus mortelles; je les rouvre et je les regarde saigner… et il me semble que mes tourments sont une expiation de ma faute et un adoucissement aux maux de cette innocente!..

Florence, 23 septembre.

C'est dans cet heureux pays, mon cher Lorenzo, que les muses et les beaux-arts sont venus chercher un asile contre la barbarie. De quelque côté que je tourne les yeux, j'aperçois les berceaux ou les sépultures des premiers grands Toscans… A chaque pas, je crains de fouler leurs dépouilles. La Toscane ressemble partout et toujours à une ville et à un jardin; le peuple y est naturellement affable, le ciel pur, l'air plein de vie et de santé; mais, tu le sais, ton ami n'a pas de repos. J'espère toujours demain, dans un pays voisin… Demain arrive, et me voilà allant de ville en ville, et, de ville en ville, mon état d'exil et de solitude me pèse davantage… Il ne m'est pas permis de continuer ma route. J'étais décidé à aller à Rome pour me prosterner sur les ruines de notre grandeur; mais ils m'ont refusé un passe-port. Celui que ma mère m'a envoyé n'est que pour Milan, et, ici, comme si je fusse venu pour conspirer, ils m'ont investi de mille questions; peut-être n'ont-ils point tort… Mais je leur répondrai demain en partant…

 

C'est ainsi que les Italiens sont étrangers en Italie, et qu'à peine sortis de leur petit territoire, ils sont en butte à des persécutions contre lesquelles ne peuvent leur servir de bouclier ni leur génie, ni leur conscience, et malheur à ceux qui laisseraient briller une étincelle de leur courage! A peine bannis du seuil de notre porte, nous ne trouvons plus personne qui nous recueille: dépouillés par les uns, tourmentés par les autres, trahis toujours par tous, abandonnés par nos concitoyens, qui, bien loin eux-mêmes de nous plaindre et de nous secourir dans notre malheur, regardent comme des barbares tous ceux qui ne sont point de leur province et dont les bras ne font pas sonner les mêmes chaînes… Dis-moi, Lorenzo, quel refuge nous reste-t-il? Nos moissons ont enrichi nos maîtres, nos champs dévastés n'offrent plus ni pain ni asile aux exilés que la révolution a balayés loin du ciel natal; errants, mourants de faim, ils ont sans cesse à leurs côtés, et murmurant à leur oreille, le dernier conseiller de l'homme abandonné de toute la nature: le crime! Quel asile nous reste-t-il donc? Un désert ou la tombe! Il y a encore l'avilissement, – c'est vrai!.. l'avilissement par lequel l'homme vit plus longtemps peut-être… mais méprisable à ses propres yeux, et méprisé sans cesse par ces tyrans mêmes à qui il se vend, et par lesquels un jour il sera vendu.

J'ai parcouru la Toscane; tous ses monts, tous ses champs sont fameux par les combats entre frères qui s'y livrèrent il y a quatre siècles: c'est là que les cadavres de plusieurs milliers d'Italiens ont servi de base et de fondement aux trônes des empereurs et des papes. J'ai gravi le monte Aperto, où vit encore infâme le souvenir de la défaite des guelfes… A peine un faible crépuscule éclairait-il la plaine… et, dans ce triste silence, dans cette froide obscurité, l'âme envahie par le souvenir des antiques et terribles malheurs de l'Italie, j'ai senti mes cheveux se dresser d'horreur, et courir un frisson par toutes mes veines. Je jetais des cris avec une voix à la fois menaçante et épouvantée, et, du haut de la montagne où j'étais, il me semblait, sur ses flancs et par ses chemins les plus escarpés, voir monter à moi les ombres de tant de Toscans qui se sont massacrés là, qui, l'épée et les habits ensanglantés, fixaient les uns sur les autres des regards louches et menaçants, s'attaquaient encore, et, par des blessures nouvelles, rouvraient leurs anciennes blessures… Oh! pour qui ce sang? Le fils tranche la tête de son père et la secoue par la chevelure… Oh! pour qui tant de meurtres? Les rois, pour qui vous vous massacrez, tranquilles spectateurs du combat, se serrent la main au milieu du carnage, se partagent froidement vos dépouilles et votre terrain!.. A cette pensée, je fuyais précipitamment, en regardant derrière moi… Cette horrible vision me suivait partout, et, lorsque je me trouve seul, et de nuit, je revois autour de moi ces spectres… et, parmi eux, un plus terrible que tous, et que je connais seul… O ma patrie! dois-je toujours t'accuser et te plaindre sans aucun espoir de te corriger ou de te secourir?

Milan, 27 octobre.

Je t'ai écrit de Parme, et ensuite de Milan, le jour même de mon arrivée; la semaine dernière, tu as encore dû recevoir de moi une lettre très-longue. Comment se fait-il donc que la tienne m'arrive si tard, et par la route de la Toscane, que j'ai quittée depuis le 28 septembre?.. Un soupçon me mord le cœur, Lorenzo; nos lettres sont interceptées. Les gouvernements mettent en avant la sûreté de l'État, et, par ce moyen, ils violent la plus précieuse de toutes les propriétés, le secret; ils défendent les plaintes secrètes, et profanent l'asile sacré que le malheur cherche dans le sein de l'amitié… J'aurais dû le prévoir; mais, sois tranquille, leurs bourreaux n'iront pas à la chasse de nos paroles et de nos pensées, et je trouverai quelque moyen pour que mes lettres et les tiennes nous arrivent inviolées.

Tu me demandes des nouvelles de Joseph Parini: il conserve sa généreuse fierté; et cependant je l'ai trouvé abattu par les événements et la vieillesse.

Lorsque j'allais le voir, je le trouvai sur le seuil de sa chambre, et prêt à sortir de chez lui. En m'apercevant, il s'arrêta, et, s'appuyant sur son bâton, me posa la main sur l'épaule.

– O mon fils! me dit-il, tu viens revoir ce généreux cheval, qui sent encore le feu de la jeunesse; mais qui, accablé par l'âge, ne peut plus se relever que sous le fouet de la Fortune.

Il craint d'être chassé de sa chaire, et d'être forcé, après soixante-dix ans d'études et de gloire, de mourir en mendiant.

Milan, 11 novembre.

J'ai demandé à un libraire la Vie de Benvenuto Cellini.

– Nous ne l'avons pas, m'a-t-il répondu.

Je demandai alors un autre écrivain, et il me répondit encore dédaigneusement qu'il ne vendait pas de livres italiens. Ce qu'on appelle le beau monde parle élégamment le français, et comprend à peine le pur toscan. Les actes publics et les lois sont rédigés dans une langue bâtarde qui porte avec elle le témoignage de l'ignorance et de l'avilissement de ceux qui les ont dictés. Les Démosthènes cisalpins ont discuté en plein sénat de bannir par sentence capitale de la république les langues grecque et latine; ils ont mis au jour une loi dont l'unique but est d'éloigner de tout emploi public le mathématicien Gregorio Fontana et Vincentin Monti, le poëte. Je ne sais pas ce qu'ils ont écrit contre la liberté, avant qu'elle fût décidée à se prostituer comme elle l'a fait en Italie; mais, aujourd'hui, ils sont tout prêts à écrire pour elle, et, quelle que soit leur faute, l'injustice de la punition les absout, et la solennité d'une loi faite pour deux individus double leur réputation. J'ai demandé où était la salle du conseil législatif; peu ont compris, très-peu m'ont répondu, et personne n'a pu me l'enseigner.

Milan, 4 décembre.

Voici la seule réponse que je ferai à tes conseils, mon cher Lorenzo: dans tous les pays, j'ai vu trois classes d'hommes; quelques-uns qui commandent, beaucoup qui obéissent, et le reste qui intrigue. Nous ne sommes point assez puissants pour commander, nous ne sommes pas assez aveugles pour obéir, et nous ne sommes pas assez vils pour intriguer: il vaut donc mieux vivre comme ces chiens sans maître, à qui personne ne touche, ni pour les nourrir ni pour les battre. A qui veux-tu que je demande des protections et des emplois dans un pays où l'on me regarde comme étranger, et duquel peut me faire chasser le caprice du premier espion? Tu me parles toujours de mon mérite et de mon esprit; sais-tu ce que je vaux, et ce qu'on m'estime? Ni plus ni moins que la valeur de mon revenu: il faudrait, pour leur plaire, que je fisse le poëte de cour, en étouffant en moi cette noble ardeur que craignent et haïssent les puissants, en dissimulant ma vertu et ma science, afin de ne pas être pour eux un reproche de leur ignorance et de leurs crimes… Tels sont cependant les savants partout; me diras-tu!.. Eh bien, qu'ils soient ainsi, je laisse le monde comme il est: je n'ai point la présomption de corriger les hommes; mais, si je l'entreprenais, je voudrais y parvenir ou porter ma tête sur le billot, ce qui me paraît plus facile… Ce n'est point que ces demi-tyrans ne s'aperçoivent des intrigues; mais les hommes élevés de la fange au trône ont besoin d'abord d'intrigants que par la suite ils ne pourront plus contenir. Orgueilleux du présent, insouciants sur l'avenir, pauvres de renommée, de courage et de génie, ils s'entourent de flatteurs et de gardes qui les raillent, les trahissent, dont, plus tard, ils ne pourront plus se débarrasser, et qui font de l'État une roue éternelle d'esclavage, de licence et de tyrannie. Pour être maîtres et voleurs de peuple, il faut d'abord avoir été esclave et dupe… il faut avoir léché l'épée encore dégouttante de son sang… Ainsi je pourrais peut-être me procurer un emploi, quelques milliers d'écus de plus par an, des remords et l'infamie… Non, je te le répète une seconde fois; jamais je ne ferai l'éloge du petit brigand.

Oh! je sens que je serai foulé aux pieds tant et tant!.. mais, du moins, par la tourbe de mes compagnons… et pareil à ces insectes qui sont écrasés étourdiment par le premier qui passe; je ne me glorifie pas comme tant d'autres de ma servitude, mais aussi mes tyrans ne se vanteront pas de mon abaissement… Qu'ils réservent pour d'autres leurs bienfaits et leurs outrages, assez d'hommes les briguent sans moi… Je fuirai la honte en mourant inconnu; et, si jamais j'étais forcé de sortir de mon obscurité, au lieu d'être l'heureux instrument des tyrans ou de l'anarchie, je préférerais être leur victime.

4Ce récit d'Ortis me parut d'abord exagéré par sa douleur; mais, depuis, j'ai appris que, dans les États cisalpins, qui ne possèdent pas de codes criminels, on jugeait avec les lois des anciens gouvernements, et, à Bologne, sur les décrets des cardinaux, qui punissaient de mort tout vol prouvé excédant cinquante-deux livres. Mais les cardinaux, presque toujours, adoucissaient la peine, ce qui ne pouvait avoir lieu dans les tribunaux de la république. (L'Éditeur.)
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