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David Copperfield – Tome I

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Ils la regardaient tous deux, je fis de même. Bien qu'il fît très- chaud dehors, elle semblait ne songer à rien au monde qu'au feu. Je crois même qu'elle était jalouse de la casserole, et j'ai quelque soupçon qu'elle lui en voulait de lui cacher le feu pour faire cuire mon oeuf et frire mon lard, car je la vis me montrer le poing quand tout le monde avait le dos tourné, pendant ces opérations culinaires. Le soleil entrait par la petite fenêtre, mais elle lui tournait le dos, et, assise dans sa grande chaise qui tournait aussi le dos au soleil, elle semblait couver le feu comme pour lui tenir chaud, au lieu de s'y chauffer elle-même, et elle le surveillait d'un oeil méfiant. Lorsqu'elle vit que les préparatifs de mon déjeuner touchaient à leur terme et que le feu allait enfin être délivré, elle éclata de rire dans sa joie, et je dois dire que son rire était loin d'être mélodieux.

Je m'assis en face de mon pain de seigle, de mon oeuf, de ma tranche de lard, auxquels s'était ajoutée une jatte de lait, et je fis un repas délicieux. J'étais encore à l'oeuvre, lorsque la vieille femme qui habitait la maison, dit au maître d'études:

«Avez-vous votre flûte sur vous?

– Oui, répondit-il.

– Jouez-en donc un petit air, dit la vieille femme; d'un ton suppliant. Je vous en prie.»

Le maître d'études mit la main sous les pans de son habit, et sortit les trois morceaux d'une flûte qu'il remonta, puis il se mit immédiatement à jouer. Mon opinion, après bien des années de réflexions, c'est que personne au monde n'a jamais pu jouer aussi mal. Il en tirait les sons les plus épouvantables que j'aie entendus, naturels ou artificiels. Je ne sais quel air il jouait, si tant est que ce fussent des airs, ce dont je doute, mais le résultat de cette mélodie fut primo, de me faire songer à toutes mes peines, au point de me faire venir les larmes aux yeux; secondo, de m'ôter complètement l'appétit, et tertio, de me donner une telle envie de dormir que je ne pouvais tenir mes yeux ouverts. Le seul souvenir de cette musique m'assoupit encore. Je revois la petite chambre avec l'armoire du coin entr'ouverte, les chaises au dossier perpendiculaire, et le petit escalier à pic qui conduisait à une autre petite chambre au premier, enfin les trois plumes de paon qui ornaient le manteau de la cheminée; je me souviens, qu'en entrant, je me demandais si le paon serait bien flatté de voir ses belles plumes condamnées à cet emploi, mais tout cela disparaît peu à peu devant moi, ma tête se penche, je dors. La flûte ne se fait plus entendre, c'est le son des roues qui retentit à mon oreille; je suis en voyage; la diligence s'arrête, je me réveille en sursaut, et voilà de nouveau la flûte; le maître d'études de Salem-House en joue d'un air lamentable, et la vieille femme l'écoute avec ravissement. Mais elle disparaît à son tour, puis il disparaît aussi, enfin tout disparaît, il n'y a plus ni de flûte, ni de maître d'études, ni de Salem-House, ni de David Copperfield, il n'y a qu'un profond sommeil.

Je rêvais probablement, lorsque je crus voir, tandis qu'il soufflait dans cette épouvantable flûte, la vieille maîtresse du logis qui s'était approchée de lui dans son enthousiasme, se pencher tout d'un coup sur le dossier de sa chaise, et prendre sa tête dans ses bras pour l'embrasser; un instant la flûte s'arrêta. J'étais apparemment entre la veille et le sommeil, alors et quelque temps après, car, lorsqu'il recommença à jouer, (ce qu'il y a de sûr c'est qu'il s'était interrompu un instant), je vis et j'entendis la susdite vieille femme demander à mistress Fibbitson si ce n'était pas délicieux (en parlant de la flûte), à quoi mistress Fibbitson répondit, «oui, oh oui!» et se pencha vers le feu, auquel elle rapportait, j'en suis sûr tout l'honneur de cette jolie musique.

Il y avait déjà longtemps que j'étais endormi, je crois, lorsque le maître d'études de Salem-House démonta sa flûte, mit dans sa poche les trois pièces qui la composaient, et m'emmena. Nous trouvâmes la diligence tout près de là, et nous montâmes sur l'impériale, mais j'avais tellement envie de dormir que, lorsqu'on s'arrêta sur la route pour prendre d'autres voyageurs, on me mit dans l'intérieur où il n'y avait personne, et là je dormis profondément, jusqu'à une longue montée que les chevaux gravirent au pas entre de grands arbres. Bientôt la diligence s'arrêta; elle avait atteint sa destination.

Après quelques minutes de marche, nous arrivâmes, le maître d'études et moi, à Salem-House; un grand mur de briques formait l'enceinte, et le tout avait l'air fort triste. Sur une porte pratiquée dans le mur était placé un écriteau où on lisait: Salem-House. Nous vîmes bientôt paraître, à une petite ouverture près de la porte, un visage maussade, qui appartenait à ce que je vis, lorsque la porte nous fut ouverte, à un gros homme, avec un cou énorme comme celui d'un taureau, une jambe de bois, un front bombé, et des cheveux coupés ras tout autour de la tête.

«C'est le nouvel élève,» dit le maître d'études.

L'homme à la jambe de bois m'examina de la tête aux pieds, ce qui ne fut pas long, car je n'étais pas bien grand, puis il referma la porte derrière nous, et prit la clef. Nous nous dirigions vers la maison, au milieu de grands arbres au feuillage sombre, quand il appela mon conducteur.

«Holà!»

Nous nous retournâmes; il était debout à la porte de la petite loge, où il demeurait, une paire de bottes à la main.

«Dites donc! le savetier est venu depuis que vous êtes sorti, monsieur Mell, et il dit qu'il ne peut plus du tout les raccommoder. Il prétend qu'il ne reste pas un seul morceau de la botte primitive, et qu'il ne comprend pas que vous puissiez lui demander de les réparer.»

En parlant ainsi il jeta les bottes devant M. Mell, qui retourna quelques pas en arrière pour les ramasser, et qui les regarda de l'air le plus lamentable, en venant me retrouver. J'observai alors, pour la première fois, que les bottes qu'il portait étaient fort usées, et qu'il y avait même un endroit par où son bas sortait, comme un bourgeon qui veut percer l'écorce?

Salem-House était un bâtiment carré bâti en briques avec deux pavillons sur les ailes, le tout d'une apparence nue et désolée. Tout ce qui l'entourait était si tranquille que je dis à M. Mell que probablement les élèves étaient en promenade, mais il parut surpris de ce que je ne savais pas qu'on était en vacances, et que tous les élèves étaient chez leurs parents, M. Creakle, le maître de pension, était au bord de la mer avec Mme et miss Creakle, et quant à moi, on m'envoyait en pension durant les vacances pour me punir de ma mauvaise conduite, comme il me l'expliqua tout du long en chemin.

Il me mena dans la salle d'études; jamais je n'avais vu un lieu si déplorable ni si désolé. Je la revois encore à l'heure qu'il est. Une longue chambre, avec trois longues rangées de bancs et des champignons pour accrocher les chapeaux et les ardoises. Des fragments de vieux cahiers et de thèmes déchirés jonchent le plancher. Il y en a d'autres sur les pupitres qui ont servi à loger des vers à soie. Deux malheureuses petites souris blanches, abandonnées par leur propriétaire, parcourent du haut en bas une fétide petite forteresse construite en carton et en fil de fer, et leurs petits yeux rouges cherchent dans tous les coins quelque chose à manger. Un oiseau, enfermé dans une cage à peine plus grande que lui, fait de temps à autre un bruit monotone, en sautant sur son perchoir, de deux pouces de haut, ou en redescendant, sur son plancher, mais il ne chante ni ne siffle. Par toute la chambre, il règne une odeur malsaine, composé étrange, à ce qu'il me semble, de cuir pourri, de pommes renfermées et de livres moisis. Il ne saurait y avoir plus d'encre répandue dans toute cette pièce, lors même que les architectes auraient oublié d'y mettre une toiture, et que, pendant toute l'année, le ciel y aurait fait pleuvoir, neiger, ou grêler de l'encre.

M. Mell me quitta un moment, pour remonter ses bottes irréparables; je m'avançai timidement vers l'autre bout de la chambre, tout en observant ce que je viens de décrire. Tout à coup j'arrivai devant un écriteau en carton, posé sur un pupitre; on y lisait ces mots écrits en grosses lettres: «Prenez garde. Il mord.»

Je grimpai immédiatement sur le pupitre, persuadé que dessous il y avait au moins un gros chien. Mais j'avais beau regarder tout autour de moi avec inquiétude, je ne l'apercevais pas. J'étais encore absorbé dans cette recherche, lorsque M. Mell revint, et me demanda ce que je faisais là-haut.

«Je vous demande bien pardon, monsieur, mais je regarde où est le chien.

– Le chien! dit-il, quel chien?

– N'est-ce pas un chien, monsieur?

– Quoi? qu'est-ce qui n'est pas un chien?

– Cet animal auquel il faut prendre garde, monsieur, parce qu'il mord.

– Non, Copperfield, dit-il gravement, ce n'est pas un chien. C'est un petit garçon. J'ai pour instruction, Copperfield, de vous attacher cet écriteau derrière le dos. Je suis fâché d'avoir à commencer par là avec vous, mais il le faut.»

Il me fit descendre et m'attacha derrière le dos, comme une giberne, l'écriteau bien adapté pour ce but, et partout où j'allais ensuite j'eus la consolation de le transporter avec moi.

Ce que j'eus à souffrir de cet écriteau, personne ne peut le deviner. Qu'il fût possible de me voir ou non, je me figurais toujours que quelqu'un était là à le lire; ce n'était pas un soulagement pour moi que de me retourner et de ne voir personne, car je me figurais toujours qu'il y avait quelqu'un derrière mon dos. La cruauté de l'homme à la jambe de bois aggravait encore mes souffrances; c'était lui qui était le mandataire de l'autorité, et toutes les fois qu'il me voyait m'appuyer le dos contre un arbre ou contre le mur, ou contre la maison, il criait de sa loge d'une voix formidable: «Hé! Copperfield! faites voir la pancarte, ou je vous donne une mauvaise note.» L'endroit où l'on jouait était une cour sablée, placée derrière la maison, en vue de toutes les dépendances, et je savais que les domestiques lisaient ma pancarte, que le boucher la lisait, que le boulanger la lisait, en un mot que tous ceux qui entraient ou qui sortaient le matin, tandis que je faisais ma promenade obligée, lisaient sur mon dos qu'il fallait prendre garde à moi parce que je mordais. Je me rappelle que j'avais fini positivement par avoir peur de moi comme d'une espèce d'enfant sauvage qui mordait.

 

Il y avait dans cette cour de récréation une vieille porte sur laquelle les élèves s'étaient amusés à sculpter leurs noms; elle était complètement couverte de ce genre d'inscriptions. Dans ma terreur de voir arriver la fin des vacances qui ramènerait tous les élèves, je ne pouvais lire un seul de ces noms sans me demander de quel ton et avec quelle expression il lirait: «Prenez garde, il mord.» Il y en avait un, un certain Steerforth qui avait gravé son nom très-souvent et très-profondément. «Celui-là, me disais-je, va lire cela de toutes ses forces et puis il me tirera les cheveux.» Il y en avait un autre nommé Tommy Traddles; je me figurais qu'il se ferait un amusement de m'approcher par mégarde, et de se reculer avec l'air d'avoir grand'peur. Quant au troisième, George Demple, je l'entendais chanter mon inscription. Enfin, dans ma frayeur, je contemplais en tremblant cette porte, jusqu'à ce qu'il me semblât entendre tous les propriétaires de ces noms (il y en avait quarante-cinq, à ce que me dit M. Mell) crier en choeur qu'il fallait m'envoyer à Coventry, et répéter, chacun à sa manière: «Prenez garde, il mord.»

Et de même pour les pupitres et les bancs, de même pour les lits solitaires que j'examinais le soir quand j'étais couché. Toutes les nuits j'avais des rêves où je voyais tantôt ma mère telle qu'elle était jadis, tantôt l'intérieur de M. Peggotty; ou bien je voyageais sur l'impériale de la diligence, ou je dînais avec mon malheureux ami le garçon d'hôtel; et partout je voyais tout le monde me regarder d'un air effaré; on venait de s'apercevoir que je n'avais pour tout vêtement que ma chemise de nuit et mon écriteau.

Cette vie monotone et la frayeur que me causait la fin prochaine des vacances, me causaient une affliction intolérable. J'avais chaque jour de longs devoirs à faire pour M. Mell, mais je les faisais (M. Murdstone et sa soeur n'étaient plus là), et je ne m'en tirais pas mal. Avant et après mes heures d'étude je me promenais, sous la surveillance, comme je l'ai déjà dit, de l'homme à la jambe de bois. Je me rappelle encore, comme si j'y étais, tout ce que je voyais dans ces promenades, la terre humide autour de la maison, les pierres couvertes de mousse dans la cour, la vieille fontaine toute fendue et les troncs décolorés de quelques arbres ratatinés qui avaient l'air d'avoir reçu plus de pluie et moins de rayons de soleil que tous les arbres du monde ancien et moderne. Nous dînions à une heure, M. Mell et moi, au bout d'une longue salle à manger parfaitement nue, où on ne voyait que des tables de sapin qui sentaient le graillon, et puis nous nous remettions à travailler jusqu'à l'heure du thé; M. Mell buvait son thé dans une petite tasse bleue, et moi dans un petit pot d'étain. Pendant toute la journée et jusqu'à sept ou huit heures du soir, M. Mell était établi à son pupitre dans la salle d'études; il s'occupait sans relâche à faire les comptes du dernier semestre, sans quitter sa plume, son encrier, sa règle et ses livres. Quand il avait tout rangé le soir, il tirait sa flûte et soufflait dedans avec une telle énergie que je m'attendais à tout moment à le voir passer par le grand trou de son instrument, jusqu'à son dernier souffle, et à le voir fuir par les clefs.

Je me vois encore, pauvre petit enfant que j'étais alors, la tête dans mes mains au milieu de la pièce à peine éclairée, écoutant la douloureuse harmonie de M. Mell tout en méditant sur mes leçons du lendemain; je me vois également, mes livres fermés à côté de moi, prêtant toujours l'oreille à la douloureuse harmonie de M. Mell, et croyant entendre à travers ces sons lamentables le bruit lointain de la maison paternelle et le sifflement du vent sur les dunes de Yarmouth. Ah! combien je me sens isolé et triste! je me vois montant me coucher dans des chambres presque désertes, et pleurant dans mon petit lit au souvenir de ma chère Peggotty; je me vois descendant l'escalier le lendemain matin et regardant, par un carreau cassé de la lucarne qui l'éclaire, la cloche de la pension suspendue tout en haut d'un hangar, avec une girouette par dessus; je la contemple et je songe avec effroi au temps où elle appellera à l'étude Steerforth et ses camarades, et pourtant j'ai encore bien plus peur du moment fatal où l'homme à la jambe de bois ouvrira la grille aux gonds rouillés pour laisser passer le redoutable M. Creakle. Je ne crois pas avec tout cela que je sois un très-mauvais sujet, mais je n'en porte pas moins le placard toujours sur mon dos.

M. Mell ne me disait pas grand'chose, mais il n'était pas méchant avec moi; je suppose que nous nous tenions mutuellement compagnie sans nous parler. J'ai oublié de dire qu'il se parlait quelquefois à lui-même, et qu'alors il grinçait des dents, il serrait les poings et il se tirait les cheveux de la façon la plus étrange; mais c'était une habitude qu'il avait comme ça. Dans les commencements cela me faisait peur, mais je ne tardai pas à m'y faire.

CHAPITRE VI
J'agrandis le cercle de mes connaissances

Je menais cette vie depuis un mois environ, lorsque l'homme à la jambe de bois se mit à parcourir la maison avec un balai et un seau d'eau; j'en conclus qu'on préparait tout pour recevoir M. Creakle et ses élèves. Je ne me trompais pas, car bientôt le balai envahit la salle d'étude et nous en chassa M. Mell et moi. Nous allâmes vivre je ne sais où et je ne sais comment; ce que je sais bien, c'est que, pendant plusieurs jours, nous rencontrions partout deux ou trois femmes, que je n'avais qu'à peine entrevues jusqu'alors, et que j'avalai une telle quantité de poussière que j'éternuais aussi souvent que si Salem-House avait été une vaste tabatière.

Un jour M. Mell m'annonça que M. Creakle arriverait le soir. Après le thé, j'appris qu'il était arrivé; avant l'heure de me coucher, l'homme à la jambe de bois vint me chercher pour comparaître devant lui.

M. Creakle habitait une portion de la maison beaucoup plus confortable que la nôtre; il avait un petit jardin qui paraissait charmant à côté de la récréation, sorte de désert en miniature, où un chameau et un dromadaire se seraient trouvés comme chez eux. Je me trouvai bien hardi d'oser remarquer qu'il n'y avait pas jusqu'au corridor qui n'eût l'air confortable, tandis que je me rendais tout tremblant chez M. Creakle. J'étais tellement abasourdi en entrant, que je vis à peine mistress Creakle ou miss Creakle qui étaient toutes deux dans le salon. Je ne voyais que M. Creakle, ce bon et gros monsieur qui portait un paquet de breloques à sa montre: il était assis dans un fauteuil, avec une bouteille et un verre à côté de lui.

«Ah! dit M. Creakle, voilà le jeune homme dont il faut limer les dents. Faites-le retourner.»

L'homme à la jambe de bois me retourna de façon à montrer le placard, puis lorsque M. Creakle eut eu tout le temps de le lire, il me replaça en face du maître de pension, et se mit à côté de lui. M. Creakle avait l'air féroce, ses yeux étaient petits et très-enfoncés; il avait de grosses veines sur le front, un petit nez et un menton très-large. Il était chauve, et n'avait que quelques petits cheveux gras et gris, qu'il lissait sur ses tempes, de façon à leur donner rendez-vous au milieu du front. Mais ce qui chez lui me fit le plus d'impression, c'est qu'il n'avait presque pas de voix et parlait toujours tout bas. Je ne sais si c'est qu'il avait de la peine à parler même ainsi, ou si le sentiment de son infirmité l'irritait, mais, toutes les fois qu'il disait un mot, son visage prenait une expression encore plus méchante, ses veines se gonflaient, et quand j'y réfléchis, je comprends que ce soit là ce qui me frappa d'abord, comme ce qu'il y avait chez lui de plus remarquable.

«Voyons, dit M. Creakle. Qu'avez-vous à m'apprendre sur cet enfant?

– Rien encore, répartit l'homme à la jambe de bois. Il n'y a pas eu d'occasion.»

Il me sembla que M. Creakle était désappointé. Il me sembla que mistress Creakle et sa fille (que je venais de regarder pour la première fois, et qui étaient maigres et silencieuses à l'envi l'une de l'autre), n'étaient pas désappointées.

«Venez ici, monsieur! dit M. Creakle en me faisant signe de la main.

– Venez ici! dit l'homme à la jambe de bois en répétant le geste de M. Creakle.

– J'ai l'honneur de connaître votre beau-père, murmura M. Creakle en m'empoignant par l'oreille. C'est un digne homme, un homme énergique. Il me connaît, et moi je le connais. Me connaissez- vous, vous? hein! dit M. Creakle en me pinçant l'oreille avec un enjouement féroce.

– Pas encore, monsieur! dis-je tout en gémissant.

– Pas encore? hein? répéta M. Creakle. Cela viendra, hein?

– Cela viendra! hein?» répéta l'homme à la jambe de bois.

Je découvris plus tard que son timbre retentissant lui procurait l'honneur de servir d'interprète à M. Creakle auprès de ses élèves.

J'étais horriblement effrayé et je me contentai de dire que je l'espérais bien. Mais tout en parlant, je me sentais l'oreille tout en feu, il la pinçait si fort!

«Je vais vous dire ce que je suis, murmura M. Creakle en lâchant enfin mon oreille, mais après l'avoir tordue de façon à me faire venir les larmes aux yeux. Je suis un Tartare.

– Un Tartare, dit l'homme à la jambe de bois.

– Quand je dis que je ferai une chose, je la fais, dit M. Creakle, et quand je dis qu'il faut faire une chose, je veux qu'on la fasse.

– Qu'il faut faire une chose, je veux qu'on la fasse, répéta l'homme à la jambe de bois.

– Je suis un caractère décidé, dit M. Creakle. Voilà ce que je suis. Je fais mon devoir, voilà ce que je fais. Quand ma chair et mon sang (il se tourna vers mistress Creakle), quand ma chair et mon sang se révoltent contre moi, ce n'est plus ma chair et mon sang; je les renie. Cet individu a-t-il reparu? demanda-t-il à l'homme à la jambe de bois.

– Non, répondit-il.

– Non? dit M. Creakle. Il a bien fait. Il me connaît, qu'il se tienne à l'écart. Je dis qu'il se tienne à l'écart, dit M. Creakle en tapant sur la table et en regardant mistress Creakle, car il me connaît. Vous devez commencer aussi à me connaître, mon petit ami. Vous pouvez vous en aller. Emmenez-le.

J'étais bien content qu'il me renvoyât, car mistress Creakle et miss Creakle s'essuyaient les yeux, et je souffrais autant pour elles que pour moi. Mais j'avais à lui adresser une pétition qui avait pour moi tant d'intérêt que je ne pus m'empêcher de lui dire, tout en admirant mon courage:

«Si vous vouliez bien, monsieur.»

M. Creakle murmura: «Hein? Qu'est-ce que ceci veut dire? et baissa les yeux sur moi, comme s'il avait envie de me foudroyer d'un regard.

– Si vous vouliez bien, monsieur, balbutiai-je, si je pouvais (je suis bien fâché de ce que j'ai fait, monsieur) ôter cet écriteau avant le retour des élèves.

Je ne sais si M. Creakle eut vraiment envie de sauter sur moi, ou s'il avait seulement l'intention de m'effrayer, mais il s'élança hors de son fauteuil et je m'enfuis comme un trait, sans attendre l'homme à la jambe de bois; je ne m'arrêtai que dans le dortoir, où je me fourrai bien vite dans mon lit, où je restai à trembler, pendant plus de deux heures.

Le lendemain matin M. Sharp revint. M. Sharp était le second de M. Creakle, le supérieur de M. Mell. M. Mell prenait ses repas avec les élèves, mais M. Sharp dînait et soupait à la table de M. Creakle. C'était un petit monsieur à l'air délicat, avec un très-grand nez; il portait sa tête de côté, comme si elle était trop lourde pour lui. Ses cheveux étaient longs et ondulés, mais j'appris par le premier élève qui revint, que c'était une perruque (une perruque d'occasion, me dit-il), et que M. Sharp sortait tous les samedis pour la faire boucler.

Ce fut Tommy Traddles qui me donna ce renseignement, il revint le premier. Il se présenta à moi en m'informant que je trouverais son nom au coin de la grille à droite, au devant du grand verrou; je lui dis: «Traddles,» à quoi il me répondit «lui-même,» puis il me demanda une foule de détails sur moi et sur ma famille.

Ce fut très-heureux pour moi que Traddles revint le premier. Mon écriteau l'amusa tellement, qu'il m'épargna l'embarras de le montrer ou de le dissimuler, en me présentant à tous les élèves immédiatement après leur arrivée. Qu'ils fussent grands ou petits, il leur criait: «Venez vite! voilà une bonne farce!» Heureusement aussi, la plupart des enfants revenaient tristes et abattus, et moins disposés à rire à mes dépens, que je ne l'avais craint. Il y en avait bien quelques-uns qui sautaient autour de moi comme des sauvages, et il n'y en avait à peu près aucun qui sût résister à la tentation de faire comme si j'étais un chien dangereux: ils venaient me caresser et me cajoler comme si j'étais sur le point de les mordre, puis ils disaient: «À bas, monsieur!» et ils m'appelaient «Castor.» C'était naturellement fort ennuyeux pour moi, au milieu de tant d'étrangers, et cela me coûta bien des larmes, mais à tout prendre, j'avais redouté pis.

 

On ne me regarda comme positivement admis dans la pension, qu'après l'arrivée de F. Steerforth. On m'amena devant lui comme devant mon juge: il avait la réputation d'être très-instruit, et il était très-beau garçon: il avait au moins six ans plus que moi. Il s'enquit, sous un petit hangar dans la cour, des détails de mon châtiment, et voulut bien déclarer que selon lui, «c'était une fameuse infamie,» ce dont je lui sus éternellement gré.

«Combien d'argent avez-vous, Copperfield? me dit-il tout en se promenant avec moi, une fois mon jugement prononcé.

Je lui dis que j'avais sept shillings.

«Vous feriez mieux de me les donner, dit-il. Je vous les garderais; si cela vous plaît, toutefois: autrement, n'en faites rien.»

Je me hâtai d'obéir à cette amicale proposition, et je versai dans la main de Steerforth tout le contenu de la bourse de Peggotty.

– Voulez-vous en dépenser quelque chose maintenant? dit Steerforth. Qu'en pensez-vous?

– Non, merci, répondis-je.

– Mais c'est très-facile, si vous en avez envie? dit Steerforth, vous n'avez qu'à parler.

– Non, merci, monsieur, répétai-je.

– Peut-être auriez-vous eu envie d'acheter une bouteille de cassis, pour un ou deux shillings. Nous la boirions peu à peu, là- haut dans le dortoir, reprit Steerforth. Vous êtes de mon dortoir, à ce qu'il paraît.»

L'idée ne m'en était pas venue, mais je n'en dis pas moins: «oui, cela me convient tout à fait.

– Parfaitement dit Steerforth. Je parie que vous seriez enchanté d'acheter pour un shilling de biscuits aux amandes?»

Je répondis que cela me plaisait aussi.

«Et puis pour un ou deux shillings de gâteaux et de fruits? dit Steerforth, n'est-ce pas, petit Copperfield!»

Je souris parce qu'il souriait, mais malgré ça je ne savais trop qu'en penser.

«Bon! dit Steerforth, cela durera ce que ça pourra, après tout. Vous pouvez compter sur moi. Je sors quand cela me plaît, je passerai le tout en contrebande.» Et en même temps il mit l'argent dans sa poche, en me recommandant de ne pas m'inquiéter: il veillerait à ce que tout se passât bien.

Il tint parole, si on pouvait dire que tout se passât bien, lorsqu'au fond du coeur je sentais que c'était mal, que c'était faire un mauvais usage des deux demi-couronnes de ma mère; je conservai pourtant le morceau de papier qui les enveloppait: précieuse économie! Quand nous montâmes nous coucher, il me montra le produit de mes sept shillings, et posant le tout sur mon lit, à la lueur de la lune, il me dit:

«Voilà tout, jeune Copperfield, vous avez là un fameux gala!»

Je ne pouvais songer, vu mon âge, à faire les honneurs du festin, quand j'avais là Steerforth pour les faire: ma main tremblait à cette seule pensée. Je le priai de vouloir bien y présider, et ma requête fut appuyée par tous les élèves du dortoir. Il accepta, s'assit sur mon oreiller, fit circuler les mets avec une parfaite équité, je dois en convenir, et nous distribua le cassis dans un petit verre sans pied, qui lui appartenait. Quant à moi, j'étais assis à sa gauche, les autres étaient groupés autour de nous, assis par terre sur les lits les plus rapprochés du mien.

Comme je me rappelle cette soirée! Nous parlions à voix basse, ou plutôt ils parlaient et je les écoutais respectueusement; les rayons de la lune tombaient dans la chambre à peu de distance et dessinaient de leur pâle clarté une fenêtre sur le parquet. Nous restions presque tous dans l'ombre, excepté quand Steerforth plongeait une allumette dans sa petite boîte de phosphore, pour aller chercher quelque chose sur la table, lumière bleuâtre qui disparaissait aussitôt. Je me sens de nouveau saisi d'une certaine terreur mystérieuse; il fait sombre, notre festin doit être caché, tout le monde chuchote autour de moi, et j'écoute avec une crainte vague et solennelle, heureux de sentir mes camarades autour de moi, et très-effrayé (bien que je fasse semblant de rire) quand Traddles prétend apercevoir un revenant dans un coin.

On raconta toutes sortes de choses sur la pension, et sur ceux qui y vivaient. J'appris que M. Creakle avait raison de se baptiser lui-même un Tartare; que c'était le plus dur et le plus sévère des maîtres; que pas un jour ne s'écoulait sans qu'il vînt punir de sa propre main les élèves en faute. Il ne savait absolument rien autre chose que de punir, disait Steerforth; il était plus ignorant que le plus mauvais élève: il ne s'était fait maître de pension, ajoutait-il, qu'après avoir fait banqueroute dans un faubourg de Londres, comme marchand de houblon; il n'avait pu se tirer d'affaire que grâce à la fortune de mistress Creakle; sans compter bien d'autres choses encore que je m'étonnais qu'ils pussent savoir.

J'appris que l'homme à la jambe de bois, qui s'appelait Tungby, était un barbare impitoyable qui, après avoir servi d'abord dans le commerce du houblon, avait suivi M. Creakle dans la carrière de l'enseignement; on supposait que c'était parce qu'il s'était cassé la jambe au service de M. Creakle, et qu'il savait tous ses secrets, l'ayant assisté dans beaucoup d'opérations peu honorables. J'appris qu'à la seule exception de M. Creakle, Tungby considérait toute la pension, maîtres ou élèves, comme ses ennemis naturels, et qu'il mettait son plaisir à se montrer grognon et méchant. J'appris que M. Creakle avait un fils, que Tungby n'aimait pas; et qu'un jour, ce fils qui aidait son père dans la pension, ayant osé lui adresser quelques observations sur la façon dont il traitait les enfants, peut-être même protester contre les mauvais traitements que sa mère avait à souffrir, M. Creakle l'avait chassé de chez lui, et que, depuis ce jour, mistress Creakle et miss Creakle menaient la vie la plus triste du monde.

Mais ce qui m'étonna le plus, ce fut d'entendre dire qu'il y avait un de ses élèves sur lequel M. Creakle n'avait jamais osé lever la main, et que cet élève était Steerforth. Steerforth confirma cette assertion, en disant qu'il voudrait bien voir qu'il le touchât du bout du doigt. Un élève pacifique (ce ne fut pas moi), lui ayant demandé comment il s'y prendrait si M. Creakle en venait là, il trempa une allumette dans le phosphore, comme pour donner plus d'éclat à sa réponse, et dit qu'il commencerait par lui donner un bon coup sur la tête avec la bouteille d'encre qui était toujours sur la cheminée. Après quoi, pendant quelques minutes, nous restâmes dans l'obscurité, n'osant pas seulement souffler de peur.

J'appris que M. Sharp et M. Mell ne recevaient qu'un misérable salaire; que, lorsqu'il y avait à dîner sur la table de M. Creakle de la viande chaude et de la viande froide, il était convenu que M. Sharp devait toujours préférer la froide. Ce fait nous fut de nouveau confirmé par Steerforth, le seul admis aux honneurs de la table de M. Creakle. J'appris que la perruque de M. Sharp n'allait pas à sa tête, et qu'il ferait mieux de ne pas tant faire son fier avec sa perruque, parce qu'on voyait ses cheveux roux passer par- dessous.

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