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Les Quarante-Cinq — Tome 3

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LXVII
LES VOYAGEURS

Tandis que ce désastre s'accomplissait, précurseur d'un désastre plus grand encore, deux voyageurs, montés sur d'excellents chevaux du Perche, sortaient de la porte de Bruxelles pendant une nuit fraîche, et poussaient en avant dans la direction de Malines.

Ils marchaient côte à côte, les manteaux en trousse, sans armes apparentes, à part toutefois un large couteau flamand, dont on voyait briller la poignée de cuivre à la ceinture de l'un d'eux.

Ces voyageurs cheminaient de front, chacun suivant sa pensée, peut-être la même, sans échanger une seule parole.

Ils avaient la tournure et le costume de ces forains picards qui faisaient alors un commerce assidu entre le royaume de France et les Flandres, sorte de commis-voyageurs, précurseurs et naïfs, qui, à cette époque, faisaient le travail de ceux d'aujourd'hui, sans se douter qu'ils touchassent à la spécialité de la grande propagande commerciale.

Quiconque les eût vus trotter si paisiblement sur la route, éclairée par la lune, les eût pris pour de bonnes gens, pressés de trouver un lit, après une journée convenablement faite.

Cependant il n'eût fallu qu'entendre quelques phrases, détachées de leur conversation par le vent, quand il y avait conversation, pour ne pas conserver d'eux cette opinion erronée que leur donnait la première apparence.

Et d'abord, le plus étrange des mots échangés entre eux fut le premier mot qu'ils échangèrent, quand ils furent arrivés à une demi-lieue de Bruxelles à peu près.

— Madame, dit le plus gros au plus svelte des deux compagnons, vous avez en vérité eu raison de partir cette nuit; nous gagnons sept lieues en faisant cette marche, et nous arrivons à Malines au moment où, selon toute probabilité, le résultat du coup de main sur Anvers sera connu. On sera là-bas dans toute l'ivresse du triomphe. En deux jours de très petites marches, et pour vous reposer vous avez besoin de courtes étapes, en deux jours de petites marches, nous gagnons Anvers, et cela justement à l'heure probable où le prince sera revenu de sa joie et daignera regarder à terre, après s'être élevé jusqu'au septième ciel.

Le compagnon qu'on appelait madame, et qui ne se révoltait aucunement de cette appellation, malgré ses habits d'homme, répondit d'une voix calme, grave et douce à la fois:

— Mon ami, croyez-moi. Dieu se lassera de protéger ce misérable prince, et il le frappera cruellement; hâtons-nous donc de mettre à exécution nos projets, car je ne suis pas de ceux qui croient à la fatalité, moi, et je pense que les hommes ont le libre arbitre de leurs volontés et de leurs faits. Si nous n'agissons pas et que nous laissions agir Dieu, ce n'était pas la peine de vivre si douloureusement jusque aujourd'hui.

En ce moment, une haleine du nord-ouest passa sifflante et glacée.

— Vous frissonnez, madame, dit le plus âgé des deux voyageurs; prenez votre manteau.

— Non, Remy, merci; je ne sens plus, tu le sais, ni douleurs du corps ni tourments de l'esprit.

Remy leva les yeux au ciel, et demeura plongé dans un sombre silence.

Parfois, il arrêtait son cheval et se retournait sur ses étriers, tandis que sa compagne le devançait, muette comme une statue équestre.

Après une de ces haltes d'un instant, et quand son compagnon l'eut rejointe:

— Tu ne vois plus personne derrière nous? dit-elle.

— Non, madame, personne.

— Ce cavalier, qui nous avait rejoints la nuit à Valenciennes, et qui s'était enquis de nous après nous avoir observés si longtemps avec surprise?

— Je ne le revois plus.

— Mais il me semble que je l'ai revu, moi, avant d'entrer à Mons.

— Et moi, madame, je suis sûr de l'avoir revu avant d'entrer à Bruxelles.

— A Bruxelles, tu dis?

— Oui, mais il se sera arrêté dans cette dernière ville.

— Remy, dit la dame en se rapprochant de son compagnon, comme si elle craignait que sur cette route déserte on ne pût l'entendre; Remy, ne t'a- t-il point paru qu'il ressemblait...

— A qui, madame?

— Comme tournure du moins, car je n'ai pas vu son visage, à ce malheureux jeune homme.

— Oh! non, non, madame, se hâta de dire Remy, pas le moins du monde; et, d'ailleurs, comment aurait-il pu deviner que nous avons quitté Paris et que nous sommes sur cette route?

— Mais comme il savait où nous étions, Remy, quand nous changions de demeure à Paris.

— Non, non, madame, reprit Remy, il ne nous a pas suivis ni fait suivre, et, comme je vous l'ai dit là-bas, j'ai de fortes raisons de croire qu'il avait pris un parti désespéré, mais vis-à-vis de lui seul.

— Hélas! Remy, chacun porte sa part de souffrance en ce monde; Dieu allège celle de ce pauvre enfant!

Remy répondit par un soupir au soupir de sa maîtresse, et ils continuèrent leur route sans autre bruit que celui du pas des chevaux sur le chemin sonore.

Deux heures se passèrent ainsi.

Au moment où nos voyageurs allaient entrer dans Vilvorde, Remy tourna la tête.

Il venait d'entendre le galop d'un cheval au tournant du chemin.

Il s'arrêta, écouta, mais ne vit rien.

Ses yeux, cherchèrent inutilement à percer la profondeur de la nuit, mais comme aucun bruit ne troublait son silence solennel, il entra dans le bourg avec sa compagne.

— Madame, lui dit-il, le jour va bientôt venir; si vous m'en croyez, nous nous arrêterons ici; les chevaux sont las, et vous avez besoin de repos.

— Remy, dit la dame, vous voulez inutilement me cacher ce que vous éprouvez. Remy, vous êtes inquiet.

— Oui, de votre santé, madame; croyez-moi, une femme ne saurait supporter de pareilles fatigues, et c'est à peine si moi-même...

— Faites comme il vous plaira, Remy, répondit la dame.

— Eh bien! alors, entrez dans cette ruelle à l'extrémité de laquelle j'aperçois une lanterne qui se meurt; c'est le signe auquel on reconnaît les hôtelleries: hâtez-vous, je vous prie.

— Vous avez donc entendu quelque chose?

— Oui, comme le pas d'un cheval. Il est vrai que je crois m'être trompé; mais, en tout cas, je reste un instant en arrière pour m'assurer de la réalité ou de la fausseté de mes doutes.

La dame, sans répliquer, sans essayer de détourner Remy de son intention, toucha les flancs de son cheval, qui pénétra dans la ruelle longue et tortueuse.

Remy la laissa passer devant, mit pied à terre et lâcha la bride à son cheval, qui suivit naturellement celui de sa compagne.

Quant à lui, courbé derrière une borne gigantesque, il attendit.

La dame heurta au seuil de l'hôtellerie derrière la porte de laquelle, suivant la coutume hospitalière des Flandres, veillait ou plutôt dormait une servante aux larges épaules et aux bras robustes.

La fille avait déjà entendu le pas du cheval claquer sur le pavé de la ruelle, et, réveillée sans humeur, elle vint ouvrir la porte et recevoir dans ses bras le voyageur ou plutôt la voyageuse.

Puis elle ouvrit aux deux chevaux la large porte cintrée dans laquelle ils se précipitèrent, en reconnaissant une écurie.

— J'attends mon compagnon, dit la dame, laissez-moi m'asseoir près du feu en l'attendant: je ne me coucherai point qu'il ne soit arrivé.

La servante jeta de la paille aux chevaux, referma la porte de l'écurie, rentra dans la cuisine, approcha un escabeau du feu, moucha avec ses doigts la massive chandelle, et se rendormit.

Pendant ce temps, Remy, qui s'était placé en embuscade, guettait le passage du voyageur dont il avait entendu galoper le cheval.

Il le vit entrer dans le bourg, marcher au pas en prêtant l'oreille attentivement; puis, arrivé à la ruelle, le cavalier vit la lanterne, et parut hésiter s'il passerait outre ou s'il se dirigerait de ce côté.

Il s'arrêta tout à fait à deux pas de Remy, qui sentit sur son épaule le souffle de son cheval.

Remy porta la main à son couteau.

— C'est bien lui, murmura-t-il, lui de ce côté, lui qui nous suit encore.

Que nous veut-il?

Le voyageur croisa les deux bras sur sa poitrine, tandis que son cheval soufflait avec effort en allongeant le cou.

Il ne prononçait pas une seule parole; mais, au feu de ses regards, dirigés tantôt en avant, tantôt en arrière, tantôt dans la ruelle, il n'était point difficile de deviner qu'il se demandait s'il fallait retourner en arrière, pousser en avant, ou se diriger vers l'hôtellerie.

— Ils ont continué, murmura-t-il à demi-voix, continuons.

Et, rendant les rênes à son cheval, il continua son chemin.

— Demain, se dit Remy, nous changerons de route.

Et il rejoignit sa compagne, qui l'attendait impatiemment.

— Eh bien! dit-elle tout bas, nous suit-on?

— Personne: je me trompais. Il n'y a que nous sur la route, et vous pouvez dormir en toute sécurité.

— Oh! je n'ai pas sommeil, Remy, vous le savez bien.

— Au moins vous souperez, madame, car hier déjà vous ne prîtes rien.

— Volontiers, Remy.

On réveilla la pauvre servante, qui se leva, cette seconde fois, avec le même air de bonne humeur que la première, et qui apprenant ce dont il était question, tira du buffet un quartier de porc salé, un levraut froid et des confitures; puis elle apporta un pot de bière de Louvain écumante et perlée.

Remy se mit à table près de sa maîtresse.

Alors celle-ci emplit à moitié un verre à anse de cette bière dont elle se mouilla les lèvres, rompit un morceau de pain dont elle mangea quelques miettes, puis se renversa sur sa chaise en repoussant le verre et le pain.

 

— Comment! vous ne mangez plus, mon gentilhomme? demanda la servante.

— Non, j'ai fini, merci.

La servante, alors, se mit à regarder Remy qui ramassait le pain rompu par sa maîtresse, le mangeait lentement et buvait un verre de bière.

— Et la viande, dit-elle, vous ne mangez pas de viande, monsieur?

— Non, mon enfant, merci.

— Vous ne la trouvez donc pas bonne?

— Je suis sûr qu'elle est excellente, mais je n'ai pas faim.

La servante joignit les mains pour exprimer l'étonnement où la plongeait cette étrange sobriété: ce n'était pas ainsi qu'avaient l'habitude d'en user ses compatriotes voyageurs.

Remy, comprenant qu'il y avait un peu de dépit dans le geste invocateur de la servante, jeta une pièce d'argent sur la table.

— Oh! dit la servante, pour ce qu'il faut vous rendre, mon Dieu! vous pouvez bien garder votre pièce: six deniers de dépense à deux!

— Gardez la pièce tout entière, ma bonne, dit la voyageuse, mon frère et moi, nous sommes sobres, c'est vrai, mais nous ne voulons pas diminuer votre gain.

La servante devint rouge de joie, et cependant en même temps des larmes de compassion mouillaient ses yeux, tant ces paroles avaient été prononcées douloureusement.

— Dites-moi, mon enfant, demanda Remy, existe-t-il une route de traverse d'ici à Malines?

— Oui, monsieur, mais bien mauvaise; tandis qu'au contraire, monsieur ne sait peut-être pas cela, mais il existe une grande route excellente.

— Si fait, mon enfant, je sais cela. Mais je dois voyager par l'autre.

— Dame! je vous prévenais, monsieur, parce que, comme votre compagnon est une femme, la route sera doublement mauvaise, pour elle surtout.

— En quoi, ma bonne?

— En ce que, cette nuit, grand nombre de gens de la campagne traversent le pays pour aller sous Bruxelles.

— Sous Bruxelles?

— Oui, ils émigrent momentanément.

— Pourquoi donc émigrent-ils?

— Je ne sais; c'est l'ordre.

— L'ordre de qui? du prince d'Orange?

— Non, de monseigneur.

— Qui est ce monseigneur!

— Ah! dame! vous m'en demandez trop, monsieur, je ne sais pas; mais enfin, tant il y a que, depuis hier au soir, on émigre.

— Et quels sont les émigrants?

— Les habitants de la campagne, des villages, des bourgs, qui n'ont ni digues ni remparts.

— C'est étrange, fit Remy.

— Mais nous-mêmes, dit la fille, au point du jour nous partirons, ainsi que tous les gens du bourg. Hier, à onze heures, tous les bestiaux ont été dirigés sur Bruxelles par les canaux et les routes de traverse; voilà pourquoi, sur le chemin dont je vous parle, il doit y avoir à cette heure encombrement de chevaux, de chariots et de gens.

— Pourquoi pas sur la grande route? la grande route, ce me semble, vous procurerait une retraite plus facile.

— Je ne sais; c'est l'ordre.

Remy et sa compagne se regardèrent.

— Mais nous pouvons continuer, n'est-ce pas, nous qui allons à Malines?

— Je le crois, à moins que vous ne préfériez faire comme tout le monde, c'est-à-dire vous acheminer sur Bruxelles.

Remy regarda sa compagne.

— Non, non, nous repartirons sur-le-champ pour Malines, s'écria la dame en se levant; ouvrez l'écurie, s'il vous plaît, ma bonne.

Remy se leva comme sa compagne en murmurant à demi voix:

— Danger pour danger, je préfère celui que je connais: d'ailleurs le jeune homme a de l'avance sur nous... et si par hasard il nous attendait, eh bien! nous verrions!

Et comme les chevaux n'avaient pas même été dessellés, il tint l'étrier à sa compagne, se mit lui-même en selle, et le jour levant les trouva sur les bords de la Dyle.

LXVIII
EXPLICATION

Le danger que bravait Remy était un danger réel, car le voyageur de la nuit, après avoir dépassé le bourg et couru un quart de lieue en avant, ne voyant plus personne sur la route, s'aperçut bien que ceux qu'il suivait s'étaient arrêtés dans le village.

Il ne voulut point revenir sur ses pas, sans doute pour mettre à sa poursuite le moins d'affectation possible: mais il se coucha dans un champ de trèfle, ayant eu le soin de faire descendre son cheval dans un de ces fossés profonds qui en Flandre servent de clôture aux héritages.

Il résultait de cette manoeuvre que le jeune homme se trouvait à portée de tout voir sans être vu.

Ce jeune homme, on l'a déjà reconnu, comme Remy l'avait reconnu lui-même et comme la dame l'avait soupçonné, ce jeune homme c'était Henri du Bouchage, qu'une étrange fatalité jetait une fois encore en présence de la femme qu'il avait juré de fuir.

Après son entretien avec Remy sur le seuil de la maison mystérieuse, c'est-à-dire après la perte de toutes ses espérances, Henri était revenu à l'hôtel de Joyeuse, bien décidé, comme il l'avait dit, à quitter une vie qui se présentait pour lui si misérable à son aurore: et, en gentilhomme de coeur, en bon fils, car il avait le nom de son père à garder pur, il s'était résolu au glorieux suicide du champ de bataille.

Or, on se battait en Flandre; le duc de Joyeuse, son frère, commandait une armée et pouvait lui choisir une occasion de bien quitter la vie. Henri n'hésita point; il sortit de son hôtel à la fin du jour suivant, c'est-à- dire vingt heures après le départ de Remy et de sa compagne.

Des lettres arrivées de Flandre annonçaient un coup de main décisif sur Anvers. Henri se flatta d'arriver à temps. Il se complaisait dans cette idée que du moins il mourrait l'épée à la main, dans les bras de son frère, sous un drapeau français; que sa mort ferait grand bruit, et que ce bruit percerait les ténèbres dans lesquelles vivait la dame de la maison mystérieuse.

Nobles folies! glorieux et sombres rêves! Henri se reput quatre jours entiers de sa douleur et surtout de cet espoir qu'elle allait bientôt finir.

Au moment où, tout entier à ces rêves de mort, il apercevait la flèche aiguë du clocher de Valenciennes, et où huit heures sonnaient à la ville, il s'aperçut qu'on allait fermer les portes; il piqua son cheval des deux et faillit, en passant sur le pont-levis, renverser un homme qui rattachait les sangles du sien.

Henri n'était pas un de ces nobles insolents qui foulent aux pieds tout ce qui n'est point un écusson. Il fit en passant des excuses à cet homme, qui se retourna au son de sa voix, puis se détourna aussitôt.

Henri, emporté par l'action de son cheval, qu'il essayait d'arrêter en vain, Henri tressaillit comme s'il eût vu ce qu'il ne s'attendait pas à voir.

— Oh! je suis fou, pensa-t-il; Remy à Valenciennes; Remy, que j'ai laissé, il y a quatre jours, rue de Bussy; Remy sans sa maîtresse, car il avait pour compagnon un jeune homme, ce me semble? En vérité, la douleur me trouble le cerveau, m'altère la vue à ce point que tout ce qui m'entoure revêt la forme de mes immuables idées.

Et, continuant son chemin, il était entré dans la ville sans que le soupçon qui avait effleuré son esprit, y eût pris racine un seul instant.

A la première hôtellerie qu'il trouva sur son chemin, il s'arrêta, jeta la bride aux mains d'un valet d'écurie, et s'assit devant la porte, sur un banc, pendant qu'on préparait sa chambre et son souper.

Mais tandis que, pensif, il était assis sur ce banc, il vit s'avancer les deux voyageurs qui marchaient côte à côte, et il remarqua que celui qu'il avait pris pour Remy tournait fréquemment la tête.

L'autre avait le visage caché sous l'ombre d'un chapeau à larges bords.

Remy, en passant devant l'hôtellerie, vit Henri sur le banc, et détourna encore la tête; mais cette précaution même contribua à le faire reconnaître.

— Oh! cette fois, murmura Henri, je ne me trompe point, mon sang est froid, mon oeil clair, mes idées fraîches; revenu d'une première hallucination, je me possède complètement. Or, le même phénomène se produit, et je crois encore reconnaître, dans l'un de ces voyageurs, Remy, c'est-à-dire le serviteur de la maison du faubourg.

Non! continua-t-il, je ne puis rester dans une pareille incertitude, et sans retard il faut que j'éclaircisse mes doutes.

Henri, cette résolution prise, se leva et marcha dans la grande rue sur les traces des deux voyageurs; mais, soit que ceux-ci fussent déjà entrés dans quelque maison, soit qu'ils eussent pris une autre route, Henri ne les aperçut plus.

Il courut jusqu'aux portes; elles étaient fermées.

Donc les voyageurs n'avaient pas pu sortir.

Henri entra dans toutes les hôtelleries, questionna, chercha et finit par apprendre qu'on avait vu deux cavaliers se dirigeant vers une auberge de mince apparence, située rue du Beffroi.

L'hôte était occupé à fermer lorsque du Bouchage entra.

Tandis que cet homme, affriandé par la bonne mine du jeune voyageur, lui offrait sa maison et ses services, Henri plongeait ses regards dans l'intérieur de la chambre d'entrée, et de l'endroit où il se trouvait, pouvait apercevoir encore, sur le haut de l'escalier, Remy lui-même, lequel montait, éclairé par la lampe d'une servante.

Il ne put voir son compagnon, qui, sans doute, étant passé le premier, avait déjà disparu.

Au haut de l'escalier, Remy s'arrêta. En le reconnaissant positivement, cette fois, le comte avait poussé une exclamation, et, au son de la voix du comte, Remy s'était retourné.

Aussi, à son visage si remarquable par la cicatrice qui le labourait, à son regard plein d'inquiétude, Henri ne conserva-t-il aucun doute, et, trop ému pour prendre un parti à l'instant même, s'éloigna-t-il en se demandant, avec un horrible serrement de coeur, pourquoi Remy avait quitté sa maîtresse, et pourquoi il se trouvait seul sur la même route que lui.

Nous disons seul, parce que Henri n'avait d'abord prêté aucune attention au second cavalier.

Sa pensée roulait d'abîme en abîme.

Le lendemain, à l'heure de l'ouverture des portes, lorsqu'il crut pouvoir se trouver face à face avec les deux voyageurs, il fut bien surpris d'apprendre que, dans la nuit, ces deux inconnus avaient obtenu du gouverneur la permission de sortir, et que, contre toutes les habitudes, on avait ouvert les portes pour eux.

De cette façon, et comme ils étaient partis vers une heure du matin, ils avaient six heures d'avance sur Henri.

Il fallait rattraper ces six heures. Henri mit son cheval au galop et rejoignit à Mons les voyageurs qu'il dépassa.

Il vit encore Remy, mais, cette fois, il eût fallu que Remy fût sorcier pour le reconnaître. Henri s'était affublé d'une casaque de soldat et avait acheté un autre cheval.

Toutefois, l'oeil défiant du bon serviteur déjoua presque cette combinaison, et, à tout hasard, le compagnon de Remy, prévenu par un seul mot, eut le temps de détourner son visage que Henri, cette fois encore, ne put apercevoir.

Mais le jeune homme ne perdit point courage; il questionna dans la première hôtellerie qui donna asile aux voyageurs, et comme il accompagnait ses questions d'un irrésistible auxiliaire, il finit par apprendre que le compagnon de Remy était un jeune homme fort beau, mais fort triste, sobre, résigné, et ne parlant jamais de fatigue.

Henri tressaillit, un éclair illumina sa pensée.

— Ne serait-ce point une femme? demanda-t-il.

— C'est possible, répondit l'hôte; aujourd'hui beaucoup de femmes passent ainsi déguisées pour aller rejoindre leurs amants à l'armée de Flandre, et comme notre état à nous autres aubergistes est de ne rien voir, nous ne voyons rien.

Cette explication brisa le coeur de Henri. N'était-il pas probable, en effet, que Remy accompagnât sa maîtresse déguisée en cavalier?

Alors, et si cela était ainsi, Henri ne comprenait rien que de fâcheux dans cette aventure.

Sans doute, comme le disait l'hôte, la dame inconnue allait rejoindre son amant en Flandre.

Remy mentait donc lorsqu'il parlait de ces regrets éternels; cette fable d'un amour passé qui avait à tout jamais habillé sa maîtresse de deuil, c'était donc lui qui l'avait inventée pour éloigner un surveillant importun.

— Eh bien! alors, se disait Henri, plus brisé de cette espérance qu'il ne l'avait jamais été de son désespoir, eh bien! tant mieux, un moment viendra où j'aurai le pouvoir d'aborder cette femme et de lui reprocher tous ces subterfuges qui abaisseront cette femme, que j'avais placée si haut dans mon esprit et dans mon coeur, au niveau des vulgarités ordinaires; alors, alors, moi qui m'étais fait l'idée d'une créature presque divine, alors, en voyant de près cette enveloppe si brillante d'une âme tout ordinaire, peut-être me précipiterai-je moi-même du faîte de mes illusions, du haut de mon amour.

 

Et le jeune homme s'arrachait les cheveux et se déchirait la poitrine, à cette idée qu'il perdrait peut-être un jour cet amour et ces illusions qui le tuaient, tant il est vrai que mieux vaut un coeur mort qu'un coeur vide.

Il en était là, les ayant dépassés comme nous avons dit et rêvant à la cause qui avait pu pousser en Flandre, en même temps que lui, ces deux personnages indispensables à son existence, lorsqu'il les vit entrer à Bruxelles.

Nous savons comment il continua de les suivre.

A Bruxelles, Henri avait pris de sérieuses informations sur la campagne projetée par M. le duc d'Anjou.

Les Flamands étaient trop hostiles au duc d'Anjou pour bien accueillir un Français de distinction; ils étaient trop fiers du succès que la cause nationale venait d'obtenir, car c'était déjà un succès que de voir Anvers fermer ses portes au prince que les Flandres avaient appelé pour régner sur elles; ils étaient trop fiers, disons-nous, de ce succès pour se priver d'humilier un peu ce gentilhomme qui venait de France, et qui les questionnait avec le plus pur accent parisien, accent qui, à toute époque, a paru si ridicule au peuple belge.

Henri conçut dès lors des craintes sérieuses sur cette expédition, dont son frère menait une si grande part; il résolut en conséquence de précipiter sa marche sur Anvers.

C'était pour lui une surprise indicible que de voir Remy et sa compagne, quelque intérêt qu'ils parussent avoir à n'être pas reconnus, suivre obstinément la même route qu'il suivait.

C'était une preuve que tous deux tendaient à un même but.

Au sortir du bourg, Henri, caché dans les trèfles où nous l'avons laissé, était certain, cette fois au moins, de voir en face le visage de ce jeune homme qui accompagnait Remy.

Là il reconnaîtrait toutes ses incertitudes et y mettrait fin.

Et c'est alors, comme nous le disons, qu'il déchirait sa poitrine, tant il avait peur de perdre cette chimère qui le dévorait, mais qui le faisait vivre de mille vies, en attendant qu'elle le tuât.

Lorsque les deux voyageurs passèrent devant le jeune homme, qu'ils étaient loin de soupçonner être caché là, la dame était occupée à lisser ses cheveux, qu'elle n'avait point osé renouer à l'hôtellerie.

Henri la vit, la reconnut, et faillit rouler évanoui dans le fossé où son cheval paissait tranquillement.

Les voyageurs passèrent.

Oh! alors, la colère s'empara de Henri, si bon, si patient, tant qu'il avait cru voir chez les habitants de la maison mystérieuse cette loyauté qu'il pratiquait lui-même.

Mais après les protestations de Remy, mais après les hypocrites consolations de la dame, ce voyage ou plutôt cette disparition constituait une espèce de trahison envers l'homme qui avait si opiniâtrement, mais en même temps si respectueusement assiégé cette porte.

Lorsque le coup qui venait de frapper Henri fut un peu amorti, le jeune homme secoua ses beaux cheveux blonds, essuya son front couvert de sueur, et remonta à cheval, bien décidé à ne plus prendre aucune des précautions qu'un reste de respect lui avait conseillé de prendre, et il se mit à suivre les voyageurs, ostensiblement et à visage découvert.

Plus de manteau, plus de capuchon, plus d'hésitation dans sa marche, la route était à lui comme aux autres; il s'en empara tranquillement, réglant le pas de son cheval sur le pas des deux chevaux qui le précédaient.

Il était décidé à ne parler ni à Remy, ni à sa compagne, mais à se faire seulement reconnaître d'eux.

— Oh! oui, oui, se disait-il, s'il leur reste à tous deux une parcelle de coeur, ma présence, bien qu'amenée par le hasard, n'en sera pas moins un sanglant reproche pour les gens sans foi qui me déchirent le coeur à plaisir.

Il n'avait pas fait cinq cents pas à la suite des deux voyageurs, que Remy l'aperçut.

Le voyant ainsi délibéré, ainsi reconnaissable, s'avancer le front haut et découvert, Remy se troubla.

La dame s'en aperçut et se retourna.

— Ah! dit-elle, n'est-ce pas ce jeune homme, Remy?

Remy essaya encore de lui faire prendre le change et de la rassurer.

— Je ne pense point, madame, dit-il; autant que je puis en juger par l'habit, c'est un jeune soldat wallon qui se rend sans doute à Amsterdam, et passe par le théâtre de la guerre pour y chercher aventure.

— N'importe, je suis inquiète, Remy.

-Rassurez-vous, madame, si ce jeune homme eût été le comte du Bouchage, il nous eût déjà abordés; vous savez s'il était persévérant.

— Je sais aussi qu'il était respectueux, Remy, car, sans ce respect même, je me fusse contentée de vous dire: Éloignez-le, Remy, et je ne m'en fusse point inquiétée davantage.

— Eh bien, madame, s'il était si respectueux, ce respect, il l'aura conservé, et vous n'aurez pas plus à craindre de lui, en supposant que ce soit lui, sur la route de Bruxelles à Anvers qu'à Paris, dans la rue de Bussy.

— N'importe, continua la dame en regardant encore derrière elle, nous voici à Malines, changeons de chevaux, s'il le faut, pour marcher plus vite, mais hâtons-nous d'arriver à Anvers, hâtons-nous.

— Alors, au contraire, je vous dirai, madame, n'entrons point à Malines; nos chevaux sont de bonne race, poussons jusqu'à ce bourg qu'on aperçoit là-bas à gauche et qui se nomme, je crois, Villebrock; de cette façon nous éviterons la ville, l'auberge, les questions, les curieux, et nous serons moins embarrassés pour changer de chevaux ou d'habits si par hasard la nécessité exige que nous en changions.

— Allons, Remy, droit au bourg alors.

Ils prirent à gauche, s'engageant dans un sentier à peine frayé, mais qui, cependant, se rendait visiblement à Villebrock.

Henri quitta la route au même endroit qu'eux, prit le même sentier qu'eux, et les suivit, gardant toujours sa distance.

L'inquiétude de Remy se manifestait dans ses regards obliques, dans son maintien agité, dans ce mouvement surtout qui lui était devenu habituel, de regarder en arrière avec une sorte de menace, et d'éperonner tout à coup son cheval.

Ces différents symptômes, comme on le comprend bien, n'échappaient point à sa compagne.

Ils arrivèrent à Villebrock.

Des deux cents maisons dont se composait ce bourg, pas une n'était habitée; quelques chiens oubliés, quelques chats perdus couraient effarés dans cette solitude, les uns appelant leurs maîtres avec de longs hurlements, les autres fuyant légèrement, et s'arrêtant, lorsqu'ils se croyaient en sûreté, pour montrer leur museau mobile, sous la traverse d'une porte ou par le soupirail d'une cave.

Remy heurta en vingt endroits, ne vit rien, et ne fut entendu de personne.

De son côté, Henri, qui semblait une ombre attachée aux pas des voyageurs, de son côté Henri s'était arrêté à la première maison du bourg, avait heurté à la porte de cette maison, mais tout aussi inutilement que ceux qui le précédaient, et alors ayant deviné que la guerre était cause de cette désertion, il attendait pour se remettre en route que les voyageurs eussent pris un parti.

C'est ce qu'ils firent après que leurs chevaux eurent déjeuné avec le grain que Remy trouva dans le coffre d'une hôtellerie abandonnée.

— Madame, dit alors Remy, nous ne sommes plus dans un pays calme, ni dans une situation ordinaire; il ne convient pas que nous nous exposions comme des enfants. Nous allons certainement tomber dans une bande de Français ou de Flamands, sans compter les partisans espagnols, car, dans la situation étrange où sont les Flandres, les routiers de toutes les espèces, les aventuriers de tous les pays doivent y pulluler; si vous étiez un homme je vous tiendrais un autre langage: mais vous êtes femme, vous êtes jeune, vous êtes belle, vous courrez donc un double danger pour votre vie et pour votre honneur.

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