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Les Quarante-Cinq — Tome 1

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Et il se mit à fourbir toutes ses casseroles, en attendant le fameux 26 octobre.

VIII
SILHOUETTE DE GASCON

Dire que dame Fournichon fut absolument aussi discrète que le lui avait recommandé l'étranger, nous ne l'oserions pas. D'ailleurs elle se croyait sans doute dégagée de toute obligation envers lui, par l'avantage qu'il avait donné à maître Fournichon à l'endroit de l'Épée du fier Chevalier; mais comme il lui restait encore plus à deviner qu'on ne lui en avait dit, elle commença, pour établir ses suppositions sur une base solide, par chercher quel était le cavalier inconnu qui payait si généreusement l'hospitalité à ses compatriotes. Aussi ne manqua-t-elle point d'interroger le premier soldat qu'elle vit passer sur le nom du capitaine qui avait passé la revue.

Le soldat, qui probablement était d'un caractère plus discret que son interlocutrice, lui demanda d'abord, avant de répondre, à quel propos elle faisait cette question.

— Parce qu'il sort d'ici, répondit madame Fournichon, qu'il a causé avec nous, et qu'on est bien aise de savoir à qui l'on parle.

Le soldat se mit à rire.

— Le capitaine qui commandait la revue ne serait pas entré à l'Épée duFier Chevalier, madame Fournichon, dit-il.

— Et pourquoi cela? demanda l'hôtesse; il est donc trop grand seigneur pour cela?

— Peut-être.

— Eh bien, si je vous disais que ce n'est pas pour lui qu'il est entré à l'hôtellerie du Fier Chevalier?

— Et pour qui donc?

— Pour ses amis.

— Le capitaine qui commandait la revue ne logerait pas ses amis à l'Épée du fier Chevalier, j'en réponds.

— Peste! comme vous y allez, mon brave homme! Et quel est donc ce monsieur qui est trop grand seigneur pour loger ses amis au meilleur hôtel de Paris?

— Vous voulez parler de celui qui commandait la revue, n'est-ce pas?

— Sans doute.

— Eh bien! ma bonne femme, celui qui commandait la revue est purement et simplement M. le duc Nogaret de Lavalette d'Épernon, pair de France, colonel général de l'infanterie du roi, et un peu plus roi que Sa Majesté elle-même. Eh bien! qu'en dites-vous, de celui-là?

— Que si c'est lui qui est venu, il m'a fait honneur.

— L'avez-vous entendu dire parfandious?

— Eh! eh! fit la dame Fournichon, qui avait vu bien des choses extraordinaires dans sa vie, et à qui le mot parfandious n'était pas tout à fait inconnu.

Maintenant on peut juger si le 26 octobre était attendu avec impatience.

Le 25 au soir, un homme entra, portant un sac assez lourd, qu'il déposa sur le buffet de Fournichon.

— C'est le prix du repas commandé pour demain, dit-il.

— A combien par tête? demandèrent ensemble les deux époux.

— A six livres.

— Les compatriotes du capitaine ne feront-ils donc ici qu'un seul repas?

— Un seul.

— Le capitaine leur a donc trouvé un logement?

— Il paraît.

Et le messager sortit malgré les questions du Rosier et de l'Épée, et sans vouloir davantage répondre à aucune d'elles.

Enfin le jour tant désiré se leva sur les cuisines du Fier Chevalier.

Midi et demi venait de sonner aux Augustins, quand des cavaliers s'arrêtèrent à la porte de l'hôtellerie, descendirent de cheval et entrèrent.

Ceux-là étaient venus par la porte Bussy et se trouvaient naturellement les premiers arrivés, d'abord parce qu'ils avaient des chevaux, ensuite parce que l'hôtellerie de l'Épée était à cent pas à peine de la porte Bussy.

Un d'eux même, qui paraissait leur chef, tant par sa bonne mine que par son luxe, était venu avec deux laquais bien montés.

Chacun d'eux exhiba son cachet à l'image de Cléopâtre et fut reçu par les deux époux avec toutes sortes de prévenances, surtout le jeune homme aux deux laquais.

Cependant, à l'exception de ce dernier, les nouveaux arrivants ne s'installèrent que timidement et avec une certaine inquiétude; on voyait que quelque chose de grave les préoccupait, surtout lorsque machinalement ils portaient leur main à leur poche.

Les uns demandèrent à se reposer, les autres à parcourir la ville avant le souper; le jeune homme aux deux laquais s'informa s'il n'y avait rien de nouveau à voir dans Paris.

— Ma foi, dit dame Fournichon, sensible à la bonne mine du cavalier, si vous ne craignez pas la foule et si vous ne vous effrayez pas de demeurer sur vos jambes quatre heures de suite, vous pouvez vous distraire en allant voir M. de Salcède, un Espagnol, qui a conspiré.

— Tiens, dit le jeune homme, c'est vrai; j'ai entendu parler de cette affaire; j'y vais, pardioux!

Et il sortit avec ses deux laquais.

Vers deux heures arrivèrent par groupes de quatre et cinq une douzaine de voyageurs nouveaux.

Quelques-uns d'entre eux arrivèrent isolés.

Il y en eut même un qui entra en voisin, sans chapeau, une badine à la main; il jurait contre Paris, où les voleurs sont si audacieux que son chapeau lui avait été pris du côté de la Grève, en traversant un groupe, et si adroits qu'il n'avait jamais pu voir qui le lui avait pris.

Au reste, c'était sa faute; il n'aurait pas dû entrer dans Paris avec un chapeau orné d'une si magnifique agrafe.

Vers quatre heures il y avait déjà quarante compatriotes du capitaine installés dans l'hôtellerie des Fournichon.

— Est-ce étrange? dit l'hôte à sa femme, ils sont tous Gascons.

— Que trouves-tu d'étrange à cela? répondit la dame; le capitaine n'a-t- il pas dit que c'étaient des compatriotes qu'il recevait?

— Eh bien?

— Puisqu'il est Gascon lui-même, ses compatriotes doivent être Gascons.

— Tiens, c'est vrai, dit l'hôte.

— Est-ce que M. d'Épernon n'est pas de Toulouse?

— C'est vrai, c'est vrai; tu tiens donc toujours pour M. d'Épernon?

— Est-ce qu'il n'a pas lâché trois fois le fameux parfandious?

— Il a lâché le fameux parfandious? demanda Fournichon inquiet; qu'est-ce que cet animal-là?

— Imbécile! c'est son juron favori.

— Ah! c'est juste.

— Ne vous étonnez donc que d'une chose, c'est de n'avoir que quarante Gascons, quand vous devriez en avoir quarante-cinq.

Mais, vers cinq heures, les cinq autres Gascons arrivèrent, et les convives de l'Épée se trouvèrent au grand complet.

Jamais surprise pareille n'avait épanoui des visages de Gascons: ce furent pendant une heure des sandioux, des mordioux, des cap de Bious, des élans enfin de joie si bruyante, qu'il sembla aux époux Fournichon que toute la Saintonge, que tout le Poitou, tout l'Aunis et tout le Languedoc avaient fait irruption dans leur grande salle.

Quelques-uns se connaissaient: ainsi Eustache de Miradoux vint embrasser le cavalier aux deux laquais, et lui présenta Lardille, Militor et Scipion.

— Et par quel hasard es-tu à Paris? demanda celui-ci.

— Mais toi-même, mon cher Sainte-Maline?

— J'ai une charge dans l'armée, et toi?

— Moi, je viens pour affaire de succession.

— Ah! ah! tu traînes donc toujours après toi la vieille Lardille?

— Elle a voulu me suivre.

— Ne pouvais-tu partir secrètement, au lieu de t'embarrasser de tout ce monde qu'elle traîne après ses jupes?

— Impossible, c'est elle qui a ouvert la lettre du procureur.

— Ah! tu as reçu la nouvelle de cette succession par une lettre? demanda Sainte-Maline.

— Oui, répondit Miradoux.

Puis se hâtant de changer la conversation:

— N'est-ce pas singulier, dit-il, que cette hôtellerie soit pleine, et ne soit pleine que de compatriotes?

— Non, ce n'est point singulier; l'enseigne est appétissante pour des gens d'honneur, interrompit notre ancienne connaissance Perducas de Pincorney, en se mêlant à la conversation.

— Ah! ah! c'est vous, compagnon, dit Sainte-Maline, vous ne m'avez toujours pas expliqué ce que vous alliez me raconter vers la place de Grève, lorsque cette grande foule nous a séparés?

— Et qu'allais-je vous expliquer? demanda Pincorney en rougissant quelque peu.

— Comment, entre Angoulême et Angers, je vous ai rencontré sur la route, comme je vous vois aujourd'hui, à pied, une badine à la main et sans chapeau.

— Cela vous préoccupe, monsieur?

— Ma foi, oui, dit Sainte-Maline; il y a loin de Poitiers ici, et vous venez de plus loin que de Poitiers.

— Je venais de Saint-André de Cubsac.

— Voyez-vous; et comme cela, sans chapeau?

— C'est bien simple.

— Je ne trouve pas.

— Si fait, et vous allez comprendre. Mon père a deux chevaux magnifiques, auxquels il tient de telle façon qu'il est capable de me déshériter après le malheur qui m'est arrivé.

— Et quel malheur vous est-il arrivé?

— Je promenais l'un des deux, le plus beau, quand tout à coup un coup d'arquebuse part à dix pas de moi, mon cheval s'effarouche, s'emporte et prend la route de la Dordogne.

— Où il s'élance?

— Parfaitement.

— Avec vous?

— Non; par bonheur, j'avais eu le temps de me glisser à terre; sans cela je me noyais avec lui.

— Ah! ah! la pauvre bête s'est donc noyée?

— Pardioux! vous connaissez la Dordogne, une demi-lieue de large.

— Et alors?

— Alors, je résolus de ne pas rentrer à la maison, et de me soustraire le plus loin possible à la colère paternelle.

 

— Mais votre chapeau?

— Attendez donc, que diable! mon chapeau, il était tombé.

— Comme vous?

— Moi, je n'étais pas tombé; je m'étais laissé glisser à terre; un Pincorney ne tombe pas de cheval: les Pincorney sont écuyers au maillot.

— C'est connu, dit Sainte-Maline; mais votre chapeau?

— Ah! voilà, mon chapeau?

— Oui.

— Mon chapeau était donc tombé; je me mis à sa recherche, car c'était ma seule ressource, étant sorti sans argent.

— Et comment votre chapeau pouvait-il vous être une ressource? insista Sainte-Maline, décidé à pousser Pincorney à bout.

— Sandioux! et une grande! Il faut vous dire que la plume de ce chapeau était retenue par une agrafe en diamant que S.M. l'empereur Charles V donna à mon grand-père, lorsqu'en se rendant d'Espagne en Flandre il s'arrêta dans notre château.

— Ah! ah! et vous avez vendu l'agrafe et le chapeau avec. Alors, mon cher ami, vous devez être le plus riche de nous tous, et vous auriez bien dû, avec l'argent de votre agrafe, acheter un second gant; vous avez des mains dépareillées: l'une est blanche comme une main de femme, l'autre est noire comme une main de nègre.

— Attendez donc: au moment où je me retournais pour chercher mon chapeau, je vois un corbeau énorme qui fond dessus.

— Sur votre chapeau?

— Ou plutôt sur mon diamant; vous savez que cet animal dérobe tout ce qui brille: il fond donc sur mon diamant et me le dérobe.

— Votre diamant?

— Oui, monsieur. Je le suis des yeux d'abord; puis ensuite, en courant, je crie: Arrêtez! arrêtez! au voleur! La peste! au bout de cinq minutes il était disparu, et jamais plus je n'en ai entendu parler.

— De sorte qu'accablé par cette double perte...

— Je n'ai plus osé rentrer dans la maison paternelle, et je me suis décidé à venir chercher fortune à Paris.

— Bon! dit un troisième, le vent s'est donc changé en corbeau? Je vous ai entendu, ce me semble, raconter à M. de Loignac qu'occupé à lire une lettre de votre maîtresse, le vent vous avait emporté lettre et chapeau, et qu'en véritable Amadis, vous aviez couru après la lettre, laissant aller le chapeau où bon lui semblait?

— Monsieur, dit Sainte-Maline, j'ai l'honneur de connaître M. d'Aubigné, qui, quoique fort brave soldat, manie assez bien la plume; narrez-lui, quand vous le rencontrerez, l'histoire de votre chapeau, et il fera un charmant conte là-dessus.

Quelques rires à demi étouffés se firent entendre.

— Eh! eh! messieurs, dit le Gascon irritable, rirait-on de moi par hasard?

Chacun se retourna pour rire plus à l'aise.

Perducas jeta un regard inquisiteur autour de lui et vit près de la cheminée un jeune homme qui cachait sa tête dans ses mains; il crut que celui-là n'en agissait ainsi que pour se mieux cacher.

Il alla à lui.

— Eh! monsieur, dit-il, si vous riez, riez au moins en face, que l'on voie votre visage.

Et il frappa sur l'épaule du jeune homme, qui releva un front grave et sévère.

Le jeune homme n'était autre que notre ami Ernauton de Carmainges, encore tout étourdi de son aventure de la Grève.

— Je vous prie de me laisser tranquille, monsieur, lui dit-il, et surtout, si vous me touchez encore, de ne me toucher que de la main où vous avez un gant; vous voyez bien que je ne m'occupe pas de vous.

— A la bonne heure, grommela Pincorney, si vous ne vous occupez pas de moi, je n'ai rien à dire.

— Ah! monsieur, fit Eustache de Miradoux à Carmainges, avec les plus conciliantes intentions, vous n'êtes pas gracieux pour notre compatriote.

— Et de quoi diable vous mêlez-vous, monsieur? reprit Ernauton de plus en plus contrarié.

— Vous avez raison, monsieur, dit Miradoux en saluant, cela ne me regarde point.

Et il tourna les talons pour aller rejoindre Lardille, assise dans un coin de la grande cheminée; mais quelqu'un lui barra le passage.

C'était Militor, avec ses deux mains dans sa ceinture et son rire narquois sur les lèvres.

— Dites donc, beau-papa? fit le vaurien.

— Après?

— Qu'en dites-vous?

— De quoi?

— De la façon dont ce gentilhomme vous a rivé votre clou?

— Heim!

— Il vous a secoué de la belle façon.

— Ah! tu as remarqué cela, toi? dit Eustache essayant de tourner Militor.

Mais celui-ci fit échouer la manoeuvre en se portant à gauche et en se retrouvant de nouveau devant lui.

— Non-seulement moi, continua Militor, mais encore tout le monde; voyez comme chacun rit autour de nous.

Le fait est qu'on riait, mais pas plus de cela que d'autre chose.

Eustache devint rouge comme un charbon.

— Allons, allons, beau-papa, ne laissez pas refroidir l'affaire, dit Militor.

Eustache se dressa sur ses ergots et s'approcha de Carmainges.

— On prétend, monsieur, lui dit-il, que vous avez voulu m'être particulièrement désagréable?

— Quand cela?

— Tout à l'heure.

— A vous?

— A moi.

— Et qui prétend cela?

— Monsieur, dit Eustache en montrant Militor.

— Alors, monsieur, répondit Carmainges en appuyant ironiquement sur la qualification, alors monsieur est un étourneau.

— Oh! oh! fit Militor furieux.

— Et je l'engage, continua Carmainges, à ne point venir donner du bec sur moi, ou sinon je me rappellerai les conseils de M. de Loignac.

— M. de Loignac n'a point dit que je fusse un étourneau, monsieur.

— Non, il a dit que vous étiez un âne: préférez-vous cela? Bien peu m'importe à moi; si vous êtes un âne, je vous sanglerai; si vous êtes un étourneau, je vous plumerai.

— Monsieur, dit Eustache, c'est mon beau-fils; traitez-le mieux, je vous prie, par égard pour moi.

— Ah! voilà comme vous me défendez, beau-papa! s'écria Militor exaspéré; s'il en est ainsi, je me défendrai mieux tout seul.

— A l'école, les enfants! dit Ernauton, à l'école!

— A l'école! s'écria Militor en s'avançant, le poing levé, sur M. de Carmainges; j'ai dix-sept ans, entendez-vous, monsieur?

— Et moi, j'en ai vingt-cinq, dit Ernauton; voilà pourquoi je vais vous corriger selon vos mérites.

Et le saisissant par le collet et par la ceinture, il le souleva de terre et le jeta, comme il eût fait d'un paquet, par la fenêtre du rez-de- chaussée, dans la rue, et cela tandis que Lardille poussait des cris à faire crouler les murs.

— Maintenant, ajouta tranquillement Ernauton, beau-père, belle-mère, beau-fils et toutes les familles du monde, j'en fais de la chair à pâté, si l'on veut me déranger encore.

— Ma foi, dit Miradoux, je trouve qu'il a raison, moi: pourquoi l'agacer, ce gentilhomme?

— Ah! lâche! lâche! qui laisse battre son fils! s'écria Lardille en s'avançant vers Eustache et en secouant ses cheveux épars.

— Là, là, là, fit Eustache, du calme, cela lui fera le caractère.

— Ah ça! dites donc, on jette donc des hommes par la fenêtre ici? dit un officier en entrant: que diable! quand on se livre à ces sortes de plaisanteries, on devrait crier au moins: Gare là-dessous!

— Monsieur de Loignac! s'écrièrent une vingtaine de voix.

— Monsieur de Loignac! répétèrent les quarante-cinq.

Et à ce nom, connu par toute la Gascogne, chacun se leva et se tut.

IX
M. DE LOIGNAC

Derrière M. de Loignac entra à son tour Militor, moulu de sa chute et cramoisi de colère.

— Serviteur, messieurs, dit Loignac; nous menons grand bruit, ce me semble. — Ah! ah! maître Militor a encore fait le hargneux, à ce qu'il paraît, et son nez en souffre.

— On me paiera mes coups, grommela Militor en montrant le poing à Carmainges.

— Servez, maître Fournichon, cria Loignac, et que chacun soit doux avec son voisin, si c'est possible. Il s'agit, à partir de ce moment, de s'aimer comme des frères.

— Hum! fit Sainte-Maline.

— La charité est rare, dit Chalabre en étendant sa serviette sur son pourpoint gris de fer, de manière à ce que, quelle que fût l'abondance des sauces, il ne lui arrivât aucun accident.

— Et s'aimer de si près, c'est difficile, ajouta Ernauton: il est vrai que nous ne sommes pas ensemble pour longtemps.

— Voyez, s'écria Pincorney qui avait encore les railleries de Sainte- Maline sur le coeur, on se moque de moi parce que je n'ai point de chapeau, et l'on ne dit rien à M. de Montcrabeau, qui va dîner avec une cuirasse du temps de l'empereur Pertinax dont il descend selon toute probabilité... Ce que c'est que la défensive!

Montcrabeau, piqué au jeu, se redressa, et avec une voix de fausset:

— Messieurs, dit-il, je l'ôte: avis à ceux qui aiment mieux me voir avec des armes offensives qu'avec des armes défensives.

Et il délaça majestueusement sa cuirasse en faisant signe à son laquais, gros grison d'une cinquantaine d'années, de s'approcher de lui.

— Allons, la paix! la paix! fit M. de Loignac, et mettons-nous à table.

— Débarrassez-moi de cette cuirasse, je vous prie, dit Pertinax à son laquais.

Le gros homme la lui prit des mains.

— Et moi, lui dit-il tout bas, ne vais-je point dîner aussi? Fais-moi donc servir quelque chose, Pertinax, je meurs de faim.

Cette interpellation, si étrangement familière qu'elle fût, n'excita aucun étonnement chez celui auquel elle était adressée.

— J'y ferai mon possible, dit-il; mais, pour plus grande certitude, enquérez-vous de votre côté.

— Hum! fit le laquais d'un ton maussade, voilà qui n'est point rassurant.

— Ne vous reste-t-il absolument rien? demanda Pertinax.

— Nous avons mangé notre dernier écu à Sens.

— Dame! voyez à faire argent de quelque chose.

Il achevait à peine, quand on entendit crier dans la rue, puis sur le seuil de l'hôtellerie:

— Marchand de vieux fer! qui vend son fer et sa ferraille?

A ce cri, madame Fournichon courut vers la porte, tandis que Fournichon transportait majestueusement les premiers plats sur la table.

Si l'on en juge d'après l'accueil qui lui fut fait, la cuisine de Fournichon était exquise.

Fournichon, ne pouvant faire face à tous les compliments qui lui étaient adressés, voulut admettre sa femme à leur partage.

Il la chercha des yeux, mais inutilement: elle avait disparu.

Il l'appela.

— Que fait-elle donc? demanda-t-il à un marmiton en voyant qu'elle ne venait pas.

— Ah! maître, un marché d'or, répondit celui-ci. Elle vend toute votre vieille ferraille pour de l'argent neuf.

— J'espère qu'il n'est pas question de ma cuirasse de guerre ni de mon armet de bataille! s'écria Fournichon en s'élançant vers la porte.

— Et non, et non, dit Loignac, puisque l'achat des armes est défendu par ordonnance du roi.

— N'importe, dit Fournichon. Et il courut vers la porte.

Madame Fournichon rentrait triomphante.

— Eh bien, qu'avez-vous? dit-elle en regardant son mari tout effaré.

— J'ai qu'on me prévient que vous vendez mes armes.

— Après?

— C'est que je ne veux pas qu'on les vende, moi!

— Bah! puisque nous sommes en paix, mieux valent deux casseroles neuves qu'une vieille cuirasse.

— Ce doit cependant être un assez pauvre commerce que celui du vieux fer, depuis cet édit du roi dont parlait tout à l'heure M. de Loignac! dit Chalabre.

— Au contraire, monsieur, dit dame Fournichon, et depuis longtemps se même marchand-là me tentait avec ses offres. Ma foi, aujourd'hui je n'ai pu y résister, et retrouvant l'occasion, je l'ai saisie. Dix écus, monsieur, sont dix écus, et une vieille cuirasse n'est jamais qu'une vieille cuirasse.

— Comment! dix écus! fit Chalabre; si cher que cela? diable!

Et il devint pensif.

— Dix écus! répéta Pertinax en jetant un coup d'oeil éloquent sur son laquais; entendez-vous, monsieur Samuel?

Mais M. Samuel n'était déjà plus là.

— Ah ça! mais, dit M. de Loignac, ce marchand-là risque la corde, ce me semble?

 

— Oh! c'est un brave homme, bien doux et bien arrangeant, reprit madame Fournichon.

— Mais que fait-il de toute cette ferraille?

— Il la revend au poids.

— Au poids! fit Loignac, et vous dites qu'il vous a donné dix écus? de quoi?

— D'une vieille cuirasse et d'une vieille salade.

— En supposant qu'elles pesassent vingt livres à elle deux, c'est un demi-écu la livre. Parfandious! comme dit quelqu'un de ma connaissance, ceci cache un mystère!

— Que ne puis-je tenir ce brave homme de marchand en mon château! dit Chalabre dont les yeux s'allumèrent, je lui en vendrais trois milliers pesant, de heaumes, de brassards et de cuirasses.

— Comment! vous vendriez les armures de vos ancêtres? dit Sainte-Maline d'un ton railleur.

— Ah! monsieur, dit Eustache de Miradoux, vous auriez tort; ce sont des reliques sacrées.

— Bah! dit Chalabre; à l'heure qu'il est, mes ancêtres sont des reliques eux-mêmes, et n'ont plus besoin que de messes.

Le repas allait s'échauffant, grâce au vin de Bourgogne dont les épices de Fournichon accéléraient la consommation.

Les voix montaient à un diapason supérieur, les assiettes sonnaient, les cerveaux s'emplissaient de vapeurs au travers desquelles chaque Gascon voyait tout en rose, excepté Militor qui songeait à sa chute, et Carmainges qui songeait à son page.

— Voilà beaucoup de gens joyeux, dit Loignac à son voisin, qui justement était Ernauton, et ils ne savent pas pourquoi.

— Ni moi non plus, répondit Carmainges. Il est vrai que, pour mon compte, je fais exception, et ne suis pas le moins du monde en joie.

— Vous avez tort, quant à vous, monsieur, reprit Loignac; car vous êtes de ceux pour qui Paris est une mine d'or, un paradis d'honneurs, un monde de félicités.

Ernauton secoua la tête.

— Eh bien, voyons!

— Ne me raillez pas, monsieur de Loignac, dit Ernauton; et vous qui paraissez tenir tous les fils qui font mouvoir la plupart de nous, faites- moi du moins cette grâce de ne point traiter le vicomte Ernauton de Carmainges en comédien de bois.

— Je vous ferai encore d'autres grâces que celle-là, monsieur le vicomte, dit Loignac en s'inclinant avec politesse; je vous ai distingué au premier coup d'oeil entre tous, vous dont l'oeil est fier et doux, et cet autre jeune homme là-bas dont l'oeil est sournois et sombre.

— Vous l'appelez?

— M. de Sainte-Maline.

— Et la cause de cette distinction, monsieur, si cette demande n'est pas toutefois une trop grande curiosité de ma part?

— C'est que je vous connais, voilà tout.

— Moi, fit Ernauton surpris; moi, vous me connaissez?

— Vous et lui, lui et tous ceux qui sont ici.

— C'est étrange.

— Oui, mais c'est nécessaire.

— Pourquoi est-ce nécessaire?

— Parce qu'un chef doit connaître ses soldats.

— Et que tous ces hommes...

— Seront mes soldats demain.

— Mais je croyais que M. d'Épernon...

— Chut! Ne prononcez pas ce nom-là ici, ou plutôt ici ne prononcez aucun nom; ouvrez les oreilles et fermez la bouche, et puisque j'ai promis de vous faire toutes grâces, prenez d'abord ce conseil comme un acompte.

— Merci, monsieur, dit Ernauton.

Loignac essuya sa moustache, et se levant:

— Messieurs, dit-il, puisque le hasard réunit ici quarante-cinq compatriotes, vidons un verre de ce vin d'Espagne à la prospérité de tous les assistants.

Cette proposition souleva des applaudissements frénétiques.

— Ils sont ivres pour la plupart, dit Loignac à Ernauton: ce serait un bon moment pour faire raconter à chacun son histoire, mais le temps nous manque.

Puis haussant la voix:

— Holà! maître Fournichon, dit-il, faites sortir d'ici tout ce qui est femmes, enfants et laquais.

Lardille se leva en maugréant; elle n'avait point achevé son dessert.

Militor ne bougea point.

— M'a-t-on entendu là-bas? dit Loignac avec un coup d'oeil qui ne souffrait pas de réplique... Allons, allons, à la cuisine, monsieur Militor!

Au bout de quelques instants, il ne restait plus dans la salle que les quarante-cinq convives et M. de Loignac.

— Messieurs, dit ce dernier, chacun de vous sait qui l'a fait venir à Paris, ou du moins s'en doute. Bon, bon, ne criez pas son nom; vous le savez, cela suffit. Vous savez aussi que vous êtes venus pour lui obéir.

Un murmure d'assentiment s'éleva de toutes les parties de la salle; seulement, comme chacun savait uniquement la chose qui le concernait et ignorait que son voisin fût venu, mu par la même puissance que lui, tous se regardèrent avec étonnement.

— C'est bien, dit Loignac; vous vous regarderez plus tard, messieurs. Soyez tranquilles, vous avez le temps de faire connaissance. Vous êtes donc venus pour obéir à cet homme, reconnaissez-vous cela?

— Oui! oui! crièrent les quarante-cinq, nous le reconnaissons.

— Eh bien, pour commencer, continua Loignac, vous allez partir sans bruit de cette hôtellerie pour venir habiter le logement qu'on vous a désigné.

— A tous? demanda Sainte-Maline.

— A tous.

— Nous sommes tous mandés, nous sommes tous égaux ici, continua Perducas dont les jambes étaient si incertaines qu'il lui fallut, pour maintenir son centre de gravité, passer un bras autour du cou de Chalabre.

— Prenez donc garde, dit celui-ci, vous froissez mon pourpoint.

— Oui, tous égaux, reprit Loignac, devant la volonté du maître.

— Oh! oh! monsieur, dit en rougissant Carmainges, pardon, mais on ne m'avait pas dit que M. d'Épernon s'appellerait mon maître.

— Attendez.

— Ce n'est point cela que j'avais compris.

— Mais attendez donc, maudite tête!

Il se fit de la part du plus grand nombre un silence curieux, et de la part de quelques autres un silence impatient.

— Je ne vous ai pas dit encore qui serait votre maître, messieurs...

— Oui, dit Sainte-Maline; mais vous avez dit que nous en aurions un.

— Tout le monde a un maître! s'écria Loignac; mais si votre air est trop fier pour s'arrêter où vous venez de dire, cherchez plus haut; non- seulement je ne vous le défends pas, mais je vous y autorise.

— Le roi, murmura Carmainges.

— Silence, dit Loignac, vous êtes venus ici pour obéir, obéissez donc; en attendant voici un ordre que vous allez me faire le plaisir de lire à haute voix, monsieur Ernauton.

Ernauton déplia lentement le parchemin que lui tendait M. de Loignac, et lut à haute voix:

« Ordre à M. de Loignac d'aller prendre, pour les commander, les quarante-cinq gentilshommes que j'ai mandés à Paris, avec l'assentiment de Sa Majesté.

NOGARET DE LA VALETTE,

Duc d'Épernon. »

Ivres ou rassis, tous s'inclinèrent: il n'y eut d'inégalités que dans l'équilibre, lorsqu'il fallut se relever.

— Ainsi, vous m'avez entendu, dit M. de Loignac: il s'agit de me suivre à l'instant même. Vos équipages et vos gens demeureront ici, chez maître Fournichon qui en aura soin, et où je les ferai reprendre plus tard; mais, pour le présent, hâtez-vous, les bateaux attendent.

— Les bateaux? répétèrent tous les Gascons; nous allons donc nous embarquer?

Et ils échangèrent entre eux des regards affamés de curiosité.

— Sans doute, dit Loignac, que vous allez vous embarquer. Pour aller au Louvre, ne faut-il point passer l'eau?

— Au Louvre, au Louvre! murmurèrent les Gascons joyeux; cap de Bious! nous allons au Louvre!

Loignac quitta la table, fit passer devant lui les quarante-cinq, en les comptant comme des moutons, et les conduisit par les rues jusqu'à la tour de Nesle.

Là se trouvaient trois grandes barques qui prirent chacune quinze passagers à bord et s'éloignèrent du rivage.

— Que diable allons-nous faire au Louvre? se demandèrent les plus intrépides, dégrisés par l'air froid de la rivière, et fort mesquinement couverts pour la plupart.

— Si j'avais ma cuirasse au moins! murmura Pertinax de Moncrabeau.

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