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Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.

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Chapitre CCVI – La société de M. de Baisemeaux

On n'a pas oublié qu'en sortant de la Bastille d'Artagnan et le comte de La Fère y avaient laissé Aramis en tête à tête avec Baisemeaux.

Baisemeaux ne s'aperçut pas le moins du monde, une fois ses deux convives sortis, que la conversation souffrît de leur absence. Il croyait que le vin de dessert, et celui de la Bastille était excellent, il croyait, disons-nous, que le vin de dessert était un stimulant suffisant pour faire parler un homme de bien. Il connaissait mal Sa Grandeur, qui n'était jamais plus impénétrable qu'au dessert. Mais Sa Grandeur connaissait à merveille M. de Baisemeaux, en comptant pour faire parler le gouverneur sur le moyen que celui-ci regardait comme efficace.

La conversation, sans languir en apparence, languissait donc en réalité; car Baisemeaux, non seulement parlait à peu près seul, mais encore ne parlait que de ce singulier événement de l'incarcération d'Athos, suivie de cet ordre si prompt de le mettre en liberté.

Baisemeaux, d'ailleurs, n'avait pas été sans remarquer que les deux ordres, ordre d'arrestation et ordre de mise en liberté, étaient tous deux de la main du roi. Or, le roi ne se donnait la peine d'écrire de pareils ordres que dans les grandes circonstances. Tout cela était fort intéressant, et surtout très obscur pour Baisemeaux mais, comme tout cela était fort clair pour Aramis, celui-ci n'attachait pas à cet événement la même importance qu'y attachait le bon gouverneur.

D'ailleurs, Aramis se dérangeait rarement pour rien, et il n'avait pas encore dit à M. Baisemeaux pour quelle cause il s'était dérangé.

Aussi, au moment où Baisemeaux en était au plus fort de sa dissertation, Aramis l'interrompit tout à coup.

– Dites-moi, cher monsieur de Baisemeaux, dit-il est-ce que vous n'avez jamais à la Bastille d'autres distractions que celles auxquelles j'ai assisté pendant les deux ou trois visites que j'ai eu l'honneur de vous faire?

L'apostrophe était si inattendue, que le gouverneur, comme une girouette qui reçoit tout à coup une impulsion opposée à celle du vent, en demeura tout étourdi.

– Des distractions? dit-il. Mais j'en ai continuellement, monseigneur.

– Oh! à la bonne heure! Et ces distractions?

– Sont de toute nature.

– Des visites, sans doute?

– Des visites? Non. Les visites ne sont pas communes à la

Bastille.

– Comment, les visites sont rares?

– Très rares.

– Même de la part de votre société?

– Qu'appelez-vous de ma société?.. Mes prisonniers?

– Oh! non. Vos prisonniers!.. Je sais que c'est vous qui leur faites des visites, et non pas eux qui vous en font. J'entends par votre société, mon cher de Baisemeaux, la société dont vous faites partie.

Baisemeaux regarda fixement Aramis; puis, comme si ce qu'il avait supposé un instant était impossible:

– Oh! dit-il, j'ai bien peu de société à présent. S'il faut que je vous l'avoue, cher monsieur d'Herblay, en général, le séjour de la Bastille paraît sauvage et fastidieux aux gens du monde. Quant aux dames, ce n'est jamais sans un certain effroi, que j'ai toutes les peines de la terre à calmer, qu'elles parviennent jusqu'à moi. En effet, comment ne trembleraient-elles pas un peu, pauvres femmes, en voyant ces tristes donjons, et en pensant qu'ils sont habités par de pauvres prisonniers qui…

Et, au fur et à mesure que les yeux de Baisemeaux se fixaient sur le visage d'Aramis, la langue du bon gouverneur s'embarrassait de plus en plus, si bien qu'elle finit par se paralyser tout à fait.

– Non, vous ne comprenez pas, mon cher monsieur de Baisemeaux, dit Aramis, vous ne comprenez pas… Je ne veux point parler de la société en général, mais d'une société particulière, de la société à laquelle vous êtes affilié, enfin.

Baisemeaux laissa presque tomber le verre plein de muscat qu'il allait porter à ses lèvres.

– Affilié? dit-il, affilié?

– Mais sans doute, affilié, répéta Aramis avec le plus grand sang-froid. N'êtes-vous donc pas membre d'une société secrète, mon cher monsieur de Baisemeaux?

– Secrète?

– Secrète ou mystérieuse.

– Oh! monsieur d'Herblay!..

– Voyons, ne vous défendez pas.

– Mais croyez bien…

– Je crois ce que je sais.

– Je vous jure!..

– Écoutez-moi, cher monsieur de Baisemeaux, je dis oui, vous dites non; l'un de nous est nécessairement dans le vrai, et l'autre inévitablement dans le faux.

– Eh bien?

– Eh bien! nous allons tout de suite nous reconnaître.

– Voyons, dit Baisemeaux, voyons.

– Buvez donc votre verre de muscat, cher monsieur de Baisemeaux, dit Aramis. Que diable! vous avez l'air tout effaré.

– Mais non, pas le moins du monde, non.

– Buvez, alors.

Baisemeaux but, mais il avala de travers.

– Eh bien! reprit Aramis, si, disais-je, vous ne faites point partie d'une société secrète, mystérieuse, comme vous voudrez, l'épithète n'y fait rien; si, dis-je, vous ne faites point partie d'une société pareille à celle que je veux désigner, eh bien! vous ne comprendrez pas un mot à ce que je vais dire: voilà tout.

– Oh! soyez sûr d'avance que je ne comprendrai rien.

– À merveille, alors.

– Essayez, voyons.

– C'est ce que je vais faire. Si, au contraire, vous êtes un des membres de cette société, vous allez tout de suite me répondre oui ou non.

– Faites la question, poursuivit Baisemeaux en tremblant.

– Car, vous en conviendrez, cher monsieur Baisemeaux, continua Aramis avec la même impassibilité, il est évident que l'on ne peut faire partie d'une société, il est évident qu'on ne peut jouir des avantages que la société produit aux affiliés, sans être astreint soi-même à quelques petites servitudes?

– En effet, balbutia Baisemeaux, cela se concevrait si…

– Eh bien! donc, reprit Aramis, il y a dans la société dont je vous parlais, et dont, à ce qu'il paraît, vous ne faites point partie…

– Permettez, dit Baisemeaux, je ne voudrais cependant pas dire absolument…

– Il y a un engagement pris par tous les gouverneurs et capitaines de forteresse affiliés à l'ordre.

Baisemeaux pâlit.

– Cet engagement, continua Aramis d'une voix ferme, le voici.

Baisemeaux se leva, en proie à une indicible émotion.

– Voyons, cher monsieur d'Herblay, dit-il, voyons.

Aramis dit alors ou plutôt récita le paragraphe suivant, de la même voix que s'il eût lu dans un livre:

«Ledit capitaine ou gouverneur de forteresse laissera entrer quand besoin sera, et sur la demande du prisonnier, un confesseur affilié à l'ordre.»

Il s'arrêta. Baisemeaux faisait peine à voir, tant il était pâle et tremblant.

– Est-ce bien là le texte de l'engagement? demanda tranquillement

Aramis.

– Monseigneur!.. fit Baisemeaux.

– Ah! bien, vous commencez à comprendre, je crois?

– Monseigneur, s'écria Baisemeaux, ne vous jouez pas ainsi de mon pauvre esprit; je me trouve bien peu de chose auprès de vous, si vous avez le malin désir de me tirer les petits secrets de mon administration.

– Oh! non pas, détrompez-vous, cher Monsieur de Baisemeaux; ce n'est point aux petits secrets de votre administration que j'en veux, c'est à ceux de votre conscience.

– Eh bien! soit, de ma conscience, cher monsieur d'Herblay. Mais ayez un peu d'égard à ma situation, qui n'est point ordinaire.

– Elle n'est point ordinaire, mon cher monsieur, poursuivit l'inflexible Aramis, si vous êtes agrégé à cette société; mais elle est toute naturelle, si, libre de tout engagement, vous n'avez à répondre qu'au roi.

– Eh bien! monsieur, eh bien! non! je n'obéis qu'au roi. À qui donc, bon Dieu! voulez-vous qu'un gentilhomme français obéisse, si ce n'est au roi?

Aramis ne bougea point; mais, avec sa voix si suave:

– Il est bien doux, dit-il, pour un gentilhomme français, pour un prélat de France, d'entendre s'exprimer ainsi loyalement un homme de votre mérite, cher monsieur de Baisemeaux, et, vous ayant entendu, de ne plus croire que vous.

– Avez-vous douté, monsieur?

– Moi? oh! non.

– Ainsi, vous ne doutez plus?

– Je ne doute plus qu'un homme tel que vous, monsieur, dit sérieusement Aramis, ne serve fidèlement les maîtres qu'il s'est donnés volontairement.

– Les maîtres? s'écria Baisemeaux.

– J'ai dit les maîtres.

– Monsieur d'Herblay, vous badinez encore, n'est-ce pas?

– Oui, je conçois, c'est une situation plus difficile d'avoir plusieurs maîtres que d'en avoir un seul; mais cet embarras vient de vous, cher monsieur de Baisemeaux, et je n'en suis pas la cause.

– Non, certainement, répondit le pauvre gouverneur plus embarrassé que jamais. Mais que faites-vous? Vous vous levez?

– Assurément.

– Vous partez?

– Je pars, oui.

– Mais que vous êtes donc étrange avec moi, monseigneur!

– Moi, étrange? où voyez-vous cela?

– Voyons, avez-vous juré de me mettre à la torture?

– Non, j'en serais au désespoir.

– Restez, alors.

– Je ne puis.

– Et, pourquoi?

– Parce que je n'ai plus rien à faire ici, et qu'au contraire, j'ai des devoirs ailleurs.

– Des devoirs, si tard?

– Oui. Comprenez donc, cher monsieur de Baisemeaux; on m'a dit, d'où je viens: «Ledit gouverneur ou capitaine laissera pénétrer quand besoin sera, sur la demande du prisonnier, un confesseur affilié à l'ordre.» Je suis venu; vous ne savez pas ce que je veux dire, je m'en retourne dire aux gens qu'ils se sont trompés et qu'ils aient à m'envoyer ailleurs.

– Comment! vous êtes?.. s'écria Baisemeaux regardant Aramis presque avec effroi.

– Le confesseur affilié à l'ordre, dit Aramis sans changer de voix.

Mais, si douces que fussent ces paroles, elles firent sur le pauvre gouverneur l'effet d'un coup de tonnerre. Baisemeaux devint livide, et il lui sembla que les beaux yeux d'Aramis étaient deux lames de feu, plongeant jusqu'au fond de son coeur.

 

– Le confesseur! murmura-t-il; vous, monseigneur, le confesseur de l'ordre?

– Oui, moi; mais nous n'avons rien à démêler ensemble, puisque vous n'êtes point affilié.

– Monseigneur…

– Et je comprends que, n'étant pas affilié, vous vous refusiez à suivre les commandements.

– Monseigneur, je vous en supplie, reprit Baisemeaux, daignez m'entendre.

– Pourquoi?

– Monseigneur, je ne dis pas que je ne fasse point partie de l'ordre…

– Ah! ah!

– Je ne dis pas que je me refuse à obéir.

– Ce qui vient de se passer ressemble cependant bien à de la résistance, monsieur de Baisemeaux.

– Oh! non, monseigneur, non; seulement, j'ai voulu m'assurer…

– Vous assurer de quoi? dit Aramis avec un air de suprême dédain.

– De rien, monseigneur.

Baisemeaux baissa la voix et s'inclina devant le prélat.

– Je suis en tout temps, en tout lieu, à la disposition de mes maîtres, dit-il; mais…

– Fort bien! Je vous aime mieux ainsi, monsieur.

Aramis reprit sa chaise et tendit son verre à Baisemeaux, qui ne put jamais le remplir, tant la main lui tremblait.

– Vous disiez: mais, reprit Aramis.

– Mais, reprit le pauvre homme, n'étant pas prévenu, j'étais loin de m'attendre…

– Est-ce que l'Évangile ne dit pas: «Veillez, car le moment n'est connu que de Dieu.» Est-ce que les prescriptions de l'ordre ne disent pas: «Veillez, car ce que je veux, vous devez toujours le vouloir.» Et sous quel prétexte n'attendiez-vous pas le confesseur, monsieur de Baisemeaux?

– Parce qu'il n'y a en ce moment aucun prisonnier malade à la

Bastille, monseigneur.

Aramis haussa les épaules.

– Qu'en savez-vous? dit-il.

– Mais il me semble…

– Monsieur de Baisemeaux, dit Aramis en se renversant dans son fauteuil, voici votre valet qui veut vous parler.

En ce moment, en effet, le valet de Baisemeaux parut au seuil de la porte.

– Qu'y a-t-il? demanda vivement Baisemeaux.

– Monsieur le gouverneur, dit le valet, c'est le rapport du médecin de la maison qu'on vous apporte.

Aramis regarda M. de Baisemeaux de son oeil clair et assuré.

– Eh bien! faites entrer le messager, dit-il.

Le messager entra, salua, et remit le rapport.

Baisemeaux jeta les yeux dessus, et, relevant la tête:

– Le deuxième Bertaudière est malade! dit-il avec surprise.

– Que disiez-vous donc, cher monsieur de Baisemeaux, que tout le monde se portait bien dans votre hôtel? dit négligemment Aramis.

Et il but une gorgée de muscat, sans cesser de regarder Baisemeaux. Alors, le gouverneur, ayant fait de la tête un signe au messager, et celui-ci étant sorti:

– Je crois, dit-il, en tremblant toujours, qu'il y a dans le paragraphe: «Sur la demande du prisonnier»?

– Oui, il y a cela, répondit Aramis; mais voyez donc ce que l'on vous veut, cher monsieur de Baisemeaux.

En effet, un sergent passait sa tête par l'entrebâillement de la porte.

– Qu'est-ce encore? s'écria Baisemeaux. Ne peut-on me laisser dix minutes de tranquillité?

– Monsieur le gouverneur, dit le sergent, le malade de la deuxième Bertaudière a chargé son geôlier de vous demander un confesseur.

Baisemeaux faillit tomber à la renverse.

Aramis dédaigna de le rassurer, comme il avait dédaigné de l'épouvanter.

– Que faut-il répondre? demanda Baisemeaux.

– Mais, ce que vous voudrez, répondit Aramis en se pinçant les lèvres; cela vous regarde; je ne suis pas gouverneur de la Bastille, moi.

– Dites, s'écria vivement Baisemeaux, dites au prisonnier qu'il va avoir ce qu'il demande.

Le sergent sortit.

– Oh! monseigneur, monseigneur! murmura Baisemeaux, comment me serais-je douté?.. comment aurais-je prévu?

– Qui vous disait de vous douter? qui vous priait de prévoir? répondit dédaigneusement Aramis. L'ordre se doute, l'ordre sait, l'ordre prévoit: n'est-ce pas suffisant?

– Qu'ordonnez-vous? ajouta Baisemeaux.

– Moi? Rien. Je ne suis qu'un pauvre prêtre, un simple confesseur. M'ordonnez-vous d'aller voir le malade?

– Oh! monseigneur, je ne vous l'ordonne pas, je vous en prie.

– C'est bien. Alors, conduisez-moi.

Chapitre CCVII – Prisonnier

Depuis cette étrange transformation d'Aramis en confesseur de l'ordre, Baisemeaux n'était plus le même homme.

Jusque-là, Aramis avait été pour le digne gouverneur un prélat auquel il devait le respect, un ami auquel il devait la reconnaissance; mais, à partir de la révélation qui venait de bouleverser toutes ses idées, il était inférieur et Aramis était un chef.

Il alluma lui-même un falot, appela un porte-clefs, et, se retournant vers Aramis:

– Aux ordres de Monseigneur, dit-il.

Aramis se contenta de faire un signe de tête qui voulait dire: «C'est bien!» et un signe de la main qui voulait dire: «Marchez devant!» Baisemeaux se mit en route. Aramis le suivit.

Il faisait une belle nuit étoilée; les pas des trois hommes retentissaient sur la dalle des terrasses, et le cliquetis des clefs pendues à la ceinture du guichetier montait jusqu'aux étages des tours, comme pour rappeler aux prisonniers que la liberté était hors de leur atteinte.

On eût dit que le changement qui s'était opéré dans Baisemeaux s'était étendu jusqu'au porte-clefs. Ce porte-clefs, le même qui, à la première visite d'Aramis, s'était montré si curieux et si questionneur, était devenu non seulement muet, mais même impassible. Il baissait la tête et semblait craindre d'ouvrir les oreilles.

On arriva ainsi au pied de la Bertaudière, dont les deux étages furent gravis silencieusement et avec une certaine lenteur; car Baisemeaux, tout en obéissant, était loin de mettre un grand empressement à obéir.

Enfin, on arriva à la porte; le guichetier n'eut pas besoin de chercher la clef, il l'avait préparée. La porte s'ouvrit.

Baisemeaux se disposait à entrer chez le prisonnier; mais, l'arrêtant sur le seuil:

– Il n'est pas écrit, dit Aramis, que le gouverneur entendra la confession du prisonnier.

Baisemeaux s'inclina et laissa passer Aramis, qui prit le falot des mains du guichetier et entra; puis d'un geste, il fit signe que l'on refermât la porte derrière lui.

Pendant un instant, il se tint debout, l'oreille tendue, écoutant si Baisemeaux et le porte-clefs s'éloignaient; puis, lorsqu'il se fut assuré, par la décroissance du bruit, qu'ils avaient quitté la tour, il posa le falot sur la table et regarda autour de lui.

Sur un lit de serge verte, en tout pareil aux autres lits de la Bastille, excepté qu'il était plus neuf, sous des rideaux amples et fermés à demi, reposait le jeune homme près duquel, une fois déjà, nous avons introduit Aramis.

Suivant l'usage de la prison, le captif était sans lumière. À l'heure du couvre-feu, il avait dû éteindre sa bougie. On voit combien le prisonnier était favorisé, puisqu'il avait ce rare privilège de garder de la lumière jusqu'au moment du couvre-feu.

Près de ce lit, un grand fauteuil de cuir, à pieds tordus, supportait des habits d'une fraîcheur remarquable. Une petite table, sans plumes, sans livres, sans papiers, sans encre, était abandonnée tristement près de la fenêtre. Plusieurs assiettes, encore pleines attestaient que le prisonnier avait à peine touché à son dernier repas.

Aramis vit, sur le lit, le jeune homme étendu, le visage à demi caché sous ses deux bras.

L'arrivée du visiteur ne le fit point changer de posture; il attendait ou dormait. Aramis alluma la bougie à l'aide du falot, repoussa doucement le fauteuil et s'approcha du lit avec un mélange visible d'intérêt et de respect.

Le jeune homme souleva la tête.

– Que me veut-on? demanda-t-il.

– N'avez-vous pas désiré un confesseur?

– Oui.

– Parce que vous êtes malade?

– Oui.

– Bien malade?

Le jeune homme attacha sur Aramis des yeux pénétrants, et dit:

– Je vous remercie.

Puis, après un silence:

– Je vous ai déjà vu, continua-t-il.

Aramis s'inclina. Sans doute, l'examen que le prisonnier venait de faire, cette révélation d'un caractère froid, rusé et dominateur, empreint sur la physionomie de l'évêque de Vannes, était peu rassurant dans la situation du jeune homme; car il ajouta:

– Je vais mieux.

– Alors? demanda Aramis.

– Alors, allant mieux, je n'ai plus le même besoin d'un confesseur, ce me semble.

– Pas même du cilice que vous annonçait le billet que vous avez trouvé dans votre pain?

Le jeune homme tressaillit; mais, avant qu'il eût répondu ou nié:

– Pas même, continua Aramis, de cet ecclésiastique de la bouche duquel vous avez une importante révélation à attendre?

– S'il en est ainsi, dit le jeune homme en retombant sur son oreiller, c'est différent; j'écoute.

Aramis alors le regarda plus attentivement et fut surpris de cet air de majesté simple et aisée qu'on n'acquiert jamais, si Dieu ne l'a mis dans le sang ou dans le coeur.

– Asseyez-vous, monsieur, dit le prisonnier.

Aramis obéit en s'inclinant.

– Comment vous trouvez-vous à la Bastille? demanda l'évêque.

– Très bien.

– Vous ne souffrez pas?

– Non.

– Vous ne regrettez rien?

– Rien.

– Pas même la liberté?

– Qu'appelez-vous la liberté, monsieur, demanda le prisonnier avec l'accent d'un homme qui se prépare à une lutte.

– J'appelle la liberté, les fleurs, l'air, le jour, les étoiles, le bonheur de courir où vous portent vos jambes nerveuses de vingt ans.

Le jeune homme sourit; il eût été difficile de dire si c'était de résignation ou de dédain.

– Regardez, dit-il, j'ai là, dans ce vase du Japon, deux roses, deux belles roses, cueillies hier au soir en boutons dans le jardin du gouverneur; elles sont écloses ce matin et ont ouvert sous mes yeux leur calice vermeil; avec chaque pli de leurs feuilles, elles ouvraient le trésor de leur parfum; ma chambre en est tout embaumée. Ces deux roses, voyez-les: elles sont belles parmi les roses; et les roses sont les plus belles des fleurs. Pourquoi donc voulez-vous que je désire d'autres fleurs, puisque j'ai les plus belles de toutes?

Aramis regarda le jeune homme avec surprise.

– Si les fleurs sont la liberté, reprit mélancoliquement le captif, j'ai donc la liberté, puisque j'ai les fleurs.

– Oh! mais l'air! s'écria Aramis; l'air si nécessaire à la vie?

– Eh bien! monsieur, approchez-vous de la fenêtre continua le prisonnier; elle est ouverte. Entre le ciel et la terre, le vent roule ses tourbillons de glace, de feu, de tièdes vapeurs ou de douces brises. L'air qui vient de là caresse mon visage, quand, monté sur ce fauteuil, assis sur le dossier, le bras passé autour du barreau qui me soutient, je me figure que je nage dans le vide.

Le front d'Aramis se rembrunissait à mesure que parlait le jeune homme.

– Le jour? continua-t-il. J'ai mieux que le jour, j'ai le soleil, un ami qui vient tous les jours me visiter sans la permission du gouverneur, sans la compagnie du guichetier. Il entre par la fenêtre, il trace dans ma chambre un grand carré long qui part de la fenêtre même et va mordre la tenture de mon lit jusqu'aux franges. Ce carré lumineux grandit de dix heures à midi, et décroît de une heure à trois, lentement, comme si, ayant eu hâte de venir, il avait regret de me quitter. Quand son dernier rayon disparaît, j'ai joui quatre heures de sa présence. Est-ce que ça ne suffit pas? on m'a dit qu'il y avait des malheureux qui creusaient des carrières, des ouvriers qui travaillaient aux mines, et qui ne le voyaient jamais.

Aramis s'essuya le front.

– Quant aux étoiles, qui sont douces à voir, continua le jeune homme, elles se ressemblent toutes, sauf l'éclat et la grandeur. Moi, je suis favorisé; car, si vous n'eussiez allumé cette bougie, vous eussiez pu voir la belle étoile que je voyais de mon lit avant votre arrivée, et dont le rayonnement caressait mes yeux.

Aramis baissa la tête: il se sentait submergé, sous le flot amer de cette sinistre philosophie qui est la religion de la captivité.

– Voilà donc pour les fleurs, pour l'air, pour le jour et pour les étoiles, dit le jeune homme avec la même tranquillité. Reste la promenade. Est-ce que, toute la journée, je ne me promène pas dans le jardin du gouverneur s'il fait beau, ici s'il pleut, au frais s'il fait chaud, au chaud s'il fait froid, grâce à ma cheminée pendant l'hiver? Ah! croyez-moi, monsieur, ajouta le prisonnier avec une expression qui n'était pas exempte d'une certaine amertume, les hommes ont fait pour moi tout ce que peut espérer, tout ce que peut désirer un homme.

 

– Les hommes, soit! dit Aramis en relevant la tête; mais il me semble que vous oubliez Dieu.

– J'ai, en effet, oublié Dieu, répondit le prisonnier sans s'émouvoir; mais, pourquoi me dites-vous cela? À quoi bon parler de Dieu aux prisonniers?

Aramis regarda en face ce singulier jeune homme qui avait la résignation d'un martyr avec le sourire d'un athée.

– Est-ce que Dieu n'est pas dans toutes choses? murmura-t-il d'un ton de reproche.

– Dites au bout de toute chose, répondit le prisonnier fermement.

– Soit! dit Aramis; mais revenons au point d'où nous sommes partis.

– Je ne demande pas mieux, fit le jeune homme.

– Je suis votre confesseur.

– Oui.

– Eh bien! comme mon pénitent, vous me devez la vérité.

– Je ne demande pas mieux que de vous la dire.

– Tout prisonnier a commis le crime qui l'a fait mettre en prison. Quel crime avez-vous commis, vous?

– Vous m'avez déjà demandé cela, la première fois que vous m'avez vu, dit le prisonnier.

– Et vous avez éludé ma réponse, cette fois, comme aujourd'hui.

– Et pourquoi, aujourd'hui, pensez-vous que je vous répondrai?

– Parce que, aujourd'hui, je suis votre confesseur.

– Alors, si vous voulez que je vous dise quel crime j'ai commis, expliquez-moi ce que c'est qu'un crime. Or, comme je ne sais rien en moi qui me fasse des reproches, je dis que je ne suis pas criminel.

– On est criminel parfois aux yeux des grands de la terre, non seulement pour avoir commis des crimes, mais parce que l'on sait que des crimes ont été commis.

Le prisonnier prêtait une attention extrême.

– Oui, dit-il après un moment de silence, je comprends; oui, vous avez raison, monsieur; il se pourrait bien que, de cette façon, je fusse criminel aux yeux des grands.

– Ah! vous savez donc quelque chose? dit Aramis, qui crut avoir entrevu, non pas le défaut, mais la jointure de la cuirasse.

– Non, je ne sais rien, répondit le jeune homme; mais je pense quelquefois, et je me dis, à ces moments là…

– Que vous dites-vous?

– Que, si je voulais penser plus, ou je deviendrais fou, ou je devinerais bien des choses.

– Eh bien! alors? demanda Aramis avec impatience.

– Alors, je m'arrête.

– Vous vous arrêtez?

– Oui, ma tête est lourde, mes idées deviennent tristes, je sens l'ennui qui me prend; je désire…

– Quoi?

– Je n'en sais rien, car je ne veux pas me laisser prendre au désir de choses que je n'ai pas, moi qui suis si content de ce que j'ai.

– Vous craignez la mort? dit Aramis avec une légère inquiétude.

– Oui, dit le jeune homme en souriant.

Aramis sentit le froid de ce sourire et frémit.

– Oh! puisque vous avez peur de la mort, vous en savez plus que vous n'en dites, s'écria-t-il.

– Mais vous, répondit le prisonnier, vous qui me faites dire de vous demander, vous qui, lorsque je vous ai demandé, entrez ici en me promettant tout un monde de révélations, d'où vient que c'est vous maintenant qui vous taisez et moi qui parle? Puisque nous portons chacun un masque, ou gardons-le tous deux, ou déposons-le ensemble.

Aramis sentit à la fois la force et la justesse de ce raisonnement.

– Je n'ai point affaire à un homme ordinaire, pensa-t-il. Voyons, avez-vous de l'ambition? dit-il tout haut sans avoir préparé le prisonnier à la transition.

– Qu'est-ce que cela, de l'ambition? demanda le jeune homme.

– C'est, répondit Aramis, un sentiment qui pousse l'homme à désirer plus qu'il n'a.

– J'ai dit que j'étais content, monsieur, mais il est possible que je me trompe. J'ignore ce que c'est que l'ambition, mais il est possible que j'en aie. Voyons ouvrez-moi l'esprit, je ne demande pas mieux.

– Un ambitieux, dit Aramis, est celui qui convoite par-delà son état.

– Je ne convoite rien par-delà mon état, dit le jeune homme avec une assurance qui, encore une fois fit tressaillir l'évêque de Vannes.

Il se tut. Mais, à voir les yeux ardents, le front plissé, l'attitude réfléchie du captif, on sentait bien qu'il attendait autre chose que du silence. Ce silence, Aramis le rompit.

– Vous m'avez menti, la première fois que je vous ai vu, dit-il.

– Menti? s'écria le jeune homme en se dressant sur son lit, avec un tel accent dans la voix, avec un tel éclair dans les yeux, qu'Aramis recula malgré lui.

– Je veux dire, reprit Aramis en s'inclinant, que vous m'avez caché ce que vous savez de votre enfance.

– Les secrets d'un homme sont à lui, monsieur, dit le prisonnier, et non au premier venu.

– C'est vrai, dit Aramis en s'inclinant plus bas que la première fois, c'est vrai, pardonnez, mais aujourd'hui, suis-je encore pour vous le premier venu; Je vous en supplie, répondez, monseigneur!

Ce titre causa un léger trouble au prisonnier; cependant il ne parut point étonné qu'on le lui donnât.

– Je ne vous connais pas, monsieur, dit-il.

– Oh! si j'osais, je prendrais votre main, et je la baiserais.

Le jeune homme fit un mouvement comme pour donner la main à Aramis, mais l'éclair qui avait jailli de ses yeux s'éteignit au bord de sa paupière, et sa main se retira froide et défiante.

– Baiser la main d'un prisonnier! dit-il en secouant la tête, à quoi bon?

– Pourquoi m'avez-vous dit, demanda Aramis, que vous vous trouviez bien ici? pourquoi m'avez vous dit que vous n'aspiriez à rien? pourquoi enfin en me parlant ainsi, m'empêchez-vous d'être franc à mon tour?

Le même éclair reparut pour la troisième fois aux yeux du jeune homme, mais, comme les deux autres fois, il expira sans rien amener.

– Vous vous défiez de moi? dit Aramis.

– À quel propos, monsieur?

– Oh! par une raison bien simple: c'est que, si vous savez ce que vous devez savoir, vous devez vous défier de tout le monde.

– Alors, ne vous étonnez pas que je me délie, puisque vous me soupçonnez de savoir ce que je ne sais pas.

Aramis était frappé d'admiration pour cette énergique résistance.

– Oh! vous me désespérez, monseigneur! s'écriât-il en frappant du poing sur le fauteuil.

– Et moi, je ne vous comprends pas monsieur.

– Eh bien! tâchez de me comprendre.

Le prisonnier regarda fixement Aramis.

– Il me semble parfois, continua celui-ci, que j'ai devant les yeux l'homme que je cherche… et puis…

– Et puis… cet homme disparaît, n'est-ce pas? dit le prisonnier en souriant. Tant mieux!

– Décidément, reprit-il, je n'ai rien à dire à un homme qui se défie de moi au point que vous le faites.

– Et moi, ajouta le prisonnier du même ton, rien à dire à l'homme qui ne veut pas comprendre qu'un prisonnier doit se défier de tout.

– Même de ses anciens amis? dit Aramis. Oh! c'est trop de prudence, monseigneur!

– De mes anciens amis? vous êtes un de mes anciens amis, vous?

– Voyons, dit Aramis, ne vous souvient-il donc plus d'avoir vu autrefois, dans le village où s'écoula votre première enfance?..

– Savez-vous le nom de ce village? demanda le prisonnier.

– Noisy-le-Sec, monseigneur, répondit fermement Aramis.

– Continuez, dit le jeune homme sans que son visage avouât ou niât.

– Tenez, monseigneur, dit Aramis, si vous voulez absolument continuer ce jeu, restons-en là. Je viens pour vous dire beaucoup de choses, c'est vrai; mais il faut me laisser voir que ces choses, vous avez, de votre côté, le désir de les connaître. Avant de parler, avant de déclarer les choses si importantes que je recèle en moi, convenez-en, j'eusse eu besoin d'un peu d'aide sinon de franchise, d'un peu de sympathie sinon de confiance. Eh bien! vous vous tenez renfermé dans une prétendue ignorance qui me paralyse… Oh! non pas pour ce que vous croyez; car, si fort ignorant que vous soyez, ou si fort indifférent que vous feigniez d'être, vous n'en êtes pas moins ce que vous êtes, monseigneur, et rien, rien! entendez-vous bien, ne fera que vous ne le soyez pas.

– Je vous promets, répondit le prisonnier, de vous écouter sans impatience. Seulement, il me semble que j'ai le droit de vous répéter cette question que je vous ai déjà faite: Qui êtes-vous?

– Vous souvient-il, il y a quinze ou dix-huit ans, d'avoir vu à Noisy-le-Sec un cavalier qui venait avec une dame, vêtue ordinairement de soie noire, avec des rubans couleur de feu dans les cheveux?

– Oui, dit le jeune homme: une fois j'ai demandé le nom de ce cavalier, et l'on m'a dit qu'il s'appelait l'abbé d'Herblay. Je me suis étonné que cet abbé eût l'air si guerrier, et l'on m'a répondu qu'il n'y avait rien d'étonnant à cela, attendu que c'était un mousquetaire du roi Louis XIII.

– Eh bien! dit Aramis, ce mousquetaire autrefois, cet abbé alors, évêque de Vannes depuis, votre confesseur aujourd'hui, c'est moi.

– Je le sais. Je vous avais reconnu.

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