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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Chapitre LXXXI – La cour de l'hôtel Grammont

Lorsque Malicorne arriva à Étampes, il apprit que le comte de Guiche venait de partir pour Paris. Malicorne prit deux heures de repos et s'apprêta à continuer son chemin.

Il arriva dans la nuit à Paris, descendit à un petit hôtel dont il avait l'habitude lors de ses voyages dans la capitale, et le lendemain, à huit heures, il se présenta à l'hôtel Grammont.

Il était temps que Malicorne arrivât.

Le comte de Guiche se préparait à faire ses adieux à Monsieur avant de partir pour Le Havre, où l'élite de la noblesse française allait chercher Madame à son arrivée d'Angleterre.

Malicorne prononça le nom de Manicamp, et fut introduit à l'instant même. Le comte de Guiche était dans la cour de l'hôtel Grammont, visitant ses équipages, que des piqueurs et des écuyers faisaient passer en revue devant lui.

Le comte louait ou blâmait devant ses fournisseurs et ses gens les habits, les chevaux et les harnais qu'on venait de lui apporter, lorsque au milieu de cette importante occupation On lui jeta le nom de Manicamp.

– Manicamp? s'écria-t-il. Qu'il entre, parbleu! qu'il entre!

Et il fit quatre pas vers la porte. Malicorne se glissa par cette porte demi-ouverte, et regardant le comte de Guiche surpris de voir un visage inconnu en place de celui qu'il attendait:

– Pardon, monsieur le comte, dit-il, mais je crois qu'on a fait erreur: on vous a annoncé Manicamp lui-même, et ce n'est que son envoyé.

– Ah! ah! fit de Guiche un peu refroidi, et vous m'apportez?

– Une lettre, monsieur le comte.

Malicorne présenta le premier bon et observa le visage du comte.

Celui-ci lut et se mit à rire.

– Encore! dit-il, encore une fille d'honneur? Ah ça! mais ce drôle de Manicamp protège donc toutes les filles d'honneur de France?

Malicorne salua.

– Et pourquoi ne vient-il pas lui-même? demanda-t-il.

– Il est au lit.

– Ah! diable! Il n'a donc pas d'argent?

De Guiche haussa les épaules.

– Mais qu'en fait-il donc, de son argent?

Malicorne fit un mouvement qui voulait dire que, sur cet article- là, il était aussi ignorant que le comte.

– Alors qu'il use de son crédit, continua de Guiche.

– Ah! mais c'est que je crois une chose.

– Laquelle?

– C'est que Manicamp n'a de crédit qu'auprès de vous, monsieur le comte.

– Mais alors il ne se trouvera donc pas au Havre?

Autre mouvement de Malicorne.

– C'est impossible, et tout le monde y sera!

– J'espère, monsieur le comte, qu'il ne négligera point une si belle occasion.

– Il devrait déjà être à Paris.

– Il prendra la traverse pour regagner le temps perdu.

– Et où est-il?

– À Orléans.

– Monsieur, dit de Guiche en saluant, vous me paraissez homme de bon goût.

Malicorne avait l'habit de Manicamp.

Il salua à son tour.

– Vous me faites grand honneur, monsieur, dit-il.

– À qui ai-je le plaisir de parler?

– Je me nomme Malicorne, monsieur.

– Monsieur de Malicorne, comment trouvez-vous les fontes de ces pistolets?

Malicorne était homme d'esprit; il comprit la situation.

D'ailleurs, le de mis avant son nom venait de l'élever à la hauteur de celui qui lui parlait.

Il regarda les fontes en connaisseur, et, sans hésiter:

– Un peu lourdes, monsieur, dit-il.

– Vous voyez, fit de Guiche au sellier, Monsieur, qui est homme de goût, trouve vos fontes lourdes: que vous avais-je dit tout à l'heure?

Le sellier s'excusa.

– Et ce cheval, qu'en dites-vous? demanda de Guiche. C'est encore une emplette que je viens de faire.

– À la vue, il me paraît parfait, monsieur le comte; mais il faudrait que je le montasse pour vous en dire mon avis.

– Eh bien! montez-le, monsieur de Malicorne, et faites-lui faire deux ou trois fois le tour du manège.

La cour de l'hôtel était en effet disposée de manière à servir de manège en cas de besoin.

Malicorne, sans embarras, assembla la bride et le bridon, prit la crinière de la main gauche, plaça son pied à l'étrier, s'enleva et se mit en selle. La première fois il fit faire au cheval le tour de la cour au pas.

La seconde fois, au trot.

Et la troisième fois, au galop.

Puis il s'arrêta près du comte, mit pied à terre et jeta la bride aux mains d'un palefrenier.

– Eh bien! dit le comte, qu'en pensez-vous, monsieur de

Malicorne?

– Monsieur le comte, fit Malicorne, ce cheval est de race mecklembourgeoise. En regardant si le mors reposait bien sur les branches, j'ai vu qu'il prenait sept ans. C'est l'âge auquel il faut préparer le cheval de guerre. L'avant-main est léger. Cheval à tête plate, dit-on, ne fatigue jamais la main du cavalier. Le garrot est un peu bas. L'avalement de la croupe me ferait douter de la pureté de la race allemande. Il doit avoir du sang anglais. L'animal est droit sur ses aplombs, mais il chasse au trot; il doit se couper. Attention à la ferrure. Il est, au reste, maniable. Dans les voltes et les changements de pied je lui ai trouvé les aides fines.

– Bien jugé, monsieur de Malicorne, fit le comte. Vous êtes connaisseur.

Puis, se retournant vers le nouvel arrivé:

– Vous avez là un habit charmant, dit de Guiche à Malicorne. Il ne vient pas de province, je présume; on ne taille pas dans ce goût-là à Tours ou à Orléans.

– Non, monsieur le comte, cet habit vient en effet de Paris.

– Oui, cela se voit… Mais retournons à notre affaire…

Manicamp veut donc faire une seconde fille d'honneur?

– Vous voyez ce qu'il vous écrit, monsieur le comte.

– Qui était la première déjà?

Malicorne sentit le rouge lui monter au visage.

– Une charmante fille d'honneur, se hâta-t-il de répondre,

Mlle de Montalais.

– Ah! ah! vous la connaissez, monsieur?

– Oui, c'est ma fiancée, ou à peu près.

– C'est autre chose, alors… Mille compliments! s'écria de Guiche, sur les lèvres duquel voltigeait déjà une plaisanterie de courtisan, et que ce titre de fiancée donné par Malicorne à Mlle de Montalais rappela au respect des femmes.

– Et le second brevet, pour qui est-ce? demanda de Guiche. Est-ce pour la fiancée de Manicamp?.. En ce cas, je la plains. Pauvre fille! elle aura pour mari un méchant sujet.

– Non, monsieur le comte… Le second brevet est pour Mlle La

Baume Le Blanc de La Vallière.

– Inconnue, fit de Guiche.

– Inconnue? oui, monsieur, fit Malicorne en souriant à son tour.

– Bon! je vais en parler à Monsieur. À propos, elle est demoiselle?

– De très bonne maison, fille d'honneur de Madame douairière.

– Très bien! Voulez-vous m'accompagner chez Monsieur?

– Volontiers, si vous me faites cet honneur.

– Avez-vous votre carrosse?

– Non, je suis venu à cheval.

– Avec cet habit?

– Non, monsieur; j'arrive d'Orléans en poste, et j'ai changé mon habit de voyage contre celui-ci pour me présenter chez vous.

– Ah! c'est vrai, vous m'avez dit que vous arriviez d'Orléans.

Et il fourra, en la froissant, la lettre de Manicamp dans sa poche.

– Monsieur, dit timidement Malicorne, je crois que vous n'avez pas tout lu.

– Comment, je n'ai pas tout lu?

– Non, il y avait deux billets dans la même enveloppe.

– Ah! ah! vous êtes sûr?

– Oh! très sûr.

– Voyons donc.

Et le comte rouvrit le cachet.

– Ah! fit-il, c'est, ma foi, vrai.

Et il déplia le papier qu'il n'avait pas encore lu.

– Je m'en doutais, dit-il, un autre bon pour une charge chez Monsieur; oh! mais c'est un gouffre que ce Manicamp. Oh! le scélérat, il en fait donc commerce?

– Non, monsieur le comte, il veut en faire don.

– À qui?

– À moi, monsieur.

– Mais que ne disiez-vous cela tout de suite, mon cher monsieur de Mauvaise corne.

– Malicorne!

– Ah! pardon; c'est le latin qui me brouille, l'affreuse habitude des étymologies. Pourquoi diantre fait-on apprendre le latin aux jeunes gens de famille? Mala: mauvaise. Vous comprenez, c'est tout un. Vous me pardonnez, n'est-ce pas, monsieur de Malicorne?

– Votre bonté me touche, monsieur; mais c'est une raison pour que je vous dise une chose tout de suite.

– Quelle chose, monsieur?

– Je ne suis pas gentilhomme: j'ai bon coeur, un peu d'esprit, mais je m'appelle Malicorne tout court.

– Eh bien! s'écria de Guiche en regardant la malicieuse figure de son interlocuteur, vous me faites l'effet, monsieur, d'un aimable homme. J'aime votre figure, monsieur Malicorne; il faut que vous ayez de furieusement bonnes qualités pour avoir plu à cet égoïste de Manicamp. Soyez franc, vous êtes quelque saint descendu sur la terre.

– Pourquoi cela?

– Morbleu! pour qu'il vous donne quelque chose. N'avez-vous pas dit qu'il voulait vous faire don d'une charge chez le roi?

– Pardon, monsieur le comte; si j'obtiens cette charge, ce n'est point lui qui me l'aura donnée, c'est vous.

– Et puis il ne vous l'aura peut-être pas donnée pour rien tout à fait?

– Monsieur le comte…

– Attendez donc: il y a un Malicorne à Orléans. Parbleu! c'est cela! qui prête de l'argent à M. le prince.

– Je crois que c'est mon père, monsieur.

– Ah! voilà! M. le prince a le père, et cet affreux dévorateur de Manicamp a le fils. Prenez garde, monsieur, je le connais; il vous rongera, mordieu! jusqu'aux os.

– Seulement, je prête sans intérêt, moi, monsieur, dit en souriant Malicorne.

– Je disais bien que vous étiez un saint ou quelque chose d'approchant, monsieur Malicorne. Vous aurez votre charge ou j'y perdrai mon nom.

– Oh! monsieur le comte, quelle reconnaissance! dit Malicorne transporté.

– Allons chez le prince, mon cher monsieur Malicorne, allons chez le prince.

 

Et de Guiche se dirigea vers la porte en faisant signe à Malicorne de le suivre.

Mais au moment où ils allaient en franchir le seuil, un jeune homme apparut de l'autre côté.

C'était un cavalier de vingt-quatre à vingt-cinq ans, au visage pâle, aux lèvres minces, aux yeux brillants, aux cheveux et aux sourcils bruns.

– Eh! bonjour, dit-il tout à coup en repoussant pour ainsi dire

Guiche dans l'intérieur de la cour.

– Ah! ah! vous ici, de Wardes. Vous, botté, éperonné, et le fouet à la main!

– C'est la tenue qui convient à un homme qui part pour Le Havre.

Demain, il n'y aura plus personne à Paris.

Et le nouveau venu salua cérémonieusement Malicorne, à qui son bel habit donnait des airs de prince.

– M. Malicorne, dit de Guiche à son ami.

De Wardes salua.

– M. de Wardes, dit de Guiche à Malicorne.

Malicorne salua à son tour.

– Voyons, de Wardes, continua de Guiche, dites-nous cela, vous qui êtes à l'affût de ces sortes de choses: quelles charges y a-t- il encore à donner à la cour, ou plutôt dans la maison de Monsieur?

– Dans la maison de Monsieur? dit de Wardes en levant les yeux en l'air pour chercher. Attendez donc… celle de grand écuyer, je crois.

– Oh! s'écria Malicorne, ne parlons point de pareils postes, monsieur; mon ambition ne va pas au quart du chemin.

De Wardes avait le coup d'oeil plus défiant que de Guiche, il devina tout de suite Malicorne.

– Le fait est, dit-il en le toisant, que, pour occuper cette charge, il faut être duc et pair.

– Tout ce que je demande, moi, dit Malicorne, c'est une charge très humble; je suis peu et ne m'estime point au-dessus de ce que je suis.

– Monsieur Malicorne, que vous voyez, dit de Guiche à de Wardes, est un charmant garçon qui n'a d'autre malheur que de ne pas être gentilhomme. Mais, vous le savez, moi, je fais peu de cas de l'homme qui n'est que gentilhomme.

– D'accord, dit de Wardes; mais seulement je vous ferai observer, mon cher comte, que, sans qualité, on ne peut raisonnablement espérer d'entrer chez Monsieur.

– C'est vrai, dit le comte, l'étiquette est formelle. Diable! diable! nous n'avions pas pensé à cela.

– Hélas! voilà un grand malheur pour moi, dit Malicorne en pâlissant légèrement, un grand malheur, monsieur le comte.

– Mais qui n'est pas sans remède, j'espère, répondit de Guiche.

– Pardieu! s'écria de Wardes, le remède est tout trouvé; on vous fera gentilhomme, mon cher monsieur: Son Éminence le cardinal Mazarini ne faisait pas autre chose du matin au soir.

– Paix, paix, de Wardes! dit le comte, pas de mauvaise plaisanterie; ce n'est point entre nous qu'il convient de plaisanter de la sorte; la noblesse peut s'acheter, c'est vrai, mais c'est un assez grand malheur pour que les nobles n'en rient pas.

– Ma foi! tu es bien puritain, comme disent les Anglais.

– M. le vicomte de Bragelonne, annonça un valet dans la cour, comme il eût fait dans un salon.

– Ah! cher Raoul, viens, viens donc. Tout botté aussi! tout éperonné aussi! Tu pars donc?

Bragelonne s'approcha du groupe de jeunes gens, et salua de cet air grave et doux qui lui était particulier. Son salut s'adressa surtout à de Wardes, qu'il ne connaissait point, et dont les traits s'étaient armés d'une étrange froideur en voyant apparaître Raoul.

– Mon ami, dit-il à de Guiche, je viens te demander ta compagnie.

Nous partons pour Le Havre, je présume?

– Ah! c'est au mieux! c'est charmant! Nous allons faire un merveilleux voyage. Monsieur Malicorne, M. de Bragelonne. Ah! M. de Wardes, que je te présente.

Les jeunes gens échangèrent un salut compassé. Les deux natures semblaient dès l'abord disposées à se discuter l'une l'autre. De Wardes était souple, fin, dissimulé; Raoul, sérieux, élevé, droit.

– Mets-nous d'accord, de Wardes et moi, Raoul.

– À quel propos?

– À propos de noblesse.

– Qui s'y connaîtra, si ce n'est un Grammont?

– Je ne te demande pas de compliments, je te demande ton avis.

– Encore faut-il que je connaisse l'objet de la discussion.

– De Wardes prétend que l'on fait abus de titres; moi, je prétends que le titre est inutile à l'homme.

– Et tu as raison, dit tranquillement de Bragelonne.

– Mais, moi aussi, reprit de Wardes avec une espèce d'obstination, moi aussi, monsieur le vicomte, je prétends que j'ai raison.

– Que disiez-vous, monsieur?

– Je disais, moi, que l'on fait tout ce qu'on peut en France pour humilier les gentilshommes.

– Et qui donc cela? demanda Raoul.

– Le roi lui-même; il s'entoure de gens qui ne feraient pas preuve de quatre quartiers.

– Allons donc! fit de Guiche, je ne sais pas où diable vous avez vu cela, de Wardes.

– Un seul exemple.

Et de Wardes couvrit Bragelonne tout entier de son regard.

– Dis.

– Sais-tu qui vient d'être nommé capitaine général des mousquetaires, charge qui vaut plus que la pairie, charge qui donne le pas sur les maréchaux de France?

Raoul commença de rougir, car il voyait où de Wardes en voulait venir.

– Non; qui a-t-on nommé? Il n'y a pas longtemps en tout cas; car il y a huit jours la charge était encore vacante; à telle enseigne que le roi l'a refusée à Monsieur, qui la demandait pour un de ses protégés.

– Eh bien! mon cher, le roi l'a refusée au protégé de Monsieur pour la donner au chevalier d'Artagnan, à un cadet de Gascogne qui a traîné l'épée trente ans dans les antichambres.

– Pardon, monsieur, si je vous arrête, dit Raoul en lançant un regard plein de sévérité à de Wardes; mais vous me faites l'effet de ne pas connaître celui dont vous parlez.

– Je ne connais pas M. d'Artagnan! Eh! mon Dieu! qui donc ne le connaît pas?

– Ceux qui le connaissent, monsieur, reprit Raoul avec plus de calme et de froideur, sont tenus de dire que, s'il n'est pas aussi bon gentilhomme que le roi, ce qui n'est point sa faute, il égale tous les rois du monde en courage et en loyauté. Voilà mon opinion à moi, monsieur, et Dieu merci! je connais M. d'Artagnan depuis ma naissance.

De Wardes allait répliquer, mais de Guiche l'interrompit.

Chapitre LXXXII – Le portrait de Madame

La discussion allait s'aigrir, de Guiche l'avait parfaitement compris.

En effet, il y avait dans le regard de Bragelonne quelque chose d'instinctivement hostile.

Il y avait dans celui de de Wardes quelque chose comme un calcul d'agression. Sans se rendre compte des divers sentiments qui agitaient ses deux amis, de Guiche songea à parer le coup qu'il sentait prêt à être porté par l'un ou l'autre et peut-être par tous les deux.

– Messieurs, dit-il, nous devons nous quitter, il faut que je passe chez Monsieur. Prenons nos rendez-vous: toi, de Wardes, viens avec moi au Louvre; toi, Raoul, demeure le maître de la maison, et comme tu es le conseil de tout ce qui se fait ici, tu donneras le dernier coup d'oeil à mes préparatifs de départ.

Raoul, en homme qui ne cherche ni ne craint une affaire, fit de la tête un signe d'assentiment, et s'assit sur un banc au soleil.

– C'est bien, dit de Guiche, reste là, Raoul, et fais-toi montrer les deux chevaux que je viens d'acheter; tu me diras ton sentiment, car je ne les ai achetés qu'à la condition que tu ratifierais le marché. À propos, pardon! j'oubliais de te demander des nouvelles de M. le comte de La Fère. Et tout en prononçant ces derniers mots, il observait de Wardes et essayait de saisir l'effet que produirait sur lui le nom du père de Raoul.

– Merci, répondit le jeune homme. M. le comte se porte bien.

Un éclair de haine passa dans les yeux de de Wardes. De Guiche ne parut pas remarquer cette lueur funèbre, et allant donner une poignée de main à Raoul:

– C'est convenu, n'est-ce pas, Bragelonne, dit-il, tu viens nous rejoindre dans la cour du Palais-Royal?

Puis, faisant signe de le suivre à de Wardes, qui se balançait tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre.

– Nous partons, dit-il; venez, monsieur Malicorne.

Ce nom fit tressaillir Raoul.

Il lui sembla qu'il avait déjà entendu prononcer ce nom une fois; mais il ne put se rappeler dans quelle occasion.

Tandis qu'il cherchait, moitié rêveur, moitié irrité de sa conversation avec de Wardes, les trois jeunes gens s'acheminaient vers le Palais-Royal, où logeait Monsieur.

Malicorne comprit deux choses.

La première, c'est que les jeunes gens avaient quelque chose à se dire.

La seconde, c'est qu'il ne devait pas marcher sur le même rang qu'eux. Il demeura en arrière.

– Êtes-vous fou? dit de Guiche à son compagnon, lorsqu'ils eurent fait quelques pas hors de l'hôtel de Grammont; vous attaquez M. d'Artagnan, et cela devant Raoul!

– Eh bien! après? fit de Wardes.

– Comment, après?

– Sans doute: est-il défendu d'attaquer M. d'Artagnan?

– Mais vous savez bien que M. d'Artagnan fait le quart de ce tout si glorieux et si redoutable qu'on appelait les Mousquetaires.

– Soit; mais je ne vois pas pourquoi cela peut m'empêcher de haïr

M. d'Artagnan.

– Que vous a-t-il fait?

– Oh! à moi, rien.

– Alors, pourquoi le haïr?

– Demandez cela à l'ombre de mon père.

– En vérité, mon cher de Wardes, vous m'étonnez: M. d'Artagnan n'est point de ces hommes qui laissent derrière eux une inimitié sans apurer leur compte. Votre père, m'a-t-on dit, était de son côté haut la main. Or, il n'est si rudes inimitiés qui ne se lavent dans le sang d'un bon et loyal coup d'épée.

– Que voulez-vous, cher ami, cette haine existait entre mon père et M. d'Artagnan; il m'a, tout enfant, entretenu de cette haine, et c'est un legs particulier qu'il m'a laissé au milieu de son héritage.

– Et cette haine avait pour objet M. d'Artagnan seul?

– Oh! M. d'Artagnan était trop bien incorporé dans ses trois amis pour que le trop-plein n'en rejaillît pas sur eux; elle est de mesure, croyez-moi, à ce que les autres, le cas échéant, n'aient point à se plaindre de leur part.

De Guiche avait les yeux fixés sur de Wardes; il frissonna en voyant le pâle sourire du jeune homme. Quelque chose comme un pressentiment fît tressaillir sa pensée; il se dit que le temps était passé des grands coups d'épée entre gentilshommes, mais que la haine, en s'extravasant au fond du coeur, au lieu de se répandre au-dehors, n'en était pas moins de la haine; que parfois le sourire était aussi sinistre que la menace et qu'en un mot, enfin, après les pères, qui s'étaient haïs avec le coeur et combattus avec le bras, viendraient les fils; qu'eux aussi se haïraient avec le coeur, mais qu'ils ne se combattraient plus qu'avec l'intrigue ou la trahison. Or, comme ce n'était point Raoul qu'il soupçonnait de trahison ou d'intrigue, ce fut pour Raoul que de Guiche frissonna. Mais tandis que ces sombres pensées obscurcissaient le front de de Guiche, de Wardes était redevenu complètement maître de lui-même.

– Au reste, dit-il, ce n'est pas que j'en veuille personnellement à M. de Bragelonne, je ne le connais pas.

– En tout cas, de Wardes, dit de Guiche avec une certaine sévérité, n'oubliez pas une chose, c'est que Raoul est le meilleur de mes amis.

De Wardes s'inclina.

La conversation en demeura là, quoique de Guiche fît tout ce qu'il put pour lui tirer son secret du coeur; mais de Wardes avait sans doute résolu de n'en pas dire davantage, et il demeura impénétrable. De Guiche se promit d'avoir plus de satisfaction avec Raoul. Sur ces entrefaites, on arriva au Palais-Royal, qui était entouré d'une foule de curieux.

La maison de Monsieur attendait ses ordres pour monter à cheval et faire escorte aux ambassadeurs chargés de ramener la jeune princesse. Ce luxe de chevaux, d'armes et de livrées compensait en ce temps-là, grâce au bon vouloir des peuples et aux traditions de respectueux attachement pour les rois, les énormes dépenses couvertes par l'impôt.

Mazarin avait dit: «Laissez-les chanter, pourvu qu'ils paient.» Louis XIV disait: «Laissez-les voir.» La vue avait remplacé la voix: on pouvait encore regarder, mais on ne pouvait plus chanter.

M. de Guiche laissa de Wardes et Malicorne au pied du grand escalier; mais lui, qui partageait la faveur de Monsieur avec le chevalier de Lorraine, qui lui faisait les blanches dents, mais ne pouvait le souffrir, il monta droit chez Monsieur.

Il trouva le jeune prince qui se mirait en se posant du rouge.

Dans l'angle du cabinet, sur des coussins, M. le chevalier de Lorraine était étendu, venant de faire friser ses longs cheveux blonds, avec lesquels il jouait comme eût fait une femme.

 

Le prince se retourna au bruit, et, apercevant le comte:

– Ah! c'est toi, Guiche, dit-il; viens ça et dis-moi la vérité.

– Oui, monseigneur, vous savez que c'est mon défaut.

– Figure-toi, Guiche, que ce méchant chevalier me fait de la peine.

Le chevalier haussa les épaules.

– Et comment cela? demanda de Guiche. Ce n'est pas l'habitude de

M. le chevalier.

– Eh bien! il prétend, continua le prince, il prétend que Mlle

Henriette est mieux comme femme que je ne suis comme homme.

– Prenez garde, monseigneur, dit de Guiche en fronçant le sourcil, vous m'avez demandé la vérité.

– Oui, dit Monsieur presque en tremblant.

– Eh bien! je vais vous la dire.

– Ne te hâte pas, Guiche, s'écria le prince, tu as le temps; regarde-moi avec attention et rappelle-toi bien Madame; d'ailleurs, voici son portrait; tiens.

Et il lui tendit la miniature, du plus fin travail. De Guiche prit le portrait et le considéra longtemps.

– Sur ma foi, dit-il, voilà, monseigneur, une adorable figure.

– Mais regarde-moi à mon tour, regarde-moi donc, s'écria le prince essayant de ramener à lui l'attention du comte, absorbée tout entière par le portrait.

– En vérité, c'est merveilleux! murmura de Guiche.

– Eh! ne dirait-on pas, continua Monsieur, que tu n'as jamais vu cette petite fille.

– Je l'ai vue, monseigneur, c'est vrai, mais il y a cinq ans de cela, et il s'opère de grands changements entre une enfant de douze ans et une jeune fille de dix-sept.

– Enfin, ton opinion, dis-la; parle, voyons!

– Mon opinion est que le portrait doit être flatté, monseigneur.

– Oh! d'abord, oui, dit le prince triomphant, il l'est certainement; mais enfin suppose qu'il ne soit point flatté, et dis-moi ton avis.

– Monseigneur, Votre Altesse est bien heureuse d'avoir une si charmante fiancée.

– Soit, c'est ton avis sur elle; mais sur moi?

– Mon avis, monseigneur, est que vous êtes beaucoup trop beau pour un homme.

Le chevalier de Lorraine se mit à rire aux éclats.

Monseigneur comprit tout ce qu'il y avait de sévère pour lui dans l'opinion du comte de Guiche.

Il fronça le sourcil.

– J'ai des amis peu bienveillants, dit-il.

De Guiche regarda encore le portrait; mais après quelques secondes de contemplation, le rendant avec effort à Monsieur:

– Décidément, dit-il, monseigneur, j'aimerais mieux contempler dix fois Votre Altesse qu'une fois de plus Madame.

Sans doute le chevalier vit quelque chose de mystérieux dans ces paroles qui restèrent incomprises du prince, car il s'écria:

– Eh bien! mariez-vous donc!

Monsieur continua à se mettre du rouge; puis, quand il eut fini, il regarda encore le portrait, puis se mira dans la glace et sourit. Sans doute il était satisfait de la comparaison.

– Au reste, tu es bien gentil d'être venu, dit-il à de Guiche; je craignais que tu ne partisses sans venir me dire adieu.

– Monseigneur me connaît trop pour croire que j'eusse commis une pareille inconvenance.

– Et puis tu as bien quelque chose à me demander avant de quitter

Paris?

– Eh bien! Votre Altesse a deviné juste; j'ai, en effet, une requête à lui présenter.

– Bon! parle.

Le chevalier de Lorraine devint tout yeux et tout oreilles; il lui semblait que chaque grâce obtenue par un autre était un vol qui lui était fait.

Et comme de Guiche hésitait:

– Est-ce de l'argent? demanda le prince. Cela tomberait à merveille, je suis richissime; M. le surintendant des finances m'a fait remettre cinquante mille pistoles.

– Merci à Votre Altesse; mais il ne s'agit pas d'argent.

– Et de quoi s'agit-il? Voyons.

– D'un brevet de fille d'honneur.

– Tudieu! Guiche, quel protecteur tu fais, dit le prince avec dédain; ne me parleras-tu donc jamais que de péronnelles?

Le chevalier de Lorraine sourit; il savait que c'était déplaire à

Monseigneur que de protéger les dames.

– Monseigneur, dit le comte, ce n'est pas moi qui protège directement la personne dont je viens de vous parler; c'est un de mes amis.

– Ah! c'est différent; et comment se nomme la protégée de ton ami?

– Mlle de La Baume Le Blanc de La Vallière, déjà fille d'honneur de Madame douairière.

– Fi! une boiteuse, dit le chevalier de Lorraine en s'allongeant sur son coussin.

– Une boiteuse! répéta le prince. Madame aurait cela sous les yeux? Ma foi, non, ce serait trop dangereux pour ses grossesses.

Le chevalier de Lorraine éclata de rire.

– Monsieur le chevalier, dit de Guiche, ce que vous faites là n'est point généreux; je sollicite et vous me nuisez.

– Ah! pardon, monsieur le comte, dit le chevalier de Lorraine inquiet du ton avec lequel le comte avait accentué ses paroles, telle n'était pas mon intention, et, au fait, je crois que je confonds cette demoiselle avec une autre.

– Assurément, et je vous affirme, moi, que vous confondez.

– Voyons, y tiens-tu beaucoup, Guiche? demanda le prince.

– Beaucoup, monseigneur.

– Eh bien! accordé; mais ne demande plus de brevet, il n'y a plus de place.

– Ah! s'écria le chevalier, midi déjà; c'est l'heure fixée pour le départ.

– Vous me chassez, monsieur? demanda de Guiche.

– Oh! comte, comme vous me maltraitez aujourd'hui! répondit affectueusement le chevalier.

– Pour Dieu! comte; pour Dieu! chevalier, dit Monsieur, ne vous disputez donc pas ainsi: ne voyez-vous pas que cela me fait de la peine?

– Ma signature? demanda de Guiche.

– Prends un brevet dans ce tiroir, et donne-le-moi.

De Guiche prit le brevet indiqué d'une main, et de l'autre présenta à Monsieur une plume toute trempée dans l'encre.

Le prince signa.

– Tiens, dit-il en lui rendant le brevet; mais c'est à une condition.

– Laquelle?

– C'est que tu feras ta paix avec le chevalier.

– Volontiers, dit de Guiche.

Et il tendit la main au chevalier avec une indifférence qui ressemblait à du mépris.

– Allez, comte, dit le chevalier sans paraître aucunement remarquer le dédain du comte; allez, et ramenez-nous une princesse qui ne jase pas trop avec son portrait.

– Oui, pars et fais diligence… À propos, qui emmènes-tu?

– Bragelonne et de Wardes.

– Deux braves compagnons.

– Trop braves, dit le chevalier; tâchez de les ramener tous deux, comte.

– Vilain coeur! murmura de Guiche; il flaire le mal partout et avant tout.

Puis, saluant Monsieur, il sortit.

En arrivant sous le vestibule, il éleva en l'air le brevet tout signé.

Malicorne se précipita et le reçut tout tremblant de joie. Mais, après l'avoir reçu, de Guiche s'aperçut qu'il attendait quelque chose encore.

– Patience, monsieur, patience, dit-il à son client; mais M. le chevalier était là et j'ai craint d'échouer si je demandais trop à la fois. Attendez donc à mon retour. Adieu!

– Adieu, monsieur le comte; mille grâces, dit Malicorne.

– Et envoyez-moi Manicamp. À propos, est-ce vrai, monsieur, que

Mlle de La Vallière est boiteuse?

Au moment où il prononçait ces mots, un cheval s'arrêtait derrière lui.

Il se retourna et vit pâlir Bragelonne, qui entrait au moment même dans la cour.

Le pauvre amant avait entendu. Il n'en était pas de même de

Malicorne, qui était déjà hors de la portée de la voix.

«Pourquoi parle-t-on ici de Louise? se demanda Raoul; oh! qu'il n'arrive jamais à ce de Wardes, qui sourit là-bas, de dire un mot d'elle devant moi!»

– Allons, allons, messieurs! cria le comte de Guiche, en route.

En ce moment, le prince, dont la toilette était terminée parut à la fenêtre.

Toute l'escorte le salua de ses acclamations, et dix minutes après, bannières, écharpes et plumes flottaient à l'ondulation du galop des coursiers.

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