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Le Collier de la Reine, Tome II

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Chapitre LII
Où il est démontré que l'autopsie du cœur est plus difficile que celle du corps

Le docteur demeura pensif, regardant s'éloigner la reine.

Puis à lui-même en secouant la tête:

– Il y a dans ce château, murmura-t-il, des mystères qui ne sont pas du ressort de la science. Contre les uns, je m'arme de la lancette et je leur perce la veine pour les guérir; contre les autres, je m'arme du reproche et leur perce le cœur: les guérirai-je?

Puis comme l'accès était passé, il ferma les yeux de Charny, restés ouverts et hagards, lui rafraîchit les tempes avec de l'eau et du vinaigre, et disposa autour de lui ces soins qui changent l'atmosphère brûlante du malade en un paradis de délices.

Alors ayant vu le calme revenir sur les traits du blessé, remarquant que ses sanglots se changeaient tout doucement en soupirs, que de vagues syllabes s'échappaient de sa bouche au lieu de furieuses paroles:

«Oui, oui, il y avait non seulement sympathie, mais encore influence, dit-il; ce délire s'était levé comme pour venir au-devant de la visite que le malade a reçue; oui, les atomes humains se déplacent comme dans le règne végétal les poussières fécondantes; oui, la pensée a des communications invisibles, les cours ont des rapports secrets.»

Tout à coup il tressaillit, et se retourna à moitié, écoutant à la fois de l'oreille et de l'œil.

– Voyons, qui est encore là? murmura-t-il.

En effet, il venait d'entendre comme un murmure et un frôlement de robe à l'extrémité du corridor.

– Il est impossible que ce soit la reine, murmura-t-il; elle ne reviendrait pas sur une résolution probablement invariable. Voyons.

Et il alla doucement ouvrir une autre porte donnant aussi sur le corridor, et avançant la tête sans bruit, il vit à dix pas de lui une femme vêtue de longs habits aux plis immobiles, et pareille à la statue froide et inerte du désespoir.

Il faisait nuit, la faible lumière placée dans le corridor ne pouvait l'éclairer d'un bout à l'autre; mais par une fenêtre passait un rayon de lune qui portait sur elle, et qui la faisait visible jusqu'au moment où un nuage passerait entre elle et le rayon.

Le docteur rentra doucement, franchit l'espace qui séparait une porte de l'autre; puis sans bruit, mais rapidement, il ouvrit celle derrière laquelle cette femme était cachée.

Elle poussa un cri, étendit les mains, et rencontra les mains du docteur Louis.

– Qui est là? demanda-t-il avec une voix où il y avait plus de pitié que de menace; car il devinait, à l'immobilité même de cette ombre, qu'elle écoutait plus encore avec le cœur qu'avec l'oreille.

– Moi, docteur, moi, répondit une voix douce et triste.

Quoique cette voix ne fût pas inconnue au docteur, elle n'éveilla en lui qu'un vague et lointain souvenir.

– Moi, Andrée de Taverney, docteur.

– Ah! mon Dieu! qu'y a-t-il? s'écria le docteur, est-ce qu'elle s'est trouvée mal?

– Elle! s'écria Andrée, Elle! Qui donc Elle?

Le docteur sentit qu'il venait de commettre une imprudence.

– Pardon, mais j'ai vu tout à l'heure une femme s'éloigner. Peut-être était-ce vous?

– Ah! oui, dit Andrée, il est venu une femme avant moi ici, n'est-ce pas?

Et Andrée prononça ces paroles avec une ardente curiosité, qui ne laissa aucun doute au docteur sur le sentiment qui les avait dictées.

– Ma chère enfant, dit le docteur, il me semble que nous jouons aux propos interrompus. De qui me parlez-vous? Que me voulez-vous? expliquez-vous!

– Docteur, reprit Andrée avec une voix si triste, qu'elle alla jusqu'au fond du cœur de celui qu'elle interrogeait, bon docteur, n'essayez pas de me tromper, vous qui avez pris l'habitude de me dire la vérité; avouez qu'une femme était ici tout à l'heure, avouez-le moi, aussi bien je l'ai vue.

– Eh! qui vous dit qu'il n'est venu personne?

– Oui; mais une femme, une femme, docteur.

– Sans doute, une femme; à moins que vous ne comptiez soutenir cette thèse qu'une femme n'est femme que jusqu'à l'âge de quarante ans.

– Celle qui est venue avait quarante ans, docteur, s'écria Andrée, respirant pour la première fois; ah!

– Quand je dis quarante ans, je lui fais grâce encore de cinq ou six bonnes années; mais il faut être galant avec ses amies, et madame de Misery est de mes amies, et même de mes bonnes amies.

– Madame de Misery?

– Sans doute.

– C'est bien elle qui est venue?

– Et pourquoi diable! ne vous le dirais-je pas si c'était une autre?

– Oh! c'est que…

– En vérité, les femmes sont toutes les mêmes, inexplicables; je croyais cependant vous connaître, vous particulièrement. Eh bien! non, je ne vous connais pas plus que les autres. C'est à se damner.

– Bon et cher docteur!

– Assez. Venons au fait.

Andrée le regarda avec inquiétude.

– Est-ce qu'elle s'est trouvée plus mal? demanda-t-il.

– Qui cela?

– Pardieu! la reine.

– La reine!

– Oui, la reine, pour qui madame de Misery est venue me chercher tout à l'heure; la reine, qui a ses suffocations, ses palpitations. Triste maladie, ma chère demoiselle, incurable. Donnez-moi donc de ses nouvelles si vous êtes venue de sa part, et retournons auprès d'elle.

Et le docteur Louis fit un mouvement qui indiquait son intention de quitter la place où il se trouvait.

Mais Andrée l'arrêta doucement, et respirant plus à l'aise.

– Non, cher docteur, dit-elle. Je ne viens point de la part de la reine. J'ignorais même qu'elle fût souffrante. Pauvre reine! si je l'eusse su… Tenez, pardonnez-moi, docteur, mais je ne sais plus ce que je dis.

– Je le vois bien.

– Non seulement je ne sais plus ce que je dis, mais ce que je fais.

– Oh! ce que vous faites, moi je le sais: vous vous trouvez mal.

Et, en effet, Andrée avait lâché le bras du docteur; sa main froide retombait tout le long de son corps; elle s'inclinait, livide et froide.

Le docteur la redressa, la ranima, l'encouragea.

Andrée alors fit sur elle-même un violent effort. Cette âme vigoureuse, qui ne s'était jamais laissée abattre, ni par la douleur physique, ni par la douleur morale, tendit ses ressorts d'acier.

– Docteur, dit-elle, vous savez que je suis nerveuse, et que l'obscurité me cause d'affreuses terreurs? Je me suis égarée dans l'obscurité, de là l'état étrange où je me trouve.

– Et pourquoi diable! vous y exposez-vous, à l'obscurité? Qui vous y force? Puisque personne ne vous envoyait ici, puisque rien ne vous y amenait.

– Je n'ai pas dit rien, docteur, j'ai dit personne.

– Ah! ah! des subtilités, ma chère malade. Nous sommes mal ici pour en faire. Allons ailleurs, surtout si vous en avez pour longtemps.

– Dix minutes, docteur, c'est tout ce que je vous demande.

– Dix minutes, soit, mais pas debout; mes jambes se refusent positivement à ce mode de dialogue; allons nous asseoir.

– Où cela?

– Sur la banquette du corridor, si vous voulez.

– Et là personne ne nous entendra, vous croyez, docteur? demanda Andrée avec effroi.

– Personne.

– Pas même le blessé qui est là? continua-t-elle du même ton, en indiquant au docteur cette chambre éclairée par un doux reflet bleuâtre, dans laquelle son regard plongeait.

– Non, dit le docteur, pas même ce pauvre garçon, et j'ajouterai que si quelqu'un nous entend, à coup sûr, ce ne sera point celui-là.

Andrée joignit les mains.

– Ô mon Dieu! il est donc bien mal? dit-elle.

– Le fait est qu'il n'est pas bien. Mais parlons de ce qui vous amène; vite, mon enfant, vite; vous savez que la reine m'attend.

– Eh bien! docteur, dit Andrée en poussant un soupir. Nous en parlons, ce me semble.

– Quoi! monsieur de Charny?

– C'est de lui qu'il s'agit, docteur, et je venais vous demander de ses nouvelles.

Le silence avec lequel le docteur Louis accueillit les paroles auxquelles il devait s'attendre cependant fut glacial. En effet, le docteur rapprochait en ce moment la démarche d'Andrée de la démarche de la reine; il voyait ces deux femmes mues par un même sentiment, et aux symptômes il croyait reconnaître que ce sentiment c'était un violent amour.

Andrée, qui ignorait la visite de la reine, et qui ne pouvait lire dans l'esprit du docteur tout ce qu'il y avait de triste bienveillance et de miséricordieuse pitié, prit le silence du docteur pour un blâme, peut-être un peu durement formulé, et elle se redressa comme d'habitude sous cette pression, toute muette qu'elle fût.

– Cette démarche, vous pouvez l'excuser, ce me semble docteur, dit elle, car monsieur de Charny est malade d'une blessure reçue dans un duel, et cette blessure c'est mon frère qui la lui a faite.

– Votre frère! s'écria le docteur Louis; c'est monsieur Philippe de Taverney qui a blessé monsieur de Charny?

– Sans doute.

– Oh! mais j'ignorais cette circonstance.

– Mais maintenant que vous le savez, ne comprenez-vous pas que je doive m'enquérir de l'état dans lequel il se trouve?

– Oh! si fait, mon enfant, dit le bon docteur, enchanté de trouver une occasion d'être indulgent. J'ignorais, moi, je ne pouvais deviner la véritable cause.

Et il appuya sur ces derniers mots de manière à prouver à Andrée qu'il n'adoptait ses conclusions que sous toutes réserves.

– Voyons, docteur, dit Andrée en s'appuyant des deux mains au bras du son interlocuteur, et en le regardant en face, voyons, dites toute votre pensée.

– Mais, je l'ai dite. Pourquoi ferais-je des restrictions mentales?

– Un duel entre gentilshommes c'est chose banale, c'est un événement de tous les jours.

– La seule chose qui pourrait donner de l'importance à ce duel, ce serait le cas où nos deux jeunes gens se seraient battus pour une femme.

 

– Pour une femme, docteur?

– Oui. Pour vous, par exemple.

– Pour moi! Andrée poussa un profond soupir. Non, docteur, ce n'est pas pour moi que monsieur de Charny s'est battu.

Le docteur eut l'air de se contenter de la réponse, mais, d'une façon ou de l'autre, il voulut avoir l'explication du soupir.

– Alors, dit-il, je comprends, c'est votre frère qui vous a envoyée pour avoir un bulletin exact de la santé du blessé.

– Oui! c'est mon frère! oui, docteur, s'écria Andrée.

Le docteur la regarda à son tour en face.

«Oh! ce que tu as dans le cœur, âme inflexible, je vais bien le savoir», murmura-t-il.

Puis, tout haut:

– Eh bien donc! dit-il, je vais vous dire toute la vérité, comme on la doit à toute personne intéressée à la connaître. Reportez-la à votre frère, et qu'il prenne ses arrangements en conséquence… Vous comprenez.

– Non, docteur, car je cherche ce que vous voulez dire par ces mots: «Qu'il prenne ses arrangements en conséquence.»

– Voici… Un duel, même à présent, n'est pas chose agréable au roi. Le roi ne fait plus observer les édits, c'est vrai; mais quand un duel a fait scandale, Sa Majesté bannit ou emprisonne.

– C'est vrai, docteur.

– Et quand, par malheur, il y a eu mort d'homme; oh! alors, le roi est impitoyable. Eh bien! conseillez à votre cher frère de se mettre à couvert pour un temps donné.

– Docteur, s'écria Andrée, docteur, monsieur de Charny est donc bien mal?

– Écoutez, chère demoiselle, je vous ai promis la vérité; la voici: vous voyez bien ce pauvre garçon qui sort là-bas ou plutôt qui râle dans cette chambre?

– Docteur, oui, repartit Andrée d'une voix étranglée; eh bien?..

– Eh bien! s'il n'est pas sauvé demain à pareille heure, si la fièvre qui vient de naître et qui le dévore n'a pas cessé, monsieur de Charny, demain à pareille heure, sera un homme mort.

Andrée sentit qu'elle allait pousser un cri, elle se serra la gorge, elle s'enfonça les ongles dans les chairs, pour éteindre dans la douleur physique un peu de cette angoisse qui lui déchirait le cœur.

Louis ne put voir sur ses traits l'effrayant ravage que cette lutte avait produit.

Andrée se donnait comme une femme spartiate.

– Mon frère, dit-elle, ne fuira pas; il a combattu monsieur de Charny en homme de cœur; s'il a eu le malheur de le frapper, c'était à son corps défendant; s'il l'a tué, Dieu le jugera.

– Elle n'était pas venue pour son compte, se dit le docteur; c'est donc pour la reine, alors. Voyons si Sa Majesté a poussé la légèreté jusque-là.

– Comment la reine a-t-elle pris ce duel? demanda-t-il.

– La reine? je ne sais pas, repartit Andrée. Qu'importe à la reine?

– Mais monsieur de Taverney lui est agréable, je suppose?

– Eh bien! monsieur de Taverney est sauf; espérons que Sa Majesté défendra elle-même mon frère, si on l'accusait.

Louis, battu des deux côtés dans sa double hypothèse, abandonna la partie.

– Je ne suis pas un physiologiste, dit-il, je ne suis qu'un chirurgien. Pourquoi, diable! quand je sais si bien le jeu des muscles et des nerfs, vais-je me mêler du jeu des caprices et des passions des femmes?

«Mademoiselle, vous avez appris ce que vous désirez savoir. Faites, ou ne faites pas fuir monsieur de Taverney, cela vous regarde. Quant à moi, mon devoir est d'essayer à sauver le blessé… cette nuit, sans quoi la mort qui continue tranquillement son œuvre me l'enlèverait dans les vingt-quatre heures. Adieu.»

Et il lui ferma doucement, mais net, la porte sur les talons.

Andrée passa une main convulsive sur son front, se vit seule, seule avec cette épouvantable réalité. Il lui sembla que déjà la mort, dont venait de parler si froidement le docteur, descendait sur cette chambre, et passait en blanc suaire dans le corridor obscur.

Le vent de la funèbre apparition glaça ses membres, elle s'enfuit jusqu'à son appartement, s'enferma sous un triple tour de clef, et tombant à deux genoux sur le tapis de son lit:

– Mon Dieu! s'écria-t-elle avec une énergie sauvage, avec des torrents de larmes brûlantes, mon Dieu! vous n'êtes pas injuste, vous n'êtes pas insensé; vous n'êtes pas cruel, mon Dieu! Vous pouvez tout, vous ne laisserez pas mourir ce jeune homme, qui n'a pas fait de mal, et qui est aimé en ce monde. Mon Dieu! nous autres, pauvres humains, nous ne croyons vraiment qu'au pouvoir de votre bienfaisance, bien qu'en toute occasion nous tremblions devant le pouvoir de votre colère. Mais moi!.. moi… qui vous supplie, j'ai été assez éprouvée en ce monde, j'ai assez souffert sans avoir commis de crime. Eh bien! je ne me suis jamais plainte, même à vous; je n'ai jamais douté de vous. Si, aujourd'hui que je vous prie; si, aujourd'hui que je conjure; si, aujourd'hui que je demande, que je veux la vie d'un jeune homme… si aujourd'hui vous me refusiez, ô mon Dieu! je dirais que vous avez abusé contre moi de toutes vos forces, et que vous êtes un dieu de sombres colères, de vengeances inconnues; je dirais… Oh! je blasphème, pardon! je blasphème!.. et vous ne me frappez pas! Pardon, pardon! vous êtes bien le Dieu de la clémence et de la miséricorde.

Andrée sentit sa vue s'éteindre, ses muscles plier; elle se renversa inanimée, les cheveux épars, et resta comme un cadavre sur le parquet.

Lorsqu'elle se réveilla de ce froid sommeil, et que tout lui vint à l'esprit, fantômes et douleurs:

– Mon Dieu! murmura-t-elle avec un accent sinistre, vous avez été immiséricordieux; vous m'avez punie, je l'aime!.. Oh! oui, je l'aime, c'est assez, n'est-ce pas? Maintenant, me le tuerez-vous?

Chapitre LIII
Délire

Dieu avait sans doute entendu la prière d'Andrée. Monsieur de Charny ne succomba pas à son accès de fièvre.

Le lendemain, tandis qu'elle absorbait avec avidité toutes les nouvelles qui lui arrivaient du blessé, celui-ci, grâce aux soins du bon docteur Louis, passait de la mort à la vie. L'inflammation avait cédé à l'énergie et au remède. La guérison commençait.

Charny une fois sauvé, le docteur Louis s'en occupa moitié moins; le sujet cessait d'être intéressant. Pour le médecin le vivant est bien peu de chose, surtout lorsqu'il est convalescent ou qu'il se porte bien.

Seulement, au bout de huit jours, pendant lesquels Andrée se rassura tout à fait, Louis, qui avait sur le cœur toutes les manifestations de son malade pendant la crise, jugea bon de faire transporter Charny dans un endroit éloigné. Il voulait dépayser le délire.

Mais Charny, aux premières tentatives qui furent faites, se révolta. Il leva sur le docteur des yeux étincelants de colère, lui dit qu'il était chez le roi, et que nul n'avait le droit de chasser un homme à qui Sa Majesté donnait un asile.

Le docteur, qui n'était pas patient envers les convalescences revêches, fit entrer purement et simplement quatre valets en leur ordonnant d'enlever le blessé.

Mais Charny se cramponna au bois de son lit, et frappa rudement un des hommes en menaçant les autres comme Charles XII à Bender.

Le docteur Louis essaya du raisonnement. Charny fut d'abord assez logique, mais comme les valets insistaient, il fit un tel effort que la plaie se rouvrit, et avec son sang sa raison se mit à s'enfuir. Il était rentré dans un accès de délire plus violent que le premier.

Alors il commença de crier qu'on voulait l'éloigner pour le priver des visions qu'il avait eues dans son sommeil, mais que c'était en vain, que les visions lui souriraient toujours, qu'on l'aimait et qu'on viendrait le voir malgré le docteur: celle qui l'aimait étant d'un rang à ne craindre les refus de personne.

À ces mots, le docteur tremblant se hâta de congédier les valets, reprit la blessure en sous-œuvre, et décidé à soigner la raison après le corps, il remit la matière en un état satisfaisant, mais il n'arrêta point le délire, ce qui commença à l'effrayer, attendu que de l'égarement ce malade pouvait passer à la folie.

Tout empira en un jour de telle sorte que le docteur Louis songea aux remèdes héroïques. Le malade, non seulement se perdait, mais il perdait la reine; à force de parler il criait, à force de se souvenir il inventait; le pis était que dans ses moments lucides, et il en avait beaucoup, Charny était plus fou que dans sa folie.

Embarrassé au suprême degré, Louis, ne pouvant s'étayer de l'autorité du roi, car le malade s'en étayait aussi, résolut d'aller tout dire à la reine, et il profita pour faire cette démarche d'un moment où Charny dormait, fatigué d'avoir conté ses rêves et d'avoir appelé sa vision.

Il trouva Marie-Antoinette toute pensive et toute radieuse à la fois, car elle supposait que le docteur allait lui rendre bon compte de son malade.

Mais elle fut bien surprise; dès sa première question, Louis répondit vertement que le malade était très malade.

– Comment! s'écria la reine, hier il allait fort bien.

– Non, madame, il allait fort mal.

– Cependant j'ai envoyé Misery, et vous avez répondu par un bon bulletin.

– Je me leurrais et voulais vous leurrer.

– Qu'est-ce à dire, répliqua la reine fort pâle, s'il est mal, pourquoi me le cacher? Qu'ai-je à craindre, docteur, sinon un malheur, trop commun, hélas!

– Madame…

– Et s'il va bien, pourquoi me donner une inquiétude toute naturelle quand il s'agit d'un bon serviteur du roi?.. Ainsi donc, répondez franchement par oui ou par non. Quoi sur la maladie? Quoi sur le malade? Y a-t-il danger?

– Pour lui, moins encore que pour d'autres, madame.

– Voilà où commencent les énigmes, docteur, fit la reine impatientée. Expliquez-vous.

– C'est malaisé, madame, répondit le docteur. Qu'il vous suffise de savoir que le mal du comte de Charny est tout moral. La blessure n'est qu'un accessoire dans les souffrances, un prétexte pour le délire.

– Un mal moral! monsieur de Charny!

– Oui, madame; et j'appelle moral tout ce qui ne s'analyse point avec le scalpel. Épargnez-moi d'en dire plus long à Votre Majesté.

– Vous voulez dire que le comte… insista la reine.

– Vous le voulez? fit le docteur.

– Mais sans doute, je le veux.

– Eh bien! je veux dire que le comte est amoureux, voilà ce que je veux dire. Votre Majesté demande une explication, je m'explique.

La reine fit un mouvement d'épaules qui signifiait: la belle affaire!

– Et vous croyez qu'on guérit comme cela d'une blessure, madame? reprit le docteur; non, le mal empire, et du délire passager, monsieur de Charny tombera dans une monomanie mortelle. Alors…

– Alors, docteur?

– Vous aurez perdu ce jeune homme, madame.

– En vérité, docteur, vous êtes surprenant avec vos façons. J'aurai perdu ce jeune homme! Est-ce que je suis cause, moi, s'il est fou?

– Sans doute.

– Mais vous me révoltez, docteur.

– Si vous n'en êtes pas cause en ce moment, poursuivit l'inflexible docteur en haussant les épaules, vous le serez plus tard.

– Donnez des conseils alors, puisque c'est votre état, dit la reine un peu radoucie.

– C'est-à-dire que je fasse une ordonnance?

– Si vous voulez.

– La voici. Que le jeune homme soit guéri par le baume ou par le fer; que la femme dont il invoque le nom à chaque instant le tue ou le guérisse.

– Voilà bien de vos extrêmes, interrompit la reine reprenant son impatience. Tuer… guérir… grands mots! Est-ce qu'on tue un homme avec une dureté? Est-ce qu'on guérit un pauvre fou avec un sourire?

– Ah! si vous êtes incrédule, vous aussi, dit le docteur, je n'ai plus rien à faire qu'à présenter mes très humbles respects à Votre Majesté.

– Mais, voyons, s'agit-il de moi, d'abord?

– Je n'en sais rien, et n'en veux rien savoir; je vous répète seulement que monsieur de Charny est un fou raisonnable, que la raison peut à la fois rendre insensé et tuer, que la folie peut rendre raisonnable et guérir. Ainsi quand vous voudrez débarrasser ce palais de cris, de rêves et de scandale, vous prendrez un parti.

– Lequel?

– Ah! voilà, lequel? Moi, je ne fais que des ordonnances et je ne conseille pas. Suis-je bien sûr d'avoir entendu ce que j'ai entendu, d'avoir vu ce que mes yeux ont vu?

– Allons, supposez que je vous comprenne, qu'en résultera-t-il?

– Deux bonheurs: l'un, le meilleur pour vous comme pour nous tous, c'est que le malade, frappé au cœur par ce stylet infaillible qu'on nomme la raison, voie finir son agonie qui commence; l'autre… eh bien! l'autre… Ah! madame, excusez-moi, j'ai eu le tort de voir deux issues au labyrinthe. Il n'y en a qu'une pour Marie-Antoinette, pour la reine de France.

– Je vous comprends; vous avez parlé avec franchise, docteur. Il faut que la femme pour laquelle monsieur de Charny a perdu la raison lui rende cette raison de gré ou de force.

 

– Très bien! C'est cela.

– Il faut qu'elle ait le courage d'aller lui arracher ses rêves, c'est-à-dire le serpent rongeur qui vit replié au plus profond de son âme.

– Oui, Votre Majesté.

– Faites prévenir quelqu'un; mademoiselle de Taverney, par exemple.

– Mademoiselle de Taverney? dit le docteur.

– Oui, vous disposerez toutes choses pour que le blessé nous reçoive convenablement.

– C'est fait, madame.

– Sans ménagement aucun.

– Il le faut bien.

– Mais, murmura la reine, il est plus triste que vous ne croyez d'aller ainsi chercher la vie ou la mort d'un homme.

– C'est ce que je fais tous les jours quand j'aborde une maladie inconnue. L'attaquerai-je par le remède qui tue le mal ou par le remède qui tue le malade?

– Vous, vous êtes bien sûr de tuer le malade, n'est-ce pas? fit la reine en frissonnant.

– Eh! dit le docteur d'un air sombre, quand bien même il mourrait un homme pour l'honneur d'une reine, combien n'en meurt-il pas tous les jours pour le caprice d'un roi? Allons, madame, allons!

La reine soupira et suivit le vieux docteur, sans avoir pu trouver Andrée.

Il était onze heures du matin; Charny, tout habillé, dormait sur un fauteuil après l'agitation d'une nuit terrible. Les volets de la chambre, fermés avec soin, ne laissaient passer qu'un reflet affaibli du jour. Tout ménageait pour le malade cette sensibilité nerveuse cause première de sa souffrance.

Pas de bruit, pas de contact, pas de vue. Le docteur Louis s'attaquait habilement à tous les prétextes d'une recrudescence, et cependant, décidé à frapper un grand coup, il ne reculait pas devant une crise qui pouvait tuer son malade. Il est vrai qu'elle pouvait aussi le sauver.

La reine vêtue d'un habit du matin, coiffée avec une élégance tout abandonnée, entra brusquement dans le corridor qui menait à la chambre de Charny. Le docteur lui avait recommandé de ne pas hésiter, de ne pas essayer, mais de se présenter sur-le-champ, avec résolution, pour produire un violent effet.

Elle tourna donc si vivement le bouton ciselé de la première porte de l'antichambre, qu'une personne penchée sur la porte de la chambre de Charny, une femme enveloppée de sa mante, n'eut que le temps de se redresser et de prendre une contenance, dont sa physionomie bouleversée, ses mains tremblantes, démentaient la tranquillité.

– Andrée! s'écria la reine surprise… Vous, ici?

– Moi! répliqua Andrée pâle et troublée, moi! oui, Votre Majesté. Moi! mais Votre Majesté n'y est-elle pas elle-même?

«Oh! oh! complication», murmura le docteur.

– Je vous cherchais partout, dit la reine; où étiez-vous donc?

Il y avait dans ces paroles de la reine un accent qui n'était pas celui de sa bonté ordinaire. C'était comme le prélude d'un interrogatoire, c'était comme le symptôme d'un soupçon.

Andrée eut peur, elle craignait surtout que sa démarche inconsidérée ne donnât la clef de ses sentiments si effrayants pour elle-même. Aussi, toute fière qu'elle fût, se décida-t-elle à mentir pour la seconde fois.

– Ici, vous le voyez.

– Sans doute; mais comment ici?

– Madame, répliqua-t-elle, on m'a dit que Votre Majesté me faisait chercher; je suis venue.

La reine n'était pas au bout de sa défiance, elle insista.

– Comment avez-vous fait, dit-elle, pour deviner où j'allais?

– C'était facile, madame; vous étiez avec monsieur le docteur Louis, et l'on vous avait vue traverser les petits appartements; vous n'aviez, dès lors, d'autre but que ce pavillon.

– Bien deviné, reprit la reine encore indécise mais sans dureté, bien deviné.

Andrée fit un dernier effort.

– Madame, dit-elle en souriant, si Votre Majesté avait l'intention de se cacher, il n'eût pas fallu se montrer sur les galeries découvertes, comme elle l'a fait tout à l'heure pour venir ici. Quand la reine traverse la terrasse, mademoiselle de Taverney la voit de son appartement, et ce n'est pas difficile de suivre ou de précéder quelqu'un qu'on a vu de loin.

– Elle a raison, dit la reine, et cent fois raison. J'ai une malheureuse habitude, qui est de ne deviner jamais; moi, réfléchissant peu, je ne crois pas aux réflexions des autres.

La reine sentait qu'elle allait avoir besoin d'indulgence, peut-être, puisqu'elle avait besoin de confidente.

Son âme, d'ailleurs, n'étant pas un composé de coquetterie et de défiance, comme l'âme des femmes vulgaires, elle avait foi dans ses amitiés, sachant qu'elle pouvait aimer. Les femmes qui se défient d'elles se défient encore bien plus des autres. Un grand malheur qui punit les coquettes, c'est qu'elles ne se croient jamais aimées de leurs amants.

Marie-Antoinette oublia donc bien vite l'impression que lui avait faite mademoiselle de Taverney devant la porte de Charny. Elle prit la main d'Andrée, lui fit tourner la clef de cette porte, et passant la première avec une rapidité extrême, elle pénétra dans la chambre du malade pendant que le docteur restait dehors avec Andrée.

À peine celle-ci eut-elle vu disparaître la reine qu'elle leva vers le ciel un regard plein de colère et de douleur, dont l'expression ressemblait à une imprécation furieuse.

Le bon docteur lui prit le bras et arpenta avec elle le corridor en lui disant:

– Croyez-vous qu'elle réussira?

– Réussir, et à quoi? mon Dieu! dit Andrée.

– À faire transporter ailleurs ce pauvre fou, qui mourrait ici pour peu que sa fièvre dure.

– Il guérirait donc ailleurs? s'écria Andrée.

Le docteur la regarda, surpris, inquiet.

– Je crois que oui, dit-il.

– Oh! qu'elle réussisse alors! fit la pauvre fille.

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