Бесплатно

La San-Felice, Tome 09

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

XCIII
EN CHAPELLE

Selon l'ordre donné par Speciale, les condamnés furent conduits à la Vicaria, et Luisa ramenée au Château-Neuf.

Toutefois, les deux amants, trouvant dans les soldats plus de pitié que dans les juges, eurent le loisir de se faire leurs adieux et d'échanger un dernier baiser.

Plein de confiance dans son père, Salvato affirma, à son amie qu'il avait bonne espérance, et que, cette espérance, il ne la perdrait même pas au pied de l'échafaud.

Luisa ne répondait que par ses larmes.

Enfin, à la porte, il fallut se séparer.

Les condamnés prirent par la calata Trinita-Maggiore, par la strada Trinita et par le vico Stoto; après quoi, la rue des Tribunaux les conduisit tout droit à la Vicaria.

Luisa, au contraire, redescendit la strada Monte-Oliveto, la strada Medina et rentra au Château-Neuf, où, en vertu d'une recommandation du prince François, apportée par un homme inconnu, elle fut enfermée dans une chambre particulière.

Nous n'essayerons pas de peindre la situation dans laquelle on la laissa: c'est à nos lecteurs de s'en faire une idée.

Quant aux condamnés, ils s'acheminaient, comme nous l'avons dit, vers la Vicaria, jusqu'à la porte de laquelle leur firent cortége ceux qui avaient assisté à la séance du jugement.

Il faut en excepter, cependant le chevalier San-Felice et le moine, qui s'étaient rapprochés l'un de l'autre, courant ensemble, au premier angle de la strada della Guercia, c'est-à-dire à l'angle du vico du même nom.

La porte de la Vicaria était constamment ouverte; elle recevait du tribunal les condamnés, les gardait douze, quatorze, quinze heures, puis les rejetait à l'échafaud.

La cour était pleine de soldats. Le soir, on étendait pour eux des matelas sous les arcades, et ils y couchaient, enveloppés dans leur capote ou dans leur manteau. D'ailleurs, on était aux jours les plus chauds de l'année.

Les condamnés rentrèrent vers deux heures du matin, et furent conduits directement en chapelle.

Ils étaient évidemment attendus: la chambre où se trouvait l'autel était éclairée avec des cierges; l'autre, avec une lampe suspendue au plafond.

A terre étaient six matelas.

Une escouade de geôliers attendaient dans cette chambre.

Les soldats s'arrêtèrent sur la porte, prêts à faire feu si, au moment où l'on ôterait les chaînes aux condamnés, quelque rébellion se manifestait parmi eux.

Ce n'était point à craindre. Arrivé à ce point, chacun d'eux se sentait non-seulement sous le regard curieux des contemporains, mais encore sous le regard impartial de la postérité, et nul n'était assez ennemi de sa renommée pour obscurcir, par quelque imprudente colère, la sérénité de sa mort.

Ils se laissèrent donc, avec la même tranquillité que s'il s'agissait d'autres qu'eux, détacher les chaînes qui leur liaient les mains et mettre aux pieds celles qui les scellaient au parquet.

L'anneau était assez près du lit et la chaîne assez longue pour que le condamné pût se coucher.

Levé, il ne pouvait pas s'écarter du lit de plus d'un pas.

En dix minutes, la double opération fut faite: les geôliers se retirèrent les premiers, les soldats ensuite.

Puis la porte, avec ses triples verrous et ses doubles barres, se referma sur eux.

–Mes amis, dit Cirillo, dès que le dernier grincement des portes fut éteint, laissez-moi, comme médecin, vous donner un conseil.

–Ah! pardieu! dit en riant le comte de Ruvo, il sera le bienvenu, attendu que je me sens bien malade; si malade, que je ne passerai pas trois heures de l'après-midi.

–Aussi, mon cher comte, répliqua Cirillo, ai-je dit un conseil et non pas une ordonnance.

–Oh! alors, je retire mon observation: prenons que je n'ai rien dit.

–Je parie, fit à son tour Salvato, que je devine le conseil que vous alliez nous donner, mon cher Hippocrate: vous alliez nous conseiller de dormir, n'est-ce pas?

–Justement: le sommeil, c'est la force, et, quoique nous soyons hommes, l'heure venue, nous aurons besoin de notre force, et de toute notre force.

–Comment, mon cher Cirillo, dit Manthonnet, vous qui êtes un homme de précaution, comment ne vous êtes-vous pas, dans la prévision de cette heure, prémuni d'une certaine poudre ou d'une liqueur quelconque qui nous dispense de danser au bout d'une corde, en face de ces imbéciles de lazzaroni, la gigue ridicule dont nous sommes menacés!

–J'y ai pensé; mais, égoïste que je suis, ne me doutant pas que nous dussions mourir de compagnie, je n'y ai pensé que pour moi seul. Cette bague, comme celle d'Annibal, renferme la mort de celui qui la porte.

–Ah! dit Caraffa, je comprends maintenant pourquoi vous nous conseillez de dormir: vous vous seriez endormi avec nous, mais vous ne vous seriez pas réveillé.

–Tu te trompes, Hector. Je suis parfaitement décidé à mourir comme vous et avec vous, et, s'il y a quelqu'un qui ait mal dormi et qui, au moment de faire le grand voyage, se sente quelque faiblesse, cette bague est à lui.

–Diable! fit Michele, c'est tentant.

–La veux-tu, pauvre enfant du peuple, qui n'as pas comme nous, pour t'aider à mourir, la ressource de la science et de la philosophie? demanda Cirillo.

–Merci, merci, docteur! dit Michele; ce serait du poison perdu.

–Pourquoi cela?

–Mais parce que la vieille Nanno m'a prédit que je serais pendu, et que rien ne peut m'empêcher d'être pendu. Faites donc votre cadeau à quelqu'un qui soit libre de mourir à sa façon – J'accepte, docteur, dit la Pimentel; j'espère ne pas m'en servir; mais je suis femme, et, au moment suprême, je puis avoir un moment de faiblesse. Si ce malheur m'arrive, vous me pardonnerez, n'est-ce pas?

–La voici; mais vous avez tort de douter de vous-même, dit Cirillo: je réponds de vous.

–N'importe! fit Éléonor en tendant la main, donnez toujours.

Le matelas du docteur était trop éloigné de celui d'Éléonor Pimentel pour que Cirillo passât l'anneau de la main à la main; mais il le donna au prisonnier le plus proche de lui, qui le fit passer à son voisin, lequel le remit à Éléonor.

–On dit, fit celle-ci, que, lorsqu'on apporta à Cléopâtre l'aspic couché dans un panier de figues, elle commença par caresser le reptile en disant: «Sois la bienvenue, hideuse petite bête! tu me sembles belle, à moi, car tu es la liberté.» Toi aussi, tu es la liberté, ô bague précieuse, et je te baise comme une soeur.

Salvato, ainsi qu'on l'a vu, n'avait point pris part à la conversation. Il se tenait assis sur son lit, les coudes posés sur ses genoux, sa tête dans ses mains.

Hector Caraffa le regardait avec inquiétude. De son matelas, il pouvait atteindre jusqu'à lui.

–Dors-tu ou rêves-tu? demanda-t-il.

Salvato tira de ses mains sa tête parfaitement calme, et qui n'était triste que parce que la tristesse était le caractère de cette physionomie.

–Non, dit-il, je réfléchis.

–A quoi?

–A un cas de conscience.

–Ah! dit en riant Manthonnet, quel malheur que le cardinal Ruffo ne soit pas là!

–Ce n'est pas à lui que je m'adresserais; car, ce cas de conscience, vous seul pouvez le résoudre.

–Ah! pardieu! s'écria Hector Caraffa, je ne me doutais point que l'on m'enfermât ici pour faire partie d'un concile.

–Cirillo, notre maître en philosophie, en science, en honneur surtout, a dit tout à l'heure: «J'ai du poison, mais je n'en ai que pour moi seul; donc, je ne m'en servirai pas.»

–Le voulez-vous? dit vivement Éléonor. Je ne serais pas fâchée de vous le rendre, il me brûle les mains.

–Non, merci; c'est une simple question qu'il me reste à vous poser. Vous ne voulez pas mourir seul, mon cher Cirillo, d'une mort douce et tranquille, tandis que vos compagnons mourraient d'une mort cruelle et infamante?

–C'est vrai. Condamné en même temps qu'eux, il m'a semblé que je devais mourir avec eux et comme eux.

–Maintenant, si, au lieu de la possibilité de mourir, vous aviez la certitude de vivre?

–J'eusse refusé la vie par les mêmes raisons qui m'ont fait repousser la mort.

–Vous pensez tous comme Cirillo?

–Tous, répondirent d'une seule voix les quatre hommes.

Éléonor Pimentel écoutait avec une avidité croissante.

–Mais, continua Salvato, si votre salut pouvait amener le salut d'un autre, d'un être faible et innocent, qui, pour se soustraire à la mort, ne compte que sur vous, n'espère qu'en vous, et qui mourrait sans vous?

–Oh! alors, s'écria vivement Éléonor Pimentel, ce serait notre devoir d'accepter.

–Vous parlez en femme, Éléonor.

–Et nous parlons en hommes, nous, reprit Cirillo, et, comme elle, nous vous disons: «Salvato, ce serait notre devoir d'accepter.»

–C'est votre avis, Ruvo? demanda le jeune homme.

–Oui.

–C'est votre avis, Manthonnet?

–Oui.

–C'est votre avis, Michele?

–Oh! oui, cent fois oui!

Et, se penchant du côté de Salvato:

–Au nom de la Madone, monsieur Salvato, sauvez-vous et sauvez-la! Ah! si je pouvais être sûr qu'elle ne mourra point, j'irais à la potence en dansant, et je crierais: «Vive la Madone!» la corde au cou.

–C'est bien, dit Salvato, je sais ce que je voulais savoir; merci.

Et tout rentra dans le silence.

La lampe seule, qui avait épuisé son huile, pétilla un instant, jeta de petits éclairs, et lentement s'éteignit.

Bientôt une lueur grisâtre, annonçant le jour qui devait être le dernier jour des condamnés, transparut tristement à travers les barreaux.

–Voilà l'emblème de la mort: la lampe s'éteint, la nuit se fait, puis vient le crépuscule.

–Êtes-vous bien sûr du crépuscule? demanda Cirillo.

A huit heures du matin, ceux des condamnés qui dormaient furent éveillés par le bruit que fit, en s'ouvrant, la porte de la première chambre, c'est-à-dire celle où était l'autel.

 

Les geôliers entrèrent dans la chambre des condamnés, et leur chef dit à haute voix:

–La messe des morts!

–A quoi bon la messe? dit Manthonnet. Croit-on que nous ne sachions pas bien mourir sans cela?

–Nos bourreaux veulent mettre le bon Dieu de leur côté, répondit Ettore Caraffa.

–Je ne vois nulle part que la messe soit instituée par l'Évangile, fit, à son tour, Cirillo, et l'Évangile est ma seule foi.

–C'est bien, dit la même voix impérative: ne détachez que ceux qui voudront assister à l'office divin.

–Détachez-moi, dit Salvato.

Éléonor Pimentel et Michele firent la même demande.

On les détacha tous trois.

Ils passèrent dans la chambre à côté. Le prêtre était à l'autel: des soldats gardaient la porte, et l'on voyait briller dans le corridor les baïonnettes indiquant que le détachement était nombreux et que, par conséquent, les précautions étaient prises.

Salvato ne s'était fait détacher que pour ne pas laisser échapper une occasion de se mettre en communication avec son père ou les agents de son père qui auraient entrepris de le sauver.

Éléonor avait demandé à entendre la messe parce que, femme et poëte, son esprit la portait à participer au mystère divin.

Michele, parce que, Napolitain et Lazzarone, il était convaincu que, sans messe, il n'y avait pas de bonne mort.

Salvato se tint debout, près de la porte de communication des deux chambres; mais il eut beau interroger des yeux les assistants et plonger son regard dans le corridor, il ne vit rien qui pût lui faire soupçonner que l'on s'occupât de son salut.

Éléonor prit une chaise et s'inclina, appuyée sur le dossier.

Michele s'agenouilla sur les marches mêmes de l'autel.

Michele représentait la foi absolue; Éléonor, l'espérance; Salvato, le doute.

Salvato écouta la messe avec distraction; Éléonor avec recueillement; Michele avec extase.

Il n'avait été que quatre mois patriote et colonel, il avait été toute sa vie lazzarone.

La messe finie, le prêtre demanda:

–Qui veut communier?

–Moi! s'écria Michele.

Éléonor s'inclina sans répondre; Salvato secoua la tête en signe de dénégation.

Michele s'approcha du prêtre, se confessa à voix basse et communia.

Puis tous trois furent réintégrés dans la seconde chambre, où on leur apporta à déjeuner, ainsi qu'à leurs compagnons.

–Pour quelle heure? demanda, Cirillo aux geôliers qui apportaient le repas.

L'un d'eux s'approcha de lui.

–Je crois que c'est pour quatre heures, monsieur Cirillo, lui dit-il.

–Ah! lui dit le docteur, tu me reconnais?

–Vous avez, l'année dernière, guéri ma femme d'une fluxion de poitrine!

–Et elle va bien depuis ce temps?

–Oui, Excellence.

Puis, à voix basse:

–Je vous souhaiterais, ajouta-t-il en poussant un soupir, d'aussi longs jours que ceux qu'elle a probablement à vivre.

–Mon ami, lui répondit Cirillo, les jours de l'homme sont comptés; seulement, Dieu est moins sévère que Sa Majesté le roi Ferdinand: Dieu, parfois, fait grâce; le roi Ferdinand, jamais! Tu dis que c'est pour quatre heures?

–Je le crois, répondit le geôlier; mais, comme vous êtes beaucoup, ça avancera, peut-être d'une heure, afin qu'on ait le temps.

Cirillo tira sa montre.

–Dix heures et demie, dit-il.

Puis, comme il allait la remettre à son gousset:

–Bon! dit-il, j'allais oublier de la remonter. Ce n'est point une raison qu'elle s'arrête parce que je m'arrêterai.

Et il remonta tranquillement sa montre.

–Y a-t-il quelques-uns des condamnés qui désirent recevoir les secours de la religion? demanda le prêtre en apparaissant sur le seuil de la porte.

–Non, répondirent d'une seule voix Cirillo, Ettore Caraffa et Manthonnet.

–Comme vous voudrez, répondit le prêtre; c'est une affaire entre Dieu et vous.

–Je crois, mon père, répondit Cirillo qu'il serait plus juste de dire entre Dieu et le roi Ferdinand.

XCIV
LA PORTE SANT'AGOSTINO-ALLA-ZECCA

Vers trois heures et demie, les condamnés entendirent s'ouvrir la porte extérieure du cabinet des bianchi, dont ils étaient séparés par une forte cloison et par une porte garnie de bandes de fer, de cadenas et de verrous; puis, un bruit de pas et le chuchotement de plusieurs voix.

Cirillo tira sa montre.

–Trois heures et demie, dit-il: mon brave homme de geôlier ne s'est pas trompé.

–Michele! dit Salvato au lazzarone, qui, depuis qu'il avait communié, se tenait absorbé dans sa prière.

Michele tressaillit, et, sur un signe de Salvato, s'approcha de lui autant que le permettait la longueur de sa chaîne.

–Excellence? demanda-t-il.

–Tâche de ne pas t'éloigner de moi, et, s'il arrive quelque événement inattendu, profites-en.

Michele secoua la tête.

–Oh! Excellence, murmura-t-il, Nanno a dit que je serais pendu, je dois être pendu; cela ne peut se passer autrement.

–Bah! qui sait? dit Salvato.

On entendit s'ouvrir la porte opposée à celle qui donnait dans le cabinet des bianchi, c'est-à-dire celle de la chapelle, et un homme parut sur le seuil de la chambre des condamnés, tandis que le bruit des crosses de fusil que les soldats posaient à terre arrivait jusqu'à eux.

Il n'y avait point à se tromper à l'aspect de cet homme: c'était le bourreau.

Il compta les patients.

–Six ducats de prime seulement! murmura-t-il avec un soupir. Et quand je songe que, de ce seul coup, soixante ducats me devaient revenir… Enfin, n'y pensons plus!

Le procureur fiscal Guidobaldi entra, précédé d'un huissier tenant l'arrêt de la junte.

–Détachez les condamnés, dit le procureur fiscal.

Les geôliers obéirent.

–A genoux pour entendre votre arrêt! dit Guidobaldi.

–Avec votre permission, monsieur le procureur fiscal, dit Hector Caraffa, nous aimerions mieux l'entendre debout.

Le ton de raillerie avec lequel étaient prononcées ces paroles fit grincer les dents du juge.

–A genoux, debout, assis, peu importe de quelle façon vous l'entendrez, pourvu que vous l'entendiez et que l'arrêt s'exécute! Greffier, lisez l'arrêt.

L'arrêt condamnait Dominique Cirillo, Gabriel Manthonnet, Salvato Palmieri, Michele il Pazzo et Leonora Pimentel à être pendus, et Hector Caraffa à avoir la tête tranchée.

–C'est bien cela, dit Hector, et il n'y a rien à reprendre au jugement.

–Alors, dit en raillant Guidobaldi, on peut l'exécuter?

–Quand vous voudrez. Je suis prêt pour mon compte, et je présume que mes amis sont prêts comme moi.

–Oui, répondirent les condamnés d'une seule voix.

–Je dois cependant te dire une chose, à toi, Dominique Cirillo, dit Guidobaldi avec un effort qui prouvait ce que cette chose lui coûtait à dire.

–Laquelle? demanda Cirillo.

–Demande ta grâce au roi, et peut-être, comme tu as été son médecin, te l'accordera-t-il. En tout cas, cette demande faite, j'ai ordre d'accorder un sursis.

Tous les regards se fixèrent sur Cirillo.

Mais lui, avec sa voix douce, avec son visage calme, avec ses lèvres souriantes, répondit:

–C'est inutilement qu'on cherche à flétrir ma réputation par une bassesse. Je refuse d'entrer dans cette honteuse voie de salut qui m'est offerte. J'ai été condamné avec des amis qui me sont chers; je veux mourir avec eux. J'attends mon repos de la mort, et je ne ferai rien pour la fuir et pour demeurer une heure de plus dans un monde où règnent l'adultère, le parjure et la perversité.

Léonor saisit la main de Cirillo, et, après l'avoir baisée, brisa sur le plancher le flacon d'opium qu'elle avait reçu de lui.

–Qu'est-ce que cela? demanda Guidobaldi en voyant la liqueur se répandre sur les dalles.

–Un poison qui, en dix minutes, m'eût mise hors de tes atteintes, misérable! répondit-elle.

–Et pourquoi renonces-tu à ce poison?

–Parce que ce serait, il me semble, une lâcheté, du moment que Cirillo ne veut pas nous abandonner, d'abandonner Cirillo.

–Bien, ma fille! s'écria Cirillo. Je ne dirai pas: «Tu es digne de moi!» je dirai: «Tu es digne de toi-même!»

Léonor sourit, et, l'oeil au ciel, la main étendue, le sourire à la bouche:

Forsan hæc olim meminisse juvabit!

dit-elle.

–Voyons, dit Guidobaldi impatienté, est-ce fini, et personne n'a-t-il plus rien à demander?

–Personne n'a rien demandé, d'abord, dit le comte de Ruvo.

–Et personne ne demandera rien, dit Manthonnet, si ce n'est que nous finissions cette comédie de fausse clémence le plus tôt possible.

–Geôlier, ouvrez la porte aux bianchi, dit le procureur fiscal.

La porte du cabinet s'ouvrit, et les bianchi parurent, revêtus de leur longues robes blanches.

Ils étaient douze, deux par chaque condamné.

La porte du cabinet se referma derrière eux.

Un pénitent s'approcha de Salvato, lui prit la main, et fit, en la prenant, le signe maçonnique.

Salvato lui rendit le même signe, sans que son visage trahit la moindre émotion.

–Vous êtes prêt? demanda le pénitent.

–Oui, répondit Salvato.

La réponse ayant un double sens, personne ne la remarqua.

Quant à Salvato, il ne reconnaissait pas la voix; mais le signe maçonnique lui apprenait qu'il avait affaire à un ami.

Il échangea un regard avec Michele.

–Rappelle-toi ce que je t'ai dit, Michele, fit Salvato.

–Oui, Excellence, répondit le lazzarone.

–Lequel de vous s'appelle Michele? demanda un pénitent.

–Moi, dit vivement Michele croyant qu'il allait apprendre quelque bonne nouvelle.

Le pénitent s'approcha de lui.

–Vous avez une mère? lui demanda-t-il.

–Oui, répondit Michele avec un soupir, et c'est le plus fort de ma peine, pauvre femme! Mais comment savez-vous cela?

–Une pauvre vieille m'a arrêté au moment où j'entrais à la Vicaria.

» – Excellence, m'a-t-elle dit, j'ai une prière à vous faire.

» – Laquelle? ai-je demandé.

» – Je voudrais savoir si vous faites partie des pénitents qui conduisent les condamnés à l'échafaud.

» – Oui.

» – Eh bien, l'un d'eux s'appelle Michele Marino; mais il est plus connu sous le nom de Michele il Pazzo.

» – N'est-ce pas, lui ai-je demandé, celui qui a été colonel sous la soi-disant République?

» – Oui, le malheureux enfant, répondit-elle, c'est bien lui!

» – Eh bien, après?

» – Eh bien, comme un brave chrétien que vous êtes, vous l'avertirez de tourner, en sortant de la Vicaria, la tête à gauche; je serai sur la pierre des Banqueroutiers pour le voir une dernière fois et lui donner ma bénédiction.»

–Merci, Excellence, dit Michele. C'est un fait que la pauvre chère femme m'aime de tout son coeur. Je lui ai bien fait de la peine toute ma vie; mais, aujourd'hui, c'est la dernière que je lui ferai!

Puis, en essuyant une larme:

–Voulez-vous me faire l'honneur de m'assister? demanda-t-il au pénitent.

–Volontiers, répondit celui-ci.

–Allons, Michele, dit Salvato, ne nous faisons pas attendre.

–Me voilà, monsieur Salvato, me voilà!

Et Michele se mit à la suite de Salvato.

Les condamnés sortirent de la salle où ils avaient été mis en chapelle, traversèrent la chambre où la messe leur avait été dite, et commencèrent d'entrer dans le corridor, le bourreau en tête.

Ils marchaient dans la disposition qui, sans doute, était celle dans laquelle ils devaient être exécutés:

Cirillo d'abord, puis Manthonnet, puis Michele, puis Éléonor Pimentel, puis Ettore Caraffa.

Chacun des condamnés marchait entre deux bianchi.

A la porte de la prison donnant dans la cour s'étendait une double file de soldats, allant de cette première porte à la seconde, qui débouchait sur la place de la Vicaria.

Cette place était encombrée de peuple.

A l'aspect des condamnés, une formidable rumeur s'éleva de la foule:

–A mort, les jacobins! à mort!

Il était évident que, sans la double file de soldats qui les protégeait, ils n'eussent point fait cinq pas dans la rue sans être mis en pièces.

Des couteaux brillaient dans toutes les mains, des menaces dans tous les yeux.

–Appuyez-vous sur mon épaule, dit à Salvato le pénitent qui marchait à sa droite et qui s'était fait connaître à lui pour maçon.

–Croyez-vous donc que j'aie besoin d'être soutenu? lui demanda en souriant Salvato.

–Non; mais j'ai des instructions à vous donner.

On avait fait une quinzaine de pas hors de la Vicaria, et l'on se trouvait en face de la colonne qui surmonte la pierre dite des Banqueroutiers, parce que c'était en s'asseyant, le derrière nu, sur cette pierre que les banqueroutiers du moyen âge se déclaraient en faillite.

 

–Halte! dit le pénitent qui était à la gauche de Michele.

Dans ces sortes de marches funèbres, les pénitents jouissent d'une autorité que personne ne songe à leur contester.

Maître Donato s'arrêta le premier, et, derrière lui, s'arrêtèrent pénitents, soldats, condamnés.

–Jeune homme, dit à Michele le pénitent qui avait crié: «Halte!» fais tes adieux à ta mère!Femme, ajouta-t-il-en s'adressant à la vieille, donne la dernière bénédiction à ton fils!

La vieille descendit de la pierre sur laquelle elle était montée, et Michele se jeta dans ses bras.

Pendant quelques secondes, ni l'un ni l'autre ne purent parler.

Le pénitent qui était à la droite de Salvato en profita pour lui dire:

–Dans le vico Sant'Agostino-alla-Zecca, au moment où nous arriverons en face de l'église, il y aura un tumulte. Montez sur les marches de l'église et appuyez-vous contre la porte en la frappant du talon.

–Le pénitent qui est à ma gauche est-il des nôtres?

–Non. Faites semblant de vous occuper de Michele.

Salvato se retourna vers le groupe que formaient Michele et sa mère.

Michele venait de relever la tête et regardait autour de lui.

–Et elle, demanda-t-il, elle n'est pas avec vous?

–Qui, elle?

–Assunta.

–Ses frères et son père l'ont enfermée au couvent de l'Annonciata, où elle pleure et se désespère, et ils ont juré que, s'ils pouvaient t'arracher aux mains des soldats, le bourreau n'aurait pas le plaisir de te pendre, attendu qu'ils auraient celui de te mettre en pièces. Giovanni a même ajouté: «Ça me coûtera un ducat, mais n'importe!»

–Ma mère, vous lui direz que je lui en voulais de m'avoir abandonné, mais qu'à cette heure, où je sais qu'il n'y a pas de sa faute, je lui pardonne.

–Allons, dit le pénitent, il faut se quitter.

Michele se mit à genoux devant sa mère, qui lui posa les deux mains sur la tête et le bénit mentalement; car la pauvre femme, étouffée par les sanglots, ne pouvait plus proférer une seule parole.

Le pénitent prit la vieille femme par-dessous les bras et l'assit sur la pierre, où elle resta comme une masse inerte, la tête appuyée sur ses deux genoux.

–Marchons, dit Michele.

Et, de lui-même, il reprit son rang.

Le pauvre garçon n'était ni un esprit fort comme Ruvo, ni un philosophe comme Cirillo, ni un coeur de bronze comme Manthonnet, ni un poëte comme Pimentel: c'était un enfant du peuple, accessible à tous les sentiments et ne sachant ni les réprimer ni les cacher.

Il marchait la jambe ferme, la tête droite, mais les joues humides de larmes.

On suivit un instant la strada dei Tribunali; puis on prit à gauche le vico delle Lite; on traversa la rue Forcella, et l'on entra dans le vico Sant'Agostino-alla-Zecca.

Un homme se tenait à l'entrée de cette rue avec une charrette attelée de deux buffles.

Il sembla à Salvato que le pénitent qui était à sa droite avait échangé un signe avec le charretier.

–Tenez-vous prêt.

–A quoi?

–A ce que je vous ai dit.

Salvato se retourna et vit que l'homme aux buffles suivait le cortège avec sa charrette.

Un peu en avant de l'estrade del Pendino, la rue était barrée par une voiture de bois dont l'essieu était cassé.

L'homme dételait ses chevaux, afin de décharger la voiture.

Cinq ou six soldats se portèrent en avant en criant: «Place! place!» et en essayant, en effet, de débarrasser la rue.

On était en face de l'église de Sant'Agostino-alla-Zecca.

Tout à coup, des mugissements horribles se firent entendre, et, comme s'ils étaient atteints de folie, les buffles, les yeux sanglants, la langue pendante, soufflant le feu par les naseaux, traînant après eux la charrette avec un bruit pareil à celui du tonnerre, se ruèrent sur le cortège, foulant aux pieds, écrasant contre les maisons le peuple dont la rue était encombrée et l'arrière-garde des soldats, qui voulaient vainement les arrêter de leurs baïonnettes.

Salvato comprit que c'était le moment. Il écarta du coude le second pénitent qui était à sa gauche, renversa le soldat qui faisait la file à sa hauteur, et en criant: «Gare les buffles!» et, comme s'il cherchait seulement à fuir le danger, il bondit sur les marches de l'église, et s'appuya à la porte, qu'il frappa du talon.

La porte s'ouvrit, comme, dans une féerie bien machinée, s'ouvre une trappe anglaise, et, avant que l'on eût eu le temps de voir par où il avait disparu, elle se referma sur lui.

Michele avait voulu suivre Salvato; mais un bras de fer l'avait arrêté. C'était celui du vieux pêcheur Basso Tomeo, le père d'Assunta.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»