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La reine Margot

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– La Mole! …

– Ne m’interrompez pas, ô ma Margarita chérie, car on ajoute aussi que vous conservez dans des boîtes d’or les cœurs de ces fidèles amis, et que parfois vous donnez à ces tristes restes un souvenir mélancolique, un regard pieux. Vous soupirez, ma reine, vos yeux se voilent; c’est vrai. Eh bien, faites de moi le plus aimé et le plus heureux de vos favoris. Des autres vous avez percé le cœur, et vous gardez ce cœur; de moi, vous faites plus, vous exposez ma tête… Eh bien, Marguerite, jurez-moi devant l’image de ce Dieu qui m’a sauvé la vie ici même, jurez-moi que si je meurs pour vous, comme un sombre pressentiment me l’annonce, jurez-moi que vous garderez, pour y appuyer quelquefois vos lèvres, cette tête que le bourreau aura séparée de mon corps; jurez, Marguerite, et la promesse d’une telle récompense, faite par ma reine, me rendra muet, traître et lâche au besoin, c’est-à-dire tout dévoué, comme doit l’être votre amant et votre complice.

– Ô lugubre folie, ma chère âme! dit Marguerite; ô fatale pensée, mon doux amour!

– Jurez…

– Que je jure?

– Oui, sur ce coffret d’argent que surmonte une croix. Jurez.

– Eh bien, dit Marguerite, si, ce qu’à Dieu ne plaise! tes sombres pressentiments se réalisaient, mon beau gentilhomme, sur cette croix, je te le jure, tu seras près de moi, vivant ou mort, tant que je vivrai moi-même; et si je ne puis te sauver dans le péril où tu te jettes pour moi, pour moi seule, je le sais, je donnerai du moins à ta pauvre âme la consolation que tu demandes et que tu auras si bien méritée.

– Un mot encore, Marguerite. Je puis mourir maintenant, me voilà rassuré sur ma mort; mais aussi je puis vivre, nous pouvons réussir: le roi de Navarre peut être roi, vous pouvez être reine, alors le roi vous emmènera; ce vœu de séparation fait entre vous se rompra un jour et amènera la nôtre. Allons, Marguerite, chère Marguerite bien-aimée, d’un mot vous m’avez rassuré sur ma mort, d’un mot maintenant rassurez-moi sur ma vie.

– Oh! ne crains rien, je suis à toi corps et âme, s’écria Marguerite en étendant de nouveau la main sur la croix du petit coffre: si je pars, tu me suivras; et si le roi refuse de t’emmener, c’est moi alors qui ne partirai pas.

– Mais vous n’oserez résister!

– Mon Hyacinthe bien-aimé, dit Marguerite, tu ne connais pas Henri; Henri ne songe en ce moment qu’à une chose, c’est à être roi; et à ce désir il sacrifierait en ce moment tout ce qu’il possède, et à plus forte raison ce qu’il ne possède pas. Adieu.

– Madame, dit en souriant La Mole, vous me renvoyez?

– Il est tard, dit Marguerite.

– Sans doute; mais où voulez-vous que j’aille? M. de Mouy est dans ma chambre avec M. le duc d’Alençon.

– Ah! c’est juste, dit Marguerite avec un admirable sourire. D’ailleurs, j’ai encore beaucoup de choses à vous dire à propos de cette conspiration.

À dater de cette nuit, La Mole ne fut plus un favori vulgaire, et il put porter haut la tête à laquelle, vivante ou morte, était réservé un si doux avenir.

Cependant, parfois, son front pesant s’inclinait vers la terre, sa joue pâlissait, et l’austère méditation creusait son sillon entre les sourcils du jeune homme, si gai autrefois, si heureux maintenant!

XXVII . La main de Dieu

Henri avait dit à madame de Sauve en la quittant:

– Mettez-vous au lit, Charlotte. Feignez d’être gravement malade, et sous aucun prétexte demain de toute la journée ne recevez personne.

Charlotte obéit sans se rendre compte du motif qu’avait le roi de lui faire cette recommandation. Mais elle commençait à s’habituer à ses excentricités, comme on dirait de nos jours, et à ses fantaisies, comme on disait alors.

D’ailleurs elle savait que Henri renfermait dans son cœur des secrets qu’il ne disait à personne, dans sa pensée des projets qu’il craignait de révéler même dans ses rêves; de sorte qu’elle se faisait obéissante à toutes ses volontés, certaine que ses idées les plus étranges avaient un but.

Le soir même elle se plaignit donc à Dariole d’une grande lourdeur de tête accompagnée d’éblouissements. C’étaient les symptômes que Henri lui avait recommandé d’accuser.

Le lendemain elle feignit de se vouloir lever, mais à peine eut-elle posé un pied sur le parquet qu’elle se plaignit d’une faiblesse générale et qu’elle se recoucha.

Cette indisposition, que Henri avait déjà annoncée au duc d’Alençon, fut la première nouvelle que l’on apprit à Catherine lorsqu’elle demanda d’un air tranquille pourquoi la Sauve ne paraissait pas comme d’habitude à son lever.

– Malade! répondit madame de Lorraine qui se trouvait là.

– Malade! répéta Catherine sans qu’un muscle de son visage dénonçât l’intérêt qu’elle prenait à sa réponse. Quelque fatigue de paresseuse.

– Non pas, madame, reprit la princesse. Elle se plaint d’un violent mal de tête et d’une faiblesse qui l’empêche de marcher.

Catherine ne répondit rien; mais pour cacher sa joie, sans doute, elle se retourna vers la fenêtre, et voyant Henri qui traversait la cour à la suite de son entretien avec de Mouy, elle se leva pour mieux le regarder, et, poussée par cette conscience qui bouillonne toujours, quoique invisiblement, au fond des cœurs les plus endurcis au crime:

– Ne semblerait-il pas, demanda-t-elle à son capitaine des gardes, que mon fils Henri est plus pâle ce matin que d’habitude?

Il n’en était rien; Henri était fort inquiet d’esprit, mais fort sain de corps.

Peu à peu les personnes qui assistaient d’habitude au lever de la reine se retirèrent; trois ou quatre restaient, plus familières que les autres; Catherine impatiente les congédia en disant qu’elle voulait rester seule.

Lorsque le dernier courtisan fut sorti, Catherine ferma la porte derrière lui, et allant à une armoire secrète cachée dans l’un des panneaux de sa chambre, elle en fit glisser la porte dans une rainure de la boiserie et en tira un livre dont les feuillets froissés annonçaient les fréquents services.

Elle posa le livre sur une table, l’ouvrit à l’aide d’un signet, appuya son coude sur la table et la tête sur sa main.

– C’est bien cela, murmura-t-elle tout en lisant; mal de tête, faiblesse générale, douleurs d’yeux, enflure du palais. On n’a encore parlé que des maux de tête et de la faiblesse… les autres symptômes ne se feront pas attendre.

Elle continua:

– Puis l’inflammation gagne la gorge, s’étend à l’estomac, enveloppe le cœur comme d’un cercle de feu et fait éclater le cerveau comme un coup de foudre.

Elle relut tout bas; puis elle continua encore, mais à demi-voix:

– Pour la fièvre six heures, pour l’inflammation générale douze heures, pour la gangrène douze heures, pour l’agonie six heures; en tout trente-six heures.

Maintenant, supposons que l’absorption soit plus lente que l’inglutition, et au lieu de trente-six heures nous en aurons quarante, quarante-huit même; oui, quarante-huit heures doivent suffire. Mais lui, lui Henri, comment est-il encore debout? Parce qu’il est homme, parce qu’il est d’un tempérament robuste, parce que peut-être il aura bu après l’avoir embrassée, et se sera essuyé les lèvres après avoir bu.

Catherine attendit l’heure du dîner avec impatience. Henri dînait tous les jours à la table du roi. Il vint, il se plaignit à son tour d’élancements au cerveau, ne mangea point, et se retira aussitôt après le repas, en disant qu’ayant veillé une partie de la nuit passée, il éprouvait un pressant besoin de dormir.

Catherine écouta s’éloigner le pas chancelant de Henri et le fit suivre. On lui rapporta que le roi de Navarre avait pris le chemin de la chambre de madame de Sauve.

– Henri, se dit-elle, va achever auprès d’elle ce soir l’œuvre d’une mort qu’un hasard malheureux a peut-être laissée incomplète.

Le roi de Navarre était en effet allé chez madame de Sauve, mais c’était pour lui dire de continuer à jouer son rôle.

Le lendemain, Henri ne sortit point de sa chambre pendant toute la matinée, et il ne parut point au dîner du roi. Madame de Sauve, disait-on, allait de plus mal en plus mal, et le bruit de la maladie de Henri, répandu par Catherine elle-même, courait comme un de ces pressentiments dont personne n’explique la cause, mais qui passent dans l’air.

Catherine s’applaudissait: dès la veille au matin elle avait éloigné Ambroise Paré pour aller porter des secours à un de ses valets de chambre favoris, malade à Saint-Germain.

Il fallait alors que ce fût un homme à elle que l’on appelât chez madame de Sauve et chez Henri; et cet homme ne dirait que ce qu’elle voudrait qu’il dît. Si, contre toute attente, quelque autre docteur se trouvait mêlé là-dedans, et si quelque déclaration de poison venait épouvanter cette cour où avaient déjà retenti tant de déclarations pareilles, elle comptait fort sur le bruit que faisait la jalousie de Marguerite à l’endroit des amours de son mari. On se rappelle qu’à tout hasard elle avait fort parlé de cette jalousie qui avait éclaté en plusieurs circonstances, et entre autres à la promenade de l’aubépine, où elle avait dit à sa fille en présence de plusieurs personnes:

– Vous êtes donc bien jalouse, Marguerite?

Elle attendait donc avec un visage composé le moment où la porte s’ouvrirait, et où quelque serviteur tout pâle et tout effaré entrerait en criant:

– Majesté, le roi de Navarre se meurt et madame de Sauve est morte!

Quatre heures du soir sonnèrent. Catherine achevait son goûter dans la volière où elle émiettait des biscuits à quelques oiseaux rares qu’elle nourrissait de sa propre main. Quoique son visage, comme toujours, fût calme et même morne, son cœur battait violemment au moindre bruit.

La porte s’ouvrit tout à coup.

– Madame, dit le capitaine des gardes, le roi de Navarre est…

– Malade? interrompit vivement Catherine.

 

– Non, madame, Dieu merci! et Sa Majesté semble se porter à merveille.

– Que dites-vous donc alors?

– Que le roi de Navarre est là.

– Que me veut-il?

– Il apporte à Votre Majesté un petit singe de l’espèce la plus rare. En ce moment Henri entra tenant une corbeille à la main et caressant un ouistiti couché dans cette corbeille.

Henri souriait en entrant et paraissait tout entier au charmant petit animal qu’il apportait; mais, si préoccupé qu’il parût, il n’en perdit point cependant ce premier coup d’œil qui lui suffisait dans les circonstances difficiles. Quant à Catherine, elle était fort pâle, d’une pâleur qui croissait au fur et à mesure qu’elle voyait sur les joues du jeune homme qui s’approchait d’elle circuler le vermillon de la santé.

La reine mère fut étourdie à ce coup. Elle accepta machinalement le présent de Henri, se troubla, lui fit compliment sur sa bonne mine, et ajouta:

– Je suis d’autant plus aise de vous voir si bien portant, mon fils, que j’avais entendu dire que vous étiez malade et que, si je me le rappelle bien, vous vous êtes plaint en ma présence d’une indisposition; mais je comprends maintenant, ajouta-t-elle en essayant de sourire, c’était quelque prétexte pour vous rendre libre.

– J’ai été fort malade, en effet, madame, répondit Henri; mais un spécifique usité dans nos montagnes, et qui me vient de ma mère, a guéri cette indisposition.

– Ah! vous m’apprendrez la recette, n’est-ce pas, Henri? dit Catherine en souriant cette fois véritablement, mais avec une ironie qu’elle ne put déguiser.

«Quelque contrepoison, murmura-t-elle; nous aviserons à cela, ou plutôt non. Voyant madame de Sauve malade, il se sera défié. En vérité, c’est à croire que la main de Dieu est étendue sur cet homme.»

Catherine attendit impatiemment la nuit, madame de Sauve ne parut point. Au jeu, elle en demanda des nouvelles; on lui répondit qu’elle était de plus en plus souffrante.

Toute la soirée elle fut inquiète, et l’on se demandait avec anxiété quelles étaient les pensées qui pouvaient agiter ce visage d’ordinaire si immobile.

Tout le monde se retira. Catherine se fit coucher et déshabiller par ses femmes; puis, quand tout le monde fut couché dans le Louvre, elle se releva, passa une longue robe de chambre noire, prit une lampe, choisit parmi toutes ses clefs celle qui ouvrait la porte de madame de Sauve, et monta chez sa dame d’honneur.

Henri avait-il prévu cette visite, était-il occupé chez lui, était-il caché quelque part? toujours est-il que la jeune femme était seule.

Catherine ouvrit la porte avec précaution, traversa l’antichambre, entra dans le salon, déposa sa lampe sur un meuble, car une veilleuse brûlait près de la malade, et, comme une ombre, elle se glissa dans la chambre à coucher.

Dariole, étendue dans un grand fauteuil, dormait près du lit de sa maîtresse.

Ce lit était entièrement fermé par les rideaux.

La respiration de la jeune femme était si légère, qu’un instant Catherine crut qu’elle ne respirait plus.

Enfin elle entendit un léger souffle, et, avec une joie maligne, elle vint lever le rideau, afin de constater par elle-même l’effet du terrible poison, tressaillant d’avance à l’aspect de cette livide pâleur ou de cette dévorante pourpre d’une fièvre mortelle qu’elle espérait; mais, au lieu de tout cela, calme, les yeux doucement clos par leurs blanches paupières, la bouche rose et entrouverte, sa joue moite doucement appuyée sur un de ses bras gracieusement arrondi, tandis que l’autre, frais et nacré, s’allongeait sur le damas cramoisi qui lui servait de couverture, la belle jeune femme dormait presque rieuse encore; car sans doute quelque songe charmant faisait éclore sur ses lèvres le sourire, et sur sa joue ce coloris d’un bien-être que rien ne trouble.

Catherine ne put s’empêcher de pousser un cri de surprise qui réveilla pour un instant Dariole.

La reine mère se jeta derrière les rideaux du lit.

Dariole ouvrit les yeux; mais, accablée de sommeil, sans même chercher dans son esprit engourdi la cause de son réveil, la jeune fille laissa retomber sa lourde paupière et se rendormit.

Catherine alors sortit de dessous son rideau, et, tournant son regard vers les autres points de l’appartement, elle vit sur une petite table un flacon de vin d’Espagne, des fruits, des pâtes sucrées et deux verres. Henri avait dû venir souper chez la baronne, qui visiblement se portait aussi bien que lui.

Aussitôt Catherine, marchant à sa toilette, y prit la petite boîte d’argent au tiers vide. C’était exactement la même ou tout au moins la pareille de celle qu’elle avait fait remettre à Charlotte. Elle en enleva une parcelle de la grosseur d’une perle sur le bout d’une aiguille d’or, rentra chez elle, la présenta au petit singe que lui avait donné Henri le soir même. L’animal, affriandé par l’odeur aromatique, la dévora avidement, et, s’arrondissant dans sa corbeille, se rendormit. Catherine attendit un quart d’heure.

– Avec la moitié de ce qu’il vient de manger là, dit Catherine, mon chien Brutus est mort enflé en une minute. On m’a jouée. Est-ce René? René! c’est impossible. Alors c’est donc Henri! ô fatalité! C’est clair: puisqu’il doit régner, il ne peut pas mourir.

» Mais peut-être n’y a-t-il que le poison qui soit impuissant, nous verrons bien en essayant du fer.

Et Catherine se coucha en tordant dans son esprit une nouvelle pensée qui se trouva sans doute complète le lendemain; car, le lendemain, elle appela son capitaine des gardes, lui remit une lettre, lui ordonna de la porter à son adresse, et de ne la soumettre qu’aux propres mains de celui à qui elle était adressée.

Elle était adressée au sire de Louviers de Maurevel, capitaine des pétardiers du roi, rue de la Cerisaie, près de l’Arsenal.

XXVIII. La lettre de Rome

Quelques jours s’étaient écoulés depuis les événements que nous venons de raconter, lorsqu’un matin une litière escortée de plusieurs gentilshommes aux couleurs de M. de Guise entra au Louvre, et que l’on vint annoncer à la reine de Navarre que madame la Duchesse de Nevers sollicitait l’honneur de lui faire sa cour.

Marguerite recevait la visite de madame de Sauve. C’était la première fois que la belle baronne sortait depuis sa prétendue maladie. Elle avait su que la reine avait manifesté à son mari une grande inquiétude de cette indisposition, qui avait été pendant près d’une semaine le bruit de la cour, et elle venait la remercier.

Marguerite la félicitait sur sa convalescence et sur le bonheur qu’elle avait eu d’échapper à l’accès subit de ce mal étrange dont, en sa qualité de fille de France, elle ne pouvait manquer d’apprécier toute la gravité.

– Vous viendrez, j’espère, à cette grande chasse déjà remise une fois, demanda Marguerite, et qui doit avoir lieu définitivement demain. Le temps est doux pour un temps d’hiver. Le soleil a rendu la terre plus molle, et tous nos chasseurs prétendent que ce sera un jour des plus favorables.

– Mais, madame, dit la baronne, je ne sais si je serai assez bien remise.

– Bah! reprit Marguerite, vous ferez un effort; puis, comme je suis une guerrière, moi, j’ai autorisé le roi à disposer d’un petit cheval de Béarn que je devais monter et qui vous portera à merveille. N’en avez-vous point encore entendu parler?

– Si fait, madame, mais j’ignorais que ce petit cheval eût été destiné à l’honneur d’être offert à Votre Majesté: sans cela je ne l’eusse point accepté.

– Par orgueil, baronne?

– Non, madame, tout au contraire, par humilité.

– Donc, vous viendrez?

– Votre Majesté me comble d’honneur. Je viendrai puisqu’elle l’ordonne.

Ce fut en ce moment qu’on annonça madame la duchesse de Nevers. À ce nom Marguerite laissa échapper un tel mouvement de joie, que la baronne comprit que les deux femmes avaient à causer ensemble, et elle se leva pour se retirer.

– À demain donc, dit Marguerite.

– À demain, madame.

– À propos! vous savez, baronne, continua Marguerite en la congédiant de la main, qu’en public je vous déteste, attendu que je suis horriblement jalouse.

– Mais en particulier? demanda madame de Sauve.

– Oh! en particulier, non seulement je vous pardonne, mais encore je vous remercie.

– Alors, Votre Majesté permettra…

Marguerite lui tendit la main, la baronne la baisa avec respect, fit une révérence profonde et sortit.

Tandis que madame de Sauve remontait son escalier, bondissant comme un chevreau dont on a rompu l’attache, madame de Nevers échangeait avec la reine quelques saluts cérémonieux qui donnèrent le temps aux gentilshommes qui l’avaient accompagnée jusque-là de se retirer.

– Gillonne, cria Marguerite lorsque la porte se fut refermée sur le dernier, Gillonne, fais que personne ne nous interrompe.

– Oui, dit la duchesse, car nous avons à parler d’affaires tout à fait graves.

Et, prenant un siège, elle s’assit sans façon, certaine que personne ne viendrait déranger cette intimité convenue entre elle et la reine de Navarre, prenant sa meilleure place du feu et du soleil.

– Eh bien, dit Marguerite avec un sourire, notre fameux massacreur, qu’en faisons-nous?

– Ma chère reine, dit la duchesse, c’est sur mon âme un être mythologique. Il est incomparable en esprit et ne tarit jamais. Il a des saillies qui feraient pâmer de rire un saint dans sa châsse. Au demeurant, c’est le plus furieux païen qui ait jamais été cousu dans la peau d’un catholique! j’en raffole. Et toi, que fais-tu de ton Apollo?

– Hélas! fit Marguerite avec un soupir.

– Oh! oh! que cet hélas m’effraie, chère reine! est-il donc trop respectueux ou trop sentimental, ce gentil La Mole? Ce serait, je suis forcée de l’avouer, tout le contraire de son ami Coconnas.

– Mais non, il a ses moments, dit Marguerite, et cet hélas ne se rapporte qu’à moi.

– Que veut-il dire alors?

– Il veut dire, chère duchesse, que j’ai une peur affreuse de l’aimer tout de bon.

– Vraiment?

– Foi de Marguerite!

– Oh! tant mieux! la joyeuse vie que nous allons mener alors! s’écria Henriette; aimer un peu, c’était mon rêve; aimer beaucoup c’était le tien. C’est si doux, chère et docte reine, de se reposer l’esprit par le cœur, n’est-ce pas? et d’avoir après le délire le sourire. Ah! Marguerite, j’ai le pressentiment que nous allons passer une bonne année.

– Crois-tu? dit la reine; moi, tout au contraire, je ne sais pas comment cela se fait, je vois les choses à travers un crêpe. Toute cette politique me préoccupe affreusement. À propos, sache donc si ton Annibal est aussi dévoué à mon frère qu’il paraît l’être. Informe-toi de cela, c’est important.

– Lui, dévoué à quelqu’un ou à quelque chose! on voit bien que tu ne le connais pas comme moi. S’il se dévoue jamais à quelque chose, ce sera à son ambition et voilà tout. Ton frère est-il homme à lui faire de grandes promesses, oh! alors, très bien: il sera dévoué à ton frère; mais que ton frère, tout fils de France qu’il est, prenne garde de manquer aux promesses qu’il lui aura faites, ou sans cela, ma foi, gare à ton frère!

– Vraiment?

– C’est comme je te le dis. En vérité, Marguerite, il y a des moments où ce tigre que j’ai apprivoisé me fait peur à moi-même. L’autre jour, je lui disais: Annibal, prenez-y garde, ne me trompez pas, car si vous me trompiez! … Je lui disais cependant cela avec mes yeux d’émeraude qui ont fait dire à Ronsard:

 
La duchesse de Nevers
Aux yeux verts
Qui, sous leur paupière blonde,
Lancent sur nous plus d’éclairs
Que ne font vingt Jupiters
Dans les airs,
Lorsque la tempête gronde.
 

– Eh bien?

– Eh bien! je crus qu’il allait me répondre: Moi, vous tromper! moi, jamais! etc., etc. Sais-tu ce qu’il m’a répondu?

– Non.

– Eh bien, juge l’homme: Et vous, a-t-il répondu, si vous me trompiez, prenez garde aussi; car, toute princesse que vous êtes… Et, en disant ces mots, il me menaçait, non seulement des yeux, mais de son doigt sec et pointu, muni d’un ongle taillé en fer de lance, et qu’il me mit presque sous le nez. En ce moment, ma pauvre reine, je te l’avoue, il avait une physionomie si peu rassurante que j’en tressaillis, et, tu le sais, cependant je ne suis pas trembleuse.

– Te menacer, toi, Henriette! il a osé?

– Eh! mordi! je le menaçais bien, moi! Au bout du compte, il a eu raison. Ainsi, tu le vois, dévoué jusqu’à un certain point, ou plutôt jusqu’à un point très incertain.

– Alors, nous verrons, dit Marguerite rêveuse, je parlerai à La Mole. Tu n’avais pas autre chose à me dire?

– Si fait: une chose des plus intéressantes et pour laquelle je suis venue. Mais, que veux-tu! tu as été me parler de choses plus intéressantes encore. J’ai reçu des nouvelles.

 

– De Rome?

– Oui, un courrier de mon mari.

– Eh bien, l’affaire de Pologne?

– Va à merveille, et tu vas probablement sous peu de jours être débarrassée de ton frère d’Anjou.

– Le pape a donc ratifié son élection?

– Oui, ma chère.

– Et tu ne me disais pas cela! s’écria Marguerite. Eh! vite, vite, des détails.

– Oh! ma foi, je n’en ai pas d’autres que ceux que je te transmets. D’ailleurs attends, je vais te donner la lettre de M. de Nevers. Tiens, la voilà. Eh! non, non; ce sont des vers d’Annibal, des vers atroces, ma pauvre Marguerite. Il n’en fait pas d’autres. Tiens, cette fois, la voici. Non, pas encore ceci: c’est un billet de moi que j’ai apporté pour que tu le lui fasses passer par La Mole. Ah! enfin, cette fois, c’est la lettre en question.

Et madame de Nevers remit la lettre à la reine. Marguerite l’ouvrit vivement et la parcourut; mais effectivement elle ne disait rien autre chose que ce qu’elle avait déjà appris de la bouche de son amie.

– Et comment as-tu reçu cette lettre? continua la reine.

– Par un courrier de mon mari qui avait ordre de toucher à l’hôtel de Guise avant d’aller au Louvre et de me remettre cette lettre avant celle du roi. Je savais l’importance que ma reine attachait à cette nouvelle, et j’avais écrit à M. de Nevers d’en agir ainsi. Tu vois, il a obéi, lui. Ce n’est pas comme ce monstre de Coconnas. Maintenant il n’y a donc dans tout Paris que le roi, toi et moi qui sachions cette nouvelle; à moins que l’homme qui suivait notre courrier…

– Quel homme?

– Oh! l’horrible métier! Imagine-toi que ce malheureux messager est arrivé las, défait, poudreux; il a couru sept jours, jour et nuit, sans s’arrêter un instant.

– Mais cet homme dont tu parlais tout à l’heure?

– Attends donc. Constamment suivi par un homme de mine farouche qui avait des relais comme lui et courait aussi vite que lui pendant ces quatre cents lieues, ce pauvre courrier a toujours attendu quelque balle de pistolet dans les reins. Tous deux sont arrivés à la barrière Saint-Marcel en même temps, tous deux ont descendu la rue Mouffetard au grand galop, tous deux ont traversé la Cité. Mais, au bout du pont Notre-Dame, notre courrier a pris à droite, tandis que l’autre tournait à gauche par la place du Châtelet, et filait par les quais du côté du Louvre comme un trait d’arbalète.

– Merci, ma bonne Henriette, merci, s’écria Marguerite. Tu avais raison, et voici de bien intéressantes nouvelles. Pour qui cet autre courrier? Je le saurai. Mais laisse-moi. À ce soir, rue Tizon, n’est-ce pas? et à demain la chasse; et surtout prends un cheval bien méchant pour qu’il s’emporte et que nous soyons seules. Je te dirai ce soir ce qu’il faut que tu tâches de savoir de ton Coconnas.

– Tu n’oublieras donc pas ma lettre? dit la duchesse de Nevers en riant.

– Non, non, sois tranquille, il l’aura et à temps. Madame de Nevers sortit, et aussitôt Marguerite envoya chercher Henri, qui accourut et auquel elle remit la lettre du duc de Nevers.

– Oh! oh! fit-il. Puis Marguerite lui raconta l’histoire du double courrier.

– Au fait, dit Henri, je l’ai vu entrer au Louvre.

– Peut-être était-il pour la reine mère?

– Non pas; j’en suis sûr, car j’ai été à tout hasard me placer dans le corridor, et je n’ai vu passer personne.

– Alors, dit Marguerite en regardant son mari, il faut que ce soit…

– Pour votre frère d’Alençon, n’est-ce pas? dit Henri.

– Oui; mais comment le savoir?

– Ne pourrait-on, demanda Henri négligemment, envoyer chercher un de ces deux gentilshommes et savoir par lui…

– Vous avez raison, Sire! dit Marguerite mise à son aise par la proposition de son mari; je vais envoyer chercher M. de La Mole… Gillonne! Gillonne!

La jeune fille parut.

– Il faut que je parle à l’instant même à M. de La Mole, lui dit la reine. Tâchez de le trouver et amenez-le.

Gillonne partit. Henri s’assit devant une table sur laquelle était un livre allemand avec des gravures d’Albert Dürer, qu’il se mit à regarder avec une si grande attention que lorsque La Mole vint, il ne parut pas l’entendre et ne leva même pas la tête.

De son côté, le jeune homme voyant le roi chez Marguerite demeura debout sur le seuil de la chambre, muet de surprise et pâlissant d’inquiétude.

Marguerite alla à lui.

– Monsieur de la Mole, demanda-t-elle, pourriez-vous me dire qui est aujourd’hui de garde chez M. d’Alençon?

– Coconnas, madame…, dit La Mole.

– Tâchez de me savoir de lui s’il a introduit chez son maître un homme couvert de boue et paraissant avoir fait une longue route à franc étrier.

– Ah! madame, je crains bien qu’il ne me le dise pas; depuis quelques jours il devient très taciturne.

– Vraiment! Mais en lui donnant ce billet, il me semble qu’il vous devra quelque chose en échange.

– De la duchesse! … Oh! avec ce billet, j’essaierai.

– Ajoutez dit Marguerite en baissant la voix, que ce billet lui servira de sauf-conduit pour entrer ce soir dans la maison que vous savez.

– Et moi, madame, dit tout bas La Mole, quel sera le mien?

– Vous vous nommerez, et cela suffira.

– Donnez, madame, donnez, dit La Mole tout palpitant d’amour; je vous réponds de tout. Et il partit.

– Nous saurons demain si le duc d’Alençon est instruit de l’affaire de Pologne, dit tranquillement Marguerite en se retournant vers son mari.

– Ce M. de La Mole est véritablement un gentil serviteur, dit le Béarnais avec ce sourire qui n’appartenait qu’à lui; et… par la messe! je ferai sa fortune.

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