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La femme au collier de velours

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Dix minutes après, madame Nodier rentrait. Nodier était couché, et s'endormait aux mélodies de sa fille, et au bruit des piétinements et aux rires des danseurs.

Un jour nous trouvâmes Nodier bien autrement humble que de coutume. Cette fois, il était embarrassé, honteux. Nous lui demandâmes avec inquiétude ce qu'il avait.

Nodier venait d'être nommé académicien.

Il nous fit ses excuses bien humbles, à Hugo et à moi.

Mais il n'y avait pas de sa faute, l'Académie l'avait nommé au moment où il s'y attendait le moins.

C'est que Nodier, aussi savant à lui seul que tous les académiciens ensemble, démolissait pierre à pierre le dictionnaire de l'Académie. Il racontait que l'Immortel chargé de faire l'article écrevisse lui avait un jour montré cet article, en lui demandant ce qu'il en pensait.

L'article était conçu dans ces termes:

«Écrevisse, petit poisson rouge qui marche à reculons.»

– Il n'y a qu'une erreur dans votre définition, répondit Nodier, c'est que l'écrevisse n'est pas un poisson, c'est que l'écrevisse n'est pas rouge, c'est que l'écrevisse ne marche pas à reculons… le reste est parfait.

J'oublie de dire qu'au milieu de tout cela, Marie Nodier s'était mariée, était devenue madame Ménessier; mais ce mariage n'avait absolument rien changé à la vie de l'Arsenal. Jules était un ami à tous: on le voyait venir depuis longtemps dans la maison; il y demeura au lieu d'y venir, voilà tout.

Je me trompe, il y eut un grand sacrifice accompli: Nodier vendit sa bibliothèque; Nodier aimait ses livres, mais il adorait Marie.

Il faut dire une chose aussi, c'est que personne ne savait faire la réputation d'un livre comme Nodier. Voulait-il vendre ou faire vendre un livre, il le glorifiait par un article: avec ce qu'il découvrait dedans, il en faisait un exemplaire unique. Je me rappelle l'histoire d'un volume intitulé le Zombi du grand Pérou, que Nodier prétendit être imprimé aux colonies, et dont il détruisit l'édition de son autorité privée; le livre valait cinq francs, il monta à cent écus.

Quatre fois Nodier vendit ses livres, mais il gardait toujours un certain fonds, un noyau précieux à l'aide duquel, au bout de deux ou trois ans, il avait reconstruit sa bibliothèque.

Un jour, toutes ces charmantes fêtes s'interrompirent. Depuis un mois ou deux, Nodier était plus souffreteux, plus plaintif. Au reste, l'habitude qu'on avait d'entendre plaindre Nodier faisait qu'on n'attachait pas une grande attention à ses plaintes. C'est qu'avec le caractère de Nodier il était assez difficile de séparer le mal réel d'avec les souffrances chimériques. Cependant, cette fois, il s'affaiblissait visiblement. Plus de flâneries sur les quais, plus de promenades sur les boulevards, un lent acheminement seulement, quand du ciel gris filtrait un dernier rayon du soleil d'automne, un lent acheminement vers Saint-Mandé.

Le but de la promenade était un méchant cabaret, où, dans les beaux jours de sa bonne santé, Nodier se régalait de pain bis. Dans ses courses, d'ordinaire, toute la famille l'accompagnait, excepté Jules, retenu à son bureau. C'était madame Nodier, c'était Marie, c'étaient les deux enfants, Charles et Georgette; tout cela ne voulait plus quitter le mari, le père et le grand-père. On sentait qu'on n'avait plus que peu de temps à rester avec lui, et l'on en profitait.

Jusqu'au dernier moment, Nodier insista pour la conversation du dimanche; puis, enfin, on s'aperçut que de sa chambre le malade ne pouvait plus supporter le bruit et le mouvement qui se faisaient dans le salon. Un jour, Marie nous annonça tristement que, le dimanche suivant, l'Arsenal serait fermé; puis tout bas elle dit aux intimes:

– Venez, nous causerons. Nodier s'alita enfin pour ne plus se relever. J'allai le voir.

– Oh! mon cher Dumas, me dit-il en me tendant les bras du plus loin qu'il m'aperçut, du temps où je me portais bien, vous n'aviez en moi qu'un ami; depuis que je suis malade, vous avez en moi un homme reconnaissant. Je ne puis plus travailler, mais je puis encore lire, et, comme vous voyez, je vous lis, et quand je suis fatigué, j'appelle ma fille, et ma fille vous lit.

Et Nodier me montra effectivement mes livres épars sur son lit et sur sa table.

Ce fut un de mes moments d'orgueil réel. Nodier isolé du monde, Nodier ne pouvant plus travailler, Nodier, cet esprit immense, qui savait tout, Nodier me lisait et s'amusait en me lisant.

Je lui pris les mains, j'eusse voulu les baiser, tant j'étais reconnaissant.

À mon tour, j'avais lu la veille une chose de lui, un petit volume qui venait de paraître en deux livraisons de la Revue des Deux Mondes.

C'était Inès de las Sierras. J'étais émerveillé. Ce roman, une des dernières publications de Charles, était si frais, si coloré, qu'on eût dit une œuvre de sa jeunesse que Nodier avait retrouvée et mise au jour à l'autre horizon de sa vie. Cette histoire d'Inès, c'était une histoire d'apparition de spectres, de fantômes; seulement, toute fantastique durant la première partie, elle cessait de l'être dans la seconde; la fin expliquait le commencement. Oh! de cette explication je me plaignis amèrement à Nodier.

– C'est vrai, me dit-il, j'ai eu tort; mais j'en ai une autre; celle-là je ne la gâterai pas, soyez tranquille.

– À la bonne heure, et quand vous y mettrez-vous, à cette œuvre-là? Nodier me prit la main.

– Celle-là, je ne la gâterai pas, parce que ce n'est pas moi qui l'écrirai, dit-il.

– Et qui l'écrira?

– Vous.

– Comment! moi, mon bon Charles? mais je ne la sais pas, votre histoire.

– Je vous la raconterai. Oh! celle-là, je la gardais pour moi, ou plutôt pour vous.

– Mon bon Charles, vous me la raconterez, vous l'écrirez, vous l'imprimerez. Nodier secoua la tête.

– Je vais vous la dire, fit-il; vous me la rendrez si j'en reviens.

– Attendez à ma prochaine visite, nous avons le temps.

– Mon ami, je vous dirai ce que je disais à un créancier quand je lui donnais un acompte: Prenez toujours. Et il commença. Jamais Nodier n'avait raconté d'une façon si charmante. Oh! si j'avais eu une plume, si j'avais eu du papier, si j'avais pu écrire aussi vite que la parole! L'histoire était longue, je restai à dîner. Après le dîner, Nodier s'était assoupi. Je sortis de l'Arsenal sans le revoir. Je ne le revis plus.

Nodier, que l'on croyait si facile à la plainte, avait au contraire caché jusqu'au dernier moment ses souffrances à sa famille.

Lorsqu'il découvrit la blessure, on reconnut que la blessure était mortelle.

Nodier était non seulement chrétien, mais bon et vrai catholique. C'était à Marie qu'il avait fait promettre de lui envoyer chercher un prêtre lorsque l'heure serait venue. L'heure était venue, Marie envoya chercher le curé de Saint-Paul.

Nodier se confessa. Pauvre Nodier! il devait y avoir bien des péchés dans sa vie, mais il n'y avait certes pas une faute.

La confession achevée, toute la famille entra.

Nodier était dans une alcôve sombre, d'où il étendait les bras sur sa femme, sur sa fille et sur ses petits-enfants.

Derrière la famille étaient les domestiques.

Derrière les domestiques, la bibliothèque, c'est-à-dire ces amis qui ne changent jamais, les livres.

Le curé dit à haute voix les prières auxquelles Nodier répondit aussi à haute voix, en homme familier avec la liturgie chrétienne. Puis, les prières finies, il embrassa tout le monde, rassura chacun sur son état, affirma qu'il se sentait encore de la vie pour un jour ou deux, surtout si on le laissait dormir pendant quelques heures.

On laissa Nodier seul, et il dormit cinq heures.

Le 26 janvier au soir, c'est-à-dire la veille de sa mort, la fièvre augmenta et produisit un peu de délire; vers minuit, il ne reconnaissait personne, sa bouche prononça des paroles sans suite, dans lesquelles on distingua les noms de Tacite et de Fénelon.

Vers deux heures, la mort commençait de frapper à la porte: Nodier fut secoué par une crise violente, sa fille était penchée sur son chevet et lui tendait une tasse pleine d'une potion calmante; il ouvrit les yeux, regarda Marie et la reconnut à ses larmes; alors il prit la tasse de ses mains et but avec avidité le breuvage qu'elle contenait.

– Tu as trouvé cela bon? demanda Marie.

– Oh oui! mon enfant, comme tout ce qui vient de toi.

Et la pauvre Marie laissa tomber sa tête sur le chevet du lit, couvrant de ses cheveux le front humide du mourant.

– Oh! si tu restais ainsi, murmura Nodier, je ne mourrais jamais[1]. La mort frappait toujours.

[Note 1: Francis Wey a publié, sur les derniers moments de Nodier, une notice pleine d'intérêt, mais écrite pour les amis, et tirée à vingt-cinq exemplaires seulement.]

Les extrémités commençaient à se refroidir; mais, au fur et à mesure que la vie remontait, elle se concentrait au cerveau et faisait à Nodier un esprit plus lucide qu'il ne l'avait jamais eu.

Alors il bénit sa femme et ses enfants, puis il demanda le quantième du mois.

– Le 27 janvier, dit madame Nodier.

– Vous n'oublierez pas cette date, n'est-ce pas, mes amis? dit Nodier. Puis, se tournant vers la fenêtre:

– Je voudrais bien voir encore une fois le jour, fit-il avec un soupir. Puis il s'assoupit. Puis son souffle devint intermittent.

Puis enfin, au moment où le premier rayon du jour frappa les vitres il rouvrit les yeux, fit du regard un signe d'adieu et expira.

Avec Nodier tout mourut à l'Arsenal, joie, vie et lumière; ce fut un deuil qui nous prit tous; chacun perdait une portion de lui-même en perdant Nodier.

Moi, pour mon compte, je ne sais comment dire cela, mais j'ai quelque chose de mort en moi depuis que Nodier est mort.

Ce quelque chose ne vit que lorsque je parle de Nodier.

 

Voilà pourquoi j'en parle si souvent.

Maintenant, l'histoire qu'on a lue, c'est celle que Nodier m'a racontée.

CHAPITRE II
La famille d'Hoffmann

Au nombre de ces ravissantes cités qui s'éparpillent au bord du Rhin, comme les grains d'un chapelet dont le fleuve serait le fil, il faut compter Mannheim, la seconde capitale du grand-duché de Bade, Mannheim, la seconde résidence du grand-duc.

Aujourd'hui que les bateaux à vapeur qui montent et descendent le Rhin passent à Mannheim, aujourd'hui qu'un chemin de fer conduit à Mannheim, aujourd'hui que Mannheim, au milieu du pétillement de la fusillade, a secoué, les cheveux épars et la robe teinte de sang, l'étendard de la rébellion contre son grand-duc, je ne sais plus ce qu'est Mannheim; mais, à l'époque où commence cette histoire, c'est-à-dire il y a bientôt cinquante-six ans, je vais vous dire ce qu'elle était.

C'était la ville allemande par excellence, calme et politique à la fois, un peu triste, ou plutôt un peu rêveuse: c'était la ville des romans d'Auguste Lafontaine et des poèmes de Goethe, d'Henriette Belmann et de Werther.

En effet, il ne s'agit que de jeter un coup d'œil sur Mannheim pour juger à l'instant, en voyant ses maisons honnêtement alignées, sa division en quatre quartiers, ses rues larges et belles où pointe l'herbe, sa fontaine mythologique, sa promenade ombragée d'un double rang d'acacias qui la traverse d'un bout à l'autre; pour juger, dis-je, combien la vie serait douce et facile dans un semblable paradis, si parfois les passions amoureuses ou politiques n'y venaient mettre un pistolet à la main de Werther[2] ou un poignard à la main de Sand[3].

[Note 2: Les souffrances du jeune Wether (1774) est un roman sous forme épistolaire, écrit par Goethe. Ce récit tragique évoque une passion amoureuse sans espoir qui accule le héros au suicide.]

[Note 3: Karl Sand, criminel célèbre exécuté à Mannheim en 1820.]

Il y a surtout une place qui a un caractère tout particulier, c'est celle où s'élèvent à la fois l'église et le théâtre.

Église et théâtre ont dû être bâtis en même temps, probablement par le même architecte; probablement encore vers le milieu de l'autre siècle, quand les caprices d'une favorite influaient sur l'art à ce point que tout un côté de l'art prenait son nom, depuis l'église jusqu'à la petite maison, depuis la statue de bronze de dix coudées jusqu'à la figurine en porcelaine de Saxe.

L'église et le théâtre de Mannheim sont donc dans le style Pompadour.

L'église a deux niches extérieures: dans l'une de ces deux niches est une Minerve, et dans l'autre est une Hébé.

La porte du théâtre est surmontée de deux sphinx. Ces deux sphinx représentent, l'un la Comédie, l'autre la Tragédie.

Le premier de ces deux sphinx tient sous sa patte un masque, le second un poignard. Tous deux sont coiffés en racine droite avec un chignon poudré ce qui ajoute merveilleusement à leur caractère égyptien.

Au reste, toute la place, maisons contournées, arbres frisés, murailles festonnées, est dans le même caractère, et forme un ensemble des plus réjouissants.

Eh bien! C'est dans une chambre située au premier étage d'une maison dont les fenêtres donnent de biais sur le portail de l'église des Jésuites, que nous allons conduire nos lecteurs, en leur faisant seulement observer que nous les rajeunissons de plus d'un demi-siècle, et que nous en sommes, comme millésime, à l'an de grâce ou de disgrâce 1793, et comme quantième au dimanche 10 du mois de mai. Tout est donc en train de fleurir: les algues au bord du fleuve, les marguerites dans la prairie, l'aubépine dans les haies, la rose dans les jardins, l'amour dans les cœurs.

Maintenant ajoutons ceci: c'est qu'un des cœurs qui battaient le plus violemment dans la ville de Mannheim et dans les environs était celui du jeune homme qui habitait cette petite chambre dont nous venons de parler, et dont les fenêtres donnaient de biais sur le portail de l'église des Jésuites.

Chambre et jeune homme méritent chacun une description particulière.

La chambre, à coup sûr, était celle d'un esprit capricieux et pittoresque tout ensemble, car elle avait à la fois l'aspect d'un atelier, d'un magasin de musique et d'un cabinet de travail.

Il y avait une palette, des pinceaux et un chevalet, et sur ce chevalet une esquisse commencée.

Il y avait une guitare, une viole d'amour et un piano, et sur ce piano une sonate ouverte.

Il y avait une plume, de l'encre et du papier, et sur ce papier un commencement de ballade griffonné.

Puis, le long des murailles, des arcs, des flèches, des arbalètes du quinzième, des instruments de musique du dix-septième, des bahuts de tous les temps, des pots à boire de toutes les formes, des aiguières de toutes les espèces, enfin des colliers de verre, des éventails de plumes, des lézards empaillés, des fleurs sèches, tout un monde enfin; mais tout un monde ne valant pas vingt cinq thalers de bon argent.

Celui qui habitait cette chambre était-il un peintre, un musicien ou un poète? Nous l'ignorons.

Mais, à coup sûr, c'était un fumeur; car, au milieu de toutes ces collections, la collection la plus complète, la plus en vue, la collection occupant la place d'honneur et s'épanouissant au soleil au-dessus d'un vieux canapé, à la portée de la main, était une collection de pipes.

Mais, quel qu'il fût, poète, musicien, peintre ou fumeur, pour le moment, il ne fumait, ni ne peignait, ni ne notait, ni ne composait.

Non, il regardait.

Il regardait, immobile, debout, appuyé contre la muraille, retenant son souffle; il regardait par sa fenêtre ouverte, après s'être fait un rempart du rideau, pour voir sans être vu; il regardait comme on regarde quand les yeux ne sont que la lunette du cœur!

Que regardait-il?

Un endroit parfaitement solitaire pour le moment, le portail de l'église des Jésuites.

Il est vrai que ce portail était solitaire parce que l'église était pleine.

Maintenant quel aspect avait celui qui habitait cette chambre, celui qui regardait derrière ce rideau, celui dont le cœur battait ainsi en regardant?

C'était un jeune homme de dix-huit ans tout au plus, petit de taille, maigre de corps, sauvage d'aspect. Ses longs cheveux noirs tombaient de son front jusqu'au-dessous de ses yeux, qu'ils voilaient quand il ne les écartait pas de la main, et, à travers le voile de ses cheveux, son regard brillait fixe et fauve, comme le regard d'un homme dont les facultés mentales ne doivent pas toujours demeurer dans un parfait équilibre.

Ce jeune homme, ce n'était ni un poète, ni un peintre, ni un musicien: c'était un composé de tout cela; c'était la peinture, la musique et la poésie réunies; c'était un tout bizarre, fantasque, bon et mauvais, brave et timide, actif et paresseux: ce jeune homme, enfin, c'était Ernest-Théodore-Guillaume Hoffmann.

Il était né par une rigoureuse nuit d'hiver, en 1776, tandis que le vent sifflait, tandis que la neige tombait, tandis que tout ce qui n'est pas riche souffrait: il était né à Koenigsberg, au fond de la Vieille-Prusse; né si faible, si grêle, si pauvrement bâti, que l'exiguïté de sa personne fit croire à tout le monde qu'il était bien plus pressant de lui commander une tombe que de lui acheter un berceau; il était né la même année où Schiller, écrivant son drame des Brigands, signait Schiller, esclave de Klopstock; né au milieu d'une de ces vieilles familles bourgeoises comme nous en avions en France du temps de la Fronde, comme il y en a encore en Allemagne, mais comme il n'y en aura bientôt plus nulle part; né d'une mère au tempérament maladif, mais d'une résignation profonde, ce qui donnait à toute sa personne souffrante l'aspect d'une adorable mélancolie; né d'un père à la démarche et à l'esprit sévères, car ce père était conseiller criminel et commissaire de justice près le tribunal supérieur provincial. Autour de cette mère et de ce père, il y avait des oncles juges, des oncles baillis, des oncles bourgmestres, des tantes jeunes encore, belles encore, coquettes encore; oncles et tantes, tous musiciens, tous artistes, tous pleins de sève, tous allègres. Hoffmann disait les avoir vus; il se les rappelait exécutant autour de lui, enfant de six, de huit, de dix ans, des concerts étranges où chacun jouait d'un de ces vieux instruments dont on ne sait même plus les noms aujourd'hui: tympanons, rebecs, cithares, cistres, violes d'amour, violes de gambe. Il est vrai que personne autre qu'Hoffmann n'avait jamais vu ces oncles musiciens, ces tantes musiciennes, et qu'oncles et tantes s'étaient retirés les uns après les autres comme des spectres, après avoir éteint, en se retirant, la lumière qui brûlait sur leurs pupitres.

De tous ces oncles, cependant, il en restait un. De toutes ces tantes, cependant, il en restait une.

Cette tante, c'était un des souvenirs charmants d'Hoffmann.

Dans la maison où Hoffmann avait passé sa jeunesse, vivait une sœur de sa mère, une jeune femme aux regards suaves et pénétrant au plus profond de l'âme; une jeune femme douce, spirituelle, pleine de finesse, qui, dans l'enfant que chacun tenait pour un fou, pour un maniaque, pour un enragé, voyait un esprit éminent; qui plaidait seule pour lui, avec sa mère, bien entendu; qui lui prédisait le génie, la gloire; prédiction qui plus d'une fois fit venir les larmes aux yeux de la mère d'Hoffmann; car elle savait que le compagnon inséparable du génie et de la gloire, c'est le malheur.

Cette tante, c'était la tante Sophie.

Cette tante était musicienne comme toute la famille, elle jouait du luth. Quand Hoffmann s'éveillait dans son berceau, il s'éveillait inondé d'une vibrante harmonie; quand il ouvrait les yeux, il voyait la forme gracieuse de la jeune femme mariée à son instrument. Elle était ordinairement vêtue d'une robe vert d'eau avec nœuds roses, elle était ordinairement accompagnée d'un vieux musicien à jambes torses et à perruque blanche qui jouait d'une basse plus grande que lui, à laquelle il se cramponnait, montant et descendant comme fait un lézard le long d'une courge. C'est à ce torrent d'harmonie tombant comme une cascade de perles des doigts de la belle Euterpe qu'Hoffmann avait bu le philtre enchanté qui l'avait lui-même fait musicien.

Aussi la tante Sophie, avons-nous dit, était un des charmants souvenirs d'Hoffmann.

Il n'en était pas de même de son oncle.

La mort du père d'Hoffmann, la maladie de sa mère, l'avaient laissé aux mains de cet oncle.

C'était un homme aussi exact que le pauvre Hoffmann était décousu, aussi bien ordonné que le pauvre Hoffmann était bizarrement fantasque, et dont l'esprit d'ordre et d'exactitude s'était éternellement exercé sur son neveu, mais toujours aussi inutilement que s'était exercé sur ses pendules l'esprit de l'empereur Charles Quint: l'oncle avait beau faire, l'heure sonnait à la fantaisie du neveu, jamais à la sienne.

Au fond, ce n'était point cependant, malgré son exactitude et sa régularité, un trop grand ennemi des arts et de l'imagination que cet oncle d'Hoffmann; il tolérait même la musique, la poésie et la peinture; mais il prétendait qu'un homme sensé ne devait recourir à de pareils délassements qu'après son dîner, pour faciliter la digestion. C'était sur ce thème qu'il avait réglé la vie d'Hoffmann: tant d'heures pour le sommeil, tant d'heures pour l'étude du barreau, tant d'heures pour le repas, tant de minutes pour la musique, tant de minutes pour la peinture, tant de minutes pour la poésie.

Hoffmann eût voulu retourner tout cela, lui, et dire: tant de minutes pour le barreau, et tant d'heures pour la poésie, la peinture et la musique; mais Hoffmann n'était pas le maître; il en était résulté qu'Hoffmann avait pris en horreur le barreau et son oncle, et qu'un beau jour il s'était sauvé de Koenigsberg avec quelques thalers en poche, avait gagné Heidelberg, où il avait fait une halte de quelques instants, mais où il n'avait pu rester, vu la mauvaise musique que l'on faisait au théâtre.

En conséquence, de Heidelberg il avait gagné Mannheim, dont le théâtre, près duquel, comme on le voit, il s'était logé, passait pour être le rival des scènes lyriques de France et d'Italie; nous disons de France et d'Italie, parce qu'on n'oubliera point que c'est cinq ou six ans seulement avant l'époque à laquelle nous sommes arrivés qu'avait eu lieu, à l'Académie royale de musique, la grande lutte contre Gluck et Piccinni.

Hoffmann était donc à Mannheim, où il logeait près du théâtre, et où il vivait du produit de sa peinture, de sa musique et de sa poésie, joint à quelques frédérics d'or que sa bonne mère lui faisait passer de temps en temps, au moment où, nous arrogeant le privilège du Diable boiteux, nous venons de lever le plafond de sa chambre et de le montrer à nos lecteurs debout, appuyé à la muraille, immobile derrière son rideau, haletant, les yeux fixés sur le portail de l'église des Jésuites.

 
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