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La dame de Monsoreau — Tome 3

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CHAPITRE XXI
LES GUETTEURS

Aurilly et le duc d'Anjou se tinrent mutuellement parole. Le duc retint près de lui Bussy tant qu'il put pendant le jour, afin de ne perdre aucune de ses démarches.

Bussy ne demandait pas mieux que de faire, pendant le jour, sa cour au prince; de cette façon, il avait la soirée libre. C'était sa méthode, et il la pratiquait même sans arrière-pensée.

A dix heures du soir, il s'enveloppa de son manteau, et, son échelle sous le bras, il s'achemina vers la Bastille.

Le duc, qui ignorait que Bussy avait une échelle dans son antichambre, qui ne pouvait croire que l'on marchât seul ainsi dans les rues de Paris, le duc qui pensait que Bussy passerait par son hôtel pour prendre un cheval et un serviteur, perdit dix minutes en apprêts. Pendant ces dix minutes, Bussy, leste et amoureux, avait déjà fait les trois quarts du chemin.

Bussy fut heureux comme le sont d'ordinaire les gens hardis: il ne fit aucune rencontre par les chemins, et, en approchant, il vit de la lumière aux vitres.

C'était le signal convenu entre lui et Diane.

Il jeta son échelle au balcon. Cette échelle, munie de six crampons placés en sens inverses, accrochait toujours quelque chose.

Au bruit, Diane éteignit sa lampe et ouvrit la fenêtre pour assurer l'échelle.

La chose fut faite en un instant.

Diane jeta les yeux sur la place; elle fouilla du regard tous les coins et recoins: la place lui parut déserte.

Alors elle fit signe à Bussy qu'il pouvait monter.

Bussy, sur ce signe, escalada les échelons deux à deux. Il y en avait dix: ce fut l'affaire de cinq enjambées, c'est-à-dire de cinq secondes.

Ce moment avait été heureusement choisi: car, tandis que Bussy montait par la fenêtre, M. de Monsoreau, après avoir écouté patiemment pendant plus de dix minutes à la porte de sa femme, descendait péniblement l'escalier, appuyé sur le bras d'un valet de confiance, lequel remplaçait Remy avec avantage, toutes les fois qu'il ne s'agissait ni d'appareils ni de topiques.

Cette double manoeuvre, qu'on eût dite combinée par un habile stratégiste, s'exécuta de cette façon, que Monsoreau ouvrait la porte de la rue juste au moment où Bussy retirait son échelle et où Diane fermait sa fenêtre.

Monsoreau se trouva dans la rue; mais, nous l'avons dit, la rue était déserte, et le comte ne vit rien.

— Aurais-tu été mal renseigné? demanda Monsoreau à son domestique.

— Non, monseigneur, répondit celui-ci. Je quitte l'hôtel d'Anjou, et le maître palefrenier, qui est de mes amis, m'a dit positivement que monseigneur avait commandé deux chevaux pour ce soir. Maintenant, monseigneur, peut-être était-ce pour aller tout autre part qu'ici.

— Où veux-tu qu'il aille? dit Monsoreau d'un air sombre.

Le comte était comme tous les jaloux, qui ne croient pas que le reste de l'humanité puisse être préoccupée d'autre chose que de les tourmenter.

Il regarda autour de lui une seconde fois.

— Peut-être eussé-je mieux fait de rester dans la chambre de Diane, murmura-t-il. Mais peut-être ont-ils des signaux pour correspondre; elle l'eût prévenu de ma présence, et je n'eusse rien su. Mieux vaut encore guetter du dehors, comme nous en sommes convenus. Voyons, conduis-moi à cette cachette, de laquelle tu prétends que l'on peut tout voir.

— Venez, monseigneur, dit le valet.

Monsoreau s'avança, moitié s'appuyant au bras de son domestique, moitié se soutenant au mur.

En effet, à vingt ou vingt-cinq pas de la porte, du côté de la Bastille, se trouvait un énorme tas de pierre provenant de maisons démolies et servant de fortifications aux enfants du quartier lorsqu'ils simulaient les combats, restes populaires des Armagnacs et des Bourguignons.

Au milieu de ce tas de pierres, le valet avait pratiqué une espèce de guérite qui pouvait facilement contenir et cacher deux personnes.

Il étendit un manteau sur ces pierres, et Monsoreau s'accroupit dessus.

Le valet se plaça aux pieds du comte.

Un mousqueton tout chargé était posé à tout événement à côté d'eux.

Le valet voulut apprêter la mèche de l'arme; mais Monsoreau l'arrêta.

— Un instant, dit-il, il sera toujours temps. C'est gibier royal que celui que nous éventons, et il y a peine de la hart pour quiconque porte la main sur lui.

Et ses yeux, ardents comme ceux d'un loup embusqué dans le voisinage d'une bergerie, se portaient des fenêtres de Diane dans les profondeurs du faubourg, et des profondeurs du faubourg dans les rues adjacentes, car il désirait surprendre et craignait d'être surpris.

Diane avait prudemment fermé ses épais rideaux de tapisserie, en sorte qu'à leur bordure seulement filtrait un rayon lumineux, qui dénonçait la vie, dans cette maison absolument noire.

Monsoreau n'était pas embusqué depuis dix minutes, que deux chevaux parurent à l'embouchure de la rue Saint-Antoine.

Le valet ne parla point; mais il étendit la main dans la direction des deux chevaux.

— Oui, dit Monsoreau, je vois.

Les deux cavaliers mirent pied à terre à l'angle de l'hôtel des Tournelles, et ils attachèrent leurs chevaux aux anneaux de fer disposés dans la muraille à cet effet.

— Monseigneur, dit Aurilly, je crois que nous arrivons trop tard; il sera parti directement de votre hôtel; il avait dix minutes d'avance sur vous, il est entré.

— Soit, dit le prince; mais, si nous ne l'avons pas vu entrer, nous le verrons sortir.

— Oui, mais quand? dit Aurilly.

— Quand nous voudrons, dit le prince.

— Serait-ce trop de curiosité que de vous demander comment vous comptez vous y prendre, monseigneur?

— Rien de plus facile. Nous n'avons qu'à heurter à la porte, l'un de nous, c'est-à-dire toi, par exemple, sous prétexte que tu viens demander des nouvelles de M. de Monsoreau. Tout amoureux s'effraye au bruit. Alors, toi entré dans la maison, lui sort par la fenêtre, et moi, qui serai resté dehors, je le verrai déguerpir.

— Et le Monsoreau?

— Que diable veux-tu qu'il dise? C'est mon ami, je suis inquiet, je fais demander de ses nouvelles, parce que je lui ai trouvé mauvaise mine dans la journée; rien de plus simple.

— C'est on ne peut plus ingénieux, monseigneur, dit Aurilly.

— Entends-tu ce qu'ils disent? demanda Monsoreau à son valet.

— Non, monseigneur; mais, s'ils continuent de parler, nous ne pouvons manquer de les entendre, puisqu'ils viennent de ce côté.

— Monseigneur, dit Aurilly, voici un tas de pierres qui semble fait exprès pour cacher Votre Altesse.

— Oui; mais attends, peut-être y a-t-il moyen de voir à travers les fentes des rideaux.

En effet, comme nous l'avons dit, Diane avait rallumé ou rapproché la lampe, et une légère lueur filtrait du dedans au dehors.

Le duc et Aurilly tournèrent et retournèrent pendant plus de dix minutes, afin de chercher un point d'où leurs regards pussent pénétrer dans l'intérieur de la chambre. Pendant ces différentes évolutions, Monsoreau bouillait d'impatience et arrêtait souvent sa main sur le canon du mousquet, moins froid que cette main.

— Oh! souffrirai-je cela? murmura-t-il; dévorerai-je encore cet affront? Non, non: tant pis, ma patience est à bout. Mordieu! ne pouvoir ni dormir, ni veiller, ni même souffrir tranquille, parce qu'un caprice honteux s'est logé dans le cerveau oisif de ce misérable prince! Non, je ne suis pas un valet complaisant; je suis le comte de Monsoreau; et qu'il vienne de ce côté, je lui fais, sur mon honneur, sauter la cervelle. Allume la mèche, René, allume...

En ce moment, justement le prince, voyant qu'il était impossible à ses regards de pénétrer à travers l'obstacle, en était revenu à son projet, et s'apprêtait à se cacher dans les décombres, tandis qu'Aurilly allait frapper à la porte, quand tout à coup, oubliant la distance qu'il y avait entre lui et le prince, Aurilly posa vivement sa main sur le bras du duc d'Anjou.

— Eh bien, monsieur, dit le prince étonné, qu'y a-t-il?

— Venez, monseigneur, venez, dit Aurilly.

— Mais pourquoi cela?

— Ne voyez-vous rien briller à gauche? Venez, monseigneur, venez.

— En effet, je vois comme une étincelle au au milieu de ces pierres.

— C'est la mèche d'un mousquet ou d'une arquebuse, monseigneur.

— Ah! ah! fit le duc, et qui diable peut être embusqué là?

— Quelque ami ou quelque serviteur de Bussy. Éloignons-nous, faisons un détour, et revenons d'un autre côté. Le serviteur donnera l'alarme, et nous verrons Bussy descendre par la fenêtre.

— En effet, tu as raison, dit le duc; viens.

Tous deux traversèrent la rue pour regagner la place où ils avaient attaché leurs chevaux.

— Ils s'en vont, dit le valet.

— Oui, dit Monsoreau. Les as-tu reconnus?

— Mais il me semble bien, à moi, que c'est le prince et Aurilly.

— Justement. Mais tout à l'heure j'en serai plus sûr encore.

— Que va faire monseigneur?

— Viens.

Pendant ce temps, le duc et Aurilly tournaient par la rue Sainte-Catherine, avec l'intention de longer les jardins et de revenir par le boulevard de la Bastille.

Monsoreau rentrait et ordonnait de préparer sa litière.

Ce qu'avait prévu le duc arriva. Au bruit que fit Monsoreau, Bussy prit l'alarme: la lumière s'éteignit de nouveau, la fenêtre se rouvrit, l'échelle de corde fut fixée, et Bussy, à son grand regret, obligé de fuir comme Roméo, mais sans avoir, comme Roméo, vu se lever le premier rayon du jour et entendu chanter l'alouette.

 

Au moment où il mettait pied à terre et où Diane lui renvoyait l'échelle, le duc et Aurilly débouchaient à l'angle de la Bastille. Ils virent, juste au-dessous de la fenêtre de la belle Diane, une ombre suspendue entre le ciel et la terre; mais cette ombre disparut presque aussitôt au coin de la rue Saint-Paul.

— Monsieur, disait le valet, nous allons réveiller toute la maison.

— Qu'importe? répondait Monsoreau furieux; je suis le maître ici, ce me semble, et j'ai bien le droit de faire chez moi ce que voulait y faire M. le duc d'Anjou.

La litière était prête. Monsoreau envoya chercher deux de ses gens qui logeaient rue des Tournelles, et, lorsque ces gens, qui avaient l'habitude de l'accompagner depuis sa blessure, furent arrivés et eurent pris place aux deux portières, la machine partit au trot de deux robustes chevaux, et, en moins d'un quart d'heure, fut à la porte de l'hôtel d'Anjou.

Le duc et Aurilly venaient de rentrer depuis si peu de temps, que leurs chevaux n'étaient pas encore débridés.

Monsoreau, qui avait ses entrées libres chez le prince, parut sur le seuil juste au moment où celui-ci, après avoir jeté son feutre sur un fauteuil, tendait ses bottes à un valet de chambre.

Cependant un valet, qui l'avait précédé de quelques pas, annonça M. le grand veneur.

La foudre brisant les vitres de la chambre du prince n'eût pas plus étonné celui-ci que l'annonce qui venait de se faire entendre.

— Monsieur de Monsoreau! s'écria-t-il avec une inquiétude qui perçait à la fois et dans sa pâleur et dans l'émotion de sa voix.

— Oui, monseigneur, moi-même, dit le comte en comprimant ou plutôt en essayant de comprimer le sang qui bouillait dans ses artères.

L'effort qu'il faisait sur lui-même fut si violent, que M. de Monsoreau sentit ses jambes qui manquaient sous lui, et tomba sur un siège placé à l'entrée de la chambre.

— Mais, dit le duc, vous vous tuerez, mon cher ami, et, dans ce moment même, vous êtes si pâle, que vous semblez près de vous évanouir.

— Oh! que non, monseigneur, j'ai, pour le moment, des choses trop importantes à confier à Votre Altesse. Peut-être m'évanouirai-je après, c'est possible.

— Voyons, parlez, mon cher comte, dit François tout bouleversé.

— Mais pas devant vos gens, je suppose, dit Monsoreau.

Le duc congédia tout le monde, même Aurilly.

Les deux hommes se trouvèrent seuls.

— Votre Altesse rentre? dit Monsoreau.

— Comme vous voyez, comte.

— C'est bien imprudent à Votre Altesse d'aller ainsi la nuit par les rues.

— Qui vous dit que j'ai été par les rues?

— Dame! cette poussière qui couvre vos habits, monseigneur...

— Monsieur de Monsoreau, dit le prince avec un accent auquel il n'y avait pas à se méprendre, faites-vous donc encore un autre métier que celui de grand veneur?

— Le métier d'espion? oui, monseigneur. Tout le monde s'en mêle aujourd'hui, un peu plus, un peu moins; et moi comme les autres.

— Et que vous rapporte ce métier, monsieur?

— De savoir ce qui se passe.

— C'est curieux, fit le prince en se rapprochant de son timbre pour être à portée d'appeler.

— Très-curieux, dit Monsoreau.

— Alors, contez-moi ce ce que vous avez à me dire.

— Je suis venu pour cela.

— Vous permettez que je m'assoie?

— Pas d'ironie, monseigneur, envers un humble et fidèle ami comme moi, qui ne vient à cette heure et dans l'état où il est que pour vous rendre un signalé service. Si je me suis assis, monseigneur, c'est, sur mon honneur, que je ne puis rester debout.

— Un service? reprit le duc, un service?

— Oui.

— Parlez donc.

— Monseigneur, je viens à Votre Altesse de la part d'un puissant prince.

— Du roi?

— Non, de monseigneur le duc de Guise.

— Ah! dit le prince, de la part du duc de Guise! c'est autre chose.

Approchez-vous et parlez bas.

CHAPITRE XXII
COMMENT M. LE DUC D'ANJOU SIGNA, ET COMMENT, APRÈS AVOIR SIGNÉ, IL PARLA

Il se fit un instant de silence entre le duc d'Anjou et Monsoreau.

Puis, rompant le premier ce silence:

— Eh bien, monsieur le comte, demanda le duc, qu'avez-vous à me dire de la part de MM. de Guise?

— Beaucoup de choses, monseigneur.

— Ils vous ont donc écrit?

— Oh! non pas; MM. de Guise n'écrivent plus depuis l'étrange disparition de maître Nicolas David.

— Alors, vous avez donc été à l'armée?

— Non, monseigneur; ce sont eux qui sont venus à Pans.

— MM. de Guise sont à Paris! s'écria le duc.

— Oui, monseigneur.

— Et je ne les ai pas vus!

— Ils sont trop prudents pour s'exposer, et pour exposer en même temps Votre Altesse.

— Et je ne suis pas prévenu?

— Si fait, monseigneur, puisque je vous préviens.

— Mais que viennent-ils faire?

— Mais ils viennent, monseigneur, au rendez-vous que vous leur avez donné.

— Moi! je leur ai donné rendez-vous?

— Sans doute, le même jour où Votre Altesse a été arrêtée, elle avait reçu une lettre de MM. de Guise, et elle leur avait fait répondre verbalement par moi-même, qu'ils n'avaient qu'à se trouver à Paris du 31 mai au 2 juin. Nous sommes au 31 mai; si vous avez oublié MM. de Guise, MM. de Guise, comme vous voyez, ne vous ont pas oublié, monseigneur.

François pâlit, Il s'était passé tant d'événements depuis ce jour, qu'il avait oublié ce rendez-vous, si important qu'il fût.

— C'est vrai, dit-il; mais les relations qui existaient à cette époque entre MM. de Guise et moi n'existent plus.

— S'il en est ainsi, monseigneur, dit le comte, vous ferez bien de les en prévenir: car je crois qu'ils jugent les choses tout autrement.

— Comment cela?

— Oui, peut-être vous croyez-vous délié envers eux, monseigneur; mais eux continuent de se croire liés envers vous.

— Piège, mon cher comte, leurre auquel un homme comme moi ne se laisse pas deux fois prendre.

— Et où monseigneur a-t-il été pris une fois?

— Comment! où ai-je été pris? Au Louvre, mordieu!

— Est-ce par la faute de MM. de Guise?

— Je ne dis pas, murmura le duc, je ne dis pas; seulement je dis qu'ils n'ont en rien aidé à ma fuite.

— C'eût été difficile, attendu qu'ils étaient en fuite eux-mêmes.

— C'est vrai, murmura le duc.

— Mais, vous une fois en Anjou, n'ai-je pas été chargé de vous dire, de leur part, que vous pouviez toujours compter sur eux comme ils pouvaient compter sur vous, et que le jour où vous marcheriez sur Paris, ils y marcheraient de leur côté?

— C'est encore vrai, dit le duc; mais je n'ai point marché sur Paris.

— Si fait, monseigneur, puisque vous y êtes.

— Oui; mais je suis à Paris comme l'allié de mon frère.

— Monseigneur me permettra de lui faire observer qu'il est plus que l'allié des Guise.

— Que suis-je donc?

— Monseigneur est leur complice.

Le duc d'Anjou se mordit les lèvres.

— Et vous dites qu'ils vous ont chargé de m'annoncer leur arrivée?

— Oui, Votre Altesse, ils m'ont fait cet honneur.

— Mais ils ne vous ont pas communiqué les motifs de leur retour?

— Ils m'ont tout communiqué, monseigneur, me sachant l'homme de confiance de Votre Altesse, motifs et projets.

— Ils ont donc des projets? Lesquels?

— Les mêmes, toujours.

— Et ils les croient praticables?

— Ils les tiennent pour certains.

— Et ces projets ont toujours pour but?..

Le duc s'arrêta, n'osant prononcer les mots qui devaient naturellement suivre ceux qu'il venait de dire.

Monsoreau acheva la pensée du duc.

— Pour but de vous faire roi de France; oui, monseigneur.

Le duc sentit la rougeur de la joie lui monter au visage.

— Mais, demanda-t-il, le moment est-il favorable?

— Votre sagesse en décidera.

— Ma sagesse?

— Oui, voici les faits, faits visibles, irrécusables.

— Voyons.

— La nomination du roi comme chef de la Ligue n'a été qu'une comédie, vile appréciée, et jugée aussitôt qu'appréciée. Or, maintenant; la réaction s'opère, et l'État tout entier se soulève contre la tyrannie du roi et de ses créatures. Les prêches sont des appels aux armes, les églises des lieux où l'on maudit le roi en place de prier Dieu. L'armée frémit d'impatience, les bourgeois s'associent, nos émissaires ne rapportent que signatures et adhésions nouvelles à la Ligue; enfin le règne de Valois touche à son terme. Dans une pareille occurrence, MM. de Guise ont besoin de choisir un compétiteur sérieux au trône, et leur choix s'est naturellement arrêté sur vous. Maintenant renoncez-vous à vos idées d'autrefois?

Le duc ne répondit pas.

— Eh bien, demanda Monsoreau, que pense monseigneur?

— Dame! répondit le prince, je pense...

— Monseigneur sait qu'il peut, en toute franchise, s'expliquer avec moi.

— Je pense, dit le duc, que mon frère n'a pas d'enfants; qu'après lui le trône me revient; qu'il est d'une vacillante santé. Pourquoi donc me remuerais-je avec tous ces gens, pourquoi compromettrais-je mon nom, ma dignité, mon affection, dans une rivalité inutile; pourquoi enfin essayerais-je de prendre avec danger ce qui me reviendra sans péril?

— Voilà justement, dit Monsoreau, où est l'erreur de Votre Altesse: le trône de votre frère ne vous reviendra que si vous le prenez. MM. de Guise ne peuvent être rois eux-mêmes, mais ils ne laisseront régner qu'un roi de leur façon; ce roi, qu'ils doivent substituer au roi régnant, ils avaient compté que ce serait Votre Altesse; mais, au refus de Votre Altesse, je vous en préviens, ils en chercheront un autre.

— Et qui donc, s'écria le duc d'Anjou en fronçant le sourcil, qui donc osera s'asseoir sur le trône de Charlemagne?

— Un Bourbon, au lieu d'un Valois: voilà tout, monseigneur; fils de saint Louis pour fils de saint Louis.

— Le roi de Navarre? s'écria François.

— Pourquoi pas? il est jeune, il est brave; il n'a pas d'enfants, c'est vrai; mais on est sûr qu'il en peut avoir.

— Il est huguenot.

— Lui! est-ce qu'il ne s'est pas converti à la Saint-Barthélemy?

— Oui, mais il a abjuré depuis.

— Eh! monseigneur, ce qu'il a fait pour la vie, il le fera pour le trône.

— Ils croient donc que je céderai mes droits sans les défendre?

— Je crois que le cas est prévu.

— Je les combattrai rudement.

— Peuh! ils sont gens de guerre.

— Je me mettrai à la tête de la Ligue.

— Ils en sont l'âme.

— Je me réunirai à mon frère.

— Votre frère sera mort.

— J'appellerai les rois de l'Europe à mon aide.

— Les rois de l'Europe feront volontiers la guerre à des rois; mais ils y regarderont à deux fois avant de faire la guerre à un peuple.

— Comment, à un peuple?

— Sans doute, MM. de Guise sont décidés à tout, même à constituer des États, même à faire une république.

François joignit les mains dans une angoisse inexprimable. Monsoreau était effrayant avec ses réponses qui répondaient si bien.

— Une république? murmura-t-il.

— Oh! mon Dieu! oui, comme en Suisse, comme à Gênes, comme à Venise.

— Mais mon parti ne souffrira point que l'on fasse ainsi de la France une république.

— Votre parti? dit Monsoreau. Eh! monseigneur, vous avez été si désintéressé, si magnanime, que, sur ma parole, votre parti ne se compose plus guère que de M. de Bussy et de moi.

— Le duc ne put réprimer un sourire sinistre.

— Je suis lié, alors, dit-il.

— Mais à peu près, monseigneur.

— Alors, qu'a-t-on besoin de recourir à moi, si je suis, comme vous le dites, dénué de toute puissance?

— C'est-à-dire, monseigneur, que vous ne pouvez rien sans MM. de Guise; mais que vous pouvez tout avec eux.

 

— Je peux tout avec eux?

— Oui, dites un mot, et vous êtes roi.

Le duc se leva fort agité, se promena par la chambre, froissant tout ce qui tombait sous sa main: rideaux, portières, tapis de table; puis enfin il s'arrêta devant Monsoreau.

— Tu as dit vrai, comte, quand tu as dit que je n'avais plus que deux amis, toi et Bussy.

Et il prononça ces paroles avec un sourire de bienveillance qu'il avait eu le temps de substituer à sa pâle fureur.

— Ainsi donc, fit Monsoreau, l'oeil brillant de joie.

— Ainsi donc, fidèle serviteur, reprit le duc, parle, je t'écoute.

— Vous l'ordonnez, monseigneur?

— Oui.

— Eh bien, en deux mots, monseigneur, voici le plan.

Le duc pâlit, mais il s'arrêta pour écouter.

Le comte reprit:

— C'est dans huit jours la Fête-Dieu, n'est-ce pas, monseigneur?

— Oui.

— Le roi, pour cette sainte journée, médite depuis longtemps une grande procession aux principaux couvents de Paris.

— C'est son habitude de faire tous les ans pareille procession à pareille époque.

— Alors, comme Votre Altesse se le rappelle, le roi est sans gardes, ou du moins les gardes restent à la porte. Le roi s'arrête devant chaque reposoir, il s'y agenouille, y dit cinq Pater et cinq Ave, le tout accompagné des sept psaumes de la pénitence.

— Je sais tout cela.

— Il ira à l'abbaye Sainte-Geneviève comme aux autres.

— Sans contredit.

— Seulement, comme un accident sera arrivé en face du couvent...

— Un accident?

— Oui, un égout se sera enfoncé pendant la nuit.

— Eh bien?

— Le reposoir ne pourra être sous le porche, il sera dans la cour même.

— J'écoute.

— Attendez donc: le roi entrera, quatre ou cinq personnes entreront avec lui; mais derrière le roi et ces quatre ou cinq personnes, on fermera les portes.

— Et alors?

— Alors, reprit Monsoreau, Votre Altesse connaît les moines qui feront les honneurs de l'abbaye à Sa Majesté!

— Ce seront les mêmes?

— Qui étaient là quand on a sacré Votre Altesse, justement.

— Ils oseront porter la main sur l'oint du Seigneur?

— Oh! pour le tondre, voilà tout: vous connaissez ce quatrain:

 
De trois couronnes, la première
Tu perdis, ingrat et fuyard;
La seconde court grand hasard;
Des ciseaux feront la dernière.
 

— On osera faire cela? s'écria le duc l'oeil brillant d'avidité; on touchera un roi à la tête?

— Oh! il ne sera plus roi alors.

— Comment cela?

— N'avez-vous pas entendu parler d'un frère génovéfain, d'un saint-homme qui fait des discours en attendant qu'il fasse des miracles?

— De frère Gorenflot?

— Justement.

— Le même qui voulait prêcher la Ligue l'arquebuse sur l'épaule?

— Le même.

— Eh bien, on conduira le roi dans sa cellule; une fois là, le frère se charge de lui faire signer son abdication; puis, quand il aura abdiqué, madame de Montpensier entrera les ciseaux à la main. Les ciseaux sont achetés; madame de Montpensier les porte pendus à son côté. Ce sont de charmants ciseaux d'or massif, et admirablement ciselés: A tout seigneur tout honneur.

François demeura muet; son oeil faux s'était dilaté comme celui d'un chat qui guette sa proie dans l'obscurité.

— Vous comprenez le reste, monseigneur, continua le comte. On annonce au peuple que le roi, éprouvant un saint repentir de ses fautes, a exprimé le voeu de ne plus sortir du couvent; si quelques-uns doutent que la vocation soit réelle, M. le duc de Guise tient l'armée, M. le cardinal tient l'Église, M. de Mayenne tient la bourgeoisie; avec ces trois pouvoirs-là on fait croire au peuple à peu près tout ce que l'on veut.

— Mais on m'accusera de violence! dit le duc après un instant.

— Vous n'êtes pas tenu de vous trouver là.

— On me regardera comme un usurpateur.

— Monseigneur oublie l'abdication.

— Le roi refusera.

— Il paraît que frère Gorenflot est non-seulement un homme très-capable, mais encore un homme très-fort.

— Le plan est donc arrêté?

— Tout à fait.

— Et l'on ne craint pas que je le dénonce?

— Non, monseigneur, car il y en a un autre, non moins sûr, arrêté contre vous, dans le cas où vous trahiriez.

— Ah! ah! dit François.

— Oui, monseigneur, et celui-là, je ne le connais pas; on me sait trop votre ami pour me l'avoir confié. Je sais qu'il existe, voilà tout.

— Alors je me rends, comte; que faut-il faire?

— Approuver.

— Eh bien, j'approuve.

— Oui, mais cela ne suffit point, de l'approuver de paroles.

— Comment donc faut-il l'approuver encore?

— Par écrit.

— C'est une folie que de supposer que je consentirai à cela.

— Et pourquoi?

— Si la conjuration avorte.

— Justement, c'est pour le cas où elle avorterait qu'on demande la signature de monseigneur.

— On veut donc se faire un rempart de mon nom?

— Pas autre chose.

— Alors je refuse mille fois.

— Vous ne pouvez plus.

— Je ne peux plus refuser?

— Non.

— Êtes-vous fou?

— Refuser, c'est trahir.

— En quoi?

— En ce que je ne demandais pas mieux que de faire, et que c'est Votre Altesse qui m'a ordonné de parler.

— Eh bien, soit; que ces messieurs le prennent comme ils voudront; j'aurai choisi mon danger, au moins.

— Monseigneur, prenez garde de mal choisir.

— Je risquerai, dit François un peu ému, mais essayant néanmoins de conserver sa fermeté.

— Dans votre intérêt, monseigneur, dit le comte, je ne vous le conseille pas.

— Mais je me compromets en signant

— En refusant de signer, vous faites bien pis: vous vous assassinez!

François frissonna.

— On oserait? dit-il.

— On osera tout, monseigneur. Les conspirateurs sont trop avancés; il faut qu'ils réussissent, à quelque prix que ce soit.

Le duc tomba dans une indécision facile à comprendre.

— Je signerai, dit-il.

— Quand cela?

— Demain.

— Non, monseigneur, si vous signez, il faut signer tout de suite.

— Mais encore faut-il que MM. de Guise rédigent l'engagement que je prends vis-à-vis d'eux.

— Il est tout rédigé, monseigneur, je l'apporte.

Monsoreau tira un papier de sa poche: c'était une adhésion pleine et entière au plan que nous connaissons.

Le duc le lut d'un bout à l'autre, et, à mesure qu'il lisait, le comte pouvait le voir pâlir; lorsqu'il eut fini, les jambes lui manquèrent, et il s'assit ou plutôt il tomba devant la table.

— Tenez, monseigneur, dit Monsoreau en lui présentant la plume.

— Il faut donc que je signe? dit François en appuyant la main sur son front, car la tête lui tournait.

— Il le faut si vous le voulez, personne ne vous y force.

— Mais si, l'on me force, puisque vous me menacez d'un assassinat.

— Je ne vous menace pas, monseigneur, Dieu m'en garde, je vous préviens; c'est bien différent.

— Donnez, fit le duc.

Et, comme faisant un effort sur lui-même, il prit ou plutôt il arracha la plume des mains du comte, et signa.

Monsoreau le suivait d'un oeil ardent de haine et d'espoir. Quand il lui vit poser la plume sur le papier, il fut obligé de s'appuyer sur la table; sa prunelle semblait se dilater à mesure que la main du duc formait les lettres qui composaient son nom.

— Ah! dit-il quand le duc eut fini.

Et, saisissant le papier d'un mouvement non moins violent que le duc avait saisi la plume, il le plia, l'enferma entre sa chemise et l'étoffe en tresse de soie qui remplaçait le gilet à cette époque, boutonna son pourpoint et croisa son manteau par-dessus.

Le duc regardait faire avec étonnement, ne comprenant rien à l'expression de ce visage pâle, sur lequel passait comme un éclair de féroce joie.

— Et maintenant, monseigneur, dit Monsoreau, soyez prudent.

— Comment cela? demanda le duc.

— Oui; ne courez plus par les rues le soir avec Aurilly, comme vous venez de le faire il n'y a qu'un instant encore.

— Qu'est-ce à dire?

— C'est-à-dire que, ce soir, monseigneur, vous avez été poursuivre d'amour une femme que son mari adore, et dont il est jaloux au point de... ma foi, oui, de tuer quiconque l'approcherait sans sa permission.

— Serait-ce, par hasard, de vous et de votre femme que vous voudriez parler?

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